Catena Aurea 4909

v. 9

4909 Mt 19,9

S. Chrys. (hom. 62). Après leur avoir ainsi fermé la bouche, Notre-Seigneur établit d'autorité la loi en ces termes: «Aussi je vous déclare que quiconque aura renvoyé son épouse», etc. - Orig. On dira peut-être que Jésus, par ces paroles: «Quiconque aura renvoyé sa femme, si ce n'est en cas d'adultère», a donc permis au mari de renvoyer son épouse, aussi bien que Moïse, qui, au témoignage du Sauveur, leur a donné cette permission à cause de la dureté de leur coeur. Nous répondons que l'adultère, crime pour lequel, selon la loi, on devait être lapidé (Jn 8,5 Lv 20,20 Dt 22,22), n'est point ce défaut honteux, pour lequel Moïse permet de donner l'acte de répudiation; car, dans le cas d'adultère, cet acte de répudiation n'était pas nécessaire. Peut-être Moïse a-t-il voulu désigner, par cette chose honteuse, toute faute commise par la femme qui autorise le mari à lui donner un acte de répudiation. Mais s'il n'est permis de renvoyer sa femme que pour le seul crime d'adultère, que doit-on faire si une femme, innocente de ce crime, est coupable d'un crime plus énorme, comme d'avoir empoi sonné ou mis à mort ses enfants? Le Seigneur a tranché cette difficulté dans un autre endroit en ces termes (Mt 5,32): «Quiconque renverra sa femme, si ce n'est pour cause d'adultère, la fait tomber dans l'adultère en l'exposant à contracter un second mariage.

S. Jér. Il n'y a donc que l'adultère qui puisse triompher de l'affection qu'on doit à son épouse; en effet, dès lors qu'elle a partagé son corps avec un autre, et que par le crime de la fornication elle s'est séparée de son mari, il ne doit point la garder, de peur de tomber lui-même sous cette malédiction de l'Écriture: «Celui qui retient une adultère est insensé et mé chant». (). - S. Chrys. (sur S. Matth). De même qu'un homme se rendrait coupable de cruauté et d'injustice en renvoyant une femme chaste, ainsi serait il insensé et ini que s'il retenait une adultère, car c'est patronner l'infamie que de dissimuler le crime d'une épouse - S. Aug. (Des mariages adult. 2, 9) Cependant, après que le crime d'adultère a été commis et expié, la réconciliation des époux ne doit être ni difficile, ni regardée comme hon teuse, alors que les clefs du royaume des cieux donnent la certitude de la rémission des pé chés; ce n'est pas sans doute que le mari doive rappeler sa femme adultère après la séparation, mais il ne doit plus la traiter d'adultère après qu'elle a été jugée digne de l'union de Jésus-Christ.

S. Chrys. (sur S. Matth). Toute chose se détruit par les mêmes causes qui l'ont fait naître; or, ce n'est point l'acte du mariage, mais la volonté des époux qui constitue l'union conjugale; donc ce n'est pas la séparation du corps qui la détruit, mais la séparation de volonté. Celui donc qui se sépare de son épouse, sans en prendre une autre, reste toujours l'époux de la pre mière; car, bien qu'il en soit séparé de corps, il lui reste uni par la volonté; ce n'est que lors qu'il en a pris une autre que la séparation est complète et absolue. Aussi Notre-Seigneur ne dit pas: Celui qui renvoie son épouse est adultère, mais: «Celui qui en prend une autre». - Remi. Il n'y a qu'une seule raison matérielle qui puisse légitimer le renvoi d'une épouse: c'est l'adultère; il n'y a qu'une seule raison spirituelle, et c'est la crainte de Dieu; mais il n'en est aucune qui permette de prendre une autre épouse du vivant de celle qu'on a renvoyée. - S. Jér. Il pouvait facilement arriver qu'un homme calomniât une épouse innocente, et lui imputât un crime imaginaire, afin de pouvoir contracter un second mariage. En perme ttant donc de renvoyer la première femme, le Sauveur défend d'en prendre une autre du vivant de la pre mière. Et encore, comme il pouvait également se faire qu'en vertu de la même loi, une femme donnât à son mari un acte de répudiation, la même défense lui est faite de prendre un second mari. Notre-Seigneur va plus loin: une femme de mauvaise vie et qui s'est rendue coupable d'adultère ne craint pas beaucoup l'opprobre; il est défendu à celui qui voudrait devenir son second mari de la prendre, sous peine du crime d'adultère. «Et celui qui épouse celle qu'un autre a renvoyée commet aussi un adultère». - La Glose. Notre-Seigneur veut effrayer celui qui prendrait cette femme, parce qu'une adultère ne redoute ni la honte, ni l'opprobre.


vv. 10-12

4910 Mt 19,10-12

S. Jér. C'est un lourd fardeau qu'une épouse, s'il n'est point permis de s'en séparer, sauf le cas d'adultère. Eh quoi ! si elle est sujette à l'ivrognerie, à la colère, si elle est de moeurs licen cieuses, faudra-t-il donc la garder? C'est en considérant ce joug pesant du mariage, que les Apôtres expriment leur sentiment: Ses disciples lui dirent: «Si la condition d'un homme est telle à l'égard de sa femme, il n'est pas avantageux de se marier». - S. Chrys. (hom. 62). Car il est plus facile de lutter contre la concupiscence et contre soi-même que contre une mauvaise femme. - S. Chrys. (sur S. Matth). Or, le Seigneur ne répond point que cela est avan tageux, au contraire, il convient avec eux que ce n'est pas avantageux; mais il tient compte en même temps de l'infirmité de la chair, et il ajoute: «Tous ne comprennent pas cette parole», c'est-à-dire tous ne sont pas capables de cette résolution. - S. Jér. Gardons-nous de penser qu'en disant: «Ceux à qui il a été donné», le Sauveur ait voulu parler du destin ou du hasard, en ce sens que ceux qui ont reçu le don de la virginité, n'en soient redevables qu'au hasard; car ce don est accordé à ceux qui l'ont demandé à Dieu, qui l'ont voulu, et qui ont fait des efforts pour l'obtenir. - S. Chrys. (sur S. Matth). Si donc tous ne comprennent pas cette parole, c'est qu'ils ne veulent pas la comprendre. La palme est offerte à tous, que celui qui désire la gloire, ne pense pas à la fatigue, personne ne pourrait remporter la victoire, si tous craignaient le danger. De ce qu'il en est qui ne tiennent pas la résolution qu'ils ont prise d'être chastes, nous ne devons pas en être plus négligents dans la pratique de cette vertu; ainsi ceux qui tombent sur le champ de bataille n'amortissent pas le courage des autres. En s'exprimant de la sorte: «Ceux à qui il a été donné», le Sauveur nous apprend que sans le secours de la grâce, tous nos efforts seraient inutiles. Or, ce secours de la grâce n'est jamais refusé à ceux qui le demandent; car le Seigneur a dit: «Demandez et vous recevrez». S. Chrys. (hom. 62). Il prouve ensuite la possibilité de cette vertu, en ajoutant: «Il y a des eunuques», etc., paroles dont voici le sens: Pensez à ce que vous feriez si vous étiez devenu eunuque par la main des hommes. Vous seriez privé et de la volupté, et de la récompense de la chasteté. - S. Chrys. (sur S. Matth). De même que l'action séparée de la volupté ne peut constituer le péché, ainsi l'acte, sans la volonté, ne peut être imputé à justice. La chasteté, vraiment méri toire et glorieuse, n'est donc pas celle qui vient de l'impuissance d'un corps incapable d'enfreindre cette vertu, mais celle qui résulte de la résolution libre et sainte de garder la conti nence.

S. Jér. Il établit donc trois genres d'eunuques, deux dans le sens matériel, et le troisième dans le sens spirituel: les uns sont nés ainsi dès le sein de leur mère; les autres sont ceux que la captivité a rendu tels, ou qui ont été mutilés pour le plaisir des personnes de qualité; les troi sièmes sont ceux qui se sont faits eunuques eux-mêmes pour le royaume des cieux, et qui, pouvant être des hommes jouissant de la virilité, se sont faits eunuques par amour pour Jésus-Christ; c'est à ces derniers qu'il promet la récompense; mais les autres, pour qui la chasteté est une nécessité et non pas un sacrifice volontaire, n'ont rien à espérer. - S. Hil. D'un côté nous voyons la nature dans celui qui est eunuque de naissance, de l'autre, la nécessité dans celui qui l'est devenu de la main des hommes, de l'autre, enfin, la volonté dans celui qui a ré solu de vi vre tel, dans l'espérance du royaume des cieux. - S. Chrys. (sur S. Matth). Qu'il y en ait qui soit eunuques de naissance, on ne peut l'attribuer qu'à la création, de même que ceux qui naissent avec six ou quatre doigts; car si Dieu laissait la nature de chacun des êtres créés suivre d'une manière immuable l'ordre qu'il a établi dès le commencement, les hommes finiraient par oublier l'opération de la toute-puissance divine. C'est pourquoi la nature des choses contrevient de temps en temps aux lois naturelles établies, pour rappeler sans cesse au souvenir des hommes, que Dieu est l'artisan souverain de la nature.

S. Jér. Nous pouvons donner une autre explication: Ceux qui sont eunuques dès le sein de leur mère sont ceux qui sont d'un tempérament froid et sans inclination pour le plaisir; ceux qui le sont par le fait des hommes, sont ceux que les médecins ont faits eunuques ou à qui on fait prendre les moeurs efféminées des femmes pour servir au culte des idoles; ou bien ceux qui, à la persuasion des hérétiques, simulent la chasteté pour se couvrir des dehors trompeurs de la vraie religion. Or, aucun d'eux n'obtiendra le royaume des cieux, à l'exception de ceux qui se sont rendus eunuques pour Jésus-Christ. C'est pour cela que le Sauveur ajoute: «Qui peut comprendre ceci le comprenne». C'est-à-dire que chacun interroge ses forces pour voir s'il peut remplir les devoirs qu'impose la virginité et la pureté. La chasteté a des charmes natu rels, elle attire à soi tout le monde, mais il faut que chacun examine ses forces, et que celui qui peut comprendre comprenne». C'est la parole du Seigneur qui exhorte ses soldats, et les ap pelle à conquérir la palme de la chasteté, et il leur tient ce langage: «Que celui qui peut com battre, ne refuse pas le combat, qu'il remporte la victoire et qu'il triomphe». - S. Chrys. (hom. 62). Lorsque le Seigneur dit qu'il en est qui se sont faits eunuques, il ne veut point parler du retranchement d'aucun membre, mais de la mortification des pensées mauvaises; car celui qui se mutile lui-même est soumis à la malédiction, parce qu'il se rend coupable du crime des homicides, donne occasion aux Manichéens de rabaisser la créature, et qu'il imite la conduite des païens qui se mutilent ainsi eux-mêmes; la pensée de se retrancher un membre ne peut venir que d'une tentation du démon. D'ailleurs, en agissant ainsi, on n'éteint pas les feux de la concupiscence, on ne fait que les irriter, puisque le sperme qui est en nous a d'autres sources, et surtout dans les désirs impurs et dans la négligence de l'âme. Si l'âme est mortifiée, elle n'a rien à craindre des mouvements naturels de la concupiscence; de même que cette mutilation d'un membre ne suffit pas pour réprimer les tentations, et pour donner la paix à l'âme, en mettant comme un frein aux pensées mauvaises.


vv. 13-15

4913 Mt 19,13-15

S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur venait de parler de la chasteté; quelques-uns de ceux qui l'avaient écouté lui présentèrent des enfants d'une grande pureté, car ils pensaient que le Sauveur n'avait relevé le mérite que de la pureté du corps: «On lui présenta alors des en fants»,etc. - Orig. Ils savaient par l'expérience de ses miracles que l'imposition seule de ses mains, jointe à la prière, suffisait pour repousser tout accident funeste; ils lui présentent donc des enfants, dans la pensée, qu'après que le Seigneur leur aurait communiqué, en les touchant, une vertu toute divine, ils seraient à l'abri de tout malheur, et des attaques du démon (cf. Ps 111,6). - Remi. C'était une coutume chez les anciens de présenter les petits enfants aux vieillards, pour que ces derniers pussent les bénir de la main ou par leurs paroles, et c'est en vertu de cet usage que ces petits enfants sont présentés au Seigneur.

S. Chrys. (sur S. Matth). L'homme charnel, qui ne peut se réjouir dans le bien, l'oublie faci lement, tandis qu'il ne perd jamais le souvenir du mal qu'il a entendu. Jésus venait à peine de prendre un enfant et de dire: «Si vous ne devenez comme cet enfant, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux», et voilà qu'aussitôt les disciples, oubliant l'innocence de cet âge, éloi gnaient les enfants du Sauveur comme indignes de s'approcher de lui. «Et comme ses disciples les repoussaient», etc. - S. Jér. Ce n'est pas qu'ils voulussent s'opposer à ce que Jésus les bénît de la main et de la voix, mais n'ayant pas encore une foi très grande, ils s'imaginaient qu'en cela, semblable aux autres hommes, le Sauveur était fatigué de l'importunité de ceux qui lui présentaient ces enfants. - S. Chrys. (hom. 62). Ou bien encore, les disciples repoussaient les enfants par égard pour la dignité de Jésus-Christ; mais le Seigneur, voulant les former à l'humilité et leur apprendre à fouler aux pieds les prétentions de l'orgueil humain, prend ces petits enfants, les tient dans ses bras, et promet le royaume des cieux à ceux qui leur ressem blent. «Et Jésus leur dit: Laissez les enfants, et ne les empêchez pas», etc. - S. Chrys. (sur S. Matth). Qui mériterait, en effet, d'approcher de Jésus si on éloigne de lui la simplicité de l'enfance? Aussi ajoute-t-il: «Et ne les empêchez pas», etc.; car, s'ils doivent être un jour des saints, pourquoi défendre aux fils d'approcher de leur père; et s'ils doivent devenir pé cheurs, pourquoi prononcer la sentence de condamnation avant d'avoir vu leurs fautes. - S. Jér. C'est avec dessein qu'il dit: «C'est à ceux qui leur ressemblent qu'appartient le royaume des cieux», et non pas «à ceux-ci»; il veut montrer que ce n'est pas à l'âge, mais à la pureté des moeurs qu'appartient le royaume des cieux, et que c'est à ceux qui imitent leur innocence et leur simplicité que la récompense est promise.

«Et lorsqu'il leur eut imposé les mains»,etc. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ce passage de l'Évangile apprend à tous les parents qu'ils doivent présenter leurs enfants aux prêtres; car ce n'est pas le prêtre qui leur impose alors les mains, c'est Jésus-Christ, au nom duquel se fait cette imposition. En effet, si celui qui offre à Dieu par la prière la nourriture qu'il va prendre, mange cette nourriture, sanctifiée par la parole de Dieu et la prière, selon la doctrine expresse de l'Apôtre (1Tm 4,5), combien plus est-il nécessaire d'offrir les enfants à Dieu pour qu'il les sanctifie. La raison pour laquelle nous bénissons notre nourriture avant de la prendre, c'est que le monde tout entier est sous l'empire de l'esprit malin (1Jn 5,19), et que, par consé quent, toutes les choses corporelles qui forment une grande partie du monde créé lui sont sou mises; les enfants eux-mêmes, lorsqu'ils viennent au monde, sont donc également sous son empire quant à leur corps.

Orig. Dans le sens mystique, nous appelons enfants ceux qui sont encore charnels en Jésus-Christ, et qui ont encore besoin de lait (1Co 3). Ceux au contraire, qui professen t la doctrine du Verbe, mais qui sont encore simples et nourris d'un enseignement approprié à la faiblesse du jeune âge, sont encore novices, ce sont eux qui présentent au Sauveur les enfants et les petits; mais ceux qui sont plus parfaits, c'est-à-dire les disciples de Jésus, avant de connaître les dispositions de la justice divine à l'égard des enfants, s'élèvent contre ceux qui, à l'aide d'une doctrine élémentaire, présentent à Jésus-Christ les enfants et les petits, c'est-à-dire les moins instruits. Or, le Seigneur veut apprendre à ses disciples parvenus à la maturité de l'âge, à condescendre à la faiblesse des enfants et aux exigences de leur âge, et à devenir comme des enfants pour les enfants, afin de les gagner à Jésus-Christ, et il leur dit: «Le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent, car lui-même, qui avait la nature de Dieu, a daigné se faire enfant» (1 Ph 2). Voilà donc ce qu'il nous faut considérer attenti vement afin que le désir d'une sagesse plus excellente et d'un progrès spi rituel plus avancé ne nous porte à mépriser les petits enfants comme si nous étions au-dessus d'eux, et à les empê cher de s'approcher de Jésus. Et comme les enfants ne sont pas capables de suivre tous les enseignements de Jésus, il leur impose les mains, et après leur avoir communiqué une vertu particulière par ce divin attouchement, il les laisse comme étant encore incapables de le suivre, à l'exemple des autres disciples plus parfaits. - Remi. Il bénit les enfants en leur imposant les mains, pour signifier que les humbles d'esprit sont dignes de sa grâce et de sa bénédiction. - La Glose. Il leur imposa aussi les mains pour marquer que la grâce du secours divin serait départie à ceux dont la pureté égale l'humilité. - S. Hil. (can. 19 sur S. Matth). Les enfants sont encore la figure des Gentils qui ont retrouvé le salut par la foi et par ce qu'ils ont entendu. Cependant les disciples, dans le désir qu'ils ont de sauver d'abord le peuple d'Israël, les empê chent d'approcher. Le Seigneur, alors, leur défend de les éloigner; car le don du Saint-Esprit devait être accordé aux Gentils par l'imposition des mains et par la prière, après l'abolition des prescriptions légales.


vv. 16-22

4916 Mt 19,16-22

Rab. Ce jeune homme avait peut-être entendu dire à Notre-Seigneur que ceux-là seuls étaient dignes d'entrer dans le royaume des cieux, qui s'appliquent à devenir semblables aux petits enfants, mais il veut en être plus certain, il demande donc qu'on lui explique, non point en pa raboles, mais en termes clairs, par quels moyens on peut mériter la vie éternelle: «Alors un jeune homme s'approcha, et lui dit: Bon maître, quel bien faut-il que je fasse», etc. - S. Jér. Celui qui fait cette question est un jeune homme riche et plein de lui-même, il interroge, non par le désir d'apprendre, mais pour tenter le Seigneur, et la preuve, c'est qu'après que Jésus lui eut répondu: «Si vous voulez entrer dans la vie, gardez les commandements», il demande de nouveau artificieusement, quels sont ces commandements, comme s'il ne les avait pas lus bien des fois, ou comme si le Sauveur pouvait lui commander des choses contraires aux préceptes divins. - S. Chrys. (hom. 63). Je n'hésite pas à dire que ce jeune homme était esclave de l'avarice et de l'amour des richesses, puisque le Seigneur lui-même lui a reproché ce vice; mais je ne puis le regarder en aucune façon comme un hypocrite, parce qu'il est dangereux de juger en matière incertaine, surtout lorsqu'il s'agit d'accuser. En effet, saint Marc détruit entièrement ce soupçon, car il rapporte que ce t homme accourut, et se mit à genoux devant Jésus pour lui faire cette question, et que Jésus, l'ayant regardé, conçut pour lui de l'affection. Or, s'il était venu pour le tenter, l'Évangéliste nous l'aurait fait remarquer, comme il le fait ordinairement pour les autres, et en supposant qu'il eût gardé le silence sur ce point, le Sauveur n'aurait pas permis que son hypocrisie demeurât cachée, mais il lui en aurait fait des reproches publics, ou il l'en aurait repris en secret, ce qu'il ne fait en aucune façon, car voici la suite du récit: «Et il lui dit: Pourquoi m'appelez-vous bon ?»

S. Aug. (de l'accord des évang., 2, 63). Il y a, ce semble, une différence assez grande entre ce que dit ici saint Matthieu: «Pourquoi me demandez-vous le bien que vous devez faire ?» et celles que rapportent saint Marc et saint Luc: «Pourquoi m'appelez-vous bon ?» La première variante: «Pourquoi me demandez-vous le bien que vous devez faire ?» se rapporte plus di rectement à cette question: «Quel bien faut-il que je fasse ?»Car ce jeune homme y parle expressément du bien, et en fait l'objet même de sa question, tandis qu'en disant: «Bon maî tre», il n'interroge pas encore. On peut donc admettre parfaitement que Notre-Seigneur lui a répondu par ces deux questions: «Pourquoi m'appelez-vous bon, et pourquoi m'interrogez-vous sur le bien que vous devez faire ?» - S. Jér. Comme ce jeune homme l'avait appelé bon maître, mais sans reconnaître qu'il était Dieu ou le Fils de Dieu, Jésus lui répond qu'aucun homme, quelque saint qu'il soit, n'est bon en comparaison de Dieu, dont il est dit: «Louez le Seigneur, parce qu'il est bon (Ps 105,1 Ps 106,1 Ps 117,1 Ps 135,1) ». Et c'est pour cela qu'il ajoute: «Il n'y a que Dieu seul qui soit bon». Mais que personne ne pense que ces paroles: «Il n'y a que Dieu seul qui soit bon», ne compren nent pas le Fils de Dieu dans cette bonté qui est l'attribut de la divinité; car nous lisons dans un autre passage: «Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis». - S. Aug. (de la Trinit., 1, 13). Ou bien dans un autre sens, ce jeune homme cherchait la vie éternelle, qui consiste dans la contemplation de Dieu, dont la claire vision est une cause non de peine, mais de joie éter nelle. Or, il ne comprenait pas quel était celui avec lequel il parlait, et le regardait seulement comme Fils de l'homme. Le Sauveur lui répond donc: «Pourquoi me demandez-vous le bien qu'il faut faire, et m'appelez-vous bon maître en ne consultant que ce qui frappe vos yeux ?» Cette forme du Fils de l'homme apparaîtra au jour du jugement, non-seulement aux yeux des justes, mais des impies, et cette vue sera pour eux un supplice, parce qu'elle leur sera imposée comme châtiment. Mais il est une autre vision de cette nature par laquelle je suis égal à Dieu, et c'est ce Dieu un dans sa nature, Père, Fils et Saint-Esprit qui est seul bon, parce que sa vue n'est pour personne un sujet de deuil et de gémissement, mais une source de salut et de joie véritable. - S. Jér. Le Sauveur ne refuse pas de recevoir ce témoignage rendu à sa bonté; il repousse simplement l'erreur qu'il était maître sans être Dieu. - S. Chrys. (hom. 63). Mais quelle utilité à lui répondre de la sorte? C'était pour te ramener peu à peu, lui apprendre à se dépouiller de l'esprit de flatterie et de l'amour des biens de la terre, et lui persuader de s'attacher à Dieu, de chercher les biens futurs, et de s'appliquer à la connais sance de celui qui est véritablement bon, la racine et la source de tous les biens.

Orig. (traité 8 sur S. Matth). Jésus-Christ, en s'exprimant de la sorte, répond encore à la question que lui faisait ce jeune homme: Quel bien faut-il que je fasse»,etc. En effet, lorsque nous nous éloignons du mal, et que nous faisons le bien, on appelle bien ce que nous faisons relativement à ce que font les autres hommes, mais considéré dans la vérité et d'après ces paroles: «Il n'y a que Dieu seul qui soit bon», le bien que nous faisons ne peut être appelé bien. On peut encore dire que le Seigneur, sachant que l'intention de celui qui l'interrogeait n'était pas de pratiquer le bien même tout naturel, lui répond: «Pourquoi me demandez-vous quel bien vous devez faire ?» c'est-à-dire: «Pourquoi me questionner sur le bien, alors que vous n'êtes pas disposé à le pratiquer ?» il ajoute ensuite: «Si vous voulez entrer dans la vie», etc. Remarquez qu'il parle à ce jeune homme comme s'il était hors de la vie: «Si vous voulez entrer dans la vie», car dans un sens véritable l'homme, qui vit éloigné de celui qui a dit: «Je suis la vie» (Jn 11,25 Jn 14,6), est en dehors de la vie. D'ailleurs tout homme sur la terre, est seulement dans l'ombre de la vie, entouré qu'il est d'un corps périssable et mortel. Or, il entrera dans la vie en s'abstenant des oeuvres mortes, et en désirant les oeuvres de la vie. Il y a aussi des paroles de mort et des paroles de vie, des pensées de mort et des pensées de vie, etc.; c'est pour cela que Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à ce jeune homme: «Si vous voulez entrer dans la vie». - S. Aug. (serm. 17 sur les par. du Seig). Il ne lui dit pas: si vous vou lez arriver à la vie éternelle, mais: «Si vous voulez entrer dans la vie»,établissant ainsi que la seule et véritable vie est la vie éternelle. Considérons ici combien cette vie éternelle est digne de nos affections, alors que nous aimons tant cette misérable vie qui doit sitôt finir.

Remi. Ces paroles sont une preuve que la loi promettait à ceux qui l'accomplissaient, non-seulement les biens temporels, mais encore la vie éternelle, et, comme ce jeune homme l'avait entendu dire, il devient attentif et demande: «Quels sont ces commandements ?» - S. Chrys. (hom. 63). Il fait cette question sans intention de tenter le Seigneur, mais parce qu'il pensait qu'en dehors des préceptes de la loi, il en était d'autres qui seraient pour lui un principe de vie.

Remi. Jésus use à son égard d'une grande condescendance comme avec un malade, et lui ex pose avec douceur les préceptes de la loi Jésus lui dit: «Vous ne commettrez pas d'homicide», etc. L'exposition abrégée de ces préceptes se trouve dans la proposition suivante: «Et vous aimerez votre prochain comme vous-même», ainsi que le dit l'Apôtre: «Celui qui aime le prochain a accompli la loi». (Rm 13,8). Si l'on examine pourquoi Notre-Seigneur ne rappelle ici que les préceptes de la seconde table, on reconnaîtra que c'est, sans doute, parce que ce jeune homme s'appliquait à développer en lui l'amour de Dieu, ou bien, parce que l'amour du prochain est un degré pour s'élever à l'amour de Dieu. - Orig. Ou bien peut-être, ces préceptes suffisent pour qu'on puisse entrer dans ce que j'appellerai le commen cement de la vie, mais ils ne suffisent pas, non plus que d'autres semblables pour nous intro duire dans la partie la plus intime de la vie. Or, celui qui aura transgressé un de ces commande ments, n'entrera même pas dans le commencement de la vie.

S. Chrys. (hom 63). Après que le Sauveur eut rappelé les préceptes qui se trouvent dans la loi, ce jeune homme lui dit: «J'ai observé tous ces commandements dès ma jeunesse»; et il ne s'arrête pas là, mais il interroge de nouveau le Sauveur: «Que me manque-t-il encore ?» question qui est une preuve du vif désir dont il était animé. - Remi. Notre-Seigneur enseigne à ceux qui veulent devenir parfaits dans la grâce, comment ils peuvent arriver à la perfection: Jésus lui dit: Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez». Faites attention à ces paroles; il ne dit pas «Allez, mangez tout ce que vous avez», mais: «Allez et vendez». Et il ne dit pas seulement: «Vendez une partie de vos biens», comme firent Ananie et Saphire, mais: «Vendez tout», et il ajoute avec dessein: «Tout ce que vous avez».Or, nous avons les choses que nous possédons justement; ce son t ces choses que nous devons vendre, quant à celles que nous possédons injustement, nous devons les rendre à ceux à qui nous les avons enlevées. Il ne dit pas enfin: «Donnez-en le prix à vos parents ou aux riches qui pour raient vous rendre en échange des biens semblables», mais: «Donnez-en le prix aux pau vres». - S. Aug. (du trav. des moines, chap. 25). Il ne faut pas, d'ailleurs, se préoccuper dans quels monastères, ou dans quel endroit on distribuera ce qu'on possède à ses frères indi gents, car tous les chrétiens ne forment qu'une seule société. Toutes les fois donc, qu'un chré tien distribue aux pauvres, n'importe dans quel endroit, les choses nécessaires à la vie, ou bien toutes les fois qu'il reçoit n'importe de quelles mains ce qui lui est nécessaire, il reçoit de ce qui appartient à Jésus-Christ.

Rab. Voici deux sortes de vies que le Sauveur propose aux hommes: la vie active, à laquelle se rapporte ce précepte: «Vous ne tuerez pas», et tous les autres préceptes de la loi; et la vie contemplat ive que Notre-Seigneur a en vue dans ces paroles: «Si vous voulez être parfait»,etc. La vie active appartient à la loi ancienne, et la vie contemplative à l'Évangile; car de même que l'Ancien Testament a précédé le Nouveau, ainsi la vie pleine de bonnes oeuvres doit précéder la contemplation. - S. Aug. (cont. Faust., 5, 9). Cependant, il n'y a pas que ceux qui, pour être parfaits, vendent ou abandonnent tous leurs biens qui posséderont le royaume des cieux; le divin commerce de la charité unit à cette partie de la milice chrétienne un grand nombre de fidèles qui se rendent volontairement tributaires des pauvres, et à qui le Sauveur dira au dernier jour: «J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger».Loin de nous la pensée qu'ils doivent un jour être privés de la vie éternelle comme étant étrangers aux préceptes de l'Évangile.

S. Jér. (cont. Vigilance). Quant à ce que prétend Vigilance, qu'il est mieux de jouir de ses biens et d'en distribuer successivement les fruits aux pauvres, plutôt que de vendre ces biens et de leur en donner immédiatement le prix, ce n'est pas moi, mais Dieu lui-même qui lui répon dra: «Si vous voulez être parfait, allez et vendez». Cet état que vous louez n'est que le deuxième ou le troisième degré, nous l'approuvons nous mêmes, à la condition de ne pas ou blier que le premier état est préférable au second et au troisième. - Genn. (des dogmes de l'Église., chap. 71) .. C'est une chose louable de distribuer ses biens aux pauvres avec une cer taine mesure, mais il est mieux de les leur donner tous à la fois, pour accomplir le dessein de suivre le Sauveur, et s'affranchir de tout souci en partageant la pauvreté de Jésus-Christ. - S. Chrys. (hom. 63). Comme il était ici question des richesses de la terre, et que Notre-Seigneur exhortait ce jeune homme à s'en dépouiller, il lui montre que la récompense qu'il accordera sera plus grande que ce sacrifice, et le surpassera de toute la distance qui sépare le ciel de la terre: «Et vous aurez, ajoute-t-il, un trésor dans le ciel»; car un trésor annonce la richesse et la durée de la récompense.

Orig. Si tous les commandements sont renfermés dans cette parole: «Vous aimerez le pro chain comme vous-même», et si, d'ailleurs, celui qui les accomplit tous est parfait, comment le Seigneur, enten dant ce jeune homme lui dire: «J'ai gardé tous ces commandements dès ma jeunesse», lui dit comme s'il n'avait pas encore atteint la perfection: «Si vous voulez être parfait ?»Peut-être que ces paroles: «Vous aimerez le prochain», n'ont pas été dites par le Seigneur, mais qu'elles ont été ajoutées par quelque copiste, chose d'autant plus probable, que saint Marc et saint Luc, qui rapportent ce même trait, ne font aucune mention de ces paroles. Voici une autre explication: Nous lisons dans l'Évangile selon les Hébreux, qu'après que le Seigneur eut dit ces paroles: «Allez et vendez tout ce que vous avez», ce jeune homme qui était riche, se gratta la tête d'hésitation, et ne goûta point ce langage. Alors le Seigneur lui dit: «Comment dites-vous: J'ai accompli tout ce qui est écrit dans la loi et dans les prophètes? Il est écrit dans la loi: Vous aimerez le prochain comme vous-même, et voilà qu'un grand nom bre de vos frères sont couverts de haillons mal propres, mourants de faim, tandis que votre maison regorge de richesses, et qu'il n'en sort rien absolument pour subvenir à leur détresse».Le Seigneur, voulant donc convaincre et éprouver ce riche, lui dit: «Si vous voulez être par fait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres, c'est alors que l'on verra si vous aimez le prochain comme vous-même. Mais si la perfection consiste dans la réunion de toutes les vertus, comment suffit-il pour devenir parfait de vendre tout ce qu'on possède, et de le donner aux pauvres ?» Supposons un homme qui ait accompli ce généreux sacrifice, sera-t-il aussitôt sans colère, sans concupiscence, orné de toutes les vertus, exempt de tous les vices? Quelque esprit sage pourra dire que celui qui a donné ses biens aux pauvres se trouve aidé de leurs prières, et qu'il reçoit de leur abondance spirituelle de quoi subvenir à son indigence spi rituelle, et que c'est ainsi qu'il devient parfait, tout en conservant quelques passions qui tien nent à l'humanité. Ou bien encore, celui qui a pris la pauvreté en échange de la richesse afin de devenir parfait, en vertu de sa foi aux paroles de Jésus-Christ, recevra la grâce nécessaire pour devenir sage en Jésus-Christ, juste, chaste et sans aucune passion. Ce n'est pas, sans doute, qu'il atteindra le comble de la perfection du moment où il aura donné ses biens aux pauvres, mais, dès ce jour, la méditation des choses divines lui rendra peu à peu familières toutes les vertus. On peut encore donner une autre interprétation toute morale, en disant que les biens de chaque fidèle sont ses actes. Or, dans ce sens, Jésus-Christ ordonne de vendre tous les biens qui sont viciés pour quelque cause que ce soit, et de les donner à ceux qui pourront en tirer profit, et qui sont pauvres de tout bien; car de même que la paix que souhaitent les Apôtres, revient à eux, lorsqu'elle ne rencontre pas un fils de la paix (Mt 10) .; ainsi tous les péchés reviennent à ceux qui les ont commis lorsqu'il ne se trouve personne qui puisse en faire sortir quelque bien. Dans ce sens, on ne peut douter que celui qui a vendu de la sorte tous ses biens, ne soit réellement parfait. Or, il est évident que celui qui agit de la sorte, a un trésor dans le ciel, et qu'il est devenu lui-même un homme céleste. Il a, en effet, dans le ciel qui lui appar tient, le trésor de la gloire de Dieu et les richesses inépuisables de la sagesse divine. Il pourra donc sui vre Jésus-Christ, puisqu'il n'en sera détourné par aucun bien possédé injustement.

S. Jér. Il en est beaucoup qui abandonnent leurs richesses et qui ne suivent pas le Seigneur. Or, cela ne suffit pas pour parvenir à la perfection; il faut, après avoir professé un généreux mépris pour les richesses, se mettre à la suite du Sauveur; en d'autres termes, après qu'on s'est séparé du mal, il faut encore faire le bien, parce qu'il est plus facile de faire peu de cas de sa bourse que de sa volonté. C'est pourquoi Jésus ajoute: «Puis venez, et suivez-moi»; car c'est suivre le Seigneur et marcher sur ses traces que de l'imiter. - Suite. «Ce jeune homme, ayant entendu ces paroles, s'en alla tout triste». C'est cette tristesse qui conduit à la mort, et l'Évangéliste nous en fait connaître la cause: «Car il avait de grands biens», c'est-à-dire des épines et des ronces qui étouffèrent la semence que le Seigneur avait jetée dans son coeur. - S. Chrys. (hom. 63). Ceux qui ont peu de biens et ceux qui en possèdent en abon dance n'en sont pas également esclaves, car l'accroissement des richesses, en rend le désir plus ardent et la cupidité plus vive.
- S. Aug. (Lettre à Paulin et à Thérèse, 34). Je ne sais pas comment il arrive, lorsqu'on aime les biens superflus de la terre, que ceux qu'on possède en chaînent plus étroitement que ceux qu'on désire; car, pourquoi ce jeune homme s'en alla-t-il tout triste, si ce n'est parce qu'il avait de grands biens? Il est bien différent, en effet, de vouloir s'incorporer, pour ainsi dire, les biens que l'on n'a pas, ou de se séparer de ces biens, lorsqu'ils font, pour ainsi dire, partie de notre corps; car, d'un côté, on les rejette comme quelque chose d'étranger; de l'autre, on ne s'en sépare que comme des membres qu'il faut retrancher. - Orig. D'après le récit évangélique, ce jeune homme est digne d'éloges pour n'avoir commis ni meurtre, ni adultère, mais il est blâmable de s'être attristé des paroles de Jésus-Christ, qui l'appelait à la perfection. Il était jeune encore dans son âme, et c'est pour cela qu'il abandonna le Sauveur et s'en alla.



Catena Aurea 4909