Catena Aurea 4622

vv. 22-23

4622 Mt 16,22-23

Orig. Jésus ne faisais encore que découvrir à ses Apôtres le commencement de ces mystères, que déjà Pierre les regardait comme indignes du Fils du Dieu vivant, et comme s'il oubliait que le Fils du Dieu vivant ne peut faire aucune action qui mérite le blâme, il ose le reprendre de ce qu'il vient de dire: «Et Pierre, le prenant à part»,etc. - S. Jér. Nous avons souvent rappelé que Pierre fait preuve d'une ardeur excessive et d'un amour extraordinaire pour le Sauveur. Or, comme il ne veut pas voir détruit l'effet de sa confession et de la récompense qu'il en a reçue du Sauveur, et qu'il ne croit point que le Fils de Dieu puisse être mis à mort, il le prend dans son affection et le conduit à l'écart pour ne point paraître blâmer son Maître en présence des autres disciples. Il commence donc à le reprendre par un sentiment d'amour, et à le contre dire en lui disant: «A Dieu ne plaise, Seigneur». Ou suivant le texte grec qui est préférable: «Soyez vous favorable, cela ne vous arrivera pas». -
Orig. Comme si le Sauveur avait besoin de cette disposition favorable à son égard. Jésus, tout en acceptant ce témoignage d'affection, lui reproche son ignorance. «Mais Jésus, se retournant, dit à Pierre Retirez-vous derrière moi, Satan». - S. Hil. Le Seigneur, qui connaît la nature des artifices du démon, dit à Pierre: «Retirez-vous derrière moi», c'est-à-dire suivez l'exemple de ma passion. Il se re tourne vers celui qui avait suggéré à Pierre les paroles qu'il venait de prononcer, et il ajoute: «Satan, vous m'êtes un sujet de scandale», car il n'est pas convenable de rapporter à Pierre ce nom de Satan, et de faire tomber sur lui ce reproche de scandale après les promesses magnifi ques de bonheur et de puissance qui lui ont été faites. - S. Jér. Pour moi, je ne verrai jamais une suggestion du démon dans l'erreur de l'Apôtre, erreur qui a pour cause un sentiment d'affection. Que le lecteur prudent veuille bien remarquer que cette béatitude et cette puissance ne lui sont pas données en ce moment, mais seulement promises pour l'avenir; car si Jésus lui eût accordé immédiatement cette faveur, jamais cette grossière erreur n'eût trouvé accès dans son esprit.

S. Chrys. (hom. 54). Qu'y a-t-il de surprenant que Pierre soit dans ces dispositions, puisque ce mystère ne lui avait pas été révélé. Voulez-vous être convaincu que la profession de foi qu'il vient de faire à l'égard du Christ n'est pas le fruit de ses propres pensées? Voyez quel trouble lui inspire la perspective des choses qui ne lui ont pas été révélées. Il ne considère tout ce qui a rapport au Christ qu'à un point de vue tout terrestre et tout humain, et il lui semble que c'est une honte et une indignité pour le Sauveur d'être soumis aux souffrances et à la mort, et c'est pour cela que le Sauveur ajoute: «Vous ne goûtez pas les choses de Dieu, mais celles des hommes». - S. Jér. C'est-à-dire c'est la volonté de mon Père et la mienne, que je meure pour le salut des hommes. Pour vous, vous ne considérez que votre volonté, vous ne voulez pas que le grain de froment tombe dans la terre pour produire beaucoup de fruits (Jn 12,24), et puisque votre langage est opposé à ma volonté, vous méritez d'être appelé mon ennemi. En effet, le mot Satan signifie adversaire ou ennemi. Ce n'est pas cependant, comme plusieurs le pensent, que Pierre soit frappé de la même condamnation que Satan. Jésus dit à Pierre: «Retirez-vous derrière moi, Satan»,c'est-à-dire: Suivez-moi, vous qui êtes opposé à ma vo lonté, Il dit au contraire à Satan: «Retire-toi, Satan»,sans qu'il ajoute: derrière, de manière que l'on puisse sous-entendre: va dans le feu éternel. - Orig. (traité 1 sur S. Matth). Jésus dit donc à Pierre: «Retirez-vous derrière moi», parce qu'il avait cessé, par son ignorance, de marcher à la suite du Christ. Il l'appelle Satan à cause de cette même ignorance qui l'a mis en opposition avec Dieu. Cependant, heureux celui vers lequel se tourne le Christ, quand même ce serait pour le réprimander ! Mais pourquoi dit-il à Pierre: «Vous m'êtes un sujet de scandale»,alors que nous lisons dans le Psaume 118: «Une paix abondante est le partage de ceux qui aiment votre loi, et il n'y a point de scandale pour eux» (Ps 118). Nous répondons que Jésus n'est pas le seul qui ne puisse être scandalisé, mais encore tout homme qui a dans le coeur la charité parfaite; et cependant on peut être par ses actions ou par ses paroles un sujet de scandale pour cet homme, bien qu'il ne puisse en être victime.

Ou bien on peut dire qu'il appelle un sujet de scandale pour lui, tout fidèle qui pèche; dans le sens de saint Paul, qui disait (2Co 11): «Qui est scandalisé sans que je sois brûlé de dou leur ?»


vv. 24-25

4624 Mt 16,24-25

S. Chrys. (hom. 56). Après que Pierre eut dit au Sauveur: «Soyez-vous favorable, cela ne vous arrivera pas», et qu'il en a reçu cette réponse: «Retirez-vous derrière moi, Satan», Notre-Seigneur, non content de lui avoir fait ce reproche, veut lui démontrer pleinement toute l'inconvenance de son langage et les fruits de sa passion: «Alors Jésus dit à ses disciples «Si quelqu'un veut venir après moi», paroles dont voici le sens: Vous me dites: Épargnez-vous, Seigneur, et moi je vous dis que non-seulement c'est une chose funeste pour vous de me dis suader de souffrir, mais que vous-mêmes vous ne pourrez être sauvés sans souffrir et mourir, et sans un renoncement continuel à votre vie. Remarquez, du reste, qu'il n'impose pas ici de nécessité. Il ne dit pas: Quand même vous ne voudriez pas, il vous faut souffrir, mais: «Si quelqu'un veut», paroles qui étaient pour ses disciples un attrait bien plus puissant, car en lais sant toute liberté à celui qui vous écoute, vous l'attirez plus sûrement, tandis que vous l'éloignez davantage si vous lui faites violence. Ce n'est pas, du reste, à ses disciples seuls qu'il propose ces conditions, c'est en général à tout l'univers: «Si quelqu'un veut», c'est-à-dire si une femme, si un homme, si un roi, si un esclave, etc. Or, ces conditions sont au nombre de trois: Qu'il se renonce lui-même, qu'il porte sa croix, et qu'il me suive.

S. Grég. (hom. 32 sur les Evang). Si nous ne commençons, en effet, par nous détacher de nous-mêmes, nous ne pouvons nous approcher de celui qui est au-dessus de nous; mais si nous nous laissons nous-mêmes, où pourrons-nous aller en dehors de nous? Ou bien, que de vient celui qui s'en va, s'il s'abandonne lui-même? Rappelons-nous ici que le péché nous a fait dé choir de l'état où Dieu nous avait créés dans l'origine; nous nous laissons donc nous-mêmes, nous nous renonçons nous-mêmes lorsque nous évitons ce que nous suggérait le vieil homme, et que nous tendons vers cette sainte nouveauté à laquelle Dieu nous appelle.
- S. Grég. (hom. 40 sur Ezéch). On se renonce encore soi-même quand on réforme sa conduite, et que l'on commence d'être ce qu'on n'était pas en cessant d'être ce qu'on était. - S. Grég. (Moral., 33, 6). C'est encore se renoncer soi-même que de fouler aux pieds l'enflure de l'orgueil et de se montrer aux yeux de Dieu tout à fait dépouillé de soi-même.

Orig. (traité 11 sur S. Matth). Mais quand même nous nous abstiendrions de tout péché, si nous n'embrassons par la foi la croix de Jésus-Christ, on ne peut pas dire que nous sommes crucifiés avec lui. - S. Chrys. (hom. 55). Ou bien encore, celui qui renonce son frère, ou son serviteur, ou n'importe quel autre homme, c'est celui qui ne lui porte aucun secours lorsqu'il le voit déchiré sous les coups de fouets, ou soumis à d'autres tourments. Ainsi le Sauveur veut-il que nous ne ménagions pas davantage notre corps, soit qu'on nous frappe de verges, soit qu'on nous accable d'autres mauvais traitements; car c'est l'épargner en réalité, de même que les pères épargnent véritablement leurs enfants, lorsque les confiant aux soins de leurs maîtres, ils leur recommandent de n'avoir pour eux aucun ménagement. Et ne croyez pas que ce renon cement à soi-même ne doive s'étendre qu'aux paroles injurieuses et aux outrages. Notre-Seigneur nous découvre clairement jusqu'où il faut porter ce renoncement, jusqu'à la mort la plus honteuse, jusqu'à la mort de la croix, comme il nous l'exprime par ces paroles: «Qu'il porte sa croix, et qu'il me suive». - S. Jér. Il faut suivre le Seigneur en prenant suit nous la croix de sa passion, et l'accompagner, sinon en réalité, du moins par l'intention et le désir du coeur.

S. Chrys. (hom. 55). Mais comme les voleurs eux-mêmes sont exposés à de nombreuses et à de rudes épreuves, Notre-Seigneur, ne voulant pas vous laisser croire qu'il suffit de souffrir en général, vous fait connaître la cause pour laquelle vous devez souffrir, en ajoutant: «Et qu'il me suive». C'est-à-dire qu'il vous faut tout supporter pour l'amour de lui, et pratiquer à son exemple toutes les vertus; car la seule manière légitime de suivre Jésus-Christ, c'est d'être plein de zèle pour les vertus, et de tout supporter pour l'amour de lui. - S. Grég. (hom. 32). Il y a aussi deux manières de porter sa croix, lorsqu'on mortifie son corps par l'abstinence, ou lorsqu'on afflige son âme en compatissant aux misères du prochain. Mais comme les vertus sont toujours entremêlées de quelques vices, il faut nous avouer à nous-mêmes que la vaine gloire vient quelquefois attaquer la mortification de la chair; car la mai greur extérieure du corps, la pâleur du visage, découvrent la vertu et l'exposent aux louanges des hommes. D'un autre côté, la compassion dégénère presque toujours secrètement en une fausse tendresse, qui l'entraîne quelquefois jusqu'à la condescendance pour les vices; et c'est pour nous faire éviter ce danger qu'il ajoute: «Et qu'il me suive». - S. Jér. Ou bien encore, celui qui est crucifié au monde porte sa croix, et celui pour lequel le monde est crucifié marche à la suite du Seigneur attaché sur la croix.

S. Chrys. (hom. 55). Notre-Seigneur adoucit par les paroles qui suivent ce que ce langage pouvait avoir de trop sévère pour ceux qui l'entendaient; il promet des récompenses supérieu res aux peines endurées pour son nom, en même temps qu'il prédit les châtiments réservés à la méchanceté et à la négligence. «Celui qui voudra sauver sa vie la perdra».

Orig. Ces paroles peuvent s'entendre de deux manières: premièrement, si quelqu'un, par af fection pour la vie présente, épargne son âme dans la crainte de la mort, et parce qu'il croit que cette mort est la perte de son âme, en voulant sauver son âme, de cette manière, il la perdra, et lui fera perdre tous ses droits à la vie éternelle. Mais celui, au contraire, qui méprise la vie présente et qui aura combattu jusqu'à la mort pour la vérité (cf. Si 4,23), celui-là perdra son âme pour cette vie, mais comme il la perd pour Jésus-Christ, il la sauve infailliblement pour la vie éternelle. Ou bien encore, dans un autre sens Si quelqu'un comprend en quoi consiste le salut véritable, et veut procurer ce salut à son âme, en se renonçant lui-même, il perd son âme pour Jésus-Christ, quant à la jouissance des plaisirs charnels; et en perdant son âme de cette manière, il la sauve par les oeuvres de piété. Cette expression: «Celui qui voudra», indique que cette proposition et celle qui précède n'ont qu'un seul et même sens. Si donc ce que Jésus a dit plus haut: «Qu'il se renonce lui-même», doit s'entendre de la mort du corps, nous devons conclure que tout doit s'entendre de cette mort seule. Si, au contraire, se renoncer soi-même c'est se dépouiller de toute habitude de vie sensuelle, perdre son âme, c'est vivre entièrement séparé des plaisirs de la chair.


vv. 26-28

4626 Mt 16,26-28

S. Chrys. (hom. 55). Notre-Seigneur avait dit: «Celui qui veut sauver, perdra; et celui qui perdra, sauvera», mettant ainsi des deux côtés le salut et la perdition; mais afin qu'on ne puisse supposer que le salut et la perdition sont les mêmes dans les deux cas, il ajoute: «Et que servirait-il à l'homme de gagner le monde entier, et de perdre son âme». C'est-à-dire: Ne m'alléguez pas que celui qui a échappé aux dangers qui le menacent pour la cause du Christ, sauve son âme, mettez même avec son âme l'univers tout entier, que lui en reviendra-t-il si son âme vient à périr pour l'éternité? Si vos serviteurs étaient dans la joie, sous vos yeux, tandis que vous, au contraire, vous seriez plongé dans des maux extrêmes, quel avantage vous re viendrait-il d'être leur maître? Appliquez cette considération à votre âme, puisqu'elle est des tinée avec la chair coupable à une perte éternelle.

Orig. Je pense que c'est gagner le monde que de ne pas se renoncer soi-même, et de ne pas perdre son âme en la privant des plaisirs de la chair, et on perd alors véritablement son âme. Aussi entre ces deux partis qui nous sont proposés, ne devons-nous pas hésiter à perdre plutôt le monde entier pour gagner nos âmes.

S. Chrys. (hom. 55). Mais quand bien même vous régneriez sur l'univers entier, vous ne pour riez pas racheter votre âme, et c'est pour cela que le Sauveur ajoute «Et qu'est-ce que l'homme donnera en échange de son âme ?» c'est-à-dire si vous perdiez vos richesses, vous pourriez donner d'autres richesses pour rentrer en possession des premières; mais si vous per dez votre âme, vous ne pouvez donner ni une autre âme, ni quoi que ce soit pour la racheter. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'il eu soit ainsi pour votre âme? Est-ce qu'il n'en est pas de même pour votre corps? Car vous auriez beau placer dix mille diadèmes sur un corps atteint d'une maladie incurable, ils seraient impuissants pour le guérit.
- Orne. Au premier abord, il semble que l'homme pourrait donner, en échange de son âme, ses richesses en les distribuant aux pauvres pour la sauver; mais l'homme n'a rien qu'il puisse donner en échange pour délivrer son âme de la mort. Dieu, au contraire, a donné comme prix d'échange pour les âmes des hommes, le sang précieux de son Fils. - S. Grég. (hom. 32 sur les Evang). Ou bien encore, on peut établir de la sorte la liaison dans le discours du Sauveur. La sainte Église traverse des temps de paix et des temps de persécution, et pour ces temps si divers, le Rédempteur nous donne des préceptes différents. Dans les temps der persécution, nous devons sacrifier notre vie, et dans les temps de paix, dompter et réduire les désirs terrestres qui peuvent nous tyranniser davan tage; c'est pour cela qu'il dit: «Que sert à l'homme ?» etc. - S. Jér. L'exhortation qu'il vient de faire à ses disciples de se renoncer eux-mêmes, et de porter leur croix, les a remplis d'effroi. A cette doctrine sévère il fait donc succéder des prédictions plus agréables: «Le Fils de l'homme viendra, dit-il, dans la gloire de son Père avec ses anges», etc. Vous craignez la mort? écoutez quelle sera la gloire du triomphateur; vous redoutez la croix? entendez quel sera le ministère des anges. - Orig. C'est-à-dire: Maintenant le Fils de l'homme est venu sur la terre, mais ce n'est pas dans la gloire; car il ne convenait pas qu'il se chargeât de nos pé chés, étant environné d'honneur et de gloire. Mais alors il viendra dans toute sa gloire, lorsqu'il aura préparé ses disciples, et après qu'il s'est fait semblable à eux, pour les rendre semblables à lui, c'est-à-dire participants de sa propre gloire. - S. Chrys. Il ne dit pas: Le Fils de l'homme viendra dans une gloire semblable à celle de son Père, pour ne pas laisser supposer que ce sont deux gloires différentes, mais: «Dans la gloire du Père», montrant ainsi qu'il s'agit absolument de la même gloire. Or, si la gloire est une, il est évident qu'il n'y a également qu'une substance. Que craignez-vous donc, Pierre, en entendant parler de mort? Vous me verrez alors dans la gloire; et si je suis dans la gloire, vous y serez aussi vous-même. Mais cependant à ces prédictions de gloire il entremêle une pensée effrayante, c'est celle du jugement. «Et alors il rendra à chacun selon ses oeuvres». - S. Jér. Il n'y a point de distinction entre les Juifs et les Gentils, entre les hommes et les femmes, entre les pauvres et les riches, là où l'on tient compte non des personnes, mais des oeuvres. - S. Chrys. (hom. 55). Notre-Seigneur s'exprime de la sorte, pour rappeler aux pécheurs les supplices qui les attendent, et aussi aux justes les récompenses et les couronnes qui leur sont réservées.

S. Jér. Les Apôtres pouvaient se scandaliser intérieurement de ces paroles et se dire en eux-mêmes: Vous nous annoncez une mort éternelle dans un avenir prochain, mais la promesse que vous nous faites de venir dans votre gloire, ne doit s'accomplir que dans des temps bien éloignés. Celui qui pénètre les secrets des coeurs, prévoyant cette objection, oppose à la crainte des maux présents la perspective d'une récompense prochaine: «Je vous le dis en vérité, il y en a de ceux qui sont ici présents, qui n'éprouveront pas la mort avant qu'ils aient vu le Fils de l'homme venant en son règne». - S. Chrys. (hom. 55). Il veut leur apprendre quelle était cette gloire dans laquelle il doit venir plus tard, et il la leur révèle en cette vie, autant qu'ils en étaient capables, afin que la pensée de sa mort ne fût pas pour eux un sujet de tristesse. - Remi. Cette prédiction du Sauveur eut son accomplisse ment pour les trois disciples, devant lesquels il fut transfiguré sut la montagne où il leur décou vrit les joies des récompenses éternelles. Ils le virent venant dans son règne, c'est-à-dire res plendissant de cette gloire dans laquelle, après le jugement, il apparaîtra aux yeux de tous les saints. - S. Chrys. (hom. 55). Il ne leur fait pas connaître les noms de ceux qui doivent le suivre sur la montagne, car les autres auraient vivement désiré l'accompagner pour être té moins de cette manifestation de sa gloire, et auraient souffert de la préférence donnée sur eux aux autres disciples. - S. Grég. (hom. 32). Ou bien encore, il appelle le royaume de Dieu l'Église actuelle; et comme plusieurs de ses disciples devaient vivre assez longtemps pour voir établie cette Église que Dieu opposait à la gloire du monde, il leur fait cette promesse conso lante: «Plusieurs de ceux qui sont ici présents», etc.

Orig. Dans le sens moral, on peut dire que le Verbe de Dieu a pour ceux qui sont nouveaux dans la foi l'apparence d'un esclave, tandis que pour ceux qui sont parfaits, il paraît dans la gloire de son Père. Les anges sont les discours des prophètes qu'il est impossible de compren dre dans le sens spirituel avant d'avoir l'intelligence spirituelle du Verbe du Christ, de manière qu'on les voit apparaître en même temps dans la majesté. C'est alors qu'il donnera de la gloire à chacun suivant ses actes, car plus on est vertueux, plus aussi on a l'intelligence spirituelle de Jésus-Christ et de ses prophètes. Ceux qui se tiennent où est Jésus sont ceux qui ont jeté près de lui les fondements de leur âme et de leurs affections. Ceux qui sont plus solidement assis ne goûtent pas la mort avant qu'ils aient vu le Verbe de Dieu dans son règne. Ils verront la gran deur sublime de Dieu qui reste invisible pour ceux qui sont enveloppés dans les épais nuages de leurs péchés, ce sont ces derniers qui goûtent la mort; car l'âme pécheresse est frappée de mort. De même, en effet, que le Christ est la vie et le pain vivant qui est descendu du ciel, ainsi son ennemi, c'est-à-dire la mort, est le pain de mort. Il en est qui mangent très peu de ces pains, qui ne l'ont que les goûter; d'autres au contraire, s'en nourrissent abondamment. Ceux qui ne commettent que des fautes rares et peu nombreuses, ne font que goûter la mort; ceux, au contraire, qui pratiquent dans leur perfection les vertus spirituelles, ne goûtent pas la mort, mais se nourrissent continuellement du pain de vie. Ces paroles: «Jusqu'à ce qu'ils voient, ne précisent pas l'époque après laquelle doit arriver ce qui n'avait pas encore reçu son accomplis sement; elles expriment simplement une chose qui se fera nécessairement. Celui, en effet, qui aura une fois vu Jésus dans sa gloire, ne goûtera jamais la mort.

Rab. Au témoignage du Sauveur, les saints ne font que goûter et comme effleurer la mort du corps; mais la vie de l'âme demeure toujours en leur possession.


CHAPITRE XVII


vv. 1-4

4701 Mt 17,1-4

Remi. Six jours après cette prédiction, Notre-Seigneur accomplit dans sa transfiguration sur la montagne, la promesse de cette apparition glorieuse qu'il avait faite à ses disciples. «Et six jours après, dit l'Évangéliste, Jésus prit Pierre, Jacques et Jean», etc. - S. Jér. On se de mande comment, d'après saint Matthieu, ce fut six jours après que Jésus prit avec lui ses disci ples, tandis que saint Luc compte huit jours d'intervalle. La réponse est facile: saint Matthieu ne compte que les jours pleins qui séparent ces deux événements, tandis que S. Luc compte de plus le premier et le dernier jour. - S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth., dans les nouvelles éditions, 56). Ce n'est point immédiatement après cette promesse, mais six jours après, qu'il les conduit sur la montagne; il veut, par ce retard de quelques jours, étouffer tout sentiment humain d'envie dans les autres disciples, et exciter dans l'âme de ceux qu'il doit prendre avec lui un plus vif désir et le soin d'une préparation plus parfaite. - Rab. Le nombre six n'est point mis ici sans raison; c'est après six jours écoulés que le Sauveur manifeste sa gloire, figure de la résurrection qui doit avoir lieu à la fin des six âges de l'homme. - Orig. Ou bien encore, comme ce monde visible a été créé après le nombre complet de six jours, celui qui s'élève au-dessus de toutes les choses du monde, peut monter sur cette montagne élevée pour y contempler la gloire du Verbe de Dieu.

S. Chrys. Notre-Seigneur prend avec lui ces trois disciples, parce qu'ils étaient supérieurs aux autres Apôtres. Remarquez ici que saint Matthieu ne cherche point à taire le nom de ceux qui lui furent préférés; c'est ce que fait également saint Jean, en rapportant les magnifiques prérogatives accordées à saint Pierre, car le collège des Apôtres était pur de tout sentiment d'envie et de vaine gloire. - S. Hil. (can. 17). Ces trois disciples que Jésus prend avec lui figurent l'élection future de tous les peuples qui descendent de la triple souche de Sem, de Cham et de Japhet. - Rab. Ou bien, il ne prend avec lui que trois disciples, parce qu'il y en a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. Ou bien encore, parce que ceux-là seuls qui conservent dans une âme pure la foi en la sainte Trinité, jouiront alors de l'éternelle vision des cieux.

Remi. Notre-Seigneur, sur le point de découvrir à ses disciples la splendeur de sa gloire, les conduit sur une montagne: «Et il les conduisit sur une haute montagne». Ainsi enseigne-t-il à tous ceux qui désirent arriver à la contemplation de Dieu, qu'ils ne doivent point rester plongés dans les vils plaisirs des sens, mais s'élever toujours par les affections de leur coeur jusqu'aux biens invisibles des cieux. Il veut apprendre aussi à ses disciples à ne point chercher la gloire de la divine clarté dans les basses régions de ce monde, mais dans le royaume de la félicité céleste. Il les conduit à l'écart, parce que les saints sont ici-bas séparés des méchants par les dispositions de leur âme et l'intention de leur foi, et qu'ils en seront complètement séparés dans le siècle futur. Ou bien encore, parce qu'il y en a beaucoup d'appelés et peu d'élus (Mt 20).

«Et il fut transfiguré», etc. Il apparut aux yeux des Apôtres tel qu'il apparaîtra au jour du jugement. Ne nous imaginons pas, toutefois, qu'il ait quitté sa première forme et sa figure or dinaire, et qu'il ait laissé le corps véritable dont il était revêtu, pour prendre un corps spirituel ou aérien. L'Évangéliste nous apprend la manière dont s'opéra cette transfiguration: «Son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la neige». Puisque l'Évangéliste nous décrit l'éclat de son visage et la blancheur de ses vêtements, la substance n'en fut donc pas détruite, l'éclat seul en fut changé. Sans doute le Seigneur fut transformé en cette gloire dont il sera revêtu lorsqu'il viendra pour établir son règne; mais cette transformation lui donna un nouvel éclat, sans changer ni les traits ni la nature de son visage. Supposons que son corps soit devenu un corps spirituel, est-ce que la nature de ses vêtements fut également changée? Ils devinrent si blancs, dit un autre Évangéliste (Mc 9), que nul foulon sur la terre ne pourrait leur donner une pareille blancheur. Or des objets de ce genre ont une forme corporelle, on peut les toucher, et ce n'est pas quelque chose de spirituel et d'aérien qui fait illusion aux regards et n'a qu'une apparence fantastique. - Remi. Si le visage du Sauveur est devenu brillant comme le soleil, et que le visage des saints doive aussi briller un jour comme cet astre, faut-il en conclure que la gloire du Seigneur et celle des serviteurs auront le même éclat? Non, sans doute, mais comme rien dans la création n'approche de l'éclat du soleil, les saintes Écritures, pour nous donner une idée de la résurrection future, nous disent que le visage du Seigneur resplendit comme le soleil, et que les justes brilleront eux-mêmes un jour comme cet astre.

Orig. Dans le sens mystique, celui qui, comme nous l'avons dit, s'est élevé au-dessus des six jours, voit Jésus transfiguré devant les yeux de son coeur; car le Verbe de Dieu a diverses formes, et il se découvre à chacun de la manière qu'il sait lui être la plus utile, sans jamais se dévoiler au delà des dispositions de son âme. Aussi l'Évangéliste ne dit-il pas simplement: «il fut transfiguré, mais il fut transfiguré devant eux». En effet, dans l'Évangile, Jésus est compris d'une manière simple et ordinaire par ceux qui ne peuvent monter sur la montagne élevée de la sagesse par les saints exercices des entretiens spirituels. Ceux, au contraire, qui sont assez heureux pour gravir cette montagne, ne le connaissent plus selon la chair, mais voient en lui le Verbe de Dieu. C'est devant eux que Jésus se transfigure et non pas devant ceux qui vivent ici-bas d'une vie toute terrestre. Ceux devant lesquels Jésus se transfigure, deviennent les enfants de Dieu; il se découvre à leurs yeux comme le soleil de justice, et ses vêtements deviennent brillants comme la lumière. Ces vêtements sont les discours et les récits de l'Évangile, dont Jésus est comme revêtu, et que les Apôtres nous ont conservés dans leurs écrits. - La Glose. Ou bien les vêtements du Christ figurent les saints dont Isaïe a dit: «Ils seront pour vous comme un habillement d'honneur dont vous serez revêtu» (Is 49,18). Ils sont comparés à la neige, parce qu'ils auront l'éclat pur de la vertu, et que le feu des passions ne pourra plus les atteindre.

S. Chrys. (hom. 56). «En même temps, ils virent paraître Moïse», etc. On peut donner plu sieurs raisons de cette apparition; premièrement, comme le peuple disait que Jésus était Élie ou Jérémie, ou un des prophètes, il paraît entouré des premiers des prophètes, pour montrer la différence qui existe entre le maître et les serviteurs. Deuxièmement, les Juifs accusèrent conti nuellement Jésus d'être un blasphémateur, un transgresseur de la loi, un usurpateur de la gloire de son Père; pour établir son innocence sur ces deux points, il fait paraître deux hommes qui ont brillé surtout par leur zèle pour la loi, comme pour la gloire de Dieu; car c'est Moïse qui donna la loi, et Élie fut un des plus zélés défenseurs de la gloire de Dieu. Troisièmement, il veut leur apprendre qu'il est le maître de la vie et de la mort, et c'est dans ce dessein qu'il fait paraître Moïse, qui avait payé le tribut à la mort, et Élie, qui n'y avait pas encore été soumis. Une quatrième raison que nous fait connaître l'Évangéliste, c'était pour dévoiler la gloire de la croix et calmer les inquiétudes et les craintes de Pierre et des autres disciples à l'égard de la passion; car, comme le remarque un autre Évangéliste: «Ils s'entretenaient avec lui de sa mort qui devait s'accomplir dans Jérusalem» (Lc 9). Il se montre donc au milieu de ceux qui se sont exposés à la mort pour être agréables à Dieu, et pour le peuple fidèle; car tous deux se présentèrent avec fermeté devant deux tyrans, Moïse devant Pharaon (Ex 5), et Élie devant Achab (1R 10). Il les fait encore paraître dans cette circonstance, pour exciter ses disciples à imiter leurs vertus, c'est-à-dire la douceur de Moïse et le zèle d'Élie. - S. Hil. Moïse et Élie sont choisis de préférence parmi tous les saints, pour nous montrer le règne de Jésus-Christ établi au milieu de la loi et des prophètes; car il doit juger Israël, assisté des mêmes té moins qui ont annoncé sa venue. - Orig. Celui qui comprend le rapport qui existe entre l'esprit de la loi et les paroles de Jésus, et qui sait trouver dans les prophéties la sagesse cachée du Christ, celui-là voit Moïse et Élie dans la même gloire que Jésus. - S. Jér. Remarquons encore que tandis qu'il refusa de faire voir aux scribes et aux pharisiens un prodige dans le ciel, il en fait éclater un de cette nature devant les Apôtres, pour augmenter leur foi, puisqu'il fait descendre Élie du ciel où il était monté, et ressusciter Moïse des enfers. C'est ce double prodige qu'Isaïe conseillait à Achab de demander au plus profond de l'abîme ou au plus haut des cieux (Is 7,11).

Orig. Mais que dit ici Pierre, toujours plein d'ardeur? «Or, Pierre, prenant la parole, dit à Jésus: Seigneur, nous sommes bien ici», etc. Comme il avait appris de Jésus lui-même qu'il lui fallait aller à Jérusalem, il craint encore pour son Maître; mais après le reproche qu'il en a reçu, il n'ose plus lui dire: «Gardez-vous en bien, Seigneur»; mais il exprime la même pensée sous une autre forme. Il voyait sur la montagne un grand calme et une solitude profonde, et d'après la disposition des lieux, il pense y pouvoir trouver une demeure convenable, comme il le dit au Sauveur: «Nous sommes bien ici». Il voudrait même y rester toujours, et il parle d'y élever des tentes: «Faisons, s'il vous plaît, trois tentes». Il espérait que s'il pouvait s'établir sur la montagne, Jésus n'irait pas à Jérusalem, et qu'en évitant d'aller dans cette ville, il éviterait en même temps la mort; car il savait que les scribes tramaient sa perte. Il se confiait encore sur la présence d'Élie, qui avait fait descendre le feu sur la montagne (2R 1), et sur celle de Moïse (Ex 24,23), qui était entré dans la nuée pour parler à Dieu. Ils auraient pu ainsi se déro ber à tous les regards et à toutes les recherches des persécuteurs. Remi. Ou bien, dans un au tre sens, à la vue de la gloire du Seigneur et de ses deux fidèles serviteurs, Pierre fut tellement ravi de joie, qu'il oublie toutes les choses de la terre, et qu'il voudrait rester toujours dans cet endroit. Or, si tel fut l'enivrement et le transport de cet Apôtre, quelle douceur et quelle sua vité de voir un jour le Roi de gloire dans toute sa beauté (cf. Is 33,17), et de se trouver mêlé aux choeurs des anges et de tous les saints? Cette parole de Pierre: «Seigneur, si vous le voulez», est une preuve tout à la fois de son dévouement et de son obéissance.

S. Jér. Vous êtes cependant dans l'erreur, Pierre, et comme le remarque un autre Évangéliste (Lc 9,33): «Vous ne savez ce que vous dites». Ne cherchez pas à élever trois tentes, lorsqu'il ne doit y avoir qu'une seule tente, celle de l'Évangile, qui contient le mystérieux abrégé de la loi et des prophètes. Si cependant vous voulez trois tentes, n'égalez pas les serviteurs au maî tre, mais établissez trois tentes (ou plutôt une seule), pour le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Que ces trois personnes qui n'ont qu'une seule et même divinité, n'aient aussi dans votre coeur qu'une seule et même demeure. - Remi. L'erreur de Pierre fut encore de vouloir établir sur la terre le royaume des élus, que Jésus avait promis d'établir un jour dans les cieux; il se trom pa encore en oubliant qu'il était mortel, lui et les deux autres disciples, et en voulant entrer dans l'éternelle félicité sans avoir passé par la mort. - Rab. Il se trompa enfin, en croyant qu'il fallait des tentes pour la vie du ciel, où il n'est nul besoin d'habitation, alors qu'il est écrit: «Je n'ai pas vu de temple dans la céleste Jérusalem» (Ap 21,22).



Catena Aurea 4622