Caté Somme - La vie religieuse: les familles religieuses dans l'Église


Troisième partie

Jésus-Christ

(la voie du retour de l'homme à Dieu)

1. Le mystère de Jésus-Christ ou du Verbe fait chair pour ramener l'homme à Dieu


- Qu'entendez-vous par le mystère de Jésus-Christ ou du Verbe fait chair?
- J'entends le fait, absolument incompréhensible pour nous sur cette terre, de la seconde personne de la très Sainte Trinité, le Verbe ou le Fils unique de Dieu qui, étant de toute éternité, avec son Père et l'Esprit-Saint, le même seul et unique vrai Dieu, par qui toutes choses ont été créées, et qui les gouverne en souverain maître, est venu, dans le temps, sur notre terre, par son incarnation dans le sein de la Vierge Marie, de laquelle il est né; a vécu de notre vie mortelle; a évangélisé le peuple juif de la Palestine auquel il était personnellement envoyé par son Père; a été méconnu par ce peuple, trahi et livré au gouverneur romain Ponce-Pilate, condamné et mis à mort sur une croix; a été enseveli; est descendu aux enfers; est ressuscité d' entre les morts, le troisième jour; est monté au ciel, quarante jours après; est assis à la droite de Dieu le Père, d'où il gouverne son Église, établie par lui sur la terre, à laquelle il a envoyé son Esprit, qui est aussi l'Esprit du Père, sanctifiant cette Église par les sacrements de sa grâce et la préparant ainsi à sa seconde venue de la fin des temps, où il jugera les vivants et les morts, ayant fait sortir ceux-ci de leurs tombeaux, pour établir la séparation définitive des bons, qu'il prendra avec lui dans le royaume de son Père, - où il leur assurera une vie éternelle, - d'avec les méchants, qu'il chassera, maudits par lui et condamnés aux supplices d'un feu éternel.


2. Convenance, nécessité, harmonie de l'incarnation


- Cette venue du Fils de Dieu sur notre terre, par son incarnation, est-elle en harmonie avec ce que nous savons de Dieu?
- Oui; rien ne pouvait être plus en harmonie avec ce que nous savons de Dieu que cette venue du Fils de Dieu sur notre terre par son incarnation. Car nous savons de Dieu qu'il est la bonté même ou le bien souverain. D' autre part, le propre du bien ou de la bonté est de se communiquer. Et Dieu ne pouvait se communiquer à la créature d'une façon plus merveilleuse que par le mystère de son incarnation (III 1,1).

- Cette incarnation du Fils de Dieu était-elle chose nécessaire?
- Non; considérée en elle-même, cette incarnation du Fils de Dieu n'était aucunement nécessaire; mais, étant donnée la chute du genre humain par le premier péché du premier homme, si Dieu voulait relever le genre humain de la manière la plus parfaite et la plus harmonieuse, et surtout s'il voulait que satisfaction pleine et entière fût donnée pour ce péché, il fallait de toute nécessité qu'un Dieu-homme se chargeât de ce péché et fît réparation (III 1,2).

- C'est donc en raison du péché de l'homme et pour le réparer, que le Fils de Dieu s'est incarné?
- Oui, c'est en raison du péché de l'homme et pour le réparer, que le Fils de Dieu s'est incarné (III 1,3-4).

- Mais alors pourquoi le Fils de Dieu ne s'est-il pas incarné tout de suite après la chute du premier homme?
- Parce qu'il fallait que le genre humain prît conscience de sa misère et du besoin qu'il avait d'un Dieu-Sauveur; et aussi pour que ce Dieu-Sauveur pût être précédé d' une longue suite de prophètes annonçant et préparant sa venue (III 1,5-6).

- En quoi consiste cette incarnation du Fils de Dieu considérée en elle-même?
- Elle consiste en ce que la nature divine et la nature humaine, gardant chacune tout ce qui leur appartient en propre, ont été substantiellement et indissolublement unies dans l'unité d'une seule et même personne divine, qui est la personne du Fils de Dieu (III 2,1-6).

- Pourquoi est-ce dans la personne du Fils, plutôt que dans celle du Père ou de l'Esprit-Saint, que s'est accomplie l'union de l'incarnation?
- Parce que les propriétés du Fils, en Dieu, qui a la raison de Verbe, et à qui convient par appropriation tout ce qui se rapporte à la sagesse, par qui Dieu avait créé toutes choses, faisaient qu'il était en particulière harmonie avec le mystère de la restauration du genre humain déchu; et aussi parce que, venant du Père, il pouvait être envoyé par lui, et, ensuite, à son tour, nous envoyer son Esprit, comme fruit de sa rédemption (III 3,8).


3. Ce que le Fils de Dieu a pris et s'est uni de nous dans son incarnation


- Quand nous disons que le Fils de Dieu s'est incarné, ou que le Verbe s'est fait chair, ou qu'il s'est fait homme, que signifient ces divers termes, en ce qui touche à ce que le Verbe ou le Fils de Dieu a pris de nous pour se l'unir dans sa personne?
- Toutes ces expressions signifient que le Verbe ou le Fils de Dieu a pris, pour se l'unir dans sa personne, notre nature humaine, telle qu'elle se trouve réalisée dans son être individuel parmi les descendants du premier homme après son péché (III 4,1-6).

- S'ensuit-il qu'il y ait dans le Verbe incarné ou le Fils de Dieu fait homme, un individu humain?
- Nullement. Il y a en lui une nature humaine individuée, mais non un individu humain ou une personne humaine, car cette nature est individuée en la seule et unique personne du Verbe ou du Fils de Dieu (III 4,3).

- Cette nature humaine que s'est unie, dans sa propre personne, le Fils de Dieu, est-elle, dans ses deux parties essentielles, exactement ce qu'est la nature humaine en chacun de nous?
- Oui; la nature humaine que s'est unie, dans sa propre personne, le Fils de Dieu, est, dans ses deux parties essentielles, exactement ce qu'est la nature humaine en chacun de nous (III 5,1-4).

- Le Fils de Dieu incarné a donc un corps semblable au nôtre, en chair et en os comme le nôtre, avec les mêmes membres, les mêmes sens, les mêmes organes?
- Oui, le Fils de Dieu incarné a un corps semblable au nôtre, en chair et en os comme le nôtre, avec les mêmes membres, les mêmes sens, les mêmes organes (III 5,1-2).

- A-t-il aussi une âme comme la nôtre, avec ses mêmes parties, ses mêmes facultés, y compris notre intelligence et notre volonté?
- Oui, il a aussi une âme comme la nôtre, avec ses mêmes parties, ses mêmes facultés, y compris notre intelligence et notre volonté, telle en un mot que nous l'avons décrite, quand nous avons étudié notre nature, oeuvre de Dieu (III 5,3-4).

- Est-ce en même temps que le Fils de Dieu s'est uni toutes les parties qui constituent la nature humaine individuée, dans son essence et dans son intégrité?
- Oui, c'est en même temps que le Fils de Dieu s'est uni toutes les parties qui constituent la nature humaine individuée, dans son essence et dans son intégrité; mais il se les est unies dans un certain ordre (III 6,1-6).

- Quel est cet ordre dans lequel le Fils de Dieu s'est uni la nature humaine et ses parties?
- Il consiste en ce que le Fils de Dieu a pris le corps et toutes ses parties en raison de l'âme; l'âme et ses autres puissances, en raison de l'esprit; et le corps, l'âme et l'esprit, en raison de la nature humaine que tout cela constitue dans son essence et dans son intégrité (III 6,1-5).

- L'union de la nature humaine et de toutes ses parties à la personne du Fils de Dieu a-t-elle été faite directement et immédiatement, sans qu'il y ait aucune réalité créée qui s' interpose entre cette nature et ses parties et la personne du Fils de Dieu?
- Oui, c'est directement et immédiatement qu'a été faite l'union de la nature humaine et de toutes ses parties à la personne du Fils de Dieu, sans qu'il y ait aucune réalité créée, non pas même d'ordre gratuit, qui s'interpose entre cette nature et ses parties et la personne du Fils de Dieu, précisément parce que cette union a pour terme l'être même de la personne du Fils de Dieu communiqué à cette nature humaine et à toutes ses parties (III 6,6).


4. Des privilèges ou des prérogatives dont le Fils de Dieu a voulu

que fût gratifiée la nature humaine qu'il s'est unie dans son incarnation;

- grâce habituelle ou sanctifiante; vertus; dons du Saint-Esprit; - grâces gratuitement données


- N'y a-t-il pas cependant, dans la nature humaine unie à la personne du Fils de Dieu, et dans les facultés de son âme, des réalités créées d'ordre gratuit qui l'unissent à Dieu?
- Oui, ces réalités créées d'ordre gratuit se trouvent dans la nature humaine unie à la personne du Fils de Dieu et dans les facultés de son âme; mais ce n'est point pour l'unir à la personne du Fils de Dieu; elles sont, au contraire, une suite de cette union et comme exigées par son excellence absolument transcendante (III 6,6).

- Quelles sont ces réalités créées d'ordre gratuit qui se trouvent ou se sont trouvées dans la nature humaine unie à la personne du Fils de Dieu, étant une suite de cette union et comme exigées par son excellence absolument transcendante?
- Ce sont: d'abord, dans l'essence de son âme, la grâce habituelle; puis, dans ses facultés: toutes les vertus, sauf la foi et l'espérance; tous les dons du Saint-Esprit; toutes les grâces gratuitement données, qui ont pour but ou pour objet la manifestation de la vérité divine au monde, sans en excepter la prophétie en ce qu'elle implique d'état prophétique proprement dit (III 7,1-8).

- Quel était et quel est le rôle de la grâce habituelle se trouvant dans l'essence de l'âme unie au Fils de Dieu dans sa personne?
- Ce rôle était, et continuera d'être pendant toute l'éternité, de rendre cette âme par participation, ce qu'est, en elle-même, la nature divine par essence; et de permettre cette âme d' avoir, dérivant dans ses facultés, ces principes d'action divine que sont les vertus et les dons (III 7,1).

- Pourquoi dites-vous que l'âme humaine, unie au Fils de Dieu dans sa personne, dut avoir toutes les vertus, sauf la foi et l'espérance?
- Parce que ces deux vertus ont quelque chose d'imparfait qui était incompatible avec la perfection de l'âme humaine unie au Fils de Dieu dans sa personne (III 7,3-4).

- En quoi consiste cette imperfection?
- En ce que la foi suppose qu'on ne voit pas ce que l'on croit, et que l'espérance porte sur Dieu, non encore possédé par la claire vision béatifique (Ibid.).

- Qu'entendez-vous par les grâces gratuitement données, qui ont pour but ou pour objet la manifestation de la vérité divine au monde, et qui durent être dans la nature humaine unie au Fils de Dieu dans sa personne?
- J'entends ces privilèges, marqués par saint Paul dans la première épître aux Corinthiens, (1Co 12,8-10 et sq.), et qui sont: la foi, la sagesse, la science, la grâce des guérisons, l'accomplissement des prodiges, la prophétie, le discernement des esprits, la diversité des langues, l'interprétation des discours (III 7,7).

- La foi, grâce gratuitement donnée, est-elle autre chose que la vertu de foi?
- Oui; il s'agit là d'une certaine certitude suréminente en ce qui touche aux vérités divines, qui rend quelqu'un apte à instruire les autres de ces vérités (I-II 111,4 ad 2).

- Et la sagesse et la science, marquées au nombre de grâces gratuitement données, sont-elles autre chose que les vertus intellectuelles ou les dons du Saint-Esprit qu'on appelle des mêmes noms?
- Oui, elles désignent une certaine abondance de science et de sagesse qui fait que le sujet qui les reçoit peut non seulement en lui-même avoir des pensées justes sur les choses divines, mais aussi instruire les autres et réfuter les adversaires (I-II 111,4 ad 4).

- Le Fils de Dieu vivant sur cette terre a-t-il usé de la grâce gratuitement donnée qui s'appelle la diversité des langues?
- Le Fils de Dieu vivant sur cette terre n'eut pas à user de cette grâce gratuitement donnée, n'ayant exercé son ministère d'apostolat que parmi les juifs ou parmi ceux qui avaient la même langue; mais il possédait excellemment cette grâce comme toutes les autres et aurait pu en user s'il avait eu l'occasion de le faire (III 7,7 ad 3).

- Qu'entendez-vous quand vous dites que le Fils de Dieu incarné eut dans sa nature humaine la grâce de la prophétie même en ce qu'elle implique d'état prophétique proprement dit?
- J'entends signifier par là que le Fils de Dieu, pendant sa vie sur cette terre, vivait de notre vie à nous, et, à ce titre, était #894963éloigné des choses du ciel dont il nous parlait; bien que, par la partie supérieure de son âme, il vécût au sein des mystères de Dieu dont il avait la pleine vue et la possession actuelle. C'est qu'en effet le propre du prophète est de parler de choses qui sont éloignées et non à la portée de la vue de ceux à qui il les annonce et au milieu desquels il vit (III 7,8).

- Dans quels rapports se trouvent les grâces gratuitement données, avec la grâce habituelle ou sanctifiante et les vertus et les dons qui l'accompagnent?
- La grâce habituelle ou sanctifiante et les vertus et les dons qui l'accompagnent, ont pour objet de sanctifier le sujet en qui elles se trouvent; tandis que les grâces gratuitement données, sont en vue de l'apostolat à exercer auprès des autres (I-II 111,1 I-II 111,4).

- Ces deux sortes de grâces peuvent-elles être séparées?
- Oui; puisque toutes les âmes justes ou saintes ont la grâce habituelle ou sanctifiante avec les vertus et les dons qui l'accompagnent; et que les grâces gratuitement données ne sont le partage que de ceux qui ont un ministère à remplir auprès des autres. De plus, bien que, pour ces derniers, les deux sortes de grâces soient ordinairement jointes, elles peuvent être séparées, comme c'était l e cas de Judas, qui était un démon, et qui cependant avait les grâces gratuitement données conférées aux apôtres.

- Dans la nature humaine que le Fils de Dieu s'était unie dans sa propre personne, toutes ces sortes de grâces étaient-elles jointes ensemble et portées à leur plus haut degré de perfection?
- Oui; dans la nature humaine que le Fils de Dieu s'était unie dans sa propre personne, toutes ces sortes de grâces étaient jointes ensemble et portées à leur plus haut degré de perfection (III 7,1-8).

- Pourquoi en fut-il ainsi chez lui?
- Parce qu'il était d'une dignité personnelle infinie; et qu'il devait être le Docteur par excellence des choses de la foi (III 7,7).


5. La plénitude de la grâce qui fut dans la nature humaine du Fils de Dieu incarné


- Devenons-nous dire que, dans la nature humaine que le Fils de Dieu s'est unie dans sa propre personne, la grâce s'est trouvée selon toute sa plénitude?
- Oui, dans la nature humaine que le Fils de Dieu s'est unie dans sa propre personne, la grâce s'est trouvée dans toute sa plénitude: en ce sens qu'il n'est rien qui se rapporte à l'ordre de la grâce qui ne s'y soit trouvé; et que tout cela s'y est trouvé au plus haut degré qui fût possible, dans l'ordre actuel de la grâce (III 7,9).

- Cette plénitude de grâce est-elle tout à fait propre à la nature humaine dans la personne du Fils de Dieu?
- Oui; elle lui est tout à fait propre: car elle vient de la proximité de cette nature à la nature divine, source de la grâce, dans la même personne du Fils de Dieu, et du rôle que devait avoir le Fils de Dieu vivant dans cette nature humaine, rôle qui consisterait à répandre lui-même, en tous les hommes, le trop-plein de la grâce existant en lui (III 7,10).

- Pouvons-nous dire que la grâce conférée à la nature humaine unie au Fils de Dieu dans sa propre personne, fut une grâce infinie?
- Oui; on peut le dire en un certain sens. Car s'il s'agit de la grâce d'union, elle est infinie au sens pur et simple, n'étant pas autre chose que le fait, pour cette nature humaine, d'être unie à la nature divine elle-même dans l'unique personne du Fils de Dieu. Et s'il s'agit de la grâce habituelle avec tout ce qui l'accompagne, elle n'a pas de limite dans l'ordre actuel de la grâce, ou par rapport à tous les autres qui la participent, bien qu'en elle-même elle soit quelque chose de créé, et, par suite, quelque chose de fini (III 7,11).

- Cette grâce, ainsi entendue, peut-elle être augmentée dans la nature humaine que le Fils de Dieu s'est unie dans sa propre personne?
- Cette grâce pourrait être augmentée, à ne considérer que la puissance de Dieu qui est infinie; mais, à considérer l'ordre actuel de la grâce tel que Dieu l'a établi, cette grâce ne peut pas être augmentée (III 7,12).

- Quels sont les rapports de cette grâce à la grâce d'union?
- Cette grâce, dans la nature humaine que le Fils de Dieu s'est unie dans sa propre personne, est une suite de la grâce d'union, et se proportionne à cette grâce d'union (III 7,13).

- De quel nom s'appelle la grâce d'union, cause et principe de toute autre grâce dans la nature humaine que le Fils de Dieu s'est unie dans sa propre personne?
- On l'appelle grâce d'union hypostatique, d'un mot grec, qui signifie personne, car elle est, nous l'avons dit, le fait unique et incompréhensible pour nous, dû à l'action gratuite de la personne du Fils de Dieu, de concert avec le Père et l'Esprit-Saint, amenant, pour cette nature humaine qu'il s'est unie ainsi, cet excès de dignité et d' honneur qu'elle est unie immédiatement à la nature divine dans la même et unique Personne du Fils de Dieu.


6. La grâce capitale propre au Fils de Dieu incarné, dans sa nature humaine


- Outre cette grâce dont il vient d'être parlé, selon le double genre qui a été dit, de grâce habituelle ou sanctifiante avec tout ce qui l'accompagne, et de grâces gratuitement données, dérivant, dans la nature humaine que le Fils de Dieu s'est unie dans sa propre personne, en raison de la grâce d'union hypostatique, et du rôle que le Fils de Dieu devait avoir, vivant au milieu de nous dans cette nature, - grâce qui convenait au Fils de Dieu incarné selon qu'il était, lui-même, personnellement, tel homme déterminé, distinct de tous les autres hommes, - n'y a-t-il pas à parler encore, au sujet du Fils de Dieu incarné, de ce qu'on a appelé la grâce capitale, qui lui convient selon qu'il est le chef ou la tête de son corps mystique, l'Église?
- Oui, nous devons encore parler, au sujet du Fils de Dieu incarné, de la grâce capitale, qui lui convient sous sa raison de chef ou de tête de son corps mystique, l'Église (III 8,0).

- Qu'entendez-vous signifier quand vous dites que le Fils de Dieu incarné est la tête ou le chef de son corps mystique, l'Église?
- J'entends signifier que le Fils de Dieu vivant dans la nature humaine qu'il s'est unie dans sa propre personne, occupe, dans l'ordre de la proximité à Dieu, la première place, possède la perfection absolue et la plénitude de tout ce qui touche à l'ordre de la grâce, et a la vertu de communiquer tout ce qui appartient à cet ordre à tous ceux qui, à un titre quelconque, participent les biens de cet ordre (III 8,1).

- N'est-ce que par rapport à l'âme, ou est-ce encore par rapport au corps que le Fils de Dieu incarné est dit la tête ou le chef des hommes qui font partie de son Église?
- C'est aussi par rapport au corps, que le Fils de Dieu incarné est dit la tête ou le chef des hommes qui font partie de son Église; et cela veut dire que l'humanité du Fils de Dieu incarné, non seulement dans son âme, mais aussi dans son corps, est l'instrument de la divinité, pour répandre les biens de l'ordre surnaturel dans l'âme des hommes d' abord, mais aussi dans leur corps: ici-bas, pour que le corps aide l'âme dans la pratique des oeuvres de justice; et, plus tard, dans la résurrection glorieuse, pour que le corps reçoive du trop-plein de l'âme glorifiée sa part d'immortalité et de gloire (III 8,2).

- Est-ce de tous les hommes que le Fils de Dieu incarné doit être dit la tête ou le chef, dans le sens qui vient d'être précisé?
- Oui; à prendre les hommes dans l'universalité du cours de leur histoire; mais ceux qui ayant déjà vécu sur cette terre sont morts dans l'impénitence finale ne lui appartiennent plus et sont séparés de lui à tout jamais. Ceux, au contraire, qui, ayant vécu sur cette terre de la vie de la grâce, se trouvent maintenant dans la gloire, ceux-là lui appartiennent excellemment, et il est leur chef ou leur tête à un titre tout spécial. Il est ensuite le chef ou la tête de tous ceux qui lui sont unis par la grâce et se trouvent au purgatoire ou sur cette terre; de tous ceux qui lui sont unis actuellement, même par la foi seule, sans la charité; de tous ceux qui ne lui sont pas encore unis, non pas même par la foi, mais qui doivent l'être un jour, selon les décrets de la prédestination divine; enfin, de ceux-là même qui, vivant encore sur cette terre, sont dans la possibilité de lui être unis, bien qu'ils ne doivent jamais lui être unis en effet (III 8,3).

- Peut-on dire que le Fils de Dieu incarné soit aussi le chef ou la tête des anges?
- Oui, le Fils de Dieu incarné est aussi le chef ou la tête des anges; car c'est par rapport à toute la multitude de ceux qui sont ordonnés à la même fin de la fruition de la gloire, que le Fils de Dieu occupe la première place, et possède dans toute leur plénitude les biens de cet ordre surnaturel, et communique à tous du trop-plein dont il déborde (III 8,4).

- La grâce capitale, qui convient au Fils de Dieu incarné selon que vivant dans la nature humaine qu'il s'est unie dans sa personne, il est le chef ou la tête de l'Église dans l'universalité qui vient d'être dite, est-elle la même grâce que celle qui lui convient ou qui est en lui selon qu'il est lui-même personnellement tel homme déterminé, distinct de tous les autres hommes et à pl us forte raison des anges?
- Oui: c'est la même grâce dans son fond ou dans son essence; mais on l'appelle de ces deux noms, grâce capitale ou grâce personnelle, en raison du double rôle qu' elle joue ou selon lequel on la considère: en tant qu'elle orne la nature humaine propre au Fils de Dieu incarné; ou en tant qu'elle se communique à tous ceux qui dépendent de lui (III 8,5).

- Le fait d'être chef ou tête de l'Église est-il absolument propre au Fils de Dieu incarné?
- Oui; en ce qui est de communiquer les biens intérieurs de l'ordre de la grâce, seule l'humanité du Fils de Dieu incarné ayant la vertu de justifier l'homme intérieurement, en raison de son union à la divinité dans la personne du Verbe. Mais, s'il s'agit du gouvernement extérieur dans l'Église, d'autres hommes peuvent être appelés et sont appelés, en effet, à des degrés et à des titres divers, chefs ou têtes, soit de telle portion de l'Église, comme sont les évêques dans leurs diocèses, soit de l'Église dans son ensemble pour ceux qui sont encore dans l'état de la voie sur la terre, comme est le Souverain Pontife pendant que dure son pontificat; avec ceci, d'ailleurs, que ces autres chefs ne font que tenir la place du seul vrai chef de qui tout dépend, Jésus-Christ lui-même, dont ils ne sont à des titres ou à des degrés divers, que les vicaires, n'agissant jamais qu'en son nom (III 8,6).

- C'est donc à Jésus-Christ seul ou au Fils de Dieu incarné que tout se rapporte et que tout revient, en dernière analyse, dans l'action salutaire ou dans l'action qui a trait au bien surnaturel de tous ceux qui, à un titre quelconque, participent ce bien-là?
- Oui, très exactement, c'est à Jésus-Christ seul ou au Fils de Dieu incarné que tout se rapporte et que tout revient en dernière analyse, dans l'action salutaire ou dans l'action qui a trait au bien surnaturel de tous ceux qui, à un titre quelconque, participent ce bien-là.

- Y a-t-il, dans le sens opposé et pour ce qui est de l'action néfaste détournant les hommes de Dieu et les conduisant à leur perte, un chef ou une tête, qui est, dans l'ordre du mal, ce qu'est Jésus-Christ ou le Fils de Dieu incarné, dans l'ordre du bien?
- Oui; et ce chef ou cette tête des méchants n'est autre que Satan, le chef des démons révoltés (III 8,7).

- De quelle manière ou en quel sens, le chef des démons révoltés, Satan, est-il, dans l'ordre du mal, le chef ou la tête des méchants, comme Jésus-Christ est le chef ou la tête de tous ceux qui font partie de son Église?
- Il ne l'est pas en ce sens qu'il puisse communiquer intérieurement le mal comme Jésus-Christ communique le bien; mais il l'est en ce sens que dans l'ordre du gouvernement extérieur, il tend à détourner les hommes de Dieu, comme Jésus-Christ tend à les ordonner à lui; et que tous ceux qui pèchent imitent sa rébellion et son orgueil, comme les bons imitent la soumission et l'obéissance de Jésus-Christ (III 8,7).

- Serait-il donc vrai qu'en raison se cette opposition radicale et foncière, il y aurait comme une sorte de lutte personnelle entre Jésus-Christ, chef et tête des bons, et Satan, chef et tête des méchants, qui expliquerait en dernier ressort ce qu'il y a de continu et d'irréductible dans la lutte des bons et des méchants à travers les événements de l'histoire?
- Assurément; et l'on n'aura jamais le dernier mot de cette lutte, tant qu'on ne la ramènera pas à la lutte personnelle et irréductible à tout jamais entre Satan et Jésus-Christ.

- Cette lutte doit-elle un jour revêtir un caractère particulier d'acuité, de telle sorte que Satan semblera avoir concentré toute sa malice et sa vertu de nuire en la personne d' un individu humain, comme le Fils de Dieu a mis sa vertu salutaire en la nature humaine qu'il s'est unie dans sa propre personne?
- Oui; et ce sera lors du règne de l'Antéchrist.

- L'Antéchrist sera donc à un titre spécial le chef et la tête des méchants?
- Oui; l'Antéchrist sera, à un titre spécial, le chef et la tête des méchants. Car il aura plus de malice qu'aucun homme en ait eu avant lui; et il sera au degré suprême le suppôt de Satan s' efforçant de perdre les hommes et de ruiner le règne de Jésus-Christ avec une méchanceté et des moyens d'action qui seront dignes du chef des démons (III 8,8).

- Quel devoir s'impose à tout homme en présence de cette lutte foncière et irréductible des deux chefs opposés de l'humanité?
- C'est de ne pactiser jamais en quoi que ce soit avec ce qui est de Satan ou de ses satellites; et de se ranger, pour y demeurer toujours et y combattre vaillamment, sous l'étendard de Jésus-Christ.


7. La science prise par le Fils de Dieu dans la nature humaine qu'il s'est unie: science béatifique; science infuse; science expérimentale


- Outre la grâce dont nous avons parlé et qui est propre à la nature humaine que le Fils de Dieu s'est unie dans sa propre personne, n'y a-t-il pas encore d'autres prérogatives qui sont l'apanage de cette nature?
- Oui; et ce sont d'abord les prérogatives qui ont trait à la science (III 9,0-12).

- Quelle sorte de science fut prise par le Fils de Dieu incarné dans la nature humaine qu'il s'unissait de l'union hypostatique?
- Trois sortes de sciences furent prises par le Fils de Dieu incarné dans la nature humaine qu'il s'unissait hypostatiquement; savoir: la science, qui fait les bienheureux dans le ciel, par la vision de l'essence divine; la science infuse ou innée, qui donne à l'âme, d'un seul coup, et par une effusion directe du Verbe, toutes les notions ou toutes les idées qui la mettent à même de tout connaître par mode de science connaturelle; enfin, la science expérimentale, ou acquise, qui est due au jeu normal et ordinaire de nos facultés humaines puisant dans le monde extérieur à l'aide des sens (III 9,2-4).

- La science qui fait les bienheureux dans le ciel par la vision de l'essence divine, fut-elle prise par le Fils de Dieu incarné dans la nature humaine qu'il s'unissait hypostatiquement, avec un degré particulier de perfection?
- Oui; elle fut prise avec un degré de perfection qui dépasse, sans proportion aucune, celle de tous les autres esprits bienheureux, anges et hommes, à quelque degré de perfection qu'ils soient élevés dans cette science; et, dès le premier instant, le Fils de Dieu incarné, put voir, par sa nature humaine, dans le Verbe divin qu'il était lui-même, tout et tout, de telle sorte qu'il n'est rien, de quelque manière que cela soit dans le présent, ou ait été dans le passé, ou doive être un jour dans l'avenir, qu'il s'agisse d'actions, de paroles, de pensées, se rapportant à n'importe qui et dans n' importe quel temps, que le Fils de Dieu incarné n'ait connu, dès le premier instant de son incarnation, par la nature humaine qu'il s'était unie hypostatiquement, dans le Verbe divin qu'il était lui-même (III 10,2-4).

- Et la science infuse ou innée, fut-elle prise par le Fils de Dieu incarné, dans la nature humaine qu'il s'unissait hypostatiquement, avec un degré particulier de perfection?
- Oui; car il connaît, par sa nature humaine, dans l'ordre de cette science, tout ce à quoi peut arriver l'intelligence humaine en utilisant la lumière native qui est en elle, et tout ce que la révélation divine peut faire connaître à une intelligence humaine ou créée, qu'il s'agisse de ce qui touche au don de sagesse, ou au don de prophétie, ou à n'importe quel autre don de l'Esprit-Saint, dans un degré de perfection et d'abondance absolument transcendant, non seulement par rapport à tous les autres hommes, mais même par rapport à la science des esprits angéliques (III 11,1-3).

- Et la science acquise qui fut dans l'âme humaine du Fils de Dieu incarné, selon quelles conditions s'y trouva-t-elle?
- Elle s'y trouva de telle sorte que, par elle, il connut tout ce à quoi l'intelligence humaine peut parvenir en travaillant sur les données des sens; qu'un certain progrès dans la science fut p ossible pour lui, à mesure que son entendement humain avait l'occasion de s'exercer en travaillant sur de nouvelles données des sens; mais que cependant il n'eut jamais rien à apprendre d'aucun maître humain, ayant toujours déjà acquis par lui-même, au contact des oeuvres de Dieu, ce qu'un maître humain eût été à même d'enseigner, pour lui, à mesure que sa vie progressait (III 12,1-3).

- Doit-on dire aussi qu'en aucune manière le Fils de Dieu incarné n'eut jamais rien à recevoir des anges, en fait de science, dans sa nature humaine?
- Non, jamais en aucune manière, le Fils de Dieu incarné n'eut rien à recevoir des anges, en fait de science, dans sa nature humaine; mais tout ce qu' il eut, comme science, lui vint, dans sa nature humaine, ou immédiatement du Verbe qu'il était personnellement, ou de la lumière naturelle de l'entendement propre à la nature humaine, en travaillant selon qu'il a été dit, sur les données immédiates des sens; car tout autre mode de recevoir eût été indigne de lui (III 12,4).


8. La puissance prise par le Fils de Dieu dans la nature humaine qu'il s'est unie hypostatiquement


- Outre ces prérogatives de science, le Fils de Dieu incarné prit-il encore d'autres prérogatives dans la nature humaine qu'il s'unissait hypostatiquement?
- Oui; il prit encore ce qui a trait à la puissance (III 13,0).

- Quelle fut la puissance de l'âme humaine du Fils de Dieu incarné?
- Ce fut toute la puissance connaturelle à l'âme humaine, forme substantielle d'un corps qu'il voulut prendre mortel, comme nous le verrons; et, en plus, la puissance propre à cette âme humaine, dans l'ordre de la grâce, en tant qu'elle devait, de sa plénitude, communiquer à tous ceux qui seraient sous sa dépendance. Il y eut encore, dans la nature humaine du Fils de Dieu incarné, à un titre unique, cette participation instrumentale de la vertu divine, qui devait faire que, par elle, le Verbe de Dieu accomplirait désormais toutes les merveilles de transformation en harmonie avec la fin de l'incarnation, qui est de restaurer toutes choses, au ciel et sur la terre, selon le plan de rénovation fixé par Dieu (III 13,1-4).


9. Défectuosités prises par le Fils de Dieu dans la nature humaine qu'il s'est unie hypostatiquement: du côté du corps; du côté de l'âme


- Était-il à propos qu'à côté de ces prérogatives de grâce, de science ou de puissance, le Fils de Dieu incarné prît aussi, dans la nature humaine qu'il s' unissait hypostatiquement, certaines défectuosités affectant son corps et son âme?
- Oui; cela était nécessaire en vue de la fin de l'incarnation, qui était que, par elle, le Fils de Dieu pût satisfaire pour nos péchés; apparaître sur cette terre comme l'un de nous, laissant ainsi à la foi tout son mérite; enfin nous servir d'exemple, par la pratique des plus hautes vertus de patience et d'immolation (III 14,15).

- Quelles furent les défectuosités du corps que le Fils de Dieu incarné dut prendre dans la nature humaine qu'il s'unissait hypostatiquement?
- Ce furent les défectuosités ou les misères et infirmités qui sont, dans toute la nature humaine, la suite et l'effet du premier péché du premier homme; telles que la faim, la soif, la mort et autres choses de ce genre; mais non les infirmités ou défauts qui sont la suite des péchés personnels ou d'hérédité, ou encore l'effet d' une mauvaise conception (III 14,1).

- Le corps du Fils de Dieu incarné fut-il donc, en deçà des défectuosités qui ont été dites, d'une souveraine perfection et d'une souveraine beauté?
- Oui; le corps du Fils de Dieu incarné fut, en deçà des défectuosités qui ont été dites, d'une souveraine perfection et d'une souveraine beauté, car cela convenait à la dignité du Verbe de Dieu uni hypostatiquement à ce corps et à l'action de l'Esprit-Saint par qui ce corps fut formé directement dans le sein de la Vierge Marie, comme nous le dirons bientôt.

- Et, du côté de l'âme, quelles furent les défectuosités prises par le Fils de Dieu incarné dans la nature humaine qu'il s'unissait hypostatiquement?
- Ce furent: d'abord, la possibilité de sentir la douleur causée par ce qui affecte péniblement le corps, notamment par les lésions corporelles telles qu' il devait les souffrir au cours de sa passion; ensuite les mouvements intérieurs d'ordre affectif sensible, ou encore les mouvements d'ordre affectif intellectuel qui supposent un mal présent ou qui menace, tels que les mouvements de tristesse, de crainte, de colère; avec ceci pourtant que de tels mouvements dans l'âme humaine du Fils de Dieu incarné, n'avaient jamais rien qui ne fût de tout point en parfaite harmonie avec la raison, à laquelle ils demeuraient en tout complètement soumis (III 15,1-9).

- Peut-on dire du Fils de Dieu incarné, qu'il fut, en raison de la nature humaine qu'il s'était unie hypostatiquement, pendant qu'il vivait sur notre terre, to ut ensemble au terme et dans la voie de la béatitude?
- Oui; car, pour ce qui est propre à l'âme dans la béatitude, il jouissait pleinement de cette béatitude par la vision de l'essence divine; et, pour ce qui est du rejaillissement de la béatitude de l'âme dans la partie sensible et dans le corps, par une sorte de suspension miraculeuse, en vue de notre rédemption, il ne devait en jouir qu'après sa résurrection et son ascension, l'attendant, au cours de sa vie mortelle, comme une récompense qu'il devait mériter et conquérir (III 15,10).



Caté Somme - La vie religieuse: les familles religieuses dans l'Église