Catena Aurea 3520

vv. 20-22

3520 Mt 5,20-22

S. Hil. (can. 4). Dans ce magnifique début le Sauveur s'élève bien au-dessus de la loi an cienne; il déclare aux apôtres que l'entrée du ciel leur est fermée, si leur justice n'est supérieure à celle des Pharisiens; c'est le sens de ces paroles: «Je vous le dis en vérité, à moins q ue votre justice ne soit plus abondante, etc. - S. Chrys. (hom. 16). La justice dont il parle ici est la réunion de toutes les vertus, pour la pratique desquelles il faut ajouter le secours de la grâce: car le Sauveur veut que ses disciples, tout grossiers qu'ils sont encore, se montrent plus vertueux que les docteurs de la loi ancienne. Il ne dit pas que les Scribes et les Pharisiens sont des hommes d'iniquité, puisqu'il parle de leur justice. Remarquez aussi qu'il confirme la vérité de l'Ancien Testament, par la comparaison qu'il en fait avec le Nouveau; ils ne différent que du plus du moins, et sont du même genre. - S. Chrys. (sur S. Matth). Les justices des Scribes et des Pharisiens sont les commandements donnés par Moïse, et les commandements de Jésus-Christ sont le parfait accomplissement des premiers. Voici donc le sens des paroles du Sauveur: «Celui qui indépendamment des com mandements de la loi n'accomplira pas ceux que je donne moi-même, quelque peu importants qu'ils lui paraissent, celui-là n'entrera pas dans le royaume des cieux»; car les commande ments de Moïse délivrent bien de la peine portée contre les transgresseurs de la loi, mais ils ne peuvent introduire dans le royaume des cieux, tandis que mes commandements délivrent du châtiment et tout à la fois donnent entrée dans le royaume des cieux. Mais puisqu'il est certain que violer ces moindres commandements et ne pas les observer est une seule et même chose, pourquoi est-il dit plus haut que celui qui les viole sera appelé le dernier dans le royaume de Dieu, tandis que nous voyons ici que celui qui ne les garde pas n'entrera point dans le royaume des cieux? Je réponds à cela qu'être le dernier dans le royaume, ou n'y pas entrer reviennent au même, et qu'être simplement du royaume, ce n'est pas régner avec le Christ, mais faire seulement partie de son peuple. Il veut donc dire que celui qui viole ces commandements sera du nombre des chrétiens, mais relégué au dernier rang; celui au contraire qui entre dans le royaume devient participant de la royauté du Christ: par conséquent, celui qui n'y entre pas n'a point de part à cette gloire, mais il est cependant de son royaume, en ce sens qu'il est du nombre de ceux sur lesquels règne le Christ, le roi des cieux.

S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 20, chap. 9). On peut encore donner cette explication: «Si votre justice n'est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens qui n'observent pas ce qu'ils enseignent, et dont il est dit ailleurs: «Ils disent et ne font pas»; c'est-à-dire si votre justice n'atteint ce degré de perfection non-seulement de ne pas violer, mais de pratiquer ce que vous enseignez, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. Il faut donc entendre dans un sens différent le royaume des cieux, là où nous rencontrons ces deux sortes de personnes, celui qui transgresse ce qu'il enseigne, et celui qui le pratique, l'un appelé le plus petit, et l'autre grand; ce royaume c'est l'Église actuelle. Au contraire le royaume des cieux dans le quel n'entre que celui qui observe les commandements c'est l'Église telle qu'elle existera dans le siècle à venir. - S. Aug. (cont. Faust. liv. 9 et 10). Je ne sais si on pourrait trouver nommé une seule fois dans l'Ancien Testament ce royaume de Dieu dont il est si souvent question dans les discours du Seigneur. C'est une des révélations propres au Nouveau Testament, et cette révélation était réservée aux lèvres de ce roi dont l'Ancien Testament figurait l'empire sur ses serviteurs. Cette fin à laquelle doivent se rapporter les commandements dem eurait voilée sous l'ancienne loi, bien que les Saints qui la voyaient révélée dans l'avenir, en faisaient dès lors la règle de toute leur vie. - La Glose. Ou bien encore ces paroles: «Si votre justice n'est plus abondante»,ne se rapportent pas à ce que prescrivait l'ancienne loi, mais à la manière dont les Scribes et les Pharisiens l'interprétaient. - S. Aug. (cont. Faust. liv. 19, chap. 28). Presque tous les préceptes que le Sauveur fait précéder de ces mots: «Mais moi, je vous dis», se trouvent dans les livres de l'Ancien Testament; mais comme les Pharisiens ne comprenaient sous la défense de l'homicide que le seul fait de la mort donnée au prochain, le Seigneur leur découvre que tout mouvement de haine qui tend à nuire à notre frère fait partie du péché d'homicide. C'est pourquoi il ajoute: «Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens: Vous ne tuerez pas». S. Chrys. (sur S. Matth). Le Christ voulant montrer qu'il est le même Dieu qui avait promulgué les préceptes de la loi ancienne, et qui donne ceux de la loi de grâce, pose en tête de ses préceptes ceux qui dans l'ancienne loi se trouvaient avant tous les autres, c'est-à-dire les préceptes prohibitifs qui ont pour objet le prochain.

S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 20). De ce qu'il est écrit: Vous ne tuerez pas, nous ne concluons pas que c'est un crime d'arracher un arbrisseau, erreur grossière des Manichéens; nous n'appliquons pas non plus ce précepte aux animaux sans raison; car en vertu de l'ordre plein de sagesse établi par le Créateur, leur vie comme leur mort sont soumises à nos besoins. C'est donc de l'homme qu'il faut entendre ces paroles: «Vous ne tuerez pas»; vous ne tue rez pas un autre, vous ne vous tuerez pas vous-même; car celui qui se donne la mort, que fait-il d'autre chose que de donner la mort à un homme? N'allons pas voir non plus une violation de ce précepte dans la conduite de ceux qui ont fait la guerre par l'ordre de Dieu, ou qui dépo sitaires du pouvoir public ont usé de leur autorité pour prononcer contre des scélérats la juste sentence qui les condamnait à mort. Abraham lui-même qui voulut mettre à mort son fils pour obéir à Dieu, non-seulement n'est pas accusé de cruauté; mais l'Écriture fait le plus grand éloge de sa foi et de sa religion. Il ne faut donc pas comprendre dans ce précepte ceux que Dieu commande de mettre à mort, ou par une loi générale, ou dans un cas particulier, par un ordre exprès et transitoire. On ne peut non plus considérer comme homicide celui qui prête son concours à l'exécution d'un ordre légitime, pas plus que celui qui donne son appui au magistrat qui porte le glaive; et on ne peut excuser autrement Samson de s'être enseveli avec ses enne mis sous les ruines de la maison où il se trouvait, qu'en disant qu'il obéit en cela à l'inspiration se crète de l'Esprit qui avait opéré par lui tant de prodiges.

S. Chrys. (hom. 19). Par cette formule: «Il a été dit aux anciens», le Sauveur nous apprend qu'il y avait bien longtemps que ce commandement avait été donné aux Juifs. Il s'exprime ainsi pour entraîner vers des préceptes plus élevés, les esprits lents qui l'écoutaient, comme un maî tre qui voulant stimuler un enfant paresseux par le désir d'une instruction supérieure lui dirait: Vous avez perdu beaucoup de temps à épeler. Or le Seigneur ajoute: «Mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère contre son frère, méritera d'être condamné par le juge ment». Remarquez dans ces paroles la puissance du législateur; aucun des anciens n'avait parlé de la sorte, mais ils s'exprimaient ainsi: «Le Seigneur a dit». Ils parlaient comme des serviteurs qui portent les ordres de leur maître; Jésus-Christ parle comme le fils qui commande au nom de son père et en son propre nom. Ils annonçaient les ordres de Dieu à ceux qui étaient comme eux les serviteurs de Dieu; Jésus-Christ imposait ses lois à ses propres serviteurs. - S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 9, chap. 10). Il y a parmi les philosophes deux opinions sur les passions de l'âme. Les Stoïciens ne veulent pas qu'un sage puisse y être accessible; les Péri patéciens admettent que le sage peut les éprouver, mais modérées toutefois et soumises à la raison, comme lorsque le sentiment de la compassion est tellement tempéré qu'il sauvegarde les droits de la justice. (Et au commencement du chap. 5). D'après les principes de la doctrine chrétienne, il est moins question de savoir si une âme pieuse peut se livrer au sentiment de la colère ou de la tristesse, que de connaître la source de ces impressions. - S. Chrys. (sur S. Matth). Celui qui se met en colère sans raison est coupable; si sa colère est motivée, il cesse de l'être, car sans cette irritation légitime, la doctrine ne fait aucun progrès; la justice n'a point de stabilité; les crimes ne sont point réprimés. Celui donc qui ne se met pas en colère lorsqu'il le doit, commet une faute, car la patience qui est déraisonnable devient la source de tous les vices, nourrit la négligence, et porte directement au mal, non-seulement les mauvais, mais les bons eux-mêmes.

S. Jér. Dans quelques exemplaires, on lit ces mots: sans cause, mais dans les plus exacts, la pensée est claire, et la colère est tout à fait défendue, car s'il nous est ordonné de prier pour nos persécuteurs, quelle occasion nous reste-t-il de nous mettre en colère? Il faut donc supprimer cette addition: «Sans cause», car «la colère de l'homme n'opère pas la justice de Dieu». - S. Chrys. (sur S. Matth). Cependant la colère qui a une cause légitime n'est pas colère, mais jugement, car la colère proprement dite est une émotion produite par la pas sion. Or, lorsque la colère a une cause raisonnable, elle n'est plus le fruit de la passion, et alors ce n'est plus de la colère, mais du jugement. - S. Aug. (liv. 1 des Rétract., chap. 19). Nous disons encore qu'il faut considérer attentivement ce que c'est que la colère contre son frère, car ce n'est pas se mettre en colère contre son frère que de s'irriter du mal qu'il a commis. Celui-là donc se met en colère sans raison, qui s'emporte contre son frère et non contre le péché dont il s'est rendu coupable. - S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 14, chap. 5). Aucun homme raisonnable ne blâmera qu'on se mette en colère contre son frère pour le ramener au bien. Ces mouvements qui sont produits par l'amour de la vertu et par la sainte charité ne doivent pas être considérés comme des vices, puisqu'ils sont conformes à la droite raison. - S. Chrys. (sur S. Matth). D'ailleurs je pense que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne parle pas ici de l'irritation qui vient du sang, mais de la colère qui a sa source dans l'âme, car on ne peut commander au sang de ne pas se troubler. Lorsque donc un homme irrité ne cède pas aux inspirations de la colère, ce n'est pas l'âme, c'est l'homme extérieur et sensible qui est irrité. - S. Aug. Dans cette pre mière partie, il n'est question que d'une seule chose, de la colère; dans la seconde, le Sauveur condamne à la fois la colère et les paroles qui en sont l'expression: «Celui», continue-t-il, «qui dira à son frère: Raca, méritera d'être condamné par le conseil».Il en est qui veulent tirer du grec l'étymologie de ce mot raca, et comme racos (ñáêïò) en grec signifie haillons, ils en concluent que ce mot veut dire: couvert de haillons. Mais il est plus probable que ce mot n'a aucune signification de terminée, et qu'il exprime simplement le mouvement d'une âme pleine d'indignation. Les grammairi ens appellent ces sortes de mots interjections, comme lors qu'un homme dans la douleur s'écrie: hélas ! - S. Chrys. (homél. 16). Ou bien raca est un terme de mépris et de dédain; cette locution correspond à celle dont nous nous servons en parlant à nos serviteurs ou à des personnes plus jeunes que nous: «Va-t'en toi, va le lui dire, toi».C'est ainsi que le Seigneur veut déraciner jusqu'aux moindres effets de la colère, et qu'il nous ordonne d'avoir les uns pour les autres les plus grands égards. - S. Jér. Ou bien raca est un mot hébreu qui signifie sans valeur, esprit vide et qui équivaut à cette expression inju rieuse : sans cervelle que nous n'oserions employer. C'est avec intention qu'il ajoute: «Celui qui dira à son frère». Car nul ne peut être notre frère sans avoir le même père que nous. - S. Chrys. (sur S. Matth). C'est une indignité de dire à un homme qu'il n'a rien en lui, alors que son âme est le temple de l'Esprit saint. - S. Aug.La troisième partie de ce précepte comprend trois choses, la colère, les paroles qui la manifestent, l'outrage qu'elles expriment: «Celui qui dira à son frère vous êtes un fou, sera passible du feu de l'enfer». - S. Aug. (serm. sur la mont). Il y a donc divers degrés dans ces péchés que la colère nous fait commettre: le premier est de se mettre en colère, tout en comprimant le mouvement de la colère dans son coeur; si l'agitation intérieure se trahit par une parole qui ne signifie rien, mais dont l'éclat seul atteste l'irritation de l'âme, il y a un degré de plus que dans la colère dont le mouvement est réprimé par le silence. Mais on est bien plus coupable encore si l'on s'emporte à des paroles évidem ment outrageantes. - S. Chrys. (sur S. Matth). De même qu'on ne peut appeler esprit vide celui qui possède l'Esprit saint, on ne peut appeler insensé celui qui connaît Jésus-Christ. Mais si le mot raca a le même sens que vide, c'est donc une même chose de dire, insensé et raca. Oui, mais ces deux mots diffèrent dans l'intention de celui qui les profère: le mot raca chez les Juifs était une expression en usage qu'ils employaient non pas sous l'impression de la colère ou de la haine, mais par un vain mouvement de présomption plutôt que par un sentiment de co lère. Mais si la colère n'y a aucune part, pourquoi est-ce un péché? Parce que c'est une ex pression qui favorise la dispute plutôt que l'édification, car si nous ne devons pas prononcer même une bonne parole, à moins qu'elle ne soit utile, combien plus devons-nous nous interdire ce qui est tout à fait mal en soi ?

S. Aug. (serm. sur la mont). Voici donc trois degrés de culpabilité qui nous rendent passibles du jugement, du conseil, du feu de l'enfer, et par lesquels le Sauveur nous fait monter de ce qui est léger à ce qui est plus grave. Dans le jugement, en effet, on peut encore se défendre; mais au conseil, il appartient de prononcer la sentence définitive, après que les juges ont conféré entre eux sur le châtiment qu'ils doivent infliger au coupable; dans la géhenne du feu, la condamnation est certaine aussi bien que le châtiment de celui qui est condamné. On voit donc la différence qui existe entre la justice des pharisiens et celle de Jésus-Christ: d'un côté l'homicide seul rend passible du jugement, de l'autre il suffit d'un simple mouvement de co lère qui est le plus faible des trois degrés dont nous avons parlé. -
Rab. Par le mot de géhenne, le Sauveur veut exprimer ici les tourments de l'enfer. On croit que ce nom vient d'une vallée consacrée aux idoles, près de Jérusalem, qui était remplie de cadavres, et que Josias livra à la profanation, comme nous le lisons au livre des Rois (2R 23,10). - S. Chrys. (hom. 10). C'est pour la première fois que le Sauveur prononce le mot d'enfer, et il ne le fait qu'après avoir parlé de son royaume, pour nous apprendre que l'un est un don de son amour, tandis que l'autre n'est que la punition de notre négligence et de notre lâcheté. Il en est beaucoup qui regardent comme trop sévère cette peine infligée pour une seule parole; aussi quelques-uns voudraient-ils ne voir ici qu'une hyperbole. Mais je crains qu'en nous abusant ici-bas sur le sens des paro les, nous ne nous réservions en réalité le dernier supplice dans l'autre vie. Ne regardez donc pas ce châtiment comme excessif, car les paroles sont pour la plupart des hommes le principe de leurs crimes et de leurs châtiments. Que de fois, en effet, des paroles légères ont conduit à l'homicide ou à la destruction de villes entières ! Et d'ailleurs estimez-vous donc une faute légère que de traiter son frère de fou, et de le dépouiller ainsi de la prudence, de l'intelligence, qui nous font ce que nous sommes, et nous distinguent des animaux sans raison. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien il sera passible du conseil, c'est-à-dire qu'il fera partie de ce conseil qui s'est déclaré contre le Christ, interprétation qui est celle des Apôtres dans leurs canons. S. Hil. (Can. 4). Ou bien celui qui traite d'esprit vide son frère qui est rempli de l'Esprit saint, méritera d'être traduit devant le conseil des saints, qui, devenus ses juges, lui feront expier par une sentence sévère l'outrage qu'il a fait à l'Esprit saint. - S. Aug. (serm. sur la mont). On me demandera peut-être quel supplice plus grave est réservé à l'homicide, si le simple outrage est puni par le feu de l'enfer; je répondrai qu'il faut admettre divers degrés dans les supplices de l'enfer. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien le jugement et le conseil sont des peines de la vie présente, et l'enfer le châtiment de la vie future. Jésus donne le jugement pour châtiment à la colère, pour montrer que s'il n'est pas possible à l'homme d'être tout à fait sans passions, il est en son pouvoir de leur mettre un frein; et la raison pour laquelle il n'assigne pas à la colère de châtiment déterminé, c'est qu'il ne veut point paraître l'interdire entièrement. Il met ici le conseil par allusion au grand conseil des Juifs, pour ne point passer toujours pour un novateur.

S. Aug. (serm. sur la mont). Dans ces trois sentences, il faut faire attention aux mots qui sont sous-entendus. La première est complète et ne laisse rien à désirer: «Celui qui se met en co lère» (sans cause selon quelques-uns); dans la seconde: «Celui qui dit à son frère: raca». il faut sous-entendre sans cause; et dans la troisième: «Celui qui dira: Vous êtes un insensé», il faut sous-entendre: «à son frère et sans cause ?» C'est ainsi qu'on justifie l'Apôtre d'avoir ap pelé insensés (Ga 3, 3) les Galates qu'il nomme ses frères, parce qu'il ne l'a pas fait sans raison.


vv. 23-24

3523 Mt 5,23-24

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 10 ou 20). S'il n'est pas permis de se mettre en colère contre son frère, ni de lui dire raca ou vous êtes un fou, à plus forte raison est-il défendu de conserver quelque chose contre lui dans son coeur, et de laisser changer en haine le premier mouvement d'indignation. Aussi le Sauveur ajoute: «Si vous présentez votre offrande à l'autel, et que vous vous souveniez que votre frère a quelque chose contre vous». - S. Jér. Il ne dit pas: «Si vous avez quelque chose contre votre frère», mais «si votre frère a quelque chose contre vous», pour vous montrer combien est sévère et pressante la nécessité de la réconciliation. - S. Aug. (serm. sur la mont). Notre frère a quelque chose contre nous, lorsque nous l'avons offensé; nous avons quelque chose contre lui, lorsque nous sommes nous-mêmes les offensés. Dans ce dernier cas, nous n'avons pas à provoquer une réconciliation, vous n'irez pas en effet demander pardon à celui qui vous a outragé, il suffit que vous lui pardonniez, comme vous désirez que Dieu vous pardonne les fautes que vous avez commises. - S. Chrys. (sur S. Matth). Si c'est lui qui vous a offensé, et que vous fassiez les premières avances, votre récompense sera grande. - S. Chrys. (hom. 16) Si toutefois la charité frater nelle est un motif insuffisant de réconciliation pour quelques-uns, qu'ils songent au moins à ne pas laisser leur oeuvre imparfaite surtout dans le lieu saint: «Laissez-là votre offrande devant l'autel, ajoute-t-il, et allez vous réconcilier avec votre fière». - S. Grég. (sur Ezéchiel). Dieu ne veut donc pas recevoir le sacrifice des chrétiens divisés entre eux. Jugez de là quel grand mal est la discorde, puisqu'elle force Dieu de rejeter le moyen qu'il nous a donné pour effacer nos péchés.

S. Chrys. (sur S. Matth). Voyez la grandeur de la miséricorde de Dieu, il préfère notre propre utilité aux honneurs qui lui sont dus; l'union des fidèles lui est plus chère que leurs offrandes; tant qu'ils sont divisés entre eux, ni leurs sacrifices ne sont acceptés, ni leurs prières exaucées. On ne peut être l'ami intime de deux personnes ennemies entre elles, et Dieu lui-même ne veut pas être l'ami des fidèles, tant qu'ils demeurent ennemis les uns des autres. Nous ne pouvons donc rester fidèles à Dieu, en aimant ses ennemis, en détestant ses amis. Or la réconciliation doit être de même nature que l'offense qui a précédé. S'est-elle bornée à une simple pensée, réconciliez-vous intérieurement; avez-vous offensé votre frère par des paroles injurieuses, réconciliez-vous par des paroles charitables; avez-vous été jusqu'à des actes outrageants, op posez-leur pour vous réconcilier des actes contraires, car la pénitence et la réparation doivent avoir le même caractère que le péché qui a été commis. - S. Hil. (can. 4). La paix étant assurée avec le prochain, le Sauveur nous ordonne de reprendre l'oeuvre de la paix avec Dieu; il veut que nous nous élevions de l'amour de nos frères jusqu'à l'amour de Dieu, et c'est pour cela qu'il ajoute: «Alors vous viendrez offrir votre don».

S. Aug. (serm. sur la mont). Si cette recommandation doit être prise au littéral, on est fondé à croire qu'elle n'est possible qu'autant que notre frère est présent, car ce n'est pas une chose qu'on puisse traîner en longueur, puisqu'on vous commande de laisser votre offrande devant l'autel. Or, si cette pensée vous vient lorsque votre frère est absent, et ce qui peut arriver, au delà des mers, il serait absurde de croire qu'il faille laisser le sacrifice devant l'autel pour le continuer après avoir parcouru les terres et les mers. Nous sommes donc obligés de recourir au sens spirituel et caché de ces paroles pour échapper à une pareille absurdité. Ainsi nous pou vons entendre spirituellement l'autel de la foi, car quelque offrande que nous puissions faire à Dieu, science, prière ou toute autre chose, elle ne peut lui être agréable sans avoir la foi pour appui. Si donc vous vous êtes rendus coupables de quelque offense envers votre frère, il vous faut aller au-devant de la réconciliation, non par les pas du corps, mais par l'élan du coeur. C'est là que vous devez vous prosterner aux pieds de votre frère dans un profond sentiment d'humilité, en présence de celui à qui vous devez offrir votre sacrifice. C'est ainsi qu'agissant en toute sincérité, vous pourrez apaiser votre frère et lui demander votre pardon, comme s'il était présent. Vous reviendrez ensuite, c'est-à-dire vous ramènerez votre intention sur l'oeuvre que vous aviez commencée, et vous offrirez votre sacrifice.


v. 25-26

3525 Mt 5,25-26

S. Hil. (can. 4). Le Seigneur ne veut pas qu'il y ait un seul instant de notre vie où ne nous professions un vif amour pour la paix. Il nous commande donc de nous réconcilier au plus tôt avec notre ennemi, tandis que nous sommes dans le chemin de la vie, afin de ne pas arriver au moment de la mort sans avoir fait la paix: «Accordez-vous promptement avec votre adversaire, nous dit-il, pendant que vous êtes en chemin avec lui, de peur que votre adversaire ne vous livre au juge. - S. Jér. Dans le grec, au lieu du mot consentiens (qui est d'accord), qui se trouve dans les exemplaires latins, on lit: bienveillant.

S. Aug. (serm. sur la mont). Examinons quel est cet adversaire que Dieu nous ordonne de traiter en ami: c'est ou le démon, ou l'homme, ou la chair, ou Dieu, ou son commandement. Quant au démon, je ne vois pas comment nous serions obligés de lui témoigner de la bienveil lance ou du bon accord; car la bienveillance suppose l'amitié, et personne n'oserait dire que nous devions rechercher celle du démon. Nous serait-il plus avantageux de faire la paix avec celui à qui nous avons renoncé et déclaré par là même une guerre éternelle? Enfin, aucun accord n'est possible avec celui qui ne nous a plongés dans tous nos malheurs que par l'union qui existait entre nous et lui. - S. Jér. Il en est cependant qui prétendent que le Sauveur nous ordonne de nous montrer bienveillant pour le démon, en ne l'exposant point aux nouveaux supplices que Dieu lui inflige pour nous, disent-ils, toutes les fois que nous consentons à ses funestes inspirations. Quelques autres avancent avec plus de réserve que chacun de nous, en renonçant au démon dans le baptême, contracte un engagement avec lui. Si nous sommes fidèles à cet engagement, nous sommes, avec notre adversaire, dans les termes voulus de la bienveillance et du bon accord, et nous n'avons pas à craindre d'être jetés dans la prison.

S. Aug. (serm. sur la mont). Je ne vois pas non plus comment admettre que nous serons livrés à notre juge par un homme, alors que ce juge est le Christ devant le tribunal duquel nous de vons tous comparaître. Comment cet homme pourrait-il vous remettre entre les mains de votre juge, lui qui doit comparaître lui-même devant son tribunal? En supposant même qu'un homme devienne l'adversaire de son frère en lui donnant la mort, il ne lui est plus possible de faire la paix avec lui dans le chemin, c'est-à-dire pendant cette vie, et cependant le repentir pourra guérir son âme. Je comprends beaucoup moins encore qu'on nous ordonne de nous mettre d'accord avec la chair, car ce sont surtout les pécheurs qui vivent en parfait accord avec elle. Ceux, au contraire, qui la réduisent en servitude, ne s'accordent pas avec la chair, mais la forcent de s'accorder avec eux. - S. Jér. Comment d'ailleurs la chair serait-elle condamnée à la prison pour avoir été en désaccord avec l'âme, puisque l'âme et la chair seront punies du même supplice, et que la chair ne fait qu'obéir aux ordres de l'âme.

S. Aug. (serm. sur la mont). Peut-être est-ce avec Dieu qu'il nous est ordonné de nous mettre d'accord, car le péché nous sépare de lui, et il devient notre adversaire en nous résistant, selon cette parole: Dieu résiste aux superbes (1P 5 Jc 4,6 Pr 3,34). Tout homme donc qui, pendant cette vie, ne se sera pas réconcilié avec Dieu par la mort de son Fils, sera livré par lui au juge, c'est-à-dire au Fils à qui le Père a donné tout jugement. Mais comment peut-on dire avec quelque raison que l'homme se trouve dans le chemin avec Dieu, si ce n'est parce que Dieu est partout? Éprou vons-nous quelque difficulté à dire que les impies sont avec Dieu, qui est partout, comme à dire que les aveugles sont avec la lumière qui les environne? Il ne nous reste plus qu'à voir dans cet adversaire le commandement de Dieu, qui se montre contraire à ceux qui veulent pé cher. Ce commandement nous a été donné pour nous diriger dans le chemin de la vie; il ne faut point tarder à nous accorder avec lui, en le lisant, en l'écoutant avec attention, en lui donnant sur nous une souveraine autorité. Si nous comprenons en partie ce précepte, nous ne devons pas le haïr, parce qu'il est contraire à nos péchés, mais nous devons l'en aimer davantage, parce qu'il nous fait rentrer dans le devoir et prier Dieu de nous révéler ce qui lui reste d'obscur pour nous.

S. Jér. Cependant les antécédents démontrent avec évidence, ce nous semble, que le Seigneur veut nous parler ici de l'union produite par la charité fraternelle, puisqu'il est dit plus haut: «Allez vous réconcilier avec votre frère». - S. Chrys. (sur S. Matth). Le Seigneur nous presse de nous hâter pendant cette vie de rechercher l'amitié de nos ennemis, car il sait quel danger nous courons, si l'un d'eux vient à mourir avant que nous ayons fait la paix avec lui. Si la mort vous surprend et que vous paraissiez devant votre juge dans cet état d'inimitié, vot re ennemi vous livrera au Christ et vous convaincra de crime devant son tribunal. Vous eût-il de mandé d'abord comme une grâce de vous réconcilier, il ne laissera pas de vous livrer entre les mains du juge, car celui qui prie son ennemi de lui accorder la paix augmente sa culpabilité aux yeux de Dieu. - S. Hil. Ou bien votre adversaire vous livrera au juge, parce que cette haine secrète que vous faites peser continuellement sur lui, sera votre accusateur devant Dieu. - S. Aug. (serm. sur la mont). Ce juge, à mon avis, c'est le Christ, car le Père a donné tout juge ment au Fils (Jn 5,23). Le ministre, c'est l'ange de la justice de Dieu; «Et les anges, dit l'Évangéliste, le servaient» (Mt 4). Nous croyons en effet qu'au jour du jugement les anges formeront son cortège. Voilà pourquoi il ajoute: «Et que le juge ne vous livre au ministre».

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore ce ministre, c'est l'ange redoutable du châtiment, et c'est lui qui vous enverra dans le cachot de l'enfer signifié par ces paroles: «Et vous serez jeté en prison». - S. Aug. (serm. sur la mont). La prison, ce sont les peines des ténèbres, et, dans la crainte que vous ne méprisiez ce supplice, il ajoute: Je vous le dis en vérité, vous ne sortirez point de là que vous n'ayez payé jusqu'à la dernière obole». - S. Jér. L'obole est une pièce de monnaie qui vaut environ deux liards, la plus petite espèce de monnaie, et ces paroles du Sauveur veulent dire: «Vous n'en sortirez pas que vous n'ayez expié vos fautes les plus légè res». - S. Aug. Ou bien Notre-Seigneur emploie ces expressions pour nous marquer que rien ne reste impuni; c'est ainsi que nous disons d'une chose exigée jusqu'à la rigueur, qu'on a été jusqu'à la lie. Ou bien cette dernière obole signifie peut-être les péchés de la terre, car la terre est la quatrième et la dernière partie des éléments de ce monde. Ces paroles: «Que vous n'ayez payé» signifient la peine éternelle, et l'expression jusqu'à ce que doit être prise dans le même sens que dans cette autre phrase: «Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied»; car il est évident que son règne ne cessera pas lorsque ses ennemis lui seront soumis. «Vous n'en sortirez pas que vous n'ayez payé jusqu'à la dernière obole», ce qui n'arrivera jamais, car on y paiera tout, jusqu'à la dernière obole, tant que dureront les peines éternelles dues aux péchés qui ont été commis sur la terre.

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, si vous faites votre paix en ce monde, vous pourrez recevoir le pardon des plus grands crimes, mais si vous êtes une fois condamné et jeté en pri son, vous serez puni, non-seulement pour vos fautes les plus graves, mais pour une seule pa role oiseuse qui peut être signifiée par cette obole dont il est ici parlé. - S. Hil. La charité couvre la multitude des péchés; nous paierons donc jusqu'à la dernière obole si, à l'aide de cette divine charité, nous n'acquittons pas les dettes de nos péchés.

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, par cette prison, on peut entendre les angoisses de ce monde auxquelles Dieu condamne ceux qui se livrent habituellement au péché. - S. Chrys. (hom. 16). On peut dire enfin qu'il est ici question des juges de la terre, du chemin qui conduit à leur tribunal et des prisons d'ici-bas, car Notre-Seigneur veut produire la persua sion dans ceux qui l'écoutent, non-seulement par les choses de l'éternité, mais aussi par celles du temps, qui sont devant nos yeux et de nature à nous impressionner davantage. C'est dans ce sens que saint Paul disait «Si vous avez mal fait, craignez le pouvoir, car ce n'est pas sans raison qu'il est armé du glaive».


vv. 27-28

3527 Mt 5,27-28

S. Chrys. (hom. 17 sur S. Matth). Le Sauveur procède par ordre et après avoir développé le premier précepte: «Vous ne tuerez pas»; il passe au second: «Vous savez qu'il a été dit aux anciens: «Vous ne commettrez pas d'adultère».

S. Aug. (Des dix cordes, chap. 3, 9, 10). C'est-à-dire vous ne vous approcherez pas d'une au tre que de votre épouse. Vous exigez de votre épouse qu'elle observe fidèlement cette loi et vous ne l'observeriez pas à son égard, vous qui devez lui être supérieur en vertus? Il est hon teux pour un homme de dire: Cela m'est impossible. Comment, ce que la femme peut faire, l'homme ne le pourrait pas? Et ne dites pas: Je n'ai pas d'épouse, je vais trouver une courti sane, et je ne viole pas le précepte qui défend l'adultère; car vous savez ce que vous valez, vous savez ce que vous mangez et ce que vous buvez, ou plutôt vous savez quel est celui qui devient votre nourriture et votre breuvage. Abstenez-vous donc de toute fornication. Par la fornication et par les débordements du libertinage, vous dégradez l'image de Dieu que vous portez en vous-même. Aussi le Seigneur qui sait ce qui vous est utile, vous commande de ne point laisser écrouler sous les coups dissolvants des voluptés criminelles son temple qu'il a commencé d'élever dans votre âme.

S. Aug. (contre Fauste, 19, 23). Mais comme les Pharisiens pensaient que la seule union char nelle avec la femme d'autrui était défendue sous le nom d'adultère, le Seigneur leur apprend que le désir seul de cette union était un véritable adultère: «Mais moi je vous dis que qui conque aura regardé une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur. Quant à ce commandement de la loi: «Vous ne désirerez pas la femme de votre pro chain», (Ex 20, 17; Dt 5, 21) les Juifs l'entendaient de l'enlèvement de la femme d'autrui, et non de l'union char nelle.

S. Jér. Il y a cette différence entre la véritable passion et le premier mouvement qui la précède, que la passion est regardée comme un vice réel, tandis que ce premier mouvement, sans être entièrement innocent, n'a cependant pas un caractère aussi criminel. Celui donc qui, à la vue d'une femme, sent un mauvais désir effleurer son âme, éprouve les premières atteintes de la passion; s'il donne son consentement, la passion naissante se change en passion consom mée, et ce n'est pas la volonté de pécher qui manque à cet homme, c'est l'occasion. Ainsi, qui conque voit une femme pour la convoiter, c'est-à-dire la regarde dans l'intention de faire naître ce désir criminel et de chercher à l'accomplir a commis en toute vérité l'adultère dans son coeur.
- S. Aug. (serm. sur la mont., 12 ou 13) Trois choses concourent à la consommation du péché, la suggestion, la délectation, le consentement. La suggestion vient de la mémoire ou des sens. Si l'on trouve du plaisir dans l'idée de la jouissance, il faut réprimer cette délectation cri minelle; si l'on y consent, le péché est complet. Cependant, avant le consentement, la délecta tion est nulle ou légère, c'est un péché d'y consentir lorsqu'elle est illicite; si elle va jusqu'à la consommation de l'acte, il semble que la passion soit rassasiée et comme éteinte. Mais que la suggestion revienne de nouveau, la délectation renaît plus vive, bien qu'elle soit moindre que celle qui se change en habitude, et qu'il est très difficile de vaincre.

S. Grég. (Moral., liv. 21). Celui dont les yeux s'égarent sans précaution sur les objets exté rieurs, tombe presque toujours dans la délectation du péché, et comme enchaîné par ses désirs, il finit par vouloir ce qu'il ne voulait pas. C'est de tout son poids, et il est bien lourd, que la chair nous entraîne vers les choses basses, et une fois que notre coeur est lié à cette image de la beauté que les yeux lui ont transmise, les plus grands efforts suffisent à peine pour l'en arra cher. Il nous faut donc veiller sur nous, et songer que nous ne devons pas regarder ce qu'il nous est défendu de désirer. Voulons-nous conserver à notre coeur la pureté de ses pensées, détournons les yeux de toute image voluptueuse et sensuelle, sans quoi ils nous entraîneront infailliblement au crime.

S. Chrys. (hom. 17). Si vous voulez fixer continuellement vos regards sur de beaux visages vous serez pris infailliblement, quand même vous échapperiez au mal deux ou trois fois, car vous n'êtes pas supérieur à la nature humaine. Mais celui qui en regardant une femme, allume dans son coeur une flamme coupable, conserve dans son âme même en l'absence de cette femme, l'image d'actions que la pudeur réprouve, et il finit presque toujours par s'y livrer. Si une femme de son côté, se pare dans l'intention d'attirer sur elle les regards des hommes, elle se rend digne des châtiments éternels, alors même qu'elle n'eût blessé personne de ses funestes coups. En effet elle a composé du poison, quoiqu'elle n'ait trouvé personne pour le boire. Ce que Jésus-Christ dit aux hommes, il le dit également aux femmes, car en parlant au chef, il s'adresse à tout le corps.



Catena Aurea 3520