Catena Aurea 4011

vv. 11-15

4011 Mt 10,11-15

S. Chrys. (hom. 33). Le Seigneur venait de dire: «L'ouvrier est digne de son salaire; mais son intention n'est point d'ouvrir indifféremment par ces paroles toutes les portes à ses disci ples: aussi leur recommande-t-il d'user de la plus grande prudence dans le choix de ceux dont ils recevront l'hospitalité: «Dans quelque ville, leur dit-il, ou dans quelque bourg que vous entriez, demandez qui est digne de vous recevoir». - S. Jér. Les Apôtres, en entrant dans une ville nouvelle pour eux, ne pouvaient connaître celui qui se trouvait dans ces conditions. Leur choix devait donc se guider sur l'opinion générale et sur le jugement des voisins, afin que la dignité de l'Apôtre ne fût pas compromise par la mauvaise réputation de celu i qui le rece vrait. - S. Chrys. (hom. 33). Pourquoi donc alors le Sauveur s'est-il assis lui-même à la table d'un publicain (Lc 1,27-29) ? C'est que ce publicain s'en était rendu digne par sa conversion. Or, cette manière d'agir ne devait pas seulement tourner à la gloire des Apôtres, mais encore leur procurer les choses nécessaires à la vie; car si leur hôte était vraiment digne de leur choix, il devait fournir amplement à tous leurs besoins, alors surtout qu'on ne lui de manderait que le nécessaire. Remarquez comment en même temps qu'il les dépouille de tout, il leur donne tout en abondance, en leur permettant de demeurer dans la maison de ceux qu'ils évangélisaient. Car ils étaient ainsi délivrés de toute sollicitude; et comme ils ne portaient rien avec eux, qu'ils ne demandaient que le nécessaire, et n'entraient pas indistinctement chez tout le monde, ils persuadaient plus facilement aux autres qu'ils n'étaient venus que pour les sauver. Le Seigneur voulait que ses Apôtres brillassent plus encore par leur vertu que par leurs mira cles, et une marque des moins équivoques de la vertu, c'est de renoncer aux choses superflues. - S. Jér. Celui que les Apôtres choisissent pour lui demander l'hospitalité ne fait pas une grâce à celui qui demeure chez lui, mais au contraire il en reçoit une faveur; et Jésus exige qu'il soit digne, pour lui faire comprendre qu'il reçoit plutôt qu'il ne donne. - S. Chrys. (hom. 33). Remarquez que Notre-Seigneur ne leur accorde pas encore toute faveur, ainsi il ne leur donne pas de savoir qui est digne, et il leur commande de s'en informer. A cet ordre, il ajoute celui de ne pas aller de maison en maison: «Demeurez-y, dit-il, jusqu'à ce que vous vous en alliez»; et cela pour ne pas contrister celui qui les a reçus, et ne pas e ncourir le repro che de légèreté ou de sensualité. - S. Amb. Ce n'est donc pas sans motif qu'il ordonne aux Apôtres de choisir la maison où ils devront demeurer, c'est afin de ne pas avoir ensuite de rai son d'en changer; mais les mêmes précautions ne sont pas recommandées à celui qui les reçoit, car en voulant y mettre trop de discernement, son hospitalité pourrait perdre de son prix.

«En entrant dans la maison, saluez-la en disant: Que la paix soit dans cette maison». - La Glose. C'est-à-dire, demandez la paix pour celui qui vous reçoit, afin d'assoupir en lui toute résistance contre la vérité. - S. Jér. Ces paroles renferment implicitement le salut ordinaire des langues hébraïque et syriaque, car le mot à la fois hébraïque et syriaque salemalach ou salamalach répond au êáéñå des Grecs et à l'ave des Latins, et veut dire: «La paix soit avec vous». Or voici le sens de cette recommandation: en entrant dans une maison, demandez la paix pour celui qui l'habite, et autant que vous le pourrez, apaisez les discordes qui la trou blent. Si on s'obstine à vouloir la dissension, vous recevrez votre récompense pour la paix que vous aurez offerte, et ceux qui l'ont rejetée auront la guerre en partage, comme l'indique le texte sacré: «Si cette maison en est digne, votre paix viendra sur elle; si elle n'en est pas digne, votre paix reviendra sur vous». - Remi. Ou bien il y aura dans cette maison un prédes tiné à la vie, et il mettra en pratique la parole divine qu'il a entendue, ou s'il n'y a personne qui veuille l'entendre, le prédicateur ne demeurera pas sans fruit pour cela, car la paix lui revient, lorsqu'il reçoit du Seigneur la récompense de son travail et de son zèle. - S. Chrys. (hom. 33). Le Seigneur recommande aux Apôtres de ne pas attendre que les autres les saluent, parce qu'ils sont eux-mêmes leurs docteurs, mais de les saluer les premiers et de les prévenir par ce témoignage d'honneur. En ajoutant: «Mais si cette maison n'est pas digne», il leur fait voir qu'il s'agit non pas d'une simple salutation, mais d'une véritable bénédiction. - Remi. Le Seigneur veut donc que ses disciples offrent la paix en entrant dans une maison, afin que ce salut de paix les aide à reconnaître la maison ou l'hôte qui sont dignes de les recevoir. Il semble leur dire ouvertement: Offrez la paix à tous; s'ils la reçoivent, ils prouveront qu'ils en sont dignes, s'ils la rejettent, ils s'en déclareront indignes. Quoique l'opinion générale ait dû les gui der dans le choix de celui qui était digne de les recevoir, ils doivent cependant lui adresser ce salut, car il faut bien plutôt qu'on appelle les prédicateurs à cause de leur dignité, que de les voir s'introduire d'eux-mêmes sans être appelés. Or ce salut de paix renfermé dans ce peu de mots peut servir à reconnaître parfaitement si une maison ou celui qui l'habite sont dignes de leur donner l'hospitalité.

S. Hil. Les Apôtres saluent donc la maison avec un vif désir de paix, mais leurs paroles ex priment plutôt la paix qu'ils ne la donnent. Quant à la paix proprement dite, qui sort des en trailles de la miséricorde, elle ne peut descendre sur cette maison qu'autant qu'elle la mérite; si elle n'en est pas trouvée digne, le mystère de cette paix toute divine doit rester renfermé dans la conscience des Apôtres. Et ceux qui ont rejeté les préceptes du royaume des cieux n'ont plus à attendre que la malédiction éternelle que leur prédisent les apôtres en les quittant, et en secouant la poussière de leurs pieds. «Lorsque quelqu'un ne voudra point vous recevoir, ni écouter vos paroles, en sortant de cette maison ou de cette ville secouez la poussière de vos pieds». Car lorsqu'on habite un endroit, il semble qu'on est en rapport, en communion avec lui. Mais en secouant la terre de ses pieds, on se sépare complètement du péché de cette mai son, qui ne retire aucun avantage pour sa guérison des traces qu'y ont imprimées les pieds des Apôtres. - S. Jér. Ils secouent la poussière de leurs pieds, en témoignage de leurs travaux, et pour attester qu'ils sont entrés dans cette ville, et que la prédication évangélique est parvenue jusqu'à ses habitants. Ou bien cette poussière secouée, signifie qu'ils ne doivent rien recevoir, pas même le nécessaire, de ceux qui rejettent l'Évangile. - Rab. Ou bien les pieds des Apô tres figurent l'oeuvre même, la marche et le progrès de la prédication apostolique. Cette pous sière dont ils sont couverts est la figure de la légèreté des pensées de la terre. Les docteurs les plus éminents ne peuvent entièrement s'en garantir, lorsqu'ils se livrent avec sollicitude aux oeuvres de zèle que réclame l'utilité de ceux qu'ils enseignent; et en traversant les routes du monde, la poussière de la terre s'attache nécessairement à leurs pieds. Pour ceux donc qui mé prisent leur doctrine, les travaux, les dangers, les ennuis, les inquiétudes des docteurs de l'Évangile deviennent un sujet de condamnation. Ceux au contraire qui reçoivent leur parole savent trouver une leçon d'humilité dans les soucis et les peines que supportent pour eux ceux qui les évangélisent. Et pour faire voir que ce n'est pas une faute légère de ne pas recevoir les Apôtres, le Sauveur ajoute: «Je vous le dis en vérité, au jour du jugement, Sodome et Go morrhe seront traitées moins rigoureusement que cette ville». - S. Jér. Car la prédication ne s'est pas fait entendre à Sodome et à Gomorrhe, tandis que cette ville l'a entendue et n'a pas voulu la recevoir. - Remi. Ou bien c'est parce que les habitants de Sodome et de Go morrhe, au milieu des désordres où ils vivaient, exerçaient volontiers l'hospitalité, bien que ceux qu'ils ont reçus ne fussent pas des apôtres. - S. Jér. Si la ville de Sodome est traitée moins rigoureusement que cette cité qui n'a pas reçu l'Évangile, il y a donc divers degrés dans les supplices des pécheurs. - Remi. Notre-Seigneur choisit ici pour exemple les villes de So dome et de Gomorrhe, pour montrer que Dieu a surtout en horreur les péchés contre nature, péchés qui ont attiré sur le monde les eaux dans lesquelles il a été enseveli, qui ont amené la destruction de quatre villes entières, et qui tous les jours sont cause des maux incalculables qui viennent frap per les hommes.

S. Hil. Dans le sens mystique, le Seigneur nous enseigne à ne pas fréquenter les maisons, et à ne pas cultiver l'amitié des personnes qui se déclarent ennemis de Jésus-Christ ou qui ne le conn aissent pas. Dans chaque ville, il nous faut donc demander qui est digne de nous recevoir, c'est-à-dire demander si l'Église est quelque part, et si Jésus-Christ a lui-même une habitation; et une fois entrés, n'allons pas ailleurs, car cette maison et celui qui l'habite sont dignes que nous nous y arrêtions. Il devait s'en rencontrer beaucoup parmi les Juifs, dont l'attachement pour la loi serait si grand que tout en croyant en Jésus-Christ dont ils avaient vu et admiré les prodiges, ils ne pourraient cependant sortir des oeuvres de la loi. D'autres, curieux d'examiner la liberté dont Jésus-Christ est l'auteur, devaient user de feinte, en quittant la loi pour l'Évangile. Plusieurs autres enfin devaient être entraînés dans l'hérésie par la dépravation de leur intelligence, et comme tous prétendent, mais bien à tort, qu'ils sont en possession de la vérité catholique, il ne faut entrer qu'avec précaution dans cette maison qui se dit l'Église catholique.


vv. 16-18

4016 Mt 10,16-18

S. Chrys. (hom. 34). Après avoir banni toute sollicitude du coeur de ses disciples et les avoir armés de la puissance de faire des miracles éclatants, il leur prédit les dangers qu'ils devaient courir. Il le fait, premièrement pour les convaincre de sa divine prescience; secondement, pour éloigner de leur esprit le soupçon que ces épreuves leur arrivent à cause de la faiblesse de leur Maître; troisièmement, pour prévenir l'étonnement mêlé de frayeur que ces maux leur cause raient, s'ils venaient fondre sur eux à l'improviste et contre toute espérance; quatrièmement, afin qu'étant ainsi prévenus, le spectacle de la croix ne les jetât pas dans le trouble. Comme il veut ensuite leur apprendre les lois nouvelles de ce combat, il les envoie dépouillés de tout et il veut qu'ils soient nourris par ceux qui les recevront. Il ne s'arrête pas là, mais il leur donne une nouvelle idée de sa puissance, en ajoutant: «Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups». Remarquez que ce n'est pas seulement vers les loups qu'il les envoie, mais au milieu des loups, afin que sa puissance se manifeste avec plus d'éclat, lorsqu'on verra les brebis triompher des loups, tout en vivant au milieu d'eux, et qu'au lieu de périr sous leurs morsures répétées, elles parviendront à les changer et à les convertir. Or c'est une oeuvre bien plus grande et plus admirable de changer leurs âmes que de les mettre à mort. En s'exprimant de la sorte, il leur apprend à montrer la douceur des brebis au milieu des loups. - S. Grég. (homél. 17 sur l'Evang). Celui qui se charge du ministère de la prédication, ne doit causer aucun mal, mais supporter celui qu'on veut lui faire. C'est par cette douceur qu'il adoucira la fureur de ceux qui se déchaînent contre lui, et que ressentant lui-même le contrecoup des afflictions des autres, il pourra guérir les blessures des pécheurs. Si quelquefois le zèle de la justice lui commande de sévir contre ceux qui lui sont soumis, il faut que l'amour et non pas la dureté soit le principe de sa colère, et que tout en maintenant au dehors les droits de la discipline outragée, il aime d'un amour pater nel ceux qu'il est obligé de châtier extérieurement. Il en est beaucoup, au contraire, qui à peine revêtus de l'autorité du commandement, se montrent ardents à tourmenter leurs inférieurs, veulent imprimer la terreur du pouvoir, et paraître dominateurs; ils oublient tout à fait qu'ils sont pères, et cette place qui leur fait un devoir de l'humilité, devient pour eux un sujet d'orgueil et de domination. Parfois peut-être ils vous flattent au dehors, mais ils e xercent inté rieurement leur fureur contre vous, et c'est d'eux qu'il a été dit: «Ils viennent à vous avec des vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravissants». Remarquons ici que nous sommes envoyés comme des brebis au milieu des loups, parce que Dieu veut que nous conser vions la pureté de l'innocence, sans jamais nous rendre coupables des morsures de la méchan ceté. - S. Jér. Il donne le nom de loups aux Scribes et aux Pharisiens qui étaient comme les clercs de la religion juive. - S. Hil. Ces loups figurent aussi ceux qui dans leur fureur insen sée devaient se dé chaîner contre les Apôtres.

S. Chrys. (hom. 34). Ils avaient une consolation dans leurs maux, c'était la puissance de Celui qui les envoyait: aussi le Sauveur cherche-t-il à les bien convaincre avant tout de cette puis sance, lorsqu'il leur dit: «Voici que je vous envoie», c'est-à-dire: Ne soyez pas effrayés d'être envoyés au milieu des loups, car j'ai assez de puissance pour vous préserver entièrement du mal qu'ils pourraient vous faire, non-seulement en vous arrachant à leur dent meurtrière, mais en vous rendant terribles aux lions eux-mêmes. Cependant il faut que vous passiez par ces épreuves, pour faire briller dans tout son éclat votre gloire et ma puissance. Toutefois, pour que les Apôtres puissent contribuer eux-mêmes à cette gloire et qu'on ne croie pas qu'ils ont été couronnés sans mérite, il ajoute: Soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes». - S. Hil. La prudence leur fera éviter les embûches, la simplicité les garantira du mal. Notre-Seigneur leur donne pour exemple la finesse du serpent, parce qu'il cache sa tête dans les replis de son corps afin de mettre à couvert le siége de sa vie. Ainsi de vons-nous sauver au péril de tout notre corps notre tête, qui est Jésus-Christ, c'est-à-dire nous appliquer à conserver notre foi dans toute sa pureté (Ep 3, 17; 4, 15), dans toute son intégri té. - Rab. Le serpent a coutume aussi de se frayer un passage dans des ouvertures étroites, pour y laisser en passant son ancienne peau. C'est ainsi que le prédicateur, en traversant la voie étroite, doit se dépouiller entièrement du vieil homme. - Remi. Le Sauveur donne ici une belle leçon aux prédicateurs, en leur recommandant d'avoir la prudence du serpent; car c'est par le serpent que le premier homme fut trompé, et il semble leur dire: Le serpent a été pru dent et rusé pour tromper; soyez prudents vous mêmes pour sauver; il a fait l'éloge de l'arbre de la science; exaltez vous-mêmes la puissance de la croix. - S. Hil. Le démon s'est d'abord attaqué à l'âme du sexe le plus faible, et l'a séduite par l'espérance, en lui promettant la participation à l'immortalité; ainsi devons-nous choisir nous-mêmes l'occasion favorable (eu égard à la nature et aux dispositions d'un chacun) pour parler avec prudence, révéler l'espérance des biens éternels et prédire en toute vérité, en nous fondant sur la promesse de Dieu lui-même, ce que le démon n'a promis que par un mensonge, c'est-à-dire que ceux qui croient deviendront semblables aux anges (Mt 22).

S. Chrys. (hom. 24). De même que nous devons avoir la prudence du serpent pour éviter d'être blessés dans ce que nous avons de plus cher, ainsi devons-nous avoir la simplicité de la colombe pour ne pas opposer la vengeance à l'injustice qui nous est faite, et ne pas dresser aux autres de pernicieuses embûches.
- Remi. Le Sauveur réunit ces deux vertus, car la sim plicité sans la prudence peut être facilement trompée, et la prudence a ses dangers lorsqu'elle n'est pas tempérée par la simplicité.

S. Jér. La simplicité des colombes nous est révélée dans la forme sous laquelle l'Esprit saint a voulu paraître, et c'est en faisant allusion à cette vertu que l'Apôtre a dit: «Soyez petits en malice». - S. Chrys. (hom. 34). Quoi de plus dur en apparence que de semblables comman dements? Non-seulement il faut souffrir le mal, il n'est pas même permis de s'en troubler, ce qui est le propre de la colombe; car la colère n'apaise pas la colère, mais la douceur seule peut l'éteindre.

Rab. Ces loups dont il vient de parler, ce sont les hommes, comme le prouvent les paroles suivantes: «Gardez-vous des hommes». La Glose. Il est donc nécessaire que vous soyez comme des serpents, c'est-à-dire pleins de finesse, car tout d'abord, suivant leur coutume, ils vous traduiront devant leurs tribunaux, et vous défendront de prêcher en mon nom; et si vous n'obéissez, ils vous feront fouetter de verges et vous conduiront enfin devant les gouverneurs et devant les rois. - S. Hil. (can. 10 sur S. Matth). Ce sont eux qui s'efforcent d'arracher un aveu à votre silence ou votre consentement à leurs projets.

S. Chrys. (hom. 34). Il est vraiment surprenant qu'en parlant de la sorte le Sauveur n'ait pas vu s'éloigner aussitôt de lui ces hommes qui n'avaient j amais quitté les bords du lac dans lequel ils jetaient leurs filets. C'est là une preuve non-seulement de leur vertu, mais de la sagesse du docteur qui les enseignait; car à chacun des maux qu'il leur prédisait il prenait soin de joindre un adoucissement. C'est pour cela qu'il ajoute: «A cause de moi».C'est en effet une bien grande consolation de souffrir pour Jésus-Christ. Les Apôtres n'étaient pas persécutés comme des méchants et des scélérats; Notre-Seigneur en donne la raison: «Pour leur servir de té moignage». - S. Grég. (hom. 31). C'est-à-dire à ceux qui leur ont donné la mort en les persécutant ou qui n'ont pas changé eux-mêmes de vie; car la mort des saints est un puissant secours pour les bons comme elle est un témoignage contre les méchants qui périssent sans excuse là où les élus trouvent de salutaires exemples qui les conduisent à la vie.

S. Chrys. (hom. 34). Ce qui les consolait dans ces paroles, ce n'est pas le désir de voir la ruine de leurs ennemis, mais la vive confiance qu'ils avai ent que le Sauveur était toujours avec eux et prévoyait tout ce qui devait leur arriver. - S. Hil. (can. 10 sur S. Matth). Ce témoignage non-seulement enlève aux persécuteurs toute excuse, mais encore ouvre aux nations le chemin de la foi en Jésus-Christ, qui leur fut prêchée jusqu'au milieu des tourments par la voix ferme et constante des confesseurs; et c'est pour cela qu'il ajoute: «Et aux nations».


vv. 19-20

4019 Mt 10,19-20

S. Chrys. (hom. 34). Aux consolations qui précèdent, le Sauveur en ajoute une non moins grande. Les Apôtres auraient pu lui dire: Comment pourrons-nous persuader les esprits au milieu de tant de persécutions? Jésus leur commande de ne point se préoccuper de ce qu'ils auront à répondre. «Lorsqu'on vous livrera, leur dit-il, ne vous mettez point en peine com ment vous leur parlerez; ni de ce que vous leur direz».Il distingue ici deux choses: la réponse et la forme qu'on peut lui donner; l'une qui a pour principe la sagesse, et l'autre qui est du ressort de la parole. Or, comme c'était de lui que venaient et les paroles qu'ils devaient dire, et la sagesse qui les inspirait, les prédicateurs de l'Évangile n'avaient nullement à se préoccuper soit du fond soit de la forme de leur discours. - S. Jér. Lorsque nous sommes traduits de vant les juges de la terre pour la cause de Jésus-Christ, nous n'avons qu'une chose à faire: offrir pour lui notre volonté. Pour le reste, Jésus-Christ, qui lui-même habite en nous, parlera pour lui-même, et le Saint-Esprit nous prêtera son secours divin pour répondre. - S. Hil. Car si notre foi se donne tout entière à l'accomplissement des divins préceptes, Dieu de son côté lui donnera la science nécessaire pour répondre; elle en a pour garant l'exemple d'Abraham à qui Dieu, après lui avoir demandé le sacrifice de son fils Isaac, fit trouver le bélier nécessaire au sacrifice. (Gn 22). Aussi prend-il soin d'ajouter: «Car ce n'est pas vous qui parlez». - Remi. Voici le sens de ces paroles: C'est vous qui marchez au combat, mais c'est moi qui en soutiens tout l'effort; c'est vous qui prononcez les paroles, mais c'est moi-même qui parle par votre bouche. C'est ce qui faisait dire à saint Paul: «Est-ce que vous voulez faire l'expérience de Jésus-Christ qui parle par ma bouche ?» - S. Chrys. (hom. 34). C'est ainsi qu'il revêt les Apôtres de la dignité des prophètes qui ont parlé sous l'inspiration de l'Esprit saint. Or, ce qu'il leur dit ici: «Ne soyez pas en peine de ce que vous direz», n'est pas contraire à ce qui est dit ailleurs: «Soyez toujours prêts à répondre pour votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de l'espérance qui est en vous». Lorsque la discussion s'engage entre nous et nos amis, nous devons nous préoccuper de ce que nous répondrons; mais devant le tribunal effrayant des persécuteurs, au milieu d'un peuple en furie, alors que nous ne voyons de tous côtés que des sujets d'effroi, Jésus-Christ vient à notre secours et nous donne la force de parler avec une sainte hardiesse et d'être inaccessible à la crainte.


vv. 21-22

4021 Mt 10,21-22

La Glose. Notre-Seigneur a fait précéder la consolation, il prédit maintenant de plus grands dangers: «Le frère livrera son frère à la mort, et le père son fils, et les fils s'élèveront contre leurs parents». - S. Grég. (hom. 35 sur les Evang). Les peines que nous causent ceux dont l'affection et la fidélité nous paraissaient acquises, nous sont beaucoup plus sensibles que les épreuves qui nous viennent de personnes qui nous sont étrangères; car alors, outre la douleur du corps, nous sommes déchirés par le regret de l'affection que nous avons perdue. - S. Jér. C'est ce qui arrive souvent dans les persécutions, et il n'y a point à compter sur l'affection de ceux qui n'ont point la même foi.

S. Chrys. (hom. 34). Voici une épreuve plus terrible encore: «Et vous serez haïs de tous les hommes». Et en effet on les poursuivait, et on voulait les chasser comme les ennemis com muns du genre humain. Aussi leur présente-t-il de nouveau cette double consolation: «A cause de mon nom»,et cette autre: «Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé». Il en est beaucoup, en effet, qui, pleins d'ardeur dans les commencements, perdent insensiblement toute leur force; c'est pourquoi le Sauveur demande la persévérance jusqu'à la fin. Car de quelle utilité peuvent être les semences qui donnent d'abord des fleurs, et qu'on voit ensuite se dessécher sur leur tige? Aussi exige-t-il de ses disciples une persévérance constante. - S. Jér. Le caractère propre de la vertu, ce n'est pas de commencer, c'est d'achever. - Remi. Et ce n'est pas à ceux qui commencent, mais à ceux qui persévèrent, que la récompense est donnée.

S. Chrys. (hom. 34). Notre-Seigneur prévient ici cette difficulté: Le Christ est l'auteur de tout ce que nous admirons dans les Apôtres; il n'est donc pas surprenant qu'ils soient devenus ce qu'on les a vus, puisqu'ils n'avaient rien à supporter de pénible; c'est pourquoi il ajoute que la persévérance leur est nécessaire. Car lors même qu'il les aurait arrachés aux premiers dan gers, ils étaient réservés à d'autres plus grands encore, auxquels de nouveaux devaient succé der, puisqu'ils ne devaient pas vivre un instant sans avoir à redouter les piéges qu'on leur dres sait, vérité qu'il leur révèle d'une manière indirecte, en leur disant: «Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé». -
Remi. C'est-à-dire celui qui n'abandonnera pas les préceptes de la foi, qui ne faiblira pas dans les persécutions, celui-là sera sauvé, et les persécutions de la terre lui mériteront les récompenses du royaume des cieux. Remarquez que le mot fin ne signi fie pas toujours la destruction d'une chose, mais quelquefois sa perfection, comme dans ce passage: «Le Christ est la fin». (Rm 10). On peut donc adopter ce sens: «Celui qui persévérera jusqu'à la fin», c'est-à-dire dans le Christ. - S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 21, chap. 25). En effet, persévérer dans le Christ, c'est persévérer dans la foi que nous avons en lui et qui agit par la cha rité.


v. 23

4023 Mt 10,23

S. Chrys. (hom. 35). Après avoir prédit à ses Apôtres les épreuves terribles qui devaient leur arriver après son crucifiement, sa résurrection et son ascension, il ramène leur pensée sur des considérations moins sévères; il ne leur fait pas un devoir d'affronter audacieusement la per sécution, mais leur ordonne même de la fuir. «Lorsqu'ils vous persécuteront, fuyez». Le Sau veur use à leur égard de cette condescendance, parce qu'ils étaient nouvellement convertis. - S. Jér. Il faut rapporter ces paroles au temps où il envoyait les Apôtres prêcher l'Évangile en leur disant: «N'allez pas dans la voie des Gentils»; c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas craindre la persécution, mais l'éviter, c'est ce que nous voyons faire aux fidèles de la primitive Église; la persécution s'étant élevée à Jérusalem, ils se dispersèrent dans toute la Judée (Ac 8), et c'est ainsi que la persécution devint elle-même le principe de la propagation de l'Évangile.

S. Aug (contre Faust, liv. 22, chap. 39). Si le Sauveur leur ordonne de fuir, et si lui-même le premier leur en a donné l'exemple, ce n'est point par impuissance de défendre ses disciples, mais c'est pour enseigner à la faiblesse de l'homme à ne pas tenter Dieu, quand il est en son pouvoir de fuir le danger qu'il doit éviter. - S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 1, chap. 23). Il aurait pu leur conseiller de mettre fin à leurs jours pour ne pas tomber entre les mains des persécu teurs. Or, puisqu'il n'a donné ni l'ordre ni le conseil de sortir ainsi de cette vie à ceux qu'il a promis de recevoir dans les demeures éternelles qu'il est allé leur préparer; quels que soient les exemples que puissent nous opposer les nations qui ne connaissent pas Dieu, il est évident que se donner la mort est un crime pour ceux qui croient en un seul et vrai Dieu.

S. Chrys. (hom. 35). Les Apôtres pouvaient lui objecter: Mais que ferons-nous si après avoir fui la persécution qui nous menace, on nous chasse encore de la contrée que nous aurons choi sie? Le Seigneur bannit cette crainte de leur coeur en ajoutant: «Je vous dis en vérité, vous n'aurez pas achevé toutes les demeures d'Israël jusqu'à ce que vienne le Fils de l'homme», c'est-à-dire en parcourant la Palestine, vous ne devancerez pas le temps où je dois venir vous chercher et vous prendre avec moi.
- Rab. Ou bien il leur prédit qu'ils ne convertiront pas à la foi par leurs prédications toutes les villes d'Israël avant la résurrection du Sauveur, et aussi avant qu'ils aient reçu le pouvoir de prêcher l'Évangile par toute la terre. - S. Hil. (can. 10 sur S. Matth). Ou bien encore il leur conseille de fuir d'une ville dans une autre, parce que la prédication de l'Évangile, repoussée par la Judée, s'est fait entendre dans la Grèce. Elle s'est ensuite répandue dans toutes les villes de cette contrée par les persécutions multipliées des Apôtres, et de là elle s'est fixée, pour y demeurer, dans l'universalité des nations. Mais le Seigneur, voulant montrer que si les nations seraient amenées à la foi par la prédication des Apô tres, les restes d'Israël ne devraient leur conversion qu'à son avènement, il ajoute: «Vous n'achèverez pas toutes les villes», c'est-à-dire qu'après la plénitude des nations, ce qui restera d'Israël pour consommer le nombre des saints sera réuni à l'Église par l'éclat du dernier avè nement de Jésus-Christ.

S. Aug. (Lettre 180 à Honorat). Que les serviteurs de Jésus-Christ ne craignent donc pas de faire ce qu'il a commandé ou permis, et ce qu'il a fait lui-même en fuyant en Egypte; ils doi vent donc fuir aussi de ville en ville lorsqu'ils seront l'objet particulier d'une persécution; ceux au contraire qui ne sont pas personnellement recherchés, ne doivent pas abandonner leur Église, mais rester pour soutenir ceux de leurs frères qui n'attendent que d'eux leur subsis tance. Mais lorsque le danger devient général et qu'il menace également les évêques, les clercs et les fidèles, que ceux qui doivent aux autres le secours de leur ministère n'abandonnent pas les fidèles qui ont droit de le réclamer, ou qu'ils fuient tous ensemble dans des lieux sûrs. Que ceux qui sont obligés de rester ne soient point abandonnés par ceux qui doivent subvenir à leurs besoins spirituels, mais qu'ils vivent ensemble, ou qu'ensemble ils partagent les épreuves auxquelles le père de famille veut les soumettre. - Remi. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que si le précepte de la persévérance dans les persécutions regarde spécialement les Apôtres et les hommes courageux qui leur ont succédé, la permission de fuir est donnée à ceux qui sont fai bles dans la foi. Le bon Maître a voulu ainsi condescendre à leur faiblesse, dans la crainte qu'en se présentant d'eux-mêmes au martyre, ils ne fussent exposés à renoncer à la foi au mi lieu des tourments; car il vaut mieux fuir qu'apostasier. Et bien qu'en fuyant ils ne fissent pas preuve d'une foi constante et parfaite; cependant ils avaient un grand mérite, car ils étaient prêts, en prenant la fuite, à tout quitter pour Jésus-Christ. Or, si le Sauveur ne leur avait pas accordé la permission de fuir la persécution, il y aurait eu des hommes qui les auraient déclarés indignes de la gloire du royaume des cieux.

S. Jér. En prenant ces paroles dans le sens spirituel, nous pouvons dire: Lorsqu'ils nous per sécuteront dans une ville, c'est-à-dire dans un livre, ou dans un texte de la sainte Écriture, fuyons vers d'autres villes, c'est-à-dire vers d'autres livres; et quelque ami de la dispute que soit notre persécuteur, le secours du Seigneur nous arrivera avant qu'il ait remporté la victoire.


vv. 24-25

4024 Mt 10,24-25

S. Chrys. (hom. 35). Aux persécutions dont il vient de parler devait se joindre la diffamation et la calomnie, qui seraient pour les Apôtres le supplice le plus pénible en les atteignant jusque dans leur réputation; il leur apporte donc pour consolation son propre exemple, et leur rappelle tout ce qu'on a osé dire de lui, consolation qui, pour eux, était sans égale. - S. Hil. En effet, le Seigneur, la lumière éternelle, le chef des croyants, le père de l'immortalité, révèle par avance à ses disciples les consolations qui adouciront un jour leurs épreuves, afin de nous faire embrasser avec ardeur comme un titre de gloire cette carrière qui nous rend les égaux du Seigneur par les souffrances. C'est pour cela qu'il ajoute: «Le disciple n'est pas au-dessus du maître, ni le serviteur», etc. - S. Chrys. (hom. 35). Il faut entendre ces paroles dans ce sens: tant qu'il reste disciple et serviteur. Alors, dis-je, il n'est pas au-dessus de son maître et de son seigneur, quant à l'honneur auquel il peut aspirer. Et ne m'objectez pas ici de rares exceptions, ces paroles doivent s'entendre de ce qui arrive le plus ordinairement. - Remi. Le maître et le seigneur c'est lui-même; par le serviteur et le disciple, il veut désigner ses Apôtres. -
La Glose. Telle est la leçon qu'il veut faire à ses disciples: «Ne vous irritez pas de souffrir ce que je souffre, car je suis votre Maître, et je vous enseigne ce qui doit vous être utile.

Remi. Comme cette maxime ne paraissait pas se rapporter parfaitement à ce qui précède, il leur fait connaître le but qu'il s'y est proposé en ajoutant: «S'ils ont appelé Béelzébub le père de famille, à combien plus forte raison traiteront-ils ses domestiques de la même ma nière».

S. Chrys. (hom. 35). Il ne dit pas ses serviteurs, mais ses domestiques, les gens de sa maison, pour exprimer dans quelle intimité il est avec eux, comme il le dit ailleurs: «Je ne vous ap pellerai plus mes serviteurs, mais mes amis». - Remi. Il semble leur dire par ces paroles: «Ne cherchez donc ni les honneurs de la terre, ni la gloire qui vient des hommes, vous qui me voyez racheter le monde en supportant tous les outrages et tous les opprobres. - S. Chrys. (hom. 35). Il ne se contente pas de dire: S'ils ont outragé le Maître, mais il spécifie l'outrage: «s'ils l'ont appelé Béelzébub». - S. Jér. Béelzébub était l'idole d'Accaron, qui est appe lée dans le livre des Rois l'idole de la mouche. Béel est la même chose que Bel ou Baal, et Zé bub signifie mouche. Les Juifs donnaient au prince des démons le nom de l'idole la plus im pure, qu'on appelait mouche, à cause de ce qu'elle a d'immonde, car la mouche en tombant dans un parfum en détruit la bonne odeur.



Catena Aurea 4011