Catena Aurea 6223


CHAPITRE III


vv. 1-5

6301 Mc 3,1-5

Théophyl. Après avoir confondu, par l'exemple de David, les Juifs qui accusaient ses disciples de cueillir des épis le jour du sabbat, le Seigneur, pour les rapprocher de plus en plus de la vérité, opère un miracle le jour du sabbat, et leur montrer par là que si c'est une oeuvre de piété d'opérer des miracles le jour du sabbat pour le salut des hommes, ce n'est point un mal de pourvoir ce même jour à tous les besoins du corps. «Et étant entré une autre fois dans la synagogue», etc. - Bède. Le Seigneur avait pleinement justifié ses disciples du reproche de violer le sabbat, en alléguant l'exemple irrécusable de David; maintenant donc, ils l'observent avec l'intention de l'accuser faussement ou de transgresser le sabbat, s'il guérit cet homme en ce jour-là, ou d'inhumanité ou d'impuissance s'il ne le guérit pas.

«Et Jésus dit à cet homme qui avait une main desséchée: Tenez-vous là debout, au milieu». - S. Chrys. (hom. 41 sur S. Matth). Jésus-Christ le place au milieu de cette assemblée, afin qu'ils soient frappés d'étonnement et touchés de compassion à la vue de son infirmité, et qu'ils renoncent à tout sentiment de malignité. - Bède. Pour prévenir la calomnie que les Juifs s'apprêtaient à diriger contre lui, Jésus va les convaincre de violer la loi par leur interprétation coupable. Il leur dit donc «Est-il permis le jour du sabbat, de faire le bien ou de faire le mal?» Il leur adresse cette question, parce qu'ils s'imaginaient que le jour du sabbat il fallait s'abstenir même des bonnes actions, bien que la loi n'interdisait que les mauvaises (Lv 23): «Vous ne ferez en ce jour-là aucune oeuvre servile», c'est-à-dire aucun péché., puisque celui qui fait le péché est esclave du péché (Jn 8, 34). Cette question préliminaire: «Est-il permis de faire le bien ou de faire du mal», est la même que celle qui suit: «De sauver une âme ou de la perdre ?» C'est-à-dire de guérir un homme ou non? Non pas que Dieu, souverainement bon, puisse être l'auteur de notre perdition, mais parce que dans le langage de l'Ecriture, pour Dieu, ne pas sauver, c'est perdre. Maintenant, si l'on s'étonne que le Seigneur, sur le point d'opérer une guérison corporelle, parle du salut de l'âme, qu'on se rappelle que dans l'Ecriture, l'âme désigne l'homme tout entier, comme dans ces paroles: «Voici les âmes qu'engendra Jacob. «On peut dire encore que Jésus opérait ces miracles en vue du salut de l'âme, ou bien enfin que la guérison de cette main desséchée était la figure de la guérison de l'âme. - S. Aug. (De l'accord, des Evang., liv. 1, 35). On peut aussi s'étonner que saint Matthieu met dans la bouche des Juifs, cette question: «Est-il permis d'opérer des guérisons le jour du sabbat», tandis que saint Marc nous représente Jésus-Christ leur adressant lui-même cette question: «Est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal ?» Comprenons donc que les Juifs commencent par demander au Seigneur s'il était permis d'opérer des guérisons le jour du sabbat; Jésus, voyant l'intention coupable qui leur faisait chercher l'occasion de l'accuser, place au milieu d'eux l'homme qu'il allait guérir et leur fait les questions rapportées par saint Marc et saint Luc; et c'est alors qu'il leur proposa la comparaison de la brebis, et qu'il tire de là cette conclusion qu'il est permis de faire du bien le jour du sabbat.

«Et ils se taisaient». Car ils savaient que Jésus allait guérir cet homme. «Et les regardant avec colère». Ce regard courroucé, cette tristesse qu'il éprouve à la vue de l'aveuglement de leur coeur, lui sont inspirés par la nature humaine qu'il a daigné prendre pour nous. A la parole, il joint le miracle, et c'est ainsi que cet homme est guéri au seul son de sa voix. Et il étendit la main, et elle retrouva sa première souplesse. En agissant ainsi, il répondait aux accusations dirigées contre ses disciples, et montrait en même temps qu'il était lui-même au-dessus de la loi.

Bède. Dans le sens mystique, cet homme dont la main est desséchée, c'est le genre humain, incapable de produire aucune bonne oeuvre, mais qui est guéri par la miséricorde du Seigneur. Oui, c'est le genre humain, dont la main s'est desséchée pour avoir cueilli le fruit défendu, dans la personne de notre premier père; mais la grâce du Rédempteur, étendant sur l'arbre de la croix ses mains innocentes, lui a rendu la sève des bonnes oeuvres, sa vigueur première. C'est dans la synagogue que nous apparaît cette main desséchée, car c'est là où le don de la science est départi plus abondamment que se trouve aussi le danger plus grave d'une faute inexcusable. - S. Jér. Ou bien encore, l'infirmité de cet homme représente les avares, qui, pouvant donner, aiment mieux recevoir, préfèrent la rapine aux largesses, que l'on invite à étendre les mains, et à qui l'on semble dire: «Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais qu'il travaille plutôt, et qu'il exerce ses mains à une utile industrie, afin d'avoir de quoi assister ceux qui sont dans le besoin (Ep 4, 28).

théophile. Ou bien encore, celui qui a la main desséchée est l'homme qui néglige d'opérer le bien; car dès lors que notre main ne s'exerce plus qu'à des oeuvres coupables, elle se dessèche et devient impuissante à opérer le bien, mais elle retrouvera sa force, quand cet homme coupable voudra se tenir ferme dans la vertu. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit: «Levez-vous», c'est-à-dire sortez du péché, tenez-vous là au milieu, et alors sa vertu ne péchera ni par défaut, ni par exagération.


vv. 6-12

6306 Mc 3,6-12

Bède. Les pharisiens, regardant comme un crime l'acte par lequel le seigneur avait, d'une parole, rendu à la main desséchée de cet homme sa vigueur première, tinrent conseil pour faire mourir Jésus: «Et étant sortis, les pharisiens», etc. Comme si chacun d'eux ne travaillait pas bien davantage le jour du sabbat, en portant les aliments, en présentant la coupe, en faisant toutes les actions nécessaires aux besoins de la vie matérielle, car celui qui n'a eu qu'un mot à dire pour qu'il fut fait selon sa parole pouvait-il être convaincu d'avoir violé, par le travail, le jour du sabbat ?

théoph. Or, les Hérodiens étaient les partisans du roi Hérode, car il s'était élevé une certaine hérésie qui prétendait qu'Hérode était le Messie. La prophétie de Jacob (Gn 49, 10) annonçait en effet que le Christ viendrait lorsque s'éteindrait la race des princes de Juda. Or, comme au temps du roi Hérode, il ne restait plus aucun prince de race juive, et qu'Hérode, étranger à la Judée, régnait sur cette contrée, il y en eut qui s'imaginèrent qu'il était le Christ et qui donnèrent naissance à cette hérésie. Ils réunissaient donc leurs efforts à ceux des pharisiens, pour faire mourir Jésus-Christ. - Bède. Ou l'Évangéliste donna le nom d'hérodiens aux ministres d'Hérode le tétrarque, qui, partageant la haine de leur maître contre Jean-Baptiste, retendaient jusqu'au Sauveur lui-même, qu'annonçait le Précurseur, et le poursuivaient de leur haine en lui tendant des pièges.

«Mais Jésus se retira vers la mer avec ses disciples». - Bède. Il fuit, comme homme, les embûches de ses persécuteurs, parce que l'heure de sa passion n'était pas encore venue, et qu'il ne devait pas souffrir hors de Jérusalem. Par cet exemple, Jésus autorise ses disciples à fuir d'une ville dans une autre lorsqu'ils seraient persécutés. - théoph. Il s'éloigne aussi des ingrats, afin de faire du bien à un plus grand nombre. Beaucoup, en effet, le suivirent, et il les guérit, selon la remarque de l'Évangéliste: «Et un e foule nombreuse le suivit de la Galilée», etc. Les Tyriens et les Sidoniens, des étrangers, profitent des grâces que leur apporte le Christ, et ses proches, c'est-à-dire les Juifs, se font ses persécuteurs. Ainsi, la parenté ne sert de rien, à moins qu'il n'y ait conformité entière de vertu. - Bède. C'est le spectacle de ses oeuvres merveilleuses et la doctrine qu'il leur enseigne qui excitent les Juifs à le persécuter. Les Tyriens au contraire, attirés par le bruit de ses miracles, viennent en foule pour l'entendre et solliciter le secours du salut. «Et il dit à ses disciples de lui préparer une barque», etc. - théoph. Voyez comme il cache sa gloire: De peur, en effet, d'être accablé par la foule, il demande une barque, et il y entre pour se mettre à c ouvert de la foule.

«Tous ceux qui avaient quelques plaies», etc. - théoph. Il appelle plaies les infirmités, car Dieu nous châtie comme un père châtie ses enfants. - Bède. Ils se prosternaient donc aux pieds du Sauveur, et ceux qui avaient des plaies, des infirmités corporelles, et ceux qui étaient tourmentés par des esprits immondes. Les premiers demandaient simplement à être guéris de leurs infirmités; les possédés, ou plutôt les démons qui habitaient eu eux, non-seulement se prosternaient, terrassés qu'ils étaient par une crainte divine, mais encore ils étaient contraints de proclamer sa divinité: «Et il s'écriaient: Vous êtes le Fils de Dieu». Qui ne s'étonnerait, après cela, de l'aveuglement des Ariens, qui, malgré la gloire de sa résurrection, refusent le titre de Fils de Dieu à celui dont les démons proclament la filiation divine, lorsqu'il est encore revêtu de sa chair mortelle.

«Et il leur défendait, avec de grandes menaces, de révéler qui il était», car Dieu dit au pécheur (Ps 49): «Pourquoi oses-tu raconter mes justices ?» La prédication de la vérité est donc interdite au pécheur, dans la crainte que ses disciples, en prêtant l'oreille à sa parole, ne le suivent dans ses égarements. Un mauvais maître, en effet, est un démon tentateur, qui, au vrai, mêle le faux, afin de cacher ses menées frauduleuses sous l'apparence de la vérité. Du reste, non-seulement les démons, mais ceux que Jésus-Christ guérissait, les Apôtres eux-mêmes, recevaient l'ordre de taire les miracles qu'il opérait, dans la crainte que la manifestation de sa majesté divine ne retardât l'oeuvre salutaire de sa passion.

Dans le sons allégorique, Jésus, sortant de la synagogue pour se retirer vers la mer, figure le salut des nations qu'il daigna visiter, en leur communiquant le don de la foi, après qu'il eut abandonné les Juifs à cause de leur perfidie, car les nations agitées par les flots des erreurs sont comparées justement à l'agitation de la mer. Une foule nombreuse le suivit des diverses provinces, c'est-à-dire qu'il reçut avec bonté un grand nombre de nations qui, plus tard, vinrent à lui, attirées par la prédication des Apôtres. La barque qui porte le Seigneur sur les flots, c'est l'Eglise, formée des divers peuples de la terre. Il monta dans cette barque pour n'être point accablé par la foule, c'est-à-dire qu'il fuit le tumulte et l'agitation des âmes charnelles: il vient à ceux qui méprisent la vanité du siècle, et se complaît à faire en eux sa demeure, il y a une différence marquée entre presser, accabler le Seigneur et le toucher. Ceux-là le pressent et l'accablent qui, par des pensées ou des actes charnels, troublent la paix où la vérité demeure. Toucher le Christ, au contraire, c'est par la foi et l'amour le recevoir dans son coeur. Aussi nous voyons que l'Évangéliste fait remarquer que ceux qui le touchèrent furent guéris.

théoph. Dans le sens moral, les hérodiens sont les hommes charnels qui veulent faire mourir Jésus-Christ, car Hérode signifie couvert de peaux; mais ceux qui quittent leur pays, c'est-à-dire leurs habitudes vicieuses, suivent Jésus-Christ et leurs plaies, c'est-à-dire leurs péchés, qui sont les blessures de leurs âmes, sont guéries par le Sauveur Jésus en nous, c'est la raison qui veut que notre barque, c'est-à-dire notre corps, soit au service de ce divin Maître, dans la crainte d'être submergée sous les vagues dos choses de la terre.


vv. 13-19

6313 Mc 3,13-19

Bède. Après avoir défendu aux esprits mauvais de proclamer sa divinité, Jésus choisit les saints Apôtres, qui devaient chasser les esprits immondes et prêcher son Évangile. «Et étant monté ensuite sur une montagne», etc. - théoph. Saint Luc dit qu'il gravit cette montagne pour se livrer à la prière. Après avoir opéré des miracles, il prie, pour nous apprendre à rendre à Dieu nos actions de grâces du bien que avons pu faire, et à en renvoyer toute la gloire à la puissance de Dieu. - S. Chrys. Il enseigne aussi par là, aux premiers pasteurs de l'Eglise, à passer lus nuits eu prières avant les ordinations, afin que leur ministère ne soit point privé de son efficacité. Lors donc que le jour fut venu, dit saint Luc, il appela ceux qu'il voulut, car il y en avait plusieurs qui marchaient à sa suite. - Bède. En effet, leur vocation à l'apostolat était une affaire qui dépendait, non de leur choix et de leur volonté propre, mais bien de la grâce et de la miséricorde divine. Cette montagne, où le Seigneur daigne les choisir, figure l'éminence de la sainteté à laquelle ils devaient tendre et qu'ils devaient ensuite prêcher aux hommes. - S. Jér. (Ps 57; Is 2, 2) Ou bien encore, dans le sens spirituel, Jésus-Christ est cette montagne d'où jaillissent les eaux vives, où se prépare le lait pour le salut des enfants, où l'on trouve l'abondance des richesses spirituelles, et, avec la foi, le trésor du souverain bien. Toutes ces faveurs célestes sont là, comme en dépôt, sur cette mystérieuse montagne. Aussi, est-ce sur cette montagne que le Sauveur appelle ceux qui excellent par leurs discours et leurs oeuvres, afin que l'élévation du lieu soit en rapport avec l'élévation de leurs mérites.

«Et ils vinrent à lui», etc. Le Seigneur a aimé la beauté do Jacob (Ps 46). De même que les douze Apôtres doivent s'asseoir sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël, ainsi doivent-ils veiller par groupes de trois, répétés quatre fois, près du tabernacle du Seigneur, et porter en quelque sorte sur leurs épaules ses oracles sacrés. - Bède. C e nombre mystérieux était figuré autrefois par les enfants d'Israël, qui campaient autour du tabernacle. Trois tribus stationnaient aux quatre côtés du tabernacle; or, trois fois quatre font douze, et c'est au U0 mbre de douze que les Apôtres furent envoyés pour prêcher l'Évangile aux quatre parties du monde, et baptiser les nations au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, «Et il leur donna le pouvoir», etc. Il voulait par là que la grandeur et l'éclat de leurs oeuvres servissent de témoignage à la grandeur des promesses célestes, et que des prodiges nouveaux vinssent confirmer la doctrine nouvelle qu'ils annonçaient.

tiiéoph. Il désigne les douze Apôtres par leur nom, afin qu'on pût les discerner des faux Apôtres, qu'il fallait éviter: «Et il donna à Simon le nom de Pierre», etc. - S. Aug. (De l'accord des Evang., liv. 2, 17) Il ne faut pas croire cependant que c'est alors seulement que Simon reçut ce nouveau nom de Pierre, ce qui serait opposé à ce que rapporte saint Jean, qui place bien avant cette parole de Jésus: «Tu t'appelleras Céphas», c'est-à-dire Pierre. C'est ce que saint Marc rappelle comme par manière de récapitulation. Il avait dessein d'énumérer les noms des Apôtres, et il devait nécessairement parler de Pierre, il eut donc la pensée d'insinuer très brièvement qu'il n'avait pas toujours porté ce nom, mais que le Seigneur le lui avait donné. - Bède. Le Sauveur voulut qu'il prit un autre nom tout d'abord, pour appeler l'attention sur le mystère dont ce changement était la figure. Le mot Pierre, en grec comme en latin (en syriaque Céphas), dérive de petra, rocher ou pierre, et nul doute que cette pierre ne soit autre que celle dont l'Apôtre dit (1Co 10) :» Or, cette pierre était Jésus-Christ». Carde même que Jésus-Christ était la vraie lumière (Jn 1), et qu'il donna aux Apôtres le privilège d'être appelés la lumière du monde, de même il accorda à Simon, plein de foi en Jésus-Christ, qui est la pierre angulaire, ce nom glorieux de Pierre. - S. Jér. De l'obéissance figurée par le nom de Simon, il s'élève à la connaissance que le nom de Pierre signifie.

«Et Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère», etc. - Bède. Il faut sous-entendre: «Et, étant monté sur la montagne, il appela à lui Jacques et Jean», etc. - S. Jér. Jacques, c'est-à-dire qui supplante et détruit tous les désirs de la chair; Jean, c'est-à-dire celui qui reçoit de la grâce ce que les autres obtiennent par leurs efforts. «Et il les surnomma fils du tonnerre». - S. Chrys. Il appela ainsi les fils de Zébédée, parce qu'ils devaient répandre par toute la terre les oracles majestueux et éclatants de la divinité. - S. Jér. Ou bien encore, cette dénomination fait ressortir les vertus éminentes de ces trois premiers Apôtres, qui ont mérité d'entendre sur la montagne la voix retentissante du Père, qui fit retentir comme un tonnerre, du sein de la nuée (Mt 17), ces paroles: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé». Le Sauveur voulait aussi que ses Apôtres fussent sous la nuée de la chair qui les enveloppait, et par le feu de la parole, des foudres spirituels, versant la pluie sur la terre, semblables en cela au Seigneur, qui change en pluie les éclats de la foudre, et éteint par l'eau de la miséricorde le feu de la vengeance.

«Et André». - S. Jér. Le mot André signifie qui attaque avec une vigueur toute virile ce qui fait notre ruine, afin de trouver toujours en lui une réponse de mort, et que son âme soit toujours comme entre ses mains. - Bède. André est un nom grec, qui signifie viril, parce qu'il s'attacha au Seigneur avec courage.

«Et Philippe». - S. Jér. Ce nom signifie bouche de la lampe, c'est-à-dire celui dont les lèvres peuvent révéler ce que son coeur a conçu, parce que le Seigneur lui a ouvert la bouche pour éclairer le autres. Nous savons en effet qu'il est d'usage, dans l'Ecriture, d'attacher aux noms hébreux une signification mystérieuse.

«Et Barthélemi». - S. Jér. Qui est le fils de Celui qui suspend les eaux; de Celui qui a dit (Is 5): «Et je commanderai aux nuages de ne point verser leurs eaux sur la terre». Ce nom de fils de Dieu, on l'acquiert par un esprit pacifique, par l'amour de ses ennemis. «Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils sont enfants de Dieu» (Mt 5); «Aimez vos ennemis, afin d'être les enfants de Dieu».

«Et Matthieu». - S. Jér. Qui est comblé des dons du Seigneur, parce qu'en effet il reçut, non-seulement la rémission de ses péchés, mais encore la faveur d'être admis au nombre des Apôtres. Et Thomas, c'est-à-dire qui est un abîme, car après avoir acquis la connaissance des plus profonds mystères, il les publie, lui et les autres Apôtres, avec l'assistance divine, «Et Jacques, fils d'Alphée», c'est-à-dire du docte ou du millième, et mille tomberont à ses côtés (Ps 60). C'est cet autre Jacob qui doit lutter, non point contre la chair et le sang, mais contre la malice spirituelle de Satan (Ep 6). «Et Thadée», Corculus, c'est-à-dire qui cultive son coeur, qui le garde avec le plus grand soin (Pr 4). - Bède. Thadée est celui que saint Luc, dans son Évangile (Lc 6), et dans les Actes des Apôtres (Ac 1), désigne sous le nom de Jude, frère de Jacques. Il était en effet frère de Jacques, lequel était lui-même frère, c'est-à-dire cousin germain du Seigneur, comme il l'écrit dans son Epître.

«Et Simon le Chananéen, et Judas Iscariote, qui le livra». L'Évangéliste ajoute ici quelques explications: il veut distinguer ceux dont il parle de Simon-Pierre et de Juda ou Jude, frère de Jacques. Simon est appelé Chananéen, de Chana, bourg de la Galilée. Judas est surnommé Iscariote, du bourg où il était né, ou de la tribu d'Issachar. - théoph. L'Évangéliste le met au nombre des Apôtres, pour nous apprendre que Dieu ne rejette personne en prévision de sa méchanceté future, mais qu'il l'honore, au contraire, par égard pour sa vertu présente. - S. Jér. Simon signifie qui dépose la tristesse. «Bienheureux ceux qui pleurent, dit Jésus-Christ, parce qu'ils seront consolés (Mt 5). Simon s'appelle le Chananéen, ou Zélotès, c'est-à-dire celui qui est dévoré du zèle de la gloire de Dieu (Ps 68). Judas Iscariote, c'est-à-dire celui qui n'efface point par la pénitence son péché, et dont le souvenir ne s'efface pas davantage; car Judas signifie celui qui confesse ou qui est avide de gloire; et Iscariote signifie souvenir de mort. Et en effet il y a, dans l'Eglise, beaucoup de confesseurs superbes et vains, comme Simon le magicien, Arius et les autres hérétiques, et dont la funeste mémoire -n'est rappelée dans l'Eglise qu'afin d'en éloigner les âmes chrétiennes.


vv. 20-22

6320 Mc 3,20-22

Bède. Le Seigneur ramène à la maison ceux qu'il avait choisis sur la montagne, comme pour leur apprendre qu'après avoir reçu la dignité de l'apostolat ils devaient rentrer dans leur conscience. «Et ils vinrent à la maison, et la foule s'y assembla de nouveau, de sorte qu'ils ne pouvaient pas même prendre leur repas». - S. Chrys. Les chefs de la nation étaient pleins d'une superbe ingratitude, et ne pouvaient, à cause de leur orgueil, parvenir à la connaissance de la vérité. Mais la multitude du peuple, pleine de reconnaissance, vient à Jésus. - Bède. Et combien est heureuse cette foule qui afflue vers Jésus, et qui a tellement à coeur d'obtenir son salut qu'elle ne laisse ni à celui qui en est l'auteur, ni à ses disciples le temps de prendre leur nourriture. Toutefois, remarquons que celui que la foule extérieure recherche et fréquente ne recueille de la part de ses proches qu'une médiocre estime. Ecoutez l'Évangéliste: «Ce que les siens ayant appris», etc. En effet, ils ne comprenaient pas la profondeur de la sagesse qu'il leur enseignait, et ils s'imaginaient que son langage était dépourvu de sens. Ils disaient donc: «Il a perdu l'esprit». - théoph. C'est-à-dire qu'il est possédé du démon et qu'il est furieux. Ils voulaient se saisir de lui, pour l'enfermer comme un démoniaque; et c'étaient les siens qui voulaient prendre cette mesure, c'est-à-dire ses proches, peut-être ses compatriotes ou ses frères. - victor d'antioche. N'était-ce pas une inconcevable folie de traiter d'insensé l'auteur de si grands miracles, et Celui qui enseignait une doctrine toute céleste, ou plutôt les oracles de la divine sagesse ?

Bède. Il y a du reste une grande différence entre ceux qui ne comprennent point la parole de Dieu, par suite de la lenteur de leur intelligence, tels qu'étaient ceux dont il est ici question, et ceux qui comprenant très-bien cette divine parole, la poursuivent sciemment de leurs blasphèmes, comme le firent ceux dont l'Évangéliste ajoute: «Et les scribes qui étaient venus de Jérusalem», etc. Ils s'efforcent en effet de dénaturer par une interprétation maligne les faits qu'ils ne pouvaient nier, comme si ces faits n'étaient pas l'oeuvre de la divinité, mais qu'ils eussent pour auteur le plus immonde des esprits, Béelzébub, qui était le dieu d'Accaron; car Beel a le môme sens que Baal, et zébub signifie mouche. Béelzébub signifie doue l'homme des mouches, à cause des souillures qu'elles laissaient sur le sang immolé, à ce faux dieu. Cette infâme dénomination de prince des démons, ils la donnaient à Notre-Seigneur lui-même, en ajoutant: «Il chasse les démons au nom du prince des démons».

S. Jér. Dans le sens mystique, cette maison à laquelle ils viennent, c'est la primitive Eglise. La foule qui empêche de manger le pain, ce sont les péchés et les vices: car celui qui mange ce pain indignement, mange et boit sa condamnation. (1Co 11) - Bède. Les scribes qui viennent de Jérusalem blasphèment, mais la foule qui en vient également suit le Seigneur aussi bien que les Juifs, et les Gentils qui vinrent des autres contrées. C'est ce qu'on devait voir encore au temps de la passion, où le peuple juif le conduirait en triomphe à Jérusalem des palmes dans les mains et en célébrant ses louanges, les Gentils demanderaient à le voir, tandis que les scribes et les pharisiens machineraient sa mort.


vv. 23-30

6323 Mc 3,23-30

S. Chrys. (hom. 42 sur S. Matth. et dans l'Ouvrage imparfait, hom. 29). Le Seigneur, relevant ce blasphème des scribes, leur montre l'impossibilité du fait qu'ils avancent et confirme sa démonstration par un exemple: «Et les ayant assemblés, il leur disait en parabole: Comment Satan peut-il chasser Satan ?» C'est-à-dire: Un royaume divisé contre lui-même par une guerre intestine sera nécessairement entraîné à sa ruine; c'est ce qui arrive aussi bien dans une famille que dans une cité. Si donc le royaume de Satan est divisé contre lui-même, de sorte que Satan chasse Satan du milieu des hommes, la ruine du royaume des démons est imminente. Or, le règne des démons consiste à tenir les hommes asservis à leur tyrannie. Si donc ils sont chassés loin des hommes, dès lors leur empire est détruit; mais, s'ils conservent encore leur pouvoir sur les hommes, il est évident que le royaume de ce malin esprit est encore debout, et qu'il n'est point divisé contre lui-même. - La Glose. Après avoir démontré par cet exemple que le démon ne peut chasser le démon, Jésus enseigne la manière de le chasser: «Personne, dit-il, ne peut enlever les armes du fort armé, à moins qu'il ne l'ait enchaîné auparavant», etc. - Théophyl. Voici le sens de cette comparaison: le fort, c'est le démon; ces armes, ce sont les hommes où il fait sa demeure. À moins donc qu'on n'ait auparavant vaincu et enchaîné Satan, comment lui ravir ses armes, c'est-à-dire les infortunés qu'il possède? C'est ainsi que moi, qui lui ravis ses armes, c'est-à-dire qui délivre les hommes de la possession du démon, je commence par enchaîner et vaincre ces esprits de ténèbres et je me constitue leur ennemi. Comment donc pouvez-vous dire que je suis possédé par Béelzébub et que je suis l'ami des démons, moi qui les chasse et les mets en fuite? - Bède. Le Seigneur a aussi enchaîné le fort, c'est-à-dire le démon, en paralysant les moyens de séduction qu'il emploie contre les élus. Et étant entré dans la maison, c'est-à-dire dans le monde, il a pillé sa maison et ravi ses meubles, c'est-à-dire les hommes qu'il soustrait aux pièges de Satan et incorpore à son Eglise. Ou bien encore, il a pillé sa maison parce que les diverses parties du monde où dominait cet antique ennemi du genre humain ont été données en partage à ses Apôtres et à leurs successeurs, pour ramener tous ces peuples dans la voie de la vie. Le Seigneur leur montre l'énormité du crime qu'ils commettaient en osant attribuer au démon ce qu'ils savaient très-bien être l'oeuvre de Dieu. Il ajoute donc: «Je vous le dis en vérité, tous les péchés seront remis», etc. Et en effet, tous les péchés, les blasphèmes ne sont pas indifféremment remis à tous les hommes; mais seulement à ceux qui font ici-bas une digne pénitence de leurs égarements. Ainsi il ne faut admettre ni l'erreur de Novatien, qui refusait le pardon aux martyrs qui étaient tombés, malgré leur repentir; ni l'erreur d'Origène, qui prétend qu'après le jugement universel, après les innombrables évolutions des siècles, les pécheurs obtiendront le pardon de leurs péchés. Notre-Seigneur combat cette erreur dans les paroles suivantes: «Celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit ne recevra jamais son pardon». - S. Chrys. Jésus-Christ déclare que le blasphème contre sa personne trouvera son pardon, parce qu'il avait paru sur la terre comme un homme méprisé et de basse extraction; mais l'outrage contre Dieu n'a point de pardon à espérer. Or, le blasphème contre le Saint-Esprit s'adresse directement à Dieu même. Car le règne de Dieu est l'oeuvre de l'Esprit saint, et c'est pour cela que Jésus-Christ déclare que le blasphème contre le Saint-Esprit ne sera jamais pardonné. Au lieu de ces paroles: «Mais il sera coupable d'un crime éternel», un autre Évangéliste (Mt 12) dit: «Il ne sera remis ni en ce monde ni en l'autre». Il faut entendre par là le jugement prescrit par la loi juive, et le jugement futur. La loi juive, en l'Ilot, condamnait à mort celui qui blasphémait contre Dieu (Lv 24, 15), et aux yeux de la loi nouvelle il est également sans excuse. Or, quiconque reçoit le baptême est par là même placé en dehors du siècle présent, et cette vertu du baptême qui remet les péchés était i gnorée des Juifs. Celui donc qui attribue au démon les miracles et l'expulsion des démons qui sont l'oeuvre propre de l'Esprit saint tout soûl, celui-là ne peut excuser son blasphème, et un blasphème aussi énorme ne peut être remis, parce qu'il est contre le Saint-Esprit. Or voici en quoi consistait ce blasphème: «Et ils disaient: Il est possédé de l'esprit immonde».

Théophyl. Il faut entendre qu'ils n'obtiendront pas leur pardon à moins qu'ils ne se repentent et ne fassent pénitence. Lorsqu'ils se scan dalisaient des humiliations qui étaient la conséquence de l'incarnation du Christ, même sans repentir, ils étaient tant soit peu excusables et obtenaient quelque chose du pardon de leur crime. - S. Jér. Ou bien ces paroles signifient que celui qui, reconnaissant Jésus pour le Christ, ose l'appeler le prince des démons, ne méritera point de faire pénitence, ni d'obtenir par là son pardon. - Bède. Toutefois, ceux qui ne croient pas à la divinité du Saint-Esprit ne sont pas coupables de ce blasphème irrémissible, parce que cette erreur est l'effet non point d'une malice diabolique, mais bien plutôt de l'ignorance humaine. - S. Aug. (serm. 11, chap. 12 sur les paroles du Seign). Ou bien encore, cette impénitence elle-même est le blasphème contre le Saint-Esprit, blasphème qui sera irrémissible. Car celui dont le coeur impénitent s'amasse un trésor de colère (Rm 2) se rend coupable de blasphème contra le Saint-Esprit, soit par ses pensées, soit par ses discours. L'Évangéliste ajoute: «Parce qu'ils disaient: Il est possédé d'un esprit immonde». Il veut montrer par là que Jésus-Christ prononce cet anathème contre les Juifs, parce qu'ils l'accusaient de chasser les démons au nom de Béelzébub. Ce n'est pas que ce fût là un blasphème absolument irrémissible, puisqu'on peut en obtenir le pardon par un repentir sincère; mais le Seigneur proféra cette terrible sentence, parce qu'ils l'accusaient de recourir à l'intervention de l'esprit immonde, et il leur démontre qu'il serait ainsi, divisé contre lui-même, tandis que le Sa int-Esprit unit par un lien indivisible ceux qu'il rassemble en pardonnant les péchés, qui de leur nature sont des principes de division intestine. Or il n'y a, pour rejeter ce don de la miséricorde divine, que celui dont le coeur est endurci par l'impénitence. En effet, dans un autre endroit, les Juifs accusèrent Jésus d'être possédé du démon (Jn 8), et cependant il ne les accuse point de blasphème contre le Saint-Esprit. C'est qu'alors ils ne mirent point en avant l'esprit immonde, et ne fournirent pas au Sauveur l'occasion de leur démontrer, par leur propre témoignage, qu'il serait divisé contre lui-même, comme le serait Béelzébub par la puissance duquel ils prétendaient que les démons pouvaient être chassés.


vv. 30-35

6330 Mc 3,30-35

Théophyl. Comme les parents du Sauveur, qui le croyaient atteints de folie, étaient venus pour s'emparer de sa personne, sa mère, conduite par son amour, vint le trouver. «Et sa mère et ses frères, dit l'Évangile, vinrent à lui». - S. Chrys. Ces paroles prouvent évidemment que sa mère et ses frères n'étaient pas toujours avec lui. Mais comme ils l'aimaient tendrement, ils viennent le trouver, conduits par le respect et l'affection, et ils l'attendent au dehors, «car toute la foule était assise autour de lui». - Bède. Les frères du Seigneur, dont il est ici question, lie sont pas, comme le prétend Helvidius, les fils de Marie, qui est restée toujours vierge, ni les fils de Joseph, qu'il aurait eus d'une autre épouse, selon l'opinion de quelques autres, mais simplement ses parents. - S. Chrys. Un autre Évangéliste dit (Jn 7) que ses frères ne croyaient pas encore en lui, ce qui se rapporte parfaitement à ce qui est dit ici, qu'ils le cherchaient et l'attendaient au dehors. Aussi, se conformant à leurs dispositions, il semble ne pas se souvenir qu'ils sont ses parents, et il répond: «Quelle est ma mère et qui sont mes frères ?» En parlant de la sorte, il ne renie ni sa mère, ni ses frères, mais il montre qu'il faut placer l'estime qu'on doit faire de son âme bien au-dessus de tous les liens du sang, et il donne cette leçon à ceux qui recherchaient la conversation de leurs proches, comme une chose plus utile que la doctrine du salut.

Bède. Malgré leurs instances, il n'en continue pas moins la prédication de la divine parole, non qu'il oubliât les devoirs de la piété filiale, mais afin de montrer qu'il se devait bien plus aux mystères de son Père qu'aux devoirs de la tendresse filiale envers sa mère. Il ne témoigne aucun mépris pour ses frères, mais il préfère les oeuvres spirituelles aux liens de la parenté, et il nous enseigne que le lien qui unit les coeurs est plus sacré que celui qui ne fait qu'unir les corps. «Et regardant ceux qui étaient assis autour de lui: Voici, dit-il, ma mère et mes frères». - S. Chrys. Notre-Seigneur nous apprend encore ici qu'il faut honorer plus que nos proches ceux qui nous sont unis par la foi. On devient la mère de Jésus par la prédication, car on lui donne une sorte de naissance en l'enfantant dans le coeur de ceux qu'on est chargé d'enseigner. - S. Jér. Or, sachons que nous sommes les frères et les soeurs de Jésus, à cette condition que nous accomplirons la volonté de son Père, afin d'être un jour ses cohéritiers, car Jésus discerne ses frères et ses soeurs d'après leurs actes et non d'après la différence des sexes. «Celui qui fait la volonté de mon Père est mon frère, etc». - théoph. Il ne refuse pas à sa mère ce titre glorieux, mais il montre qu'elle est digne de le porter, non-seulement parce qu'elle a enfanté le Christ, mais encore parce qu'elle est un modèle accompli de toutes les vertus.

Bède. Dans le sens mystique, la mère et le frère de Jésus sont la synagogue et le peuple juif, qui lui aussi est sorti de la synagogue. Ils ne peuvent entrer dans l'intérieur de la maison pendant que Jésus y enseigne, parce qu'ils ne s'appliquent point à entendre, dans le sens spirituel, ses divins oracles. Mais la foule prévient les Juifs et parvient jusqu'à Jésus, c'est-à-dire que, tandis que la nation juive ne s'empresse nullement de venir à Jésus, les Gentils affluent vers lui de toutes parts. Les parents de Jésus, qui se tiennent dehors, et qui veulent le voir, ce sont les Juifs, qui, se tenant dehors, se constituent gardiens de la lettre, et qui aiment mieux presser Jésus de sortir, pour leur donner un enseignement tout charnel, plutôt que d'entrer, pour recueillir sa doctrine toute spirituelle. Si donc, par cela seul qu'ils se tiennent dehors, Jésus ne voulut point reconnaître ses parents, comment nous reconnaîtra-t-il si nous restons dehors, car c'est au dedans qu'est le Verbe, c'est au dedans qu'est la lumière.


Catena Aurea 6223