Catena Aurea 4434

vv. 34-36

4434 Mt 14,34-36

Remi. L'Évangéliste nous a fait connaître précédemment l'ordre donné par le Seigneur à ses disciples de monter dans la barque et de le devancer au delà du détroit. Il continue son récit et nous apprend où ils abordèrent après cette traversée: «Et ayant traversé le lac, ils vinrent dans la terre de Génézareth.

Rab. La terre de Genezar, qui s'étend sur les bords du lac de Génézareth, tire son nom de la nature même du lieu. Ce nom vient d'un mot grec qui signifie s'engendrant à elle-même le vent, parce que la surface du lac, toujours ridée, produit une brise continuelle.

S. Chrys. L'Évangéliste nous apprend que ce fut après une longue absence que Jésus vint dans ce pays, en ajoutant: «Et lorsqu'ils le connurent», etc. Ils apprirent son arrivée par la renommée et non en le voyant de leurs yeux, quoique certainement par suite des grands mira cles qu'il opérait dans ces contrées, un grand nombre de personnes le connaissaient de vue. Et voyez quelle est la foi de ces habitants de la terre de Génézareth: ils ne se contentent pas de la guérison de ceux qui vivent au milieu d'eux; mais ils envoient aux villes d'alentour pour les presser d'accourir toutes au souverain médecin. - S. Chrys. Ils ne l'entraînent plus dans leurs maisons comme auparavant et ne lui demandent plus d'imposer les mains, mais ils méritent ses faveurs par une foi plus grande: «Et ils lui présentèrent tous les malades, le priant qu'il leur permît seulement de toucher le bord de son vêtement». Cette femme qui souffrait d'une perte de sang leur avait enseigné cette haute sagesse, qu'en touchant seulement la frange des vête ments du Christ ils seraient sauvés. On voit d'après cela que l'absence du Sauveur non-seulement ne leur fit point perdre la foi, mais au contraire la rendit plus vive, et c'est par la vertu de cette foi qu'ils furent tous sauvés: «Et tous ceux qui le touchaient étaient guéris». - S. Jér. Si nous connaissions la signification du mot Génézareth dans notre langue, nous comprendrions comment, sous cette figure des Apôtres et de leur barque, Jésus veut nous re présenter l'Église qu'il fait aborder au rivage après l'avoir sauvée du naufrage et qu'il fait re poser dans le port, à l'abri de toute agitation. - Rab. Genezar signifie le principe de la naissance; or, nous jouirons d'une tranquillité en tière et parfaite quand Jésus-Christ nous rendra l'héritage du ciel et le vêtement de joie que nous avions porté autrefois. - S. Hil. Ou bien, dans un autre sens, les temps de la loi étant expirés et cinq mille hommes d'Israël entrés dans l'Église, le peuple des croyants sauvé par la foi, quoique sorti de la loi, présente au Seigneur ce qui lui reste d'infirmes et de malades, qui tous désirent toucher les franges de ses vêtements, et doivent être sauvés par la foi. Mais de même que les franges pendent du vêtement tout entier, ainsi la vertu de l'Esprit saint sortait de Jésus-Christ, et cette vertu communiquée aux Apôtres, comme sortis eux-mêmes du même corps, guérit tous ceux qui désirent s'en approcher. - S. Jér. ou bien encore, par cette frange de la robe, vous pouvez entendre les plus petits commandements; celui qui les transgresse sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux; ou bien encore le corps qu'il a revêtu pour nous faire parvenir jusqu'au Verbe de Dieu. - S. Chrys. Pour nous, non-seulement nous pouvons toucher le vêtement ou la frange de Jésus-Christ, mais même son corps qu'il nous donne à manger. Or, si ceux qui touchèrent seulement la frange de son vêtement en ressenti rent une influence si salutaire, que n'éprouverons nous pas, nous qui le recevons tout entier ?


CHAPITRE XV


vv. 1-6

4501 Mt 15,1-6

Rab. Les habitants de Génézareth et les esprits les plus simples croient en Jésus-Christ, tandis que ceux qui paraissent sages à leurs propres yeux viennent pour lui livrer combat, selon ces paroles: Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et vous les avez révélées aux petits». C'est ce que l'Évangéliste veut exprimer lorsqu'il dit: «Alors des scribes et des pharisiens, qui étaient venus de Jérusalem s'approchèrent de Jésus». - S. Aug. (De l'accord des Evang., 2, 49). Saint Matthieu a disposé l'ordre de son récit de manière que ces paroles: «Alors des scribes et des pharisiens s'approchèrent»,etc., servent à la fois de transition et indiquent la suite chronologique des événements.

S. Chrys. (hom. 52). L'Évangéliste nous marque ici le temps pour dévoiler l'excès de leur méchanceté sans égale, car ils choisissent pour l'attaquer le moment où il vient de faire une multitude de miracles et de guérir les malades par le seul contact de la frange de sa robe. Ces scribes, ces pharisiens viennent de Jérusalem; ce n'est pas qu'ils ne fussent disséminés dans toutes les tribus, mais ceux qui habitaient la métropole étaient pires que les autres à cause des grands honneurs qui leur étaient rendus et de l'orgueil excessif qui en était la suite. -
Remi. Ils sont doublement coupables, parce qu'ils venaient de Jérusalem, la ville sainte, et parce qu'ils étaient les anciens du peuple et les docteurs de la loi et que leur intention n'était pas de consulter le Sauv eur, mais de trouver à le reprendre: «Et ils lui dirent: Pour quoi vos disciples violent-ils la tradition des anciens ?» - S. Jér. Étonnante folie des pharisiens et des scribes ! Ils reprochent au Fils de Dieu de ne point garder les traditions et les préceptes des hommes. - S. Chrys. (hom. 54). Voyez comme ils sont pris dans leurs propres paroles: ils ne demandent point pourquoi transgressent-ils la loi de Moïse, mais pourquoi violent-ils les traditions des anciens? preuve évidente que les prêtres introduisaient un grand nombre de nouveautés, malgré cette défense de Moïse: «Vous n'ajouterez rien aux paroles que je vous dis aujourd'hui et vous n'en retrancherez rien».C'est alors qu'ils devaient s'affranchir de ces pratiques, qu'ils se liaient par un plus grand nombre de vaines observances, parce qu'ils crai gnaient qu'on ne vînt leur enlever l'autorité souveraine, et qu'ils voulaient se rendre redouta bles en leur qualité de législateurs.

Remi. - Quelles étaient ces traditions? Saint Marc nous l'apprend: Les pharisiens et tous les Juifs ne mangent point qu'ils ne se lavent fréquemment les mains» (Mc 7,3-4). Voilà pourquoi ils adressent ce reproche aux disciples de Jésus: «Ils ne lavent pas leurs mains». - Bède (sur S. Matth). Comme ils entendaient les paroles des prophètes dans un sens char nel, ils n'observaient ce précepte que Dieu donne par Isaïe: «Lavez-vous et soyez purs» qu'en lavant leurs corps, et ils avaient donc établi qu'on ne pouvait manger qu'après s'être lavé les mains. -
S. Jér. On doit se laver les mains, c'est-à-dire purifier les oeuvres non du corps, mais de l'âme, pour qu'elles puissent accomplir la parole de Dieu. - S. Chrys. (hom. 52). Les disciples mangeaient sans s'être lavé les mains, parce qu'ils rejetaient les observances su perflues pour ne s'attacher qu'au nécessaire; ils ne se croyaient obligés ni à se laver, ni à ne se pas laver les mains, et ils pratiquaient l'un et l'autre suivant les occasions. Car, comment auraient-ils pu attacher de l'importance à une semblable tradition, eux qui n'avaient même aucun souci de la nourriture qui leur était nécessaire? - Remi. Ou bien ce que les pharisiens reprochent aux disciples du Seigneur n'est pas de manquer à l'usage reçu de se laver les mains lors qu'il en est besoin, mais de ne pas observer ici les coutumes inutiles, introduites par les traditions des anciens (cf. Mc 7,8).

S. Chrys. (hom. 52). Jésus-Christ n'excuse pas directement ses disciples; mais, prenant le rôle d'accusateur, il fait voir aux scribes et aux pharisiens que ce n'est pas à ceux qui se rendent coupables de fautes énormes qu'il appartient de reprendre les fautes légères que peuvent com mettre les autres. Mais il leur répondit: Pourquoi vous-mêmes violez-vous le commandement de Dieu ?» etc. Il ne dit pas que ses disciples font bien pour ne pas donner aux Juifs occasion de les calomnier; mais il ne les blâme pas non plus, pour ne point paraître approuver leurs tra ditions. Il n'accuse pas non plus les anciens, ce qu'ils auraient repoussé comme un outrage, mais il reprend ceux qui sont venus le trouver, tout en blâmant indirectement les anciens qui avaient établi cette tradition. «Et vous, pourquoi violez-vous les commandements de Dieu pour votre tradition ?» - S. Jér. C'est-à-dire: Comment, vous violez les Commandements de Dieu pour une tradition tout humaine, et vous reprochez à mes disciples d'attacher peu d'importance aux prescriptions des anciens pour observer les commandements de Dieu? car Dieu a fait ce commandement: «Honore ton père et ta mère». Cet honneur dont parle l'Écriture consiste moins en marques de déférence, de respect, que dans l'assistance et dans les secours effectifs qu'on leur donne: «Honorez les veuves qui sont vraiment veuves», dit saint Paul (1Tm 5,3), honneur qu'il faut entendre des secours qui leur sont donnés. Dieu, en faisant ce commandement, avait eu en vue les infirmités, l'âge ou l'indigence des parents, et voulait que les enfants honorassent leurs parents en leur procurant les choses nécessaires à la vie (cf. Ex 20,12 Dt 5,16 Si 3,1-16). - S. Chrys. (hom. 52). Dieu a voulu montrer combien les parents devaient être honorés par leurs enfants, en sanctionnant ce précepte par la récompense et par le châtiment. Mais Notre-Seigneur, passant sous silence la récompense promise à ceux qui honorent leurs parents, c'est-à-dire une longue vie sur la terre, s'arrête de préférence à ce qui est de nature à les effrayer, c'est-à-dire au châtiment, pour inspirer une vive crainte aux uns et convertir les autres. C'est pour cela qu'il ajoute: «Que celui qui aura outragé son père ou sa mère soit puni de mort». Il leur prouve par là qu'ils sont vraiment dignes de mort; car si celui qui outrage de paroles son père ou sa mère est puni de mort, combien plus méritez-vous ce châtiment, vous qui les outra gez par vos actions. Et non-seulement vous manquez à l'honneur qui est dû à vos parents, mais encore vous enseignez aux autres à le leur refuser. Comment donc osez-vous accuser mes dis ciples, vous qui ne méritez pas même de vivre ?

Notre-Seigneur leur fait connaître la manière dont ils violent ce commandement de Dieu, en ajoutant: «Mais vous, vous dites: Quiconque aura dit à son père ou à sa mère: Tout don que j'offre de mon bien, tourne à votre profit». - S. Jér. Les scribes et les pharisiens, voulant détruire cette loi divine et providentielle, pour couvrir leur impiété sous l'apparence de la reli gion, enseignèrent aux enfants dénaturés que s'ils avaient l'intention de consacrer à Dieu, qui est le Père véritable, ce qui était destiné à leurs parents, ils devaient préférer ce sacrifice aux secours que leur père et leur mère avaient droit d'attendre d'eux. - La Glose. Voici donc le sens de ces paroles: Ce que j'offre à Dieu vous servira aussi bien qu'à moi; vous ne devez donc pas prendre pour votre usage ce qui m'appartient, mais permet que je l'offre à Dieu. - S. Jér. Ou bien il est probable que les parents, dans la crainte d'encourir le crime de sacrilège, n'osaient prendre ce qu'ils voyaient consacré à Dieu, et qu'ils étaient réduits à la dernière pauvreté; il arrivait ainsi que l'offrande faite par les enfants sous le prétexte du temple et de Dieu, tournait au profit des prêtres. La Glose. Le sens serait donc celui-ci: Quiconque, c'est-à-dire dire vous, jeunes gens, qui aura dit (ou qui aura pu dire, ou qui dira) à son père ou à sa mère: Mon père, le don que j'offre à Dieu de mon bien, tournera à votre profit, servira à votre usage; c'est-à-dire vous ne devez pas le prendre, pour ne pas vous rendre coupable de sacrilège. Ou bien encore, on peut dire, en suppléant à ce qui manque: Quiconque dira à son père, etc., sous-entendez, accomplira le commandement de Dieu, ou accomplira la loi, ou sera digne de la vie éternelle. - S. Jér. On peut encore donner cette ex plication abrégée: Vous forcez les enfants de dire à leurs parents: Le don que j'allais offrir à Dieu, je l'emploie par là même à votre entretien, et il tourne à votre profit, mon père et ma mère; mais non, il n'en est pas ainsi. - La Glose. Et c'est ainsi que par suite des conseils que lui aura donnés votre avarice, ce fils n'aura aucun respect pour son père et sa mère, comme il le dit en propres termes: Et il n'honorera ni son père ni sa mère», comme s'il disait: Voila les mauvais conseils que vous donnez aux enfants, et vous êtes cause que ce fils, plus tard, ne ren dra ni à son père ni à sa mère l'honneur qu'il leur doit. C'est ainsi que ce commandement de Dieu qui fait un devoir aux enfants d'assister leurs parents, vous l'avez rendu inutile à cause de votre tradition en servant les intérêts de votre avarice. - S. Aug. (contre l'ennemi de la loi et des prophètes, 2, 1) Jésus-Christ nous montre ainsi avec évidence, que c'est la loi de Dieu même dont l'hérétique fait l'objet de ses blasphèmes, et que les Juifs ont des traditions étrangères aux livres prophétiques, et que l'Apôtre appelle des fables profanes et des contes de vieilles femmes (1Tm 4,7). - S. Aug. (cont. Faust., 16, 24). Notre-Seigneur nous enseigne ici plusieurs choses, d'abord qu'il ne détournait pas les Juifs du Dieu qu'ils adoraient; et que bien loin de violer lui-même ses commandements, il condamnait ceux qui se rendaient coupables de cette transgression, et qu'enfin ce n'était que par Moïse qu'il avait donné ces préceptes. - S. Aug. (Quest. évang., 1, 15). Ou bien dans un autre sens: «Le présent que j'offre de mon bien tournera à votre pro fit», c'est-à-dire: Le présent que vous offrez pour moi, vous appartiendra désormais; paroles qui signifient que les enfants n'avaient plus besoin des sacrifices que leurs parents offraient pour eux, lorsqu'ils étaient arrivés à l'âge où ils pouvaient les offrir eux-mêmes. Parvenus à cet âge, où ils pouvaient tenir ce langage à leurs parents, les pharisiens niaient qu'ils fussent coupables de manquer à l'honneur qu'ils leur devaient.


vv. 7-11

4507 Mt 15,7-11

S. Chrys. (hom. 52). Le Seigneur vient de prouver aux pharisiens qu'ils n'avaient pas droit d'accuser ceux qui transgressaient la tradition des anciens, alors qu'ils violaient eux-mêmes la loi de Dieu. Il établit encore la même vérité par le témoignage du prophète: «Hypocrites, leur dit-il, Isaïe a bien prophétisé de vous». - Rem. Un hypocrite est un homme qui feint, qui simule, et qui affecte de paraître au dehors tout autre qu'il n'est au fond du coeur. C'est avec raison qu'il les appelle hypocrites, eux, qui sous prétexte d'honorer Dieu, ne cherchaient qu'à amasser les biens de la terre. - Rab. Isaïe a prévu cette hypocrisie des Juifs qui les porterait à combattre artificieusement l'Évangile; et c'est pour cela qu'il a dit au nom du Seigneur: «Ce peuple m'honore des lèvres»,etc. - Remi. Le peuple juif paraissait s'approcher de Dieu, et l'honorer des lèvres et de la bouche; car il se faisait gloire de n'adorer qu'un seul Dieu; mais son coeur s'éloigna de lui, parce qu'après avoir vu tant de prodi ges et de miracles, il ne voulut ni reconnaître sa divinité, ni le recevoir. - Rab. Ils l'honoraient des lèvres, lorsqu'ils di saient: «Maître, nous savons que vous êtes vrai»; mais leur coeur était bien loin de lui, lors qu'ils envoyèrent des hommes pour lui tendre des pièges et le surprendre dans ses discours. - La Glose. Ou bien ils l'honoraient en recommandant les purifications extérieures et légales, mais comme ils n'avaient point la pureté intérieure, leur coeur était loin de Dieu, et l'honneur qu'ils lui rendaient était sans fruit pour eux, comme l'ajoute le Sauveur: «Et c'est en vain qu'ils m'honorent, enseignant des maximes et des ordonnances humaines». - Rab. Ils n'auront point de part à la récompense des vrais adorateurs, eux qui enseignent des doctrines et des préceptes purement humains, au mépris des commandements qui viennent de Dieu.

S. Chrys. (hom. 52). Après avoir donné un nouveau poids à l'accusation dirigée contre les pharisiens, en l'appuyant de l'autorité du prophètes sans qu'il ait pu les amener à de meilleurs sentiments, il cesse de leur parler, et il s'adresse au peuple: «Puis, ayant appelé le peuple, il leur dit: Écoutez, et comprenez bien ceci».Comme il doit exposer à la foule une vérité élevée et pleine de sagesse, avant de l'énoncer, il prépare les esprits à la recevoir, en témoignant d'abord des égards et de la sollicitude pour ce peuple; ce que l'Évangéliste nous indique par ces paroles: «Puis, ayant appelé le peuple».Les circonstances sont d'ailleurs on ne peut plus favorables pour ce qu'il valeur dire; car ce n'est qu'après avoir ressuscité des morts et triom phé des pharisiens qu'il propose sa loi pour la faire plus facilement accepter. Il ne se contente pas d'appeler la foule, mais il la rend plus attentive par ces paroles: «Entendez, et comprenez», c'est-à-dire prêtez votre attention, et élevez votre esprit pour comprendre mes paroles. Il ne leur dit pas: Il ne faut pas faire de distinction entre les aliments, ou c'est à tort que Moïse a prescrit cette distinction; mais, puisant ses preuves dans la nature même des choses, il parle sous forme d'avertissement et de conseil, et il dit: «Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme», etc. La traduction de saint Jérôme porte: Qui rend commun (cf. Mc 7,15). - S. Jér. Le mot communicat est une expression particulière aux Écritures, et qui n'est point employé dans le langage ordinaire. Le peuple juif qui se vantait d'être l'héritage de Dieu, donnait le nom de nourriture commune ou impure aux viandes dont se nourrissent tous les hommes, comme la viande de porc, de lièvre, et d'autres animaux qui n'ont pas le sabot fendu, qui ne ruminent pas, et parmi les poissons, ceux qui n'ont point d'écailles. C'est dans ce sens que nous lisons dans les Actesdes Apôtres (Ac 10): «Ne regardez pas comme commun ce que Dieu a sanctifié». Ainsi le mot commun, qui exprime ce qui est permis aux autres hommes, comme ne faisant point partie de l'héritage de Dieu, est pris ici dans le sens d'impur.

S. Aug. (cont. Faust., 6, 7). L'Ancien Testament, qui défend certains aliments, n'est nulle ment en opposition avec ce que le Seigneur dit ici: «Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille», ni avec ces autres paroles de l'Apôtre: «Tout est pur pour ceux qui sont purs» (Tt 1), et encore: «Toute créature de Dieu est bonne». (1Tm 4,4). Que les Mani chéens, s'ils le peuvent, comprennent que l'Apôtre a voulu parler ici des substances considé rées en elles-mêmes, tandis que la sainte Écriture, pour établir certaines figures qui étaient en rapport avec le temps, considère certains animaux comme impurs, non pas de leur nature, mais par la signification qui s'y trouve attachée. Ainsi, par exemple, que l'on demande si le porc et l'agneau sont purs de leur nature, il faudra répondre affirmativement, parce que «toute créature de Dieu est bonne». Mais si on les considère sous un certain rapport signifi catif, l'agneau est pur, le porc ne l'est pas. Il en est de même pour les mots fou et sage: l'un et l'autre sont purs, si on les considère dans le son de la voix qui les prononce, aussi bien que dans les lettres et les syllabes qui les composent; mais considérés dans leur signification, le nom de fou, peut recevoir la qualification d'impur, non pas dans sa nature, mais parce qu'il signifie quelque chose d'impur. Peut-être aussi que le fou est dans l'ordre des réalités ce que le porc est dans l'ordre des figures. Ainsi cet animal et ce mot latin de deux syllabes (stultus), que nous traduisons par fou, auraient une seule et même signification; car la loi répute le porc im monde, parce qu'il ne rumine pas, ce qui tient à sa nature, et n'est point un vice en lui. Il est des hommes qui sont figurés par cet animal, et qui sont impurs par leur propre faute et non par nature, parce qu'après avoir écouté volontiers les leçons de la sagesse, ils n'y pensent plus en aucune façon. Car si après avoir reçu des enseignements utiles, vous les rappelez comme des entrailles de votre mémoire, et que vous reportiez la douceur de ce souvenir comme dans la bouche de la pensée, que faites-vous en cela, que ruminer spirituellement? Ceux qui agissent différemment sont figurés par les animaux impurs. Or, cette multitude de choses qui nous sont proposées ou dans des expressions allégoriques, ou dans des observ ances figuratives, font sur les esprits raisonnables une douce et salutaire impression. Mais un grand nombre de ces choses étaient pour le peuple juif autant de préceptes qu'il devait non seulement écouter, mais encore mettre en pratique. C'était le temps où les mystères, dont Dieu réservait la révélation aux siè cles qui suivirent, devaient être prophétisés non-seulement par des paroles, mais encore par des faits. Lorsque plus tard ces mystères ont été révélés par le Christ, et dans le Christ, ces obser vances n'ont pas été imposées comme un joug aux nations qui embrassèrent la foi, mais l'autorité de la prophétie qu'elles contenaient a conservé toute sa force. Or, je demanderai aux Manichéens si cette maxime du Seigneur: «Ce qui entre dans la bouche ne souille pas»,est vraie ou fausse; s'ils prétendent qu'elle est fausse, pourquoi leur docteur Adimantus, qui re connaît qu'elle vient de Jésus-Christ, s'en fait une arme pour battre en brèche l'Ancien Testa ment? Si elle est vraie, comment peuvent-ils admettre contre sa déclaration que la nourriture souille l'homme ?

S. Jér. Un lecteur attentif pourra nous faire cette difficulté: «Si ce qui entre dans la bouche de l'homme ne le souille pas, pourquoi ne pas manger des viandes offertes aux idoles? Nous répondons que les aliments et toute créature de Dieu sont purs par eux-mêmes; mais que l'invocation des idoles et des démons rend impures ces viandes immolées aux idoles pour ceux qui les mangent avec la conviction qu'ils font un acte idolâtrique, et ainsi leur conscience qui est faible, en est souillée, suivant la parole de l'Apôtre (1Co 8). - Remi. Mais celui qui est doué d'une foi assez grande pour comprendre que ce que Dieu a créé ne peut être souillé en aucune manière, sanctifie sa nourriture par la prière et par la parole de Dieu, et il peut manger ce qu'il voudra, à moins, toutefois, que cette liberté ne devienne un scandale pour les personnes faibles, comme le fait remarquer le même Apôtre.


vv. 12-14

4512 Mt 15,12-14

S. Jér. Une seule parole du Sauveur vient de détruire toute cette superstition des observan ces légales auxquelles tenaient tant les Juifs, persuadés que toute leur religion consistait à prendre telle nourriture ou à rejeter telle autre. - S. Chrys. (hom. 52). Les pharisiens, ayant entendu la doctrine que Jésus vient d'enseigner, n'osent plus le contredire, car il les avait for tement convaincus non-seulement en repoussant leurs accusations, mais encore en dévoilant leurs fourberies, mais ils furent scandalisés (les pharisiens et non le peuple). «Alors les disci ples s'approchant lui dirent: Savez-vous bien que les pharisiens, ayant entendu ce que vous venez de dire, s'en sont scandalisés? - S. Jér. Comme le mot scandale est souvent employé dans la sainte Écriture, il nous faut expliquer en peu de mots ce qu'il signifie. Nous croyons pouvoir le définir, une pierre d'achoppement, une cause de chute ou un choc des pieds. Lors donc que nous lisons: «Quiconque aura scandalisé»,nous devons l'entendre dans ce sens: Celui qui en paroles ou en action aura été pour son frère une occasion de chute ou de ruine.

S. Chrys. (hom. 52). Notre-Seigneur Jésus-Christ ne cherche pas à faire disparaître le scan dale des pharisiens; au contraire, il donne un nouveau cours à ses reproches: «Toute plante que n'a pas plantée mon Père céleste sera arrachée».Les Manichéens prétendent qu'il veut parler ici de la Loi, mais cette opinion se trouve réfutée par ce qu'il a dit plus haut; car, s'il avait ici la Loi en vue, comment aurait-il pris plus haut la défense de la Loi en leur disant: «Pourquoi transgressez-vous la loi de Dieu, à cause de votre tradition? Comment aurait-il pu citer à l'appui l'autorité du prophète? Si c'est Dieu qui a fait ce commandement: «Honorez votre père et votre mère», comment ce précepte, qui fai t partie de la Loi, ne serait-il pas la plantation de Dieu? - S. Hil. (can. 14). Donc ces paroles: «Toute plante qui n'a pas été plantée par mon Père céleste sera arrachée», signifient que toute tradition humaine qui sert de prétexte à la violation de la loi doit être arrachée et rejetée. - Remi. Toute fausse doctrine, toute observance superstitieuse ne peuvent avoir de durée non plus que leurs auteurs, et comme elles ne viennent pas du Père, elles seront déracinées avec eux; celle-là seule demeure ra qui a été plantée par Dieu le Père. - S. Jér. Est-ce que cette plantation dont l'Apôtre a dit: «J'ai planté, Apollon a arrosé» serait aussi déracinée? La réponse à cette question se trouve dans les paroles suivantes: «C'est Dieu qui a donné l'accroissement». L'Apôtre ajoute encore: «Vous êtes le champ que Dieu cultive, vous êtes l'édifice que Dieu bâtit», et dans le même verset: «Nous sommes les coopérateurs de Dieu»; or, si nous sommes ses coopéra teurs, donc lorsque Paul plante et qu'Apollon arrose, c'est Dieu qui plante et arrose avec ses coopérateurs. Ceux qui soutiennent le système de plusieurs natures différentes abusent de ce passage en disant: «Si la plantation que n'a pas faite le Père doit être arrachée, donc celle qu'il a faite ne sera jamais déracinée». Jérémie leur répond: «Je vous ai planté comme une vigne choisie, comment êtes-vous devenus pour moi une vigne étrangère et pleine d'amertume ?»Dieu a planté, il est vrai, et personne ne peut déraciner ce qu'il a plante; mais, comme cette plantation a ses racines dans le libre arbitre, aucun autre ne pourra la déraciner si elle ne donne son consentement. - La Glose. Ou bien cette plantation signifie les docteurs de la loi et leurs disciples, qui n'avaient pas Jésus-Christ pour fondement. Le Sauveur donne la raison pour laquelle ils seront déracinés: «Laissez-le; ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles». - Ils sont aveugles, c'est-à-dire privés de la lumière des commandements de Dieu, et ils sont conducteurs d'aveugles parce qu'ils entraînent les autres dans le précipice; ils sui vent eux-mêmes les sentiers de l'erreur et ils y égarent les autres (1Tm 3). C'est pour cela qu'il ajoute: «Si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tombent tous deux dans la fosse». - S. Jér. C'est le commandement que l'Apôtre avait fait à son disciple: «Fuyez celui qui est hérétique après le premier ou le second avertissement, en vous rappelant qu'un tel homme est perverti» (Tt 3). C'est dans le même sens que le Sauveur nous ordonne d'abandonner les docteurs de mensonge à leur volonté dépravée, convaincu qu'il était qu'on ne pouvait que diffici lement les ramener à la vérité.


vv. 15-20

4515 Mt 15,15-20

Remi. Notre-Seigneur avait l'habitude de parler en paraboles. Pierre, ayant donc entendu ces paroles: «Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme», crut que c'était une expression parabolique ou figurée, et il fit au Sauveur la question suivante: «Expliquez-nous cette parabole». Il parlait ainsi au nom de tous; aussi le Seigneur fait tomber le reproche à la fois sur lui et sur les autres: «Et vous aussi, vous êtes encore sans intelligence? - S. Jér. Le Sauveur fait un reproche à Pierre de regarder comme une parabole une vérité exprimée clairement, sans la moindre figure. Apprenons de là qu'on n'est pas un bon disciple lorsqu'on veut entendre avec clarté ce qui est obscur, ou regarder comme obscur ce qui est d'une clarté évidente. - S. Chrys. (hom. 52). Ou bien le Seigneur le reprend, parce que ce n'était pas pour dissiper ses doutes que Pierre l'interrogeait, mais parce qu'il se scandalisait comme les pharisiens. Le peuple, en effet, n'avait pas compris ce qu'avait dit le Sauveur; mais pour les disciples, ils en avaient été scandalisés. Aussi avaient-ils voulu d'abord l'interroger comme au nom des pharisiens; mais ils en furent empêchés par cette grande vérité qu'ils en tendent sortir de la bouche de Jésus: «Toute plante que mon Père n'a pas plantée sera arrachée»,etc. Mais Pierre, dont l'ardeur éclate partout, ne peut garder le silence. Aussi Jésus le reprend vivement et motive ainsi ses reproches: «Vous ne comprenez donc pas que ce qui entre dans la bouche descend dans le ventre et est jeté ensuite au lieu secret ?»

S. Jér. Il en est qui ont pris occasion de ces paroles pour reprocher au Seigneur d'avoir ignoré les lois physiques de la nutrition en pensant que tous les aliments descendent dans le ventre et sont jetés ensuite dans un lieu secret, tandis que la nourriture, soumise immédiatement à une espèce de dissolution, est distribuée dans les membres, dans les veines, dans les nerfs et jusque dans la moëlle des os. Mais ils doivent savoir aussi que lorsque les aliments ont subi, sous l'action d'un fluide délié, une opération qui les rend liquides et qu'ils ont été comme cuits et digérés dans les membres, ils descendent vers les parties inférieures du corps, que les Grecs appellent pores, et sont jetés ensuite dans un lieu secret. - S. Aug. (De la vraie relig., chap. 40). Les aliments, après qu'ils ont été soumis à la dissolution et qu'ils ont perdu leur forme, sont distribués dans toutes les parties du corps et y deviennent des éléments répara teurs. Le mouvement vital les sépare en deux parties distinctes: l'une, parfaitement préparée, sert à développer l'admirable organisation de notre corps; l'autre, dépouillée de tout principe nutritif, est rejetée par les canaux destinés à cet usage. Ainsi une partie, la plus grossière, est rendue à la terre pour y prendre de nouvelles formes; une autre se sécrète et s'exhale par tous les pores du corps; une autre enfin se répand dans toute l'économie intérieure du corps humain et devient un des principes de la génération.

S. Chrys. En parlant de la sorte à ses disciples, Notre-Seigneur se conforme encore aux idées imparfaites du judaïsme, il dit: La nourriture ne reste pas, mais elle s'en va, bien qu'elle ne pût souiller, même en restant dans le corps. Mais ils ne pouvaient encore comprendre cette doctrine, car Moïse leur avait ordonné de se considérer comme impurs tant que la nourriture était dans leurs entrailles, et de se laver et de se purifier le soir, qui est comme le temps où la digestion est faite et où le corps se débarrasse du reste des aliments. - S. Aug. (De la Trinité, 15, 18). Le Seigneur, sous une même dénomination, a compris deux sortes de bouches dans l'homme: la bouche du corps et la bouche de l'âme. Dans ces paroles: «Tout ce qui entre dans la bouche», etc., il ne peut être question que de la bouche du corps, tandis que c'est de la bouche du coeur que Notre-Seigneur veut parler dans le pas sage suivant: «Ce qui sort de la bouche part du coeur, et c'est ce qui souille l'homme». - S. Chrys. (hom. 52). Les choses qui sont au fond du coeur restent dans l'homme et le souillent non-seulement lorsqu'elles y restent, mais surtout lorsqu'elles en sortent; c'est pour cela qu'il ajoute: «C'est du coeur que sortent les mauvaises pensées». Il met les mauvaises pensées en première ligne, parce que c'était le vice particulier des Juifs qui lui tendaient des embûches. - S. Jér. La faculté principale de l'âme n'est donc pas, comme le veut Platon, dans le cerveau, mais dans le coeur, d'après Jésus-Christ, et cette doctrine condamne l'opinion de ceux qui prétendent que les pensées nous sont suggérées par le démon et ne sont pas le fruit de notre propre volonté. Le démon peut devenir l'auxiliaire et le fauteur des mauvaises pensées, mais non pas en être l'auteur. Car bien que cet ennemi, qui se tient toujours en embuscade, puisse développer par son souffle l'étincelle de nos pensées et en produire un grand incendie, nous devons en conclure non pas qu'il scrute les secrets cachés de notre coeur, mais que sur l'apparence extérieure et d'après nos actions, il conjecture ce qui se passe au fond de notre âme. Ainsi, par exemple, s'il nous voit jeter souvent les yeux sur une femme d'un extérieur agréable, il comprend que notre coeur a été blessé par ces regards de la flèche d'un amour coupable.

La Glose. Les pensées mauvaises produisent aussi les mauvaises actions et les paroles coupables défendues par la loi. C'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute les homicides que la loi proscrit par ce commandement: «Vous ne tuerez pas»; les adultères et les fornicateurs par cet autre: «Vous ne commettrez pas d'adultère»; les vols, par celui-ci: «Vous ne déro berez pas»; les faux témoignages, par cet autre: «Vous ne ferez pas de faux témoignage contre votre prochain»; les blasphèmes enfin, par ce précepte: «Vous ne prendrez pas le nom de Dieu en vain».

Remi. Après avoir énuméré les vices que défend la loi divine, le Seigneur ajoute avec raison: «Voilà ce qui souille l'homme», c'est-à-dire qui le rend immonde et impur. - La Glose. Et, comme pour développer cette doctrine, il a pris occasion de la méchanceté des pharisiens qui préféraient leurs traditions aux préceptes divins, il conclut en insistant sur le peu de raison de cette tradition: «Mais manger sans avoir lavé ses mains ne souille pas l'homme». - S. Chrys. (homélie 52). Il ne dit pas: Manger les viandes défendues par la loi ne souille pas l'homme, pour ne point soulever de nouvelles contradictions; il ne comprend dans sa conclu sion que ce qui avait été l'objet de la discussion.



Catena Aurea 4434