Catena Aurea 6435


CHAPITRE V


vv. 1-20

6501 Mc 5,1-20

théoph. La question que s'étaient faite ceux qui étaient dans la barque: «Que pensez-vous que soit celui-ci ?» reçoit une éclatante réponse de la bouche même des ennemis du Sauveur. C'est un possédé du démon qui proclame qu'il est le Fils de Dieu, et l'Évangéliste commence en ces termes le récit de ce fait extraordinaire: «Et ils vinrent de l'autre côté de la mer dans le pays des Géraséniens». - Bède. Gérasa est une ville importante d'Arabie, située au delà du Jourdain, près de la montagne de Galaad, elle fut habitée par la tribu de Manassé, et n'est pas éloignée du lac de Tibériade dans lequel les pourceaux se précipitèrent. - S. Chrys. Cependant, les exemplaires les plus authentiques ne portent ni Géraséniens, ni Gadaréniens, mais Gergéséniens. Gérasa est une ville de Judée, aux environs de laquelle il n'y a point de mer; Gadara est une ville d'Arabie, près de laquelle également on ne trouve ni lac ni mer. Ce qui justifie donc d'une erreur flagrante les Évangélistes qui connaissaient parfaitement la Judée, c'est que Gergésa, d'où vient le nom de Gergéséniens, est une ville très-ancienne, située non loin de celle qui est appelée aujourd'hui Tibériade, auprès de laquelle se trouve le plus grand lac de Judée.

«Et comme Jésus descendait de la barque, tout-à-coup vint à lui, du milieu du sépulcre, un homme possédé de l'esprit impur». - S. Aug. (De l'acc. des Evang., 25, 24). Saint Matthieu rapporte qu'ils étaient deux possédés; saint Marc et saint Luc ne parlent que d'un seul; il faut donc entendre que l'un d'eux était un homme plus considérable et plus connu, dont tout le pays plaignait le triste sort. - S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth). Ou bien, peut-être saint Luc et saint Marc se sont-ils attachés à celui des deux qui était le plus malheureux, et dont ils dépeignent plus en détail le déplorable état. «Et personne ne pouvait le tenir lié, même avec des chaînes». Ces deux Évangélistes parlent donc d'un possédé, sans s'occuper du nombre. Peut-être ont-ils voulu par là faire ressortir davantage la puissance de celui qui devait le délivrer, car il est évident que celui qui pouvait guérir un tel possédé pouvait en guérir beaucoup d'autres. D'ailleurs, il n'y a ici aucune contradiction, puisque les deux Evangelistes ne disent pas que ce possédé était seul, ce qui les aurait mis en contradiction avec saint Matthieu. Or, ces démons habitaient dans les tombeaux, pour insinuer plus facilement aux hommes cette pernicieuse doctrine que les âmes des morts deviennent des démons.

S. Grég. DE NICE. Cependant, la troupe des démons s'était préparée à résister à la puissance divine. Lorsqu'ils voient s'approcher celui dont le pouvoir s'étend sur tout ce qui existe, ils proclament hautement la grandeur de sa puissance: «Voyant de loin Jésus, il accourut et l'adora, et, jetant un grand cri, il dit: Qu'y a-t-il de commun entre vous et moi, Fils du Dieu très -haut ?» - S. Cyr. Voyez le démon, partagé entre deux sentiments: l'audace et la crainte. Il résiste et prie tout à la fois; il semble adresser au Sauveur une question, pour savoir ce qu'il y a de commun entre Jésus et lui, dont voici le sens: Pourquoi me chassez-vous du corps des hommes, puisqu'ils sont à moi? - Bède. Quelle n'est pas l'impiété des Juifs d'oser dire que c'est par le prince des démons que Jésus chasse les démons, alors que les démons confessent qu'il n'a rien de commun avec eux. - S. Chrys. (hom. précéd). Il a recours ensuite aux supplications: «Je vous adjure, au nom de Dieu, ne me tourmentez pas». Ou bien, il considérait comme un supplice d'être chassé du corps de ce possédé, un la présence de Jésus le tourmentait d'une manière invisible. Malgré toute leur perversité, les démons savent cependant qu'un supplice les attend un jour en punition de leurs péchés; mais ils savaient aussi, à n'en pouvoir douter, que le temps du dernier châtiment n'était pas encore venu, puisqu'il leur était permis encore de vivre au milieu des hommes. Mais, comme d'un autre côté Jésus-Christ les avait surpris se livrant à des actes d'une méchanceté inouïe, ils pouvaient penser que l'excès de leur malice hâterait le temps de leur supplice, et c'est pour cela qu'ils le conjurent de ne point les tourmenter. - Bède. C'est en effet un grand tourment pour le démon de ne pouvoir plus continuer de faire du mal à l'homme, et il y renonce d'autant plus difficilement qu'il en est le maître depuis plus longtemps.

«Car Jésus lui disait: Esprit impur, sors de cet homme». - S. Cyr. Considérez l'invincible puissance de Jésus-Christ: il secoue et fait trembler Satan, et ses paroles sont pour lui comme le feu et la flamme, selon cette parole du Psalmiste: «Lés montagnes, c'est-à-dire les puissances orgueilleuses et superbes, se sont fondues comme de la cire devant la face du Seigneur» (Ps 96).

«Et il lui demanda: Quel est ton nom ?» - Théophyl. Si Notre-Seigneur fait cette question, ce n'est pas qu'il en eût besoin pour le connaître, mais pour apprendre à tous ceux qui étaient présents le grand nombre de démons qui étaient dans cet homme. - S. Chrys. S'il l'avait dit lui-même, on ont peut-être refusé de le croire, il veut donc, forcer les démons eux-mêmes de déclarer qu'ils sont en grand nombre: «Et il lui dit: Mon nom est légion, parce que nous sommes nombreux». Le démon ne précise pas le nombre, il se contente de dire qu'ils sont plusieurs; car la connaissance du nombre précis n'était pas nécessaire.

Bède. L'aveu public du mal affreux qui tourmentait ce possédé, rend plus précieuse et plus chère la puissance de celui qui devait le guérir. Aujourd'hui encore, les prêtres qui ont le pouvoir de chasser les démons par la grâce des exorcismes, avouent que les possédés ne peuvent être délivrés et guéris, qu'en confessant publiquement autant qu'ils peuvent le savoir, tout ce qu'ils ont à souffrir des esprits impurs par les divers sens de la vue, de l'ouïe, du goût, du toucher ou dans toute autre partie du corps.

«Et ils le priaient instamment de ne pas les chasser hors de ce pays». - S. Chrys. Saint Luc dit: «Dans l'abîme»; car l'abîme est cette profondeur qui s'étend au delà de ce monde, et c'est dans ces ténèbres extérieures, préparées à Satan et à ses anges, que les démons ont mérité d'être précipités. Notre-Seigneur aurait pu leur infliger ce supplice, il leur permit cependant de rester sur la terre, pour donner aux hommes, par leurs tentations, une occasion de victoires et de triomphes. - Théophyl. Il voulait aussi que nos fréquentes luttes avec eux, nous rendissent plus habiles dans l'exercice du combat.

«Or, il y avait là un grand troupeau de pourceaux qui paissaient le long de la montagne». - S. Aug. (de l'acc. des Evang., 2, 24). Saint Marc dit que ce troupeau paissait autour de la montagne; saint Luc, qu'il était sur la montagne; il n'y a en cela aucune contradiction, car ce troupeau pouvait être assez nombreux pour qu'une partie fut sur la montagne, et l'autre partie sur le penchant de la montagne.

«Et les démons le suppliaient en lui disant: Envoyez-nous dans ces pourceaux, afin que nous y entrions». - Rémi. (sur S. Matth). Ce n'est pas d'eux-mêmes qu'ils entrent dans ces pourceaux, mais sur la permission que le Sauveur leur accorde à leur demande; il veut nous apprendre par là que les démons ne peuvent jamais nuire aux hommes sans une permission divine. Ils ne demandent point d'être envoyés dans des hommes, parce que celui dont la puissance les tourmentait, leur apparaissait revêtu d'une forme humaine. Ils ne demandent pas non plus d'être envoyés dans des troupeaux de boeufs ou de moutons, parce que c'étaient des animaux purs destinés à être offerts à Dieu dans son temple; mais ils demandent d'être envoyés dans des pourceaux, car il n'est point d'animal plus immonde que le pourceau, et les démons ne se plaisent eux-mêmes que dans ce qui est immonde.

«Et Jésus leur accorda aussitôt». - Bède. Notre-Seigneur leur accorde cette permission pour que la mort de ces pourceaux devînt une occasion de salut pour les hommes. - S. ciiuys. (homélie 29 sur S. Matth). Il voulait aussi donner à tous les hommes une preuve de la fureur des démons contre eux, et des excès de méchanceté auxquels ils se porteraient, s'ils n'en étaient empêchés par la puissance divine; et comme sa bonté ne pouvait souffrir que les hommes fussent les victimes de leur malice, il leur permet d'entrer dans des pourceaux, pour faire éclater en eux toute leur force et leur fureur.

«Et ces esprits impurs, sortant du possédé», etc. - Tite de Bostr. Les gardiens des pourceaux s'enfuirent, pour éviter dépérir avec eux, et pour aller jeter l'alarme dans les cités voisines: «Ceux qui gardaient les troupeaux, s'enfuirent». Le dommage qu'ils venaient d'éprouver les amène au Sauveur, c'est ainsi que souvent Dieu répand ses bienfaits dans les âmes, alors qu'il les éprouve par la perte de leurs biens temporels: «Et ils vinrent trouver Jésus, et ils virent celui qui avait été tourmenté par le démon, assis», etc., c'est-à-dire qu'ils virent calme, tranquille, et vêtu aux pieds de son Sauveur celui que les chaînes ne pouvaient comprimer et qui ne pouvait souffrir aucun vêtement. «Et ils furent remplis de crainte». Ils apprennent toutes les circonstances de ce miracle, et par ce qu'ils voient, de leurs yeux, et par eu qu'ils entendent raconter: «Et ceux qui avaient été témoins du prodige, leur ayant rapporté, etc». - Théophyl .Le récit de ce miracle, les remplit d'étonnement et de frayeur, et ils conjurent Jésus de s'éloigner de leurs frontières, dans la crainte d'avoir quelque dommage semblable à souffrir. Ainsi le regret que leur inspire la perte de ces pourceaux leur fait renoncer aux bienfaits de la présence du Sauveur. - Bède. Peut-être aussi la connaissance qu'ils ont de leur faiblesse fait qu'ils se jugent indignes de cette divine présence.

«Comme il remontait dans la barque, celui qui avait été tourmenté par le démon le supplia qu'il lui permît d'aller avec lui». - Théophyl. Il craignait que les démons, venant à le rencontrer, ne s'emparassent de lui de nouveau. - Mais le Seigneur le renvoie dans sa maison en lui faisant comprendre que bien qu'absent, il le défendrait par sa puissance; il veut aussi que sa guérison miraculeuse serve au salut des autres: «Jésus ne voulut pas y consentir, mais il lui dit: Allez dans votre maison auprès des vôtres, et annoncez-leur les grandes grâces que vous avez reçues du Seigneur, et comment il a eu pitié de vous». Voyez l'humilité du Sauveur; il ne dit pas: Racontez toutes les grâces que je vous ai faites, mais toutes les grâces que le Seigneur vous a faites; c'est ainsi qu'il vous apprend à ne point rapporter à vous-mêmes, mais à Dieu seul le bien que vous pouvez faire. - S. Chrys. Le Sauveur qui défendait à tous ceux qu'il guérissait de publier leur guérison, commande avec raison à cet homme de raconter la sienne, parce que toute cette contrée en proie aux démons était privée, et de la connaissance et du culte du vrai Dieu. - Théophyl. Il exécute l'ordre du Seigneur, et tous ceux qui l'entendent, sont dans l'admiration: «Et cet homme s'en étant allé, commença à publier, dans la Décapole les grandes grâces que Jésus lui avait faites». - Bède. Dans le sens mystique, Géraza ou Gergeza, comme disent quelques-uns, signifie qui renvoie l'habitant ou l'étranger qui approche, parce qu'en effet le peuple des Gentils a chassé l'ennemi de son coeur, et que celui qui était éloigné s'est approché (Ep 2, 13). - S. Jér. Ce possédé du démon représente l'état désespéré des Gentils qui n'étaient retenus ni par la loi naturelle, ni par la crainte de Dieu ou des hommes. - Bède. Il habitait dans les tombeaux, c'est-à-dire qu'il se plaisait dans les oeuvres mortes qui sont les péchés. La nuit comme le jour, il était en fureur, figure du peuple des Gentils, qui dans la prospérité comme dans l'infortune, ne cessait d'être asservi sous le joug des esprits mauvais, habitait dans les tombeaux par la corruption de ses oeuvres, errait dans les montagnes par les excès de son orgueil, et se déchirait comme avec des pierres par les blasphèmes d'un coeur endurci par l'incrédulité. Le démon répond: «Légion est mon nom», parce que le peuple des Gentils était livré à diverses sortes d'idolâtrie. Ces esprits immondes, en sortant de cet homme, entrent dans les pourceaux et les précipitent dans la mer; c'est ainsi qu'après que le peuple des Gentils est délivré de la tyrannie des démons; ceux qui ont refusé de croire à Jésus-Christ sont condamnés à célébrer dans des retraites profondes leurs rites sacrilèges. - Théophyl. Ou bien c'est la figure des démons entrant dans les hommes dont la vie ressemble à celle des pourceaux, et qui se vautrent dans le bourbier de toutes les voluptés; les démons les précipitent dans l'océan de ce monde comme dans l'abîme de la perdition où ils sont étouffés et perdent la vie. - S. Jér. Ou bien ils sont étouffés dans les enfers par la violence d'une mort prématurée, sans qu'ils puissent avoir recours à la miséricorde, et ce châtiment inspire à un grand nombre un éloignement salutaire, parce que la vue des châtiments de l'insensé rende le sage plus prudent. - Bède. Le refus que fait Notre-Seigneur d'admettre à sa suite cet homme qui lui en faisait la demande, nous apprend qu'après avoir obtenu la rémission des péchés, chacun de nous doit entrer dans sa conscience purifiée par la grâce et se dévouer au service de l'Évangile pour le salut des autres, en attendant le repos éternel avec Jésus-Christ. - S. Grég. (Moral., 6, 17). Lorsque nous avons reçu une faible partie seulement de la connaissance divine, nous éprouvons du dégoût pour revenir aux choses de ce monde, et nous cherchons le repos de la contemplation, mais l'ordre de Dieu est que nous ne parvenions aux douceurs de la contemplation que par les fatigues et les sueurs de l'action. - S. Jér. Cet homme, après sa guérison, évangélise dans la Décapole; et c'est ainsi que les Juifs, attachés à la lettre du Décalogue, sont aujourd'hui convertis par les prédicateurs qui partent de l'empire romain.


vv. 21-34

6521 Mc 5,21-34

Théophyl. Après le miracle de la délivrance de ce possédé, Notre-Seigneur en opère un autre en ressuscitant la fille du chef de la synagogue et l'Évangéliste commence de la sorte le récit de ce miracle: «Et lorsque Jésus fut remonté dans la barque pour aller au delà de la mer». - S. Aug. (De l'accord des Evang., 2, 28). Il faut donc entendre que la résurrection de la fille du chef de la synagogue eut lieu après que Jésus eut de nouveau repassé la mer; mais combien de temps après, on ne le voit pas clairement. S'il n'y avait a ucun intervalle, on ne saurait où placer le festin que saint Matthieu donna dans sa maison, et auquel succède immédiatement la résurrection de la fille du chef de la synagogue. En effet, cet Évangéliste a tellement lié les différentes parties de son récit, que la transition elle-même indique clairement que ce fait a eu lieu dans l'ordre qu'il lui assigne dans sa narration (Mt 9, 18).

«Et un chef de la synagogue, nommé Jaïre, vint le trouver». - S. Chrys. L'Évangéliste donne le nom de cet homme, à cause d es Juifs, pour qui ce nom devenait une preuve de plus du miracle qu'il allait opérer. - suite. «Et dès qu'il le vit, il se jeta à ses pieds, et il le suppliait avec de grandes instances, en lui disant: Ma fille est à l'extrémité». D'après le récit de saint Matthieu, le chef de la synagogue apprend que sa fille est morte; d'après le récit de saint Marc, qu'elle était gravement malade, et ce n'est que lorsque Jésus se préparait à le suivre, qu'on vient annoncer à cet homme que sa fille est vraiment morte. Le récit de saint Matthieu tend au même résultat qui était de prouver que Notre-Seigneur avait ressuscité cette fille lorsqu'elle était réellement morte, et c'est pour abréger qu'il dit tout d'abord qu'elle était morte, parce qu'il était certain qu'elle l'était lorsque Notre-Seigneur la rendit à la vie. - S. Aug. (De l'accord des Evang., 2, 28). Il s'attache moins aux paroles de cet homme qu'à la pensée qui remplissait son âme, car il avait tellement perdu tout espoir que ce qu'il désirait, c'était de la voir rendre à la vie, et il ne croyait pas que le Sauveur pût trouver encore vivante celle qu'il avait laissée presque mourante. - Théophyl. Cet homme avait en partie la foi, puisqu'il tombe aux pieds de Jésus, mais cette foi n'était pas aussi grande qu'elle devait être, puisqu'il le suppliait de venir chez lui. Il devait simplement lui faire cette prière: «Dites une parole, et ma fille sera guérie».

«Jésus s'en alla avec lui, et voici qu'une femme malade d'une perte de sang», etc. - S. Chrys. Cette femme avait une espèce de célébrité et était connue de tous; c'est pourquoi elle n'osait approcher publiquement du Sauveur, ni se présenter devant lui, parce que la loi la déclarait immonde. Elle s'approche donc par derrière et en secret, parce qu'elle n'osa it le faire ouvertement, et encore ne touche-t-elle pas le vêtement, mais la frange du vêtement du Sauveur; ce n'est pas du reste la frange du vêtement, mais ses dispositions intérieures qui ont été la cause de sa guérison.

«Car elle disait: Si je touche seulement son vêtement, je serai sauvée». - Théophyl. Voyez comme elle est pleine de foi: elle espère être guérie, si elle parvient à toucher seulement la frange du vêlement du Sauveur, et cette foi lui obtient sa guérison: «Et aussitôt la source du sang qu'elle perdait fut desséchée». - S. Chrys. Jésus-Christ communique ses vertus et tous les dons de sa bienveillante volonté à tous ceux qui le touchent avec foi: «Et Jésus, connaissant en lui-même la vertu qui était sortie de lui, se retourna au mi lieu de la foule et dit: «Qui est-ce qui a touché mes vêtements ?» Les vertus du Sauveur sortent de sa personne divine, non d'une manière locale ou matérielle, et en cessant de demeurer en lui; comme elles sont incorporelles, elles sortent de lui pour se communiquer aux autres; mais sans cesser d'être dans celui d'où elles sont sorties, comme les connaissances que le docteur communique à ses disciples sans les perdre lui-même. Les paroles qui suivent: «Jésus connaissant en lui-même la vertu qui était sortie de lui», nous apprennent que ce n'est pas à son insu que cette femme fut guérie, mais qu'il le savait fort bien. S'il fait cependant cette question: «Qui m'a touché ?» bien qu'il sut parfaitement que c'était cette femme, c'est pour faire connaître son action, proclamer sa foi, et graver dans l'esprit de tous le souvenir de cette action miraculeuse: «Et ses disciples lui disaient: Vous voyez cette foule qui vous presse de toutes parts et vous dites: Qui m'a touché ?» Le Sauveur avait demandé: «Qui m'a touché ?» c'est-à-dire par les sentiments du coeur et par la foi; car cette foule qui me presse de toutes parts ne me touche pas véritablement, parce qu'elle ne s'approche de moi ni par l'esprit, ni par la foi.

«Et il regardait tout autour de lui pour voir celui qui l'avait touché». Notre-Seigneur voulait faire connaître cette femme, d'abord pour donner des éloges à sa foi, puis pour inspirer au chef de la synagogue la confiance que sa fille serait guérie de la même manière, et dissiper en même temps la frayeur dont cette femme était saisie. Elle craignait, en effet, parce qu'elle venait pour ainsi dire de dérober sa guérison: «Et cette femme, saisie de crainte et de frayeur», etc. - Bède. La question faite par le Sauveur tendait donc à faire avouer à cette femme sa longue infidélité, sa foi soudaine et sa guérison instantanée, et il voulait ainsi la confirmer dans la foi, et la donner en exemple aux autres: «Et il lui dit: Ma fille, votre foi vous a guérie. Allez en paix et soyez délivrée de votre maladie». Il ne lui dit pas: «Votre foi sera la cause de votre guérison, mais elle vous guérit à l'instant, c'est-à-dire: «Du moment que vous avez cru, vous avez été guérie». - S. Chrys. Il l'appelle sa fille, parce que c'est la foi qui a été le principe de sa guérison, et que c'est la foi en Jésus-Christ qui nous fait enfants de Dieu. - Théophyl. Il lui dit: «Allez en paix», c'est-à-dire: Soyez en repos, comme s'il lui disait: Allez, jouissez maintenant de la paix et du repos, vous qui jusqu'ici avez été dans les angoisses et les tourments. - S. Chrys. Ou bien encore, par ces paroles: «Allez en paix», le Sauveur veut l'établir dans celui qui est la fin et la réunion de tous les biens, c'est-à-dire en Dieu qui habite dans la paix, et il vous apprend en même temps que cette femme a été non-seulement guérie dans son corps, mais affranchie des causes de sa maladie, c'est-à-dire de ses péchés.

S. Jér. Dans le sens mystique, Jaïre, chef de la synagogue, vient à Jésus après la guérison de cette femme, et il représente le peuple d'Israël qui sera sauvé, lorsque la plénitude des nations sera entrée dans l'Eglise (Rm 11). Le nom de Jaïre signifie qui illumine ou qui est illuminé, et il figure le peuple juif qui, sorti des ombres de la lettre, est inondé des lumières de l'Esprit saint, se prosterne aux pieds de Jésus-Christ (c'est-à-dire s'humilie devant l'incarnation du Verbe), et le prie de rendre la vie à sa fille, car celui qui a la vie en lui-même cherche à communiquer la vie aux autres. C'est ainsi qu'Abraham, Moïse et Samuel prient pour leur peuple frappé de mort spirituelle, et Jésus se rend à leurs prières.

Bède. Pendant que Notre-Seigneur se dirige vers la maison de Jaïre pour guérir sa fille, la foule le presse de toutes parts; et c'est ainsi qu'au moment où il donne au peuple juif les enseignements du salut, il est comme accablé sous le poids des habitudes coupables de ce peuple charnel. Cette femme qui est atteinte d'une perte de sang et que le Seigneur guérit, représente l'Eglise qui a été formée des nations réunies; car cette perte de sang peut très-bien s'entendre des souillures du culte des idoles et de tous les crimes qui ont pour objet les plaisirs de la chair et du sang. Or, tandis que le Verbe de Dieu se disposait à sauver le peuple juif, le peuple des nations, plein d'une ferme espérance, dérobe pour ainsi dire le salut préparé et promis à d'autres. - Théophyl. On peut encore, dans cette hémorrhoïsse, voir la nature humaine; car le péché, en nous donnant la mort, coulait pour ainsi dire en répandant le sang de notre âme. Un grand nombre de médecins (c'est-à-dire les sages de ce monde) avaient inutilement cherché à guérir cette femme. La loi et les prophètes avaient été également impuissants; mais dès qu'elle a touché le bord du vêtement (c'est-à-dire la chair) de Jésus-Christ, elle est aussitôt guérie; car toucher le bord des vêtements du Sauveur, c'est croire au Fils de Dieu incarné. - Bède. Jésus n'est touché que par une femme fidèle, alors que la foule le presse de toutes parts, c'est-à-dire qu'il est accablé sous le poids des fausses doctrines des hérétiques ou des moeurs perverses des mauvais chrétiens, tandis qu'il ne reçoit que de la seule Eglise catholique un culte fidèle. L'Eglise, formée des nations, s'approche de Jésus par derrière, car elle n'a pas vu le Seigneur dans sa chair, et ce n'est qu'après l'accomplissement des mystères de l'incarnation qu'elle est parvenue à la foi en Jésus-Christ; et en méritant d'être guérie de ses péchés par la participation aux sacrements du Sauveur, elle a comme tari par le contact de ses vêtements la source du sang qui s'écoulait. Or, Notre-Seigneur regarde tout autour pour voir celle qui l'a touchée, parce qu'il juge dignes des regards de sa miséricorde tous ceux qui méritent la grâce du salut.


vv. 35-43

6535 Mc 5,35-43

Théophyl. Les serviteurs du chef de la synagogue ne voyaient dans Jésus-Christ qu'un prophète, et ils regardaient comme nécessaire qu'il vînt prier sur la jeune fille mourante pour la guérir. Mais comme elle venait d'expirer, ils conclurent que tonte prière était inutile: «Il parlait encore, lorsque les gens du chef de la synagogue vinrent lui dire: Votre fille est morte, pourquoi fatiguer davantage le Maître ?» Mais Notre-Seigneur veut amener le père de cette jeune fille à reconnaître la puissance de Dieu: «Jésus, ayant entendu cette parole, dit au chef de la synagogue: Ne craignez rien, et croyez seulement». - S. Aug. (De l'accord des Evang., 2, 28). Nous ne lisons pas que cet homme ait partagé les sentiments des gens de sa maison qui s'opposaient à ce que le Maître vînt chez lui, et ces paroles que Jésus lui adresse: «Ne craignez point, croyez seulement», ne sont point un reproche de défiance, mais tendent simplement à rendre sa foi plus forte et plus robuste. Mais si saint Marc avait mis dans la bouche du chef de la synagogue les paroles des gens de sa maison, qu'il fallait cesser de fatiguer Jésus, ces paroles seraient eu contradiction avec le langage que lui prête saint Matthieu lorsqu'il lui fait annoncer à Jésus que sa fille était morte.

«Et il ne permit à personne de le suivre, si ce n'est à Pierre, à Jacques et à Jean, frère de Jacques». - Théophyl. Car le Sauveur, plein d'humilité, n'a voulu rien faire par ostentation.

«En arrivant à la maison du chef de la synagogue, il vit une troupe confuse de gens qui pleuraient et qui poussaient de grands cris». - S. Chrys. Mais pour lui, il leur défend ces pleurs et ces cris, comme si la jeune fille n'était pas morte, mais simplement endormie: «Et étant entré, il leur dit: Pourquoi vous troubler et pleurer de la sorte ?» - S. Jér. On est venu dire à Jaïre: «Votre fille est morte»; Jésus, au contraire, dit: «Elle n'est pas morte, mais elle dort». Ces deux manières de parler sont également vraies, car Jésus semble dire: «Elle est morte à vos yeux, mais pour moi elle ne fait que dormir». - Bède. Elle était morte, en effet, pour les hommes qui ne pouvaient la ressusciter, mais elle dormait aux yeux de Dieu, dans le sein duquel son âme vivait d'une vie immortelle, et dont la Providence veillait sur sa chair qui reposait dans l'attente de la résurrection, et c'est de là qu'est venue chez les chrétiens la coutume d'appeler ceux qui dorment les morts dont la résurrection est pour eux certaine (1Th 4).

«Et ils se moquaient de lui». - Théophyl. Ils se moquent de lui, comme s'il ne pouvait rien faire de plus; mais il leur prouve ainsi par leur propre témoignage, que s'il la ressuscite, ce sera littéralement des bras de la mort, et que cette résurrection sera vraiment miraculeuse. - Bède. Mais comme au lieu de croire aux paroles de celui qui a le pouvoir de ressusciter, ils ont mieux aimé s'en moquer, Notre-Seigneur les fait justement sortir et les juge indignes d'être témoins de la puissance de celui qui ressuscite, et de la résurrection mystérieuse de cette jeune fille: «Mais lui, les ayant tous renvoyés», etc. - S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth). Ou bien, c'est pour éviter toute apparence d'ostentation qu'il ne permet pas à tous de rester avec lui; mais il retient les trois principaux d'entre ses disciples pour rendre plus tard témoignage à sa puissance divine, et le père et la mère de la jeune fille, comme plus nécessaires que tous les autres. C'est en touchant de la main cette jeune fille et en lui adressant la parole qu'il lui rend la vie: «Et prenant la main de la jeune fille, il lui dit: Thabitha cumi», que l'on interprète ainsi: Jeune fille, je vous le commande, levez-vous; car la main de Jésus étant elle-même pleine de vie, rend la vie à ce cadavre, et sa parole la soulève de son lit de mort: «Et aussitôt, ajoute l'Évangéliste, la jeune fille se leva, et se mit à marcher». - S. Jér. (Du meilleur mode d'interprét. à Pammach., let. 101). Il s'en trouvera peut-être qui accuseront d'erreur l'Évangéliste pour avoir ajouté: «Je vous le dis», alors que dans la langue hébraïque Thabitha cumi veut dire simplement: «Jeune fille, levez-vous»; mais cette addition, dans l'esprit de l'Évangéliste, a uniquement pour objet d'exprimer la pensée de celui qui appe lle cette jeune fille et le commandement qu'il lui fait.

«Et elle était âgée de douze ans». - La Glose. L'Évangéliste ajoute cette circonstance pour montrer que cette jeune fille était dans l'âge de marcher. Or, en marchant, elle prouvait à tous non-seulement qu'elle était ressuscitée, mais que sa guérison était entière et parfaite. - suite. «Et ils furent tous frappés de stupeur», etc., et Jésus ordonna de lui donner à manger». - S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth). Nouvelle preuve que sa résurrection était véritable et non pas seulement apparente.

Bède. Dans le sens allégorique, la fille du chef de la synagogue dont ou vient annoncer la mort, au moment où cette femme était guérie d'une perte de sang, est la figure de la synagogue qui, lorsque l'Eglise formée des nations est purifiée des souillures de ses vices, et reçoit le nom de fille à cause du mérite de sa foi, succombe victime de sa perfidie et de son envie; de sa perfidie, parce qu'elle a refusé de croire en Jésus-Christ; de sa jalousie, parce qu'elle a vu avec peine que l'Eglise embrassait la foi. Ce langage des serviteurs du chef de la synagogue est encore aujourd'hui sur les lèvres de ceux qui regardent la synagogue comme entièrement abandonnée de Dieu, sans espérance aucune de rétablissement, et qui pensent qu'il est mutile de demander à Dieu sa résurrection. Mais si le chef de la synagogue, c'est-à-dire si l'assemblée des docteurs de la loi veut embrasser la foi, la synagogue qui lui est soumise sera sauvée. Remarquez qu'elle est étendue morte au milieu de cette multitude qui pleure et pousse des cris, parce que son incrédulité lui a fait perdre la joie qu'elle goûtait dans la présence du Seigneur. Le Sauveur ressuscite cette jeune fille en lui prenant la main, pour nous apprendre que la synagogue frappée de mort ne peut ressusciter, si les Juifs ne purifient d'abord leurs mains pleines de sang (Is 1). La guérison de l'hémorrhoïsse et la résurrection de cette jeune fille sont la figure du salut du genre humain, pour lequel Dieu a établi cet ordre: que quelques-uns du peuple d'Israël embrasseraient d'abord la foi, puis la plénitude des nations entrerait dans l'Eglise, et ensuite tout Israël serait sauvé (Rm 11). Cette jeune fille était âgée de douze ans, et cette femme avait souffert douze ans entiers, parce que les péchés des Juifs incrédules ne furent découverts que lorsque les premiers fidèles embrassèrent la foi selon ces paroles de l'Ecriture: «Abraham crut à la parole de Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice».

S. Grég. (Moral., 4, 25). Au sens moral, voici ce que représentent cette jeune fille ressuscitée dans la maison, le jeune homme rendu à la vie hors des portes de la ville, et Lazare rappelé du sépulcre où il était depuis quatre jours. Celui qui est étendu sans vie dans l'intérieur de la maison, c'est celui dont le péché reste encore caché; celui que l'on conduit hors des portes de la ville, c'est le pécheur dont l'iniquité pousse la démence jusqu'à s'afficher en public; celui enfin qui est comme comprimé sous la pierre du sépulcre figure le pécheur, qui à force de commettre le mal se trouve comme accablé sous le poids de l'habitude.

Bède. Remarquez encore que les fautes plus légères et que nous commettons tous les jours peuvent être effacées par une pénitence moins sévère; c'est ainsi que le Seigneur n'emploie que cette parole simple et facile: «Jeune fille, levez-vous», pour ressusciter cette jeune fille qui était encore dans son lit. Mais lorsqu'il fallut arracher aux horreurs du tombeau ce mort de quatre jours, il frémit en son esprit, il se troubla lui-même, il répandit des larmes (Jn 11). Plus donc la mort de l'âme est grave et profonde, et plus aussi la pénitence doit être sévère et fervente. Remarquez encore qu'à des fautes publiques il faut un remède public, et c'est pour cela que Lazare sort du tombeau aux yeux de tout le peuple qui est présent, tandis que les fautes légères n'ont besoin pour être effacées que d'une pénitence secrète; ainsi cette jeune fille, étendue sur son lit, ressuscite devant un petit nombre de témoins, et encore leur recommande-t-on de n'en rien dire. Notre-Seigneur chasse même dehors la foule qui remplissait la maison avant de ressusciter cette jeune fille, parce qu'en effet l'âme frappée de mort spirituelle ne peut revenir à la vie qu'après a voir chassé des parties les plus secrètes de son coeur la multitude des préoccupations du siècle. Elle se met à marcher aussitôt qu'elle est ressuscitée, parce que l'âme qui sort de la mort du péché ne doit pas seulement se séparer des souillures de ses crimes, mais marcher dans la pratique des bonnes oeuvres. Elle doit aussi se hâter de se nourrir du pain céleste, c'est-à-dire de la parole divine et de la participation du sacrement de l'autel.


Catena Aurea 6435