Catena Aurea 5241

vv. 41-46

5241 Mt 22,41-46

S. Chrys. (sur S. Matth). Les pharisiens, qui ne voyaient dans Jésus-Christ qu'un homme, es sayaient de le tenter, ce qu'ils n'eussent l'as fait s'ils avaient cru qu'il fût le Fils de Dieu. Jésus-Christ donc, buis le dessein de leur montrer qu'il connaissait la fourberie de leur coeur, et qu'il était Dieu, ne voulut pas leur dire clairement la vérité, de peur que cette déclaration ne fût pour eux une nouvelle occasion de blasphème et de fureur; il ne voulut pas non plus garder entiè rement le silence, car il était venu pour faire connaître la vérité (Jn 28,37). Il leur pose donc une question en des termes qui puissent déjà leur faire connaître ce qu'il est. «Or, pendant que les pharisiens étaient assemblés, Jésus leur fit cette question: Que vous semble du Christ ?»Il avait demandé autrefois à ses disciples ce que les hommes disaient du Christ, et ensuite ce qu'ils en pensaient eux-mêmes; mais il ne fait pas la même question aux pharisiens, car ils n'eussent pas manqué de lui répondre qu'on le considérait comme un séduc teur, un méchant, que telle était leur opinion et qu'ils le regardaient simplement comme un homme. C'est pour cela qu'ils répondent que le Christ est le fils de David. «Et ils lui répondi rent: De David».Or le Sauveur blâme cette réponse et cite le témoignage du prophète, qui atteste que le Christ est Seigneur lui-même, qu'il est vraiment Fils, et qu'il est digne des mêmes honneurs que son Père. «Et il leur dit: Comment David l'appelle-t-il, par l'inspiration de l'Esprit saint, son Seigneur, en disant: Le Seigneur a dit à mon Seigneur», etc. - S. Jér. Ce témoignage est emprunté au Ps 59; le Christ y est appelé le Seigneur de David, non pas comme étant né de David, mais d'après sa naissance éternelle du Père, qui le rend existant avant celui qui fut son père selon la chair. Or ce n'est ni par erreur, ni par ignorance, ni de sa propre volonté que David l'appelle son Seigneur, mais par l'inspiration du Saint-Esprit. - Remi. Ces paroles: «Asseyez-vous à ma droite»,ne signifient pas que Dieu ait un corps avec une droite ou une gauche, mais que le Fils a la même puissance, la même dignité que son Père. - S. Chrys. (sur S. Matth). Or je pense qu'en faisant cette question, il eut en vue non-seulement les pharisiens, mais encore les héréti ques, car, s'il était vraiment fils de David selon la chair, il était son Seigneur par sa divinité.

S. Chrys. (hom. 72). Le Sauveur ne s'arrête pas là; mais, pour leur inspirer une crainte salu taire il ajoute: «Jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied», espé rant les amener ainsi à la connaissance de sa divinité. - Orig. Si Dieu réduit les ennemis du Christ à lui servir de marche-pied, ce n'est pas seulement pour les perdre, mais aussi pour les sauver. - Remi. Le mot «jusqu'à ce que signifie éternellement, et tel est le sens de toute la phrase: «Asseyez-vous pour l'éternité, et vos ennemis seront éternellement placés sous vos pieds». - La Glose. (ou S. Anselme). Si le Père soumet au Fils ses ennemis, ce n'est pas une marque d'impuissance dans le Fils, mais une preuve de leur unité de nature, car le Fils lui-même soumet au l'ère ses ennemis, en glorifiant son Père sur la terre. Après avoir cité ce té moignage, il en tire cette conclusion: «Si donc David l'appelle son Seigneur, comment peut-il être son Fils ?» - S. Jér. Nous pouvons faire encore aujourd'hui cette question aux Juifs, car, tout en reconnaissant que le Christ doit venir, ils affirment qu'il n'est qu'un homme, un per sonnage vertueux de la race de David. Nous donc, qui avons été instruits à l'école de Dieu lui-même, demandons-leur comment David peut l'appeler son Seigneur, s'il n'est qu'un homme, et s'il est seulement le fils de David? Les Juifs, pour échapper à la vérité que renferme cette question, ont recours à mille explications frivoles: ils vont chercher un certain serviteur d'Abraham, qui eut pour fils Eliézer de Damas. Ce serait au nom d'Eliézer que ce psaume au rait été composé, parce que le Seigneur Dieu, après la destruction des cinq rois, aurait dit à son Seigneur Abraham: «Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que», etc. Or, nous n'avons qu'à leur demander comment Eliézer aurait pu appliquer à Abraham la suite du psaume, et les forcer de nous répondre comment Abraham a été engendré avant l'aurore, et comment il fut prêtre selon l'ordre de Melchisédech, alors que Melchisédech offrit à Dieu pour lui du pain et du vin, et qu'Abraham lui donna la dîme de toutes les dépouilles.

S. Chrys. (hom. 74). Le Sauveur mit ainsi fin àtoutes leurs questions, et ses dernières paroles eurent assez de puissance pour leur fermer la bouche sans retour. «Et qui que ce soit ne put rien lui répondre, et, depuis ce jour-là, personne n'osa plus l'interroger».Ils se turent; ce fut bien malgré eux, et parce qu'ils ne savaient que répondre. - Orig. Si leur question eût eu pour motif le désir de s'instruire, Notre-Seigneur ne leur aurait point répondu de telle sorte qu'ils n'osèrent plus jamais l'interroger. - Rab. Ce qui doit nous apprendre qu'on peut triompher de la jalousie la plus envenimée, mais qu'il est difficile qu'elle se calme et reste en repos.


CHAPITRE XXIII


vv. 1-4

5301 Mt 23,1-4

S. Chrys. (sur S. Matth). Après avoir mis à néant toutes les questions insidieuses des prêtres, et leur avoir montré que leur état était incurable (car ceux qui sont consacrés à Dieu et se dé tournent de la voie droite, ne reviennent presque jamais au bien, tandis qu'on peut y ramener facilement les simples fidèles), le Sauveur adresse ses enseignements à ses apôtres et au peu ple: «Alors Jésus s'adressant au peuple et à ses disciples», etc., car une parole qui confond les uns sans instruire les autres est une parole stérile.

Orig. (Traité 24 sur S. Matth). Les disciples de Jésus-Christ valent mieux que le reste du peuple. C'est ainsi que, dans l'Église, vous trouverez des âmes qui s'approchent avec plus d'amour du Verbe de Dieu, et qui sont les disciples de Jésus-Christ; les autres forment son peuple. Tantôt c'est à ses disciples seuls qu'il adresse la parole, tantôt à la foule, et tantôt tout à la fois au peuple et à ses disciples, comme dans ce qui suit: «Il leur dit: Les pharisiens et les scribes sont assis sur la chaire de Moïse». Ceux qui font profession de suivre la loi de Moïse, et qui se glorifient d'en être les interprètes, sont assis sur la chaire de Moise; les scribes sont ceux qui ne s'écartent pas de la lettre de la loi; et ceux qui prétendent à une perfection plus grande et se séparent de la foule comme étant meilleurs que le reste des hommes sont les phari siens, dont le nom veut dire séparé (cf. Gn 38,29). Ceux au contraire qui entendent et interprètent la loi de Moïse dans le sens vraiment spirituel sont assis il est vrai sur la chaire de Moïse, mais ils ne sont ni comme les scribes ni comme les pharisiens, ils valent beaucoup mieux qu'eux et sont les bien-aimés disciples de Jésus-Christ.

S. Chrys. (sur S. Matth). Il faut cependant considérer de quelle manière un homme occupe la chaire de l'enseignement, car ce n'est pas la chaire qui fait le prêtre, mais le prêtre qui donne l'autorité à sa chaire; ce n'est pas le lieu qui sanctifie l'homme, mais l'homme qui sanctifie le lieu. Aussi le sacerdoce est pour le mauvais prêtre une source de crimes et ne lui donne aucune dignité morale. - S. Chrys. (hom. 71). Toutefois afin que personne ne pût excuser sa négli gence pour les bonnes oeuvres par les vices de celui qui enseigne, le Sauveur détruit ce pré texte en ajoutant: «Faites tout ce qu'ils vous diront»,etc. Car ce n'est pas leur propre doc trine qu'ils enseignent, mais les vérités divines dont Dieu a composé la loi qu'il a donnée par Moïse. Considérez quel honneur le Sauveur rend ici à Moïse, et comme il fait ressortir l'harmonie qui existe entre l'Ancien et le Nouveau Testament. - Orig. Mais si les scribes et les pharisiens, assis sur la chaire de Moïse, sont les docteurs des Juifs, et leur enseignent quant à la lettre les préceptes de la loi, comment Notre-Seigneur peut-il nous ordonner, à nous, de faire tout ce qu'ils disent, alors que les apôtres, comme nous le voyons dans les Ac 15, ont défendu aux premiers fidèles de suivre la lettre de la loi ? C'est que les pharisiens enseignaient la lettre de la loi sans en comprendre le sens spirituel. Toutes les choses donc qu'ils nous prescrivent en vertu de la loi divine, nous qui avons l'intelligence de la loi, nous les observons et nous les pratiquons; mais nous ne conformons pas notre conduite à la leur, car ils ne suivent pas les vrais enseignements de la loi, et ils ne comprennent pas qu'il y a un voile sur la lettre de la loi (2Co 3,14). Ou bien cette expression: «Tout ce qu'ils vous diront», n'a pas pour objet tous les préceptes de la loi, comme ceux par exemple qui ont rapport aux aliments, aux victimes et à d'autres choses semblables, mais seulement les préceptes qui tendent à la réforme des moeurs. Or, pourquoi ne fait-il pas cette re commandation pour la loi de grâce, mais pour la loi de Moïse? C'est qu'avant la Passion le temps n'était pas encore venu de faire connaître les commandements de la nouvelle loi. Mais il me semble que le Sauveur avait en cela un autre dessein. Il allait, dans le discours suivant, ac cuser les scribes et les pharisiens. Il commence donc par repousser tout d'abord le soupçon que des insensés auraient pu former contre lui, de vouloir s'emparer de leur autorité, ou d'agir dans un esprit d'hostilité; et ce n'est qu'alors qu'il leur adresse des reproches pour que le peuple ne tombe point dans les mêmes désordres et ne s'imagine qu'il doit imiter leur conduite comme il est obligé d'écouter leurs enseignements, car il ajoute «Ne faites pas ce qu'ils font». Or, quoi de plus misérable qu'un docteur dont les disciples ne peuvent se sauver qu'à la condition de ne pas l'imiter, et qui se perdent s'ils marchent sur ses traces? - S. Chrys. (sur S. Matth). De même qu'on recueille l'or dans le sein de la terre, et qu'on laisse de côté la terre, les auditeurs doivent recevoir la doctrine et laisser les moeurs de ceux qui enseignent, car il arrive fréquem ment qu'un homme vicieux enseigne une doctrine irréprochable. Or, de même que les prêtres aiment mieux enseigner les méchants dans l'intérêt des bons, que de priver les bons d'enseignements à cause des méchants, ainsi les fidèles doivent honorer les mauvais prêtres à cause des bons, pour ne pas s'exposer à faire rejaillir sur les bons le mépris que méritent les mauvais. Il vaut mieux donner aux méchants ce à quoi il n'ont aucun droit, que de refuser aux bons ce qu'ils méritent.

S. Chrys. (hom. 72). Considérez quel est le premier reproche qu'il leur adresse: «Ils disent et ne font pas». En effet, celui qui a reçu ta puissance d'enseigner et qui transgresse la loi est coupable au premier chef: premièrement, parce qu'il donne l'exemple de la prévarication, alors qu'il doit reprendre et corriger les autres; secondement, parce que la dignité dont il est revêtu augmente son crime et son châtiment; troisièmement enfin, parce que son titre de docteur rend son péché plus scandaleux dans ses effets. Une seconde chose que le Sauveur leur reproche, c'est d'être durs et sévères pour ceux qui leur sont soumis: «Ils lient des fardeaux pesants», etc. Et c'est en cela qu'ils sont doublement coupables d'exiger des autres, sans miséricorde, une vie parfaite et irréprochable, et de se donner à eux-mêmes toute latitude. Or, un bon supérieur doit se conduire tout autrement, c'est-à-dire se montrer juge sévère pour tout ce qui le concerne, et plein de douceur et de bonté pour ceux qu'il dirige. Remarquez encore comme il fait ressortir l'indignité de leur conduite. Il ne dit pas: ils ne peuvent pas, mais «Ils ne veu lent pas», et non-seulement: «Ils ne veulent pas porter ces fardeaux»,mais «Ils ne veulent pas les remuer du bout du doigt», c'est-à-dire ni s'en approcher ni les toucher.

S. Chrys. (sur S. Matth). Ces fardeaux pesants et insupportables dont Notre-Seigneur veut ici parler, et que les pharisiens et les scribes imposaient à leurs disciples, sont ces préceptes de la loi dont saint Pierre dit au livre des Actes (Ac 15): «Pourquoi voulez-vous imposer aux disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons pu porter ?» Ils donnaient, à l'aide de raisons frivoles, une grande importance à ces fardeaux de la loi dans l'esprit de leurs disciples, et les atta chaient, pour ainsi dire, sur les épaules de leur coeur, afin que, se regardant comme liés par la raison, ils ne fussent point tentés de rejeter loin d'eux ces fardeaux Pour eux, au contraire, ils n'en accomplissaient pas la moindre partie, c'est-à-dire que, non-seulement ils n'en portaient aucun en réalité, mais qu'ils ne voulaient pas même les toucher légèrement du bout des doigts. - La Glose. Ou bien encore «Ils lient des fardeaux», c'est-à-dire ils recueillent de toutes parts des traditions qui, loin de soulager la conscience, l'oppriment et l'accablent. - S. Jér. Il faut entendre ici dans un sens spirituel les épaules, le doigt, les fardeaux et les liens qui lient ces fardeaux. Notre-Seigneur s'élève ici généralement contre tous ces docteurs qui imposent aux autres de lourdes obligations, et qui n'accomplissent pas eux-mêmes les plus légères. - S. Chrys. (sur S. Matth). Tels sont ceux qui imposent aux pécheurs repentants des pénitences accablantes, et qu'arrive-t-il? C'est qu'en cherchant à se dérober aux peines de la vie présente, ils méprisent les peines de la vie future. En effet, chargez les épaules d'un jeune homme encore faible d'un fardeau qu'il ne peut porter, de toute nécessité, ou il le rejettera loin de lui, ou il succombera sous le faix. Or, de même, si vous imposez à un homme une pénitence trop pesante et trop rigoureuse, il la laissera nécessairement de côté, ou bien il s'en chargera sans pouvoir l'accomplir, et y trouvera ainsi une cause de scandale et une occasion de plus grand péché. D'ailleurs, en supposant que nous nous trompions en imposant des pénitences trop légères, ne vaut-il pas mieux avoir à rendre compte d'une trop grande miséricorde que d'une excessive sévérité? Là où le père de famille est si libéral, le serviteur, qui distribue en son nom, ne doit pas être avare. Si Dieu est bon, pourquoi son prêtre serait-il d'une sévérité inflexible? Voulez-vous être véritablement saint? Soyez sévère pour vous-même et miséricor dieux pour les autres; que les hommes vous entendent imposer de légères ob ligations, et qu'ils vous voient en accomplir de grandes. Un prêtre qui, plein d'indulgence pour lui-même, exige beaucoup des autres, ressemble à celui qui, chargé de répartir l'impôt dans une ville, se dé grève lui-même pour charger ceux qui sont dans l'impossibilité de le payer.


vv. 5-12

5305 Mt 23,5-12

S. Chrys. (hom. 72). Après avoir accusé les scribes et les pharisiens de cruauté et tout à la fois de négligence, il leur reproche leur amour de la vaine gloire, qui a été la cause de leur éloi gnement de Dieu, et c'est pour cela qu'il ajoute: «Ils font toutes leurs oeuvres pour être vus», etc. - S. Chrys. (sur S. Matth). Toute chose créée donne naissance à ce qui doit la faire périr: ainsi le bois donne naissance au ver, et la laine à la teigne. C'est pourquoi, le dé mon s'efforce de corrompre le ministère des prêtres qui sont établis pour former les peuples à la sainteté, afin de tourner en mal le bien qu'ils font, en leur donnant pour unique motif la gloire qui vient des hommes. Faites disparaître ce vice du milieu du clergé et vous retrancherez facilement tous les autres, car c'est le vice qui rend si difficile la pénitence aux prêtres coupa bles. Or le Seigneur veut nous apprendre la raison qui les a empêchés de croire au Christ: c'est qu'il font tout pour être vus des hommes, car il est impossible de croire au Christ, qui n'annonce que les biens du ciel, alors qu'on recherche la gloire toute terrestre qui vient des hommes. J'ai lu l'interprétation suivante de ce passage: Les scribes et les pharisiens, tout indi gnes qu'ils en étaient, ont été établis sur la chaire de Moïse, c'est-à-dire ont été revêtus de la même dignité et du même honneur; ils expliquaient aux autres la loi qui annonçait l'avènement du Christ, et ils refusaient de le recevoir lorsqu'il était sous leurs yeux. C'est pour cela que le Sauveur exhorte le peuple a écouter la loi qu'ils enseignaient, c'est-à-dire à croire au Christ que prédisait la loi, et à ne pas imiter l'incrédulité des scribes et des pharisiens; et il donne la raison pour laquelle, tout en annonçant d'après la loi l'avènement du Christ, eux-mêmes ne croyaient pas en lui, c'est qu'ils faisaient toutes leurs oeuvres pour être vus des hommes, c'est-à-dire qu'ils n'annonçaient pas la venue du Christ par le désir qu'ils avaient de son avènement, mais pour paraître les docteurs de la loi aux yeux des hommes. - Orig. Ils font leurs oeuvres afin d'être vus des hommes, en se soumettant à la circoncision extérieure, en faisant disparaî tre, en présence de. tous, les choses fermentées de leurs maisons, et en agissant ainsi à l'égard de toutes les autres observances, tandis que les disciples de Jésus-Christ accomplissent la loi eu secret, et sort ainsi comme ces Juifs intérieurs dont parle l'apôtre saint Paul (Rm 4,28-29).

S. Chrys. (hom. 72). Observez ici avec quelle intention bien marquée le Seigneur leur adresse ce reproche, car il ne dit pas simplement: Ils font leurs oeuvres pour être vus des hommes, mais, «toutes leurs oeuvres». Il montre ensuite que cette vaine gloire s'attachait, non pas à des choses importantes, mais à de misérables observances: «Ils élargissent leurs bandes de parchemins», etc. - S. Jér. Lorsque le Seigneur eut donné à son peuple la loi par Moïse, il termina en disant: «Vous lierez mes commandements comme un signe dans votre main, et ils seront toujours devant vos yeux», c'est-à-dire mes commandements seront toujours dans vos mains par votre fidélité à les accomplir; ils seront toujours devant vos yeux, comme le sujet de votre méditation le jour et la nuit (Dt 4). Les pharisiens, par suite d'une fausse interpréta tion de ces paroles, écrivaient sur des feuilles de parchemin le Décalogue de Moïse ou les dix commandements; ils les pliaient ensuite et se les attachaient au front ou autour de la tête comme une espèce de couronne, afin de les avoir sans cesse sous les yeux. Moïse avait encore ordonné aux Israélites de mettre des franges de couleur hyacinthe aux quatre coins de leurs manteaux, pour distinguer ainsi le peuple Juif des autres nations par les vêtements, comme il l'était dans son corps par la circoncision. Mais ces docteurs superstitieux, pour gagner la fa veur populaire et tirer l'argent des bonnes femmes, se faisaient de grandes franges et y pla çaient des épines très aiguës, de manière à en être piqués lors qu'ils marchaient ou s'asseyaient, et à être ainsi rappelés par ce souvenir à la pensée du service de Dieu. Ils appelaient phylactères ces larges bandes, mot qui revient à celui de conservateurs, parce que ceux qui les portaient s'en faisaient comme une armure qui les protégeaient. Les pharisiens ne com prenaient pas que c'est dans le coeur et non sur le corps qu'ils auraient dû porter ces souve nirs. Les armoires et les coffres ont-ils la connaissance de Dieu, parce qu'ils tiennent renfermés les livres ou se puise cette connaissance? - S. Chrys. (sur S. Matth). Il en est un grand nombre qui, à l'exemple des pharisiens, imaginent certains noms hébreux des anges, qu'ils écrivent et qu'ils lient autour d'eux, ce qui paraît merveilleux à ceux qui n'y comprennent rien. D'autres portent autour de leur cou une partie de l'Évangile; mais est-ce que tous les jours l'Évangile n'est pas lu et entendu dans l'église par les fidèles? Or, si l'Évangile ne sert de rien à ceux qui l'écoutent, comment peut-il sauver ceux qui se contentent de le porter autour du cou? car enfin où réside la vertu de l'Évangile? Est-ce dans la forme des lettres ou dans l'intelligence des sens multipliés qu'il renferme? Si c'est dans la forme des lettres, vous faites bien de le porter suspendu autour de votre cou; mais, si c'est dans l'intelligence des sens, il vous sera bien plus utile de le porter dans votre coeur que de le suspendre autour de votre cou. D'autres entendent ce passage dans ce sens que les pharisiens développaient continuellement leur doc trine sur leurs observances particulières, et qu'ils les présentaient continuellement au peuple comme des phylactères (c'est-à-dire des choses conservatrices de la doctrine du salut). Les franges longues et développées de leurs robes sont les parties les plus excellentes de ces mêmes préceptes.

S. Jér. Après leur avoir reproché de porter des bandes de parchemin plus larges et des franges plus longues que les autres, par un motif de vaine gloire, le Sauveur passe à d'autres chefs: «Ils aiment les premières places dans les festins, à être salués dans les places publiques»,etc. - Rab. Remarquez qu'il ne défend pas de recevoir le salut sur les places publiques, ou d'occuper les premières places dans les assemblées ou dans les festins à ceux à qui ces hon neurs sont dus en raison de leur dignité ou de leur position; mais qu'il blâme seulement ici ceux qui exigent outre mesure des fidèles ces marques d'honneur, qu'ils y aient droit ou non, et leur reproche de donner en cela un mauvais exemple qu'il faut éviter. - S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne blâme pas ceux qui occupent la première place, mais ceux qui aiment les premiè res places, et ses reproches tombent, non sur le fait, mais sur la volonté, car c'est bien inutile ment qu'on s'humilierait en prenant la dernière place, si intérieurement on se croit digne de la première. Voici par exemple un homme plein de vanité qui a entendu dire qu'il était louable de prendre la dernière place, et qui s'y asseoit en effet; non-seulement il ne renonce pas à la vanité, mais il y ajoute encore la prétention à l'humilité, c'est-à-dire qu'il veut paraître juste ethumble tout à la fois. Il y a beaucoup d'orgueilleux qui, de fait, sont assis à la dernière place, mais qui, par l'enflure de leur âme, vont s'asseoir à la première, de même qu'il en est beaucoup qui occupent les premières places, et qui, parleurs sentiments d'humilité, ne se croient dignes que de la dernière. - S. Chrys. (hom. 72). Or, considérez dans quels endroits ils se laissent dominer par la vaine gloire, c'est dans les synagogues où ils entraient pour diriger les autres. Cette prétention aurait pu être supportable en quelque sorte dans les festins, quoique celui qui est chargé d'enseigner les autres doive être un objet d'édification, non-seulement dans l'église, mais partout où il se trouve. Or, si l'on est coupable d'aimer ces distinctions, combien plus l'est-on de chercher tous les moyens de les obtenir. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ils veulent qu'on les salue les premiers, parce qu'ils désirent qu'on les prévienne, qu'on exprime ce salut à haute voix, en disant: «Je vous salue, maître»,qu'on y ajoute les marques extérieures du res pect en inclinant la tête, et qu'on choisisse le lieu en les saluant sur les places publiques. «Et ils aiment, dit Notre-Seigneur, «être salués sur les places publiques». - Rab. Ils sont d'ailleurs coupables encore de se mêler aux disputes de la place publique, eux qui, assis sur la chaire de Moïse, ambitionnent le titre de docteur dans la synagogue et qui veulent être appelés maîtres par les hommes. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ils veulent être appelés maîtres, mais ils se sou cient peu de l'être en réalité. Ils désirent en porter le nom, mais sans en remplir les fonc tions.

Orig. Jusque dans l'Église de Jésus-Christ, il en est qui désirent l'intendance des tables, et qui cherchent à se faire nommer diacres. Ils en viennent bientôt jusqu'à ambitionner les premières chaires, qui appartiennent aux prêtres, et quelques-uns même ont recours aux intrigues pour obtenir des hommes le titre d'évêque, c'est-à-dire celui de maître. Or le disciple de Jésus-Christ aime aussi les premières places, mais dans les festins spirituels, pour s'y nourrir des mets les plus exquis; il aime encore les premières chaires, mais en compagnie des apôtres, qui sont assis sur douze trônes, et il s'efforce de s'en rendre digne par ses bonnes oeuvres. Il aime enfin à être salué, mais dans la grande réunion du ciel, c'est-à-dire dans l'assemblée des premiers-nés qui sont assis dans le ciel (He 12,22); mais le vrai juste ne désire être appelé maître ni par les hommes, ni par aucun autre, parce qu'il n'y a qu'un seul maître de tous les hommes: «Pour vous, ne vous faites pas appeler maîtres»,etc. - S. Chrys. (hom. 72). Parmi les diffé rents chefs d'accusation que le Sauveur a formulés plus haut contre les pharisiens, il passe sous silence ceux qui étaient les moins importants, et contre lesquels les disciples avaient moins be soin d'être prémunis; mais il s'attache à mettre dans tout son jour, pour leur instruction, ce qui était la source de tous les autres vices, le désir, l'ambition d'occuper la chaire des docteurs et des maîtres; et c'est pour cela qu'il leur dit: «Pour vous, ne vous faites pas appeler maîtres». - S. Chrys. (sur S. Matth). Ne vous faites pas appeler maîtres, pour ne pas usurper ce qui n'appartient qu'à Dieu; ne donnez pas non plus ce nom de maître aux autres hommes, pour ne pas leur attribuer l'honneur qui n'est dû qu'à Dieu. Il n'y a qu'un seul maître de tous les hommes, celui qui les enseigne tous par la voix de la nature. Si c'était l'homme qui instruit l'homme, tous ceux qui suivent les enseignements des maîtres apprendraient facilement, mais ce n'est pas l'homme qui enseigne, r'est Dieu. Aussi en est-il beaucoup qui reçoivent les leçons de l'homme, mais peu qui deviennent instruits, car ce n'est pas l'homme qui, par son enseignement, donne l'intelligence, il ne fait qu'exercer par sa parole l'intelligence qu'on a reçue de Dieu. - S. Hil. (can. 74). Et afin que ses disciples se rappellent qu ils sont les enfants d'un seul et même Père, et que la grâce de leur nouvelle naissance les a élevée au-dessus de leur origine terrestre, le Sauveur ajoute: «Vous êtes tous frères». - S. Jér. (contre Helvid). Or, on peut donner par affection ce nom de frères à tous les hommes, ce qui peut se faire de deux manières: en particulier, pour les chrétiens qui sont tous frères entre eux; et, en général, pour tous les hommes, car, étant tous sortis d'un même père, nous sommes tous unis par les liens de la fraternité.

«N'appelez aussi personne sur la terre votre père»,etc. - S. Chrys. (sur S. Matth). Quoi que sur la terre ce soit l'homme qui donne naissance à l'homme, cependant il n'y a qu'un seul Père qui nous a tous créés, car ce n'est pas le principe de la vie, mais la simple transmission de la vie que nous recevons de nos parents. - Orig. Mais quel est celui qui ne donne à personne le nom de Père sur la terre? Celui qui par toutes ses actions accomplies selon la volonté de Dieu lui dit: «Notre Père qui êtes dans les cieux». - La Glose. Notre-Seigneur venait de leur enseigner clairement quel était le Père de tous les hommes, par ces paroles: «Qui est dans les cieux»; il veut également leur apprendre quel est le maître de tous les hommes, et c'est pour cela qu'il répète de nouveau ce commandement: «Qu'on ne vous appelle point non plus maîtres, car vous n'avez qu'un seul maître, qui est le Christ» - S. Chrys. (hom. 72). Il dit que le Christ est le seul maître, non point par exclusion du Père, pas plus que ce n'est par ex clusion du Fils qu'il appelle Dieu le Père le seul père de tous les hommes. - S. Jér. On se demande comment, contrairement à ce précepte, l'Apôtre s'est appelé lui-même le docteur des nations (He 1), et pourquoi aussi, dans les monastères, les religieux, dans le langage ordinaire, se donnent réciproquement le nom de pères. Nous répondons qu'il y a deux manières différentes d'être père ou maître: l'une par nature, l'autre par condescendance ou par conces sion. C'est ainsi qu'en donnant à un homme le nom de père nous honorons son âge, sans le reconnaître pour l'auteur de nos jours. Nous l'appelons également maître, à cause de son union avec le véritable Maître, et, pour ne pas me répéter à l'infini, de même qu'un seul Dieu et un seul Fils de Dieu par nature n'empêchent pas que les hommes soient appelés dieux ou enfants de Dieu par adoption, de même un seul Père et un seul Maître ne font pas obstacle à ce que le nom de pères et de maîtres soit donné aux hommes par extension.

S. Chrys. (hom. 72). Le Seigneur ne se contente pas de défendre d'ambitionner les premières places, mais il veut faire entrer ses disciples dans une voie tout opposée, en ajoutant: «Celui qui est le plus grand parmi vous sera le serviteur des autres». - Orig. Ou bien encore: Celui qui distribue la parole de Dieu, et qui sait à n'en pouvoir douter que c'est Jésus-Christ qui la rend féconde, se considère non pas comme maître, mais comme serviteur. C'est pour cela qu'il ajoute: «Celui qui est le plus grand parmi vous sera votre serviteur», car Jésus-Christ lui-même, qui était véritablement maître, n'a-t-il pas déclaré qu'il était serviteur en ces termes: «Je suis au milieu de vous comme celui qui sert» (Lc 22,27) ? Or, il termine admirablement tous ses enseignements qui proscrivent l'amour de la vaine gloire par ces paroles «Car quiconque s'élèvera sera abaissé, et quiconque s'humiliera sera élevé». - Remi. Paroles dont voici le sens: Tout homme qui s'enorgueillit de ses propres mérites sera humilié devant Dieu, et celui qui ne se glorifie que des grâces qu'il a reçues de Dieu sera élevé aux yeux de Dieu.


v. 13

5313 Mt 23,13

Orig. (Traité 25 sur S. Matth). Jésus-Christ, comme le vrai Fils de Dieu qui avait donné la loi, pour imiter les bénédictions qui terminent la publication de la loi, a proclamé aussi les béa titudes de ceux qui parviennent au salut; de même ici, pour imiter les malédictions qui se trouvent également dans la loi, il prononce des malédictions contre les pécheurs (cf. Dt 28,3-6): «Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites !»Que ceux qui sont obligés d'avouer que ces malédictions prononcées ici contre les pécheurs sont un effet de la bonté de Dieu, comprennent que les malédictions de la loi n'ont point d'autre cause. Ce n'est pas celui qui prédit ces malheurs qui fait que les pécheurs les encourent; mais ce sont leurs péchés qui les rendent dignes des châtiments que Dieu leur prédit pour les ramener au bien. C'est ainsi qu'un père qui reprend son fils a souvent des paroles de malédiction à la bouche, non qu'il dé sire que son fils s'en rende digne par ses vices, mais parce qu'il veut au contraire les détourner de dessus sa tête. Or, Notre-Seigneur donne la raison de cette malédiction: «Parce que vous fermez le royaume des cieux»,etc. Ces deux choses sont indissolublement unies, et il suffit, pour être exclu du royaume des cieux, qu'on empêche les autres d'y entrer. - S. Chrys. (sur S. Matth). Le royaume des cieux ce sont les Écritures, qui contiennent la science du royaume des cieux; la porte des cieux c'est l'intelligence qui les fait comprendre. Ou bien, le royaume des cieux c'est le bonheur du ciel; la porte c'est Jésus-Christ, par lequel on entre dans ce bon heur; les portiers ce sont les prêtres, qui ont reçu le pouvoir d'enseigner et d'interpréter les Écritures; la clef c'est la science des Écritures, science qui ouvre aux hommes la porte de la vérité; ouvrir cette porte c'est interpréter les Écritures dans leur sens véritable. Or, remarquez qu'il ne dit pas: Malheur à vous, qui n'ouvrez pas», mais qui fermez». Donc les Écritures ne sont pas fermées, bien qu'elles renferment des obscurités.

Orig. (traité 25). Les pharisiens et les scribes n'entraient donc pas, ni ne voulaient écouter celui qui a dit: «Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé».Et non-seulement ils n'entraient pas, mais ils ne laissaient pas entrer ceux qui auraient pu croire aux prédictions que la loi et les prophètes avaient pu faire sur le Christ, et ils leur fermaient la porte en leur inspirant la plus grande terreur. Non contents de ne pas croire en Jésus-Christ, ils contestaient l'autorité de sa doctrine, dénaturaient le sens des prophéties dont il était l'objet, et blasphémaient toutes ses actions comme l'oeuvre du mensonge et du démon. Or, tous ceux qui, par leur mauvaise conduite, donnent au peuple l'exemple de la transgression, et qui, par leurs scandales, causent aux faibles un tort irréparable, ferment aux hommes le royaume des cieux. Ce péché se ren contre parmi les simples fidèles, mais surtout parmi les d octeurs qui enseignent en toute justice la saine doctrine de l'Évangile, mais qui sont loin de pratiquer ce qu'ils enseignent. Ceux, au contraire, qui prennent soin de conformer leur conduite à leur enseignement, ouvrent aux hommes le royaume des cieux, et en y entrant les premiers ils excitent les autres à y entrer à leur suite. Mais il en est beaucoup qui, tout en voulant entrer dans le royaume des cieux, ne permettent pas aux autres d'y entrer avec eux: ce sont ceux qui, sans raison, et par un senti ment de jalousie, excommunient ceux qui valent mieux qu'eux, et qui, par cette conduite, ne leur permettent pas l'entrée de ce royaume. Mais ceux qui savent contenir leur âme dans la modération, triomphent de cette tyrannie par leur patience, et quoiqu'on les écarte, ils entrent et possèdent l'héritage du royaume. Il n'en est pas moins vrai que ceux qui, par un excès de témérité, se sont donné la mission d'enseigner avant d'avoir appris, et qui se traînent à la suite des fables juives, en décriant ceux qui s'appliquent à découvrir le sens relevé des Écritures, ferment aux hommes, autant qu'il est en eux, la porte du royaume des cieux.



Catena Aurea 5241