Catena Aurea 10627

vv. 27-31

10627 Lc 16,27-31

S. Grég. (hom. 40 sur les Evang). Lorsque le riche, tourmenté au milieu des flammes, a perdu toute espérance pour lui-même, sa pensée se reporte vers les proches qu'il a laissés sur la terre: «Et il dit: Je vous prie donc, père Abraham, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père». - S. Aug. (quest. évang). Il demande qu'on envoie Lazare, parce qu'il comprend qu'il est indigne de rendre témoignage à la vérité, et comme il n'a pu obtenir le moindre rafraîchissement à ses souffrances, il espère beaucoup moins sortir des enfers pour aller faire connaître la vérité. - S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche). Voyez la perversité de cet homme, jusqu'au milieu de ses châtiments il ne peut reconnaître la vérité; si Abraham est vraiment ton père, comment dis-tu: «Envoyez-le dans la maison de mon père ?» Tu n'as donc pas oublié ton père, tu ne l'as pas oublié, quoiqu'il ait été la cause de ta perte.

S. Grég. (hom. 40). Le supplice des réprouvés leur inspire quelquefois une charité stérile, et fait qu'ils sont portés alors d'un amour tout particulier pour leurs parents, eux qui, dans l'affection qu'ils avaient pour leurs péchés ne s'aimaient pas eux-mêmes, c'est ce qui lui fait dire: «Car j'ai cinq frères, afin qu'il leur atteste qu'ils ne viennent pas aussi eux-mêmes dans ce lieu de tourments».

S. Ambr. Ce mauvais riche s'y prend trop tard pour commencer à instruire les autres, alors qu'il n'y a plus de temps ni pour apprendre, ni pour enseigner. - S. Grég. (hom. 40). Remarquons ici quel surcroît de souffrances pour ce riche, que les flammes tourmentent si cruellement. Dieu lui laisse pour son supplice la connaissance et la mémoire. Il reconnaît Lazare, qu'il ne daignait pas regarder pendant s a vie, il se souvient de ses frères qu'il a laissés sur la terre, car pour ajouter aux peines que souffrent les pécheurs, Dieu permet qu'ils voient la gloire de ceux qui ont été l'objet de leur mépris et qu'ils souffrent du châtiment de ceux qu'ils ont aimés d'une amitié stérile. A la demande que fait le riche que Lazare soit envoyé, Abraham répond: «Ils ont Moïse et les prophètes, qu'ils les écoutent».

S. Chrys. (disc. 4 sur Lazare). C'est-à-dire, votre sollicitude pour le salut de vos frères, n'est pas plus grande que celle de Dieu, qui les a créés et leur a donné des docteurs pour les instruire et les exciter au bien. Moïse et les prophètes, ce sont les écrits de Moïse et les oracles prophétiques. - S. Ambr. Paroles par lesquelles Dieu montre jusqu'à la dernière évidence, que l'Ancien Testament est le ferme appui de notre foi, réprimant ainsi l'incrédulité des Juifs, et repoussant toutes les interprétations perverses des hérétiques.

S. Grég. (hom. 40). Mais ce mauvais riche qui, pendant toute sa vie avait méprisé la parole de Dieu, croyait que ses parents n'en feraient pas plus de cas: «Et il dit: Non, père Abraham, mais si quelqu'un des morts va vers eux, ils feront pénitence». -
S. Chrys. (comme préc). Comme il n'avait que du mépris pour les Écritures, et qu'il les regardait comme des fables, il jugeait ses frères d'après ses propres sentiments. - S. Grég. de Nysse. (Liv. de l'âme et de la résur). Ces paroles contiennent encore une autre leçon, c'est que l'âme de Lazare est dégagée de toute sollicitude pour les choses présentes, et n'a pas un regard pour ce qu'elle a quitté. Le riche, au contraire, même après la mort, est encore attaché à la vie charnelle comme avec de la glu, car celui dont l'âme se plonge dans les affections de la chair, reste esclave de ses passions, même lorsque son âme est séparée de son corps. - S. Grég. (hom. 40). Abraham fait au mauvais riche cette réponse pleine de vérité: «S'ils n'écoutent point Moïse et les prophètes, quelqu'un des morts ressusciterait, qu'ils ne croiraient point»; parce qu'en effet, ceux qui méprisent les paroles de la loi, pratiqueront d'autant plus difficilement les préceptes du Rédempteur, qui est ressuscité des morts, qu'ils sont beaucoup plus sublimes.

S. Chrys. (disc. 4 sur Lazare). Les Juifs sont une preuve que celui qui n'est point docile aux enseignements de l'Écriture, n'écouterait pas davantage un mort ressuscité à la vie, eux qui ont voulu tuer Lazare après sa résurrection et persécuté les Apôtres, bien qu'ils aient vu plusieurs morts ressuscités à l'heure du crucifiement (cf. Mt 27,52). Mais pour vous convaincre encore davantage que l'autorité des Écritures et des prophètes est d'un plus grand poids que le témoignage d'un mort ressuscité, remarquez qu'un mort quel qu'il soit est un serviteur, tandis que tout ce qu'enseignent les Écritures, c'est Dieu, même qui l'enseigne. Ainsi donc qu'un mort ressuscite, qu'un ange descende du ciel, les Écritures sont beaucoup plus dignes de foi, car c'est le Seigneur des anges, le maître des vivants et des morts qui en est l'auteur. D'ailleurs, si Dieu avait jugé que la résurrection des morts pourrait être utile aux vivants, il n'eût pas omis ce moyen de salut, lui qui se propose en tout notre utilité. Mais supposons de fréquentes résurrections de morts, on n'y ferait bientôt plus attention; le démon se servirait de ce moyen pour introduire des doctrines perverses en cherchant à imiter ce miracle par ses suppôts. Il ne pourrait sans doute ressusciter réellement les morts, mais il ferait illusion aux yeux des spectateurs par certains artifices, ou en exciterait quelques-uns à simuler une mort véritable.

S. Aug. (Du soin qu'on doit avoir pour les morts, chap. 14). On me dira: Si les morts n'ont aucun souci des vivants, comment ce riche a-t-il pu prier Abraham d'envoyer Lazare vers ses cinq frères? Mais cette prière du riche suppose-t-elle nécessairement qu'il connût alors ce que faisaient ces frères ou ce qu'ils pouvaient souffrir? Il portait donc intérêt aux vivants, mais sans savoir aucunement ce qu'ils faisaient; de même que notre sollicitude s'étend aux morts, bien que nous ignorions complètement leur état actuel. On demande encore: Comment Abraham connaissait-il Moïse et les prophètes, c'est-à-dire leurs livres? comment avait-il pu savoir que le riche avait vécu dans les délices et Lazare dans les souffrances? Nous répondons qu'il put le savoir, non pendant leur vie, mais après leur mort, lorsque Lazare le lui eut appris, explication qui ne détruit pas la vérité de ces paroles du prophète: «Abraham ne nous a pas connus». (Is 63,16). Les âmes des morts peuvent encore savoir quelque chose par le moyen des anges qui président aux choses d'ici-bas. L'esprit de Dieu peut enfin leur révéler, soit dans le passé, soit dans l'avenir, ce qu'il leur importe de connaître.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 38). Dans le sens allégorique, on peut voir dans ce riche la figure des Juifs orgueilleux, «qui ne connaissaient point la justice de Dieu, et s'efforçaient d'établir leur propre justice» (Rm 10,3). La pourpre et le lin sont le symbole du royaume: «Le royaume de Dieu vous sera enlevé» (Mt 21,43). Ces festins splendides, c'est l'ostentation de la loi dans laquelle ils se glorifiaient par orgueil et pour se faire valoir plutôt que de la faire servir à leur salut. Ce mendiant, du nom de Lazare qui signifie celui qui est assisté, représente la pauvreté des Gentils ou des publicains, qui obtiennent d'autant plus facilement du secours, qu'ils présument moins de leurs propres ressources. - S. Grég. (hom. 40). Lazare, couvert d'ulcères, est la figure du peuple des Gentils, qui se convertit à Dieu et ne rougit pas de confesser ses péchés; sa peau est couverte de blessures, car qu'est-ce que la confession des péchés, qu'une rupture de nos blessures intérieures? Lazare, tout couvert d'ulcères, «désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, et personne ne lui en donnait», parce que ce peuple orgueilleux ne daignait admettre aucun Gentil à la connaissance de la loi, et qu'il laissait tomber les paroles de cette science comme les miettes de sa table. - S. Aug. (quest. évang). Les chiens qui venaient lécher les ulcères du pauvre, figurent ces hommes profondément corrompus, dévoués au mal, qui ne cessent de louer à bouche ouverte les oeuvres d'iniquité qui sont l'objet des gémissements et des regrets publics de ceux qui les ont commises. - S. Grég. (hom. 40). Quelquefois dans les saintes Écritures, les chiens représentent les prédicateurs, selon ces paroles du Psalmiste: «La langue de tes chiens s'abreuvera du sang de tes ennemis» (Ps 68,24; cf. Is 56,10). En effet, la langue des chiens guérit les blessures qu'elle lèche, ainsi les saints docteurs, par les instructions qui suivent la confession de nos péchés, touchent pour ainsi dire avec leur langue les blessures de notre âme. Le riche a été enseveli dans les enfers, Lazare, au contraire, a été porté par les anges dans le sein d'Abraham, c'est-à-dire, dans ce séjour mystérieux de repos, dont la vérité a dit: «Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident, et aur ont place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, tandis que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures». C'est de loin que le riche lève les yeux pour voir Lazare, parce que c'est du fond de l'abîme où ils souffrent les peines dues à leurs péchés, que les infidèles aperçoivent au-dessus d'eux, jouissant d'un repos ineffable, les fidèles dont après le jugement dernier, ils ne pourront plus contempler le bonheur. C'est de loin qu'ils les aperçoivent, parce qu'ils ne peuvent y atteindre par leurs mérites. C'est surtout dans sa langue que le riche endure de plus vives souffrances, parce que ce peuple infidèle avait toujours à la bouche les paroles de la loi qu'il dédaignait de mettre en pratique. Il sera donc plus cruellement tourmenté dans sa langue qui manifestait à tous qu'il savait parfaitement ce qu'il refusait de pratiquer. Abraham l'appelle son fils, bien qu'il ne le délivre pas de ses tourments, parce que les ancêtres de ce peuple infidèle n'ont aucune compassion pour arracher au supplice ceux qu'ils reconnaissent bien comme étant leurs enfants, mais qui ont en si grand nombre abandonné les exemples de leur foi.

S. Aug. (Quest. évanq., 2, 39). Les cinq frères que le riche dit avoir dans la maison de son père, figurent les Juifs qui sont au nombre de cinq, parce qu'ils étaient soumis à la loi qui a été donnée par Moïse (cf. Jn 1,17 Jn 7,19), et renfermée dans les cinq livres qu'il a écrits. - S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche). Ou bien ce riche avait cinq frères, c'est-à-dire, les cinq sens dont il était l'esclave; aussi ne pouvait-il aimer Lazare, parce que ses frères n'aiment pas la pauvreté. Ce sont ces frères qui t'ont précipité dans ces tourments, ils ne peuvent être sauvés s'ils ne meurent, autrement il est nécessaire que les frères habitent avec leur frère. Mais pourquoi demandes-tu que j'envoie Lazare? Ils ont Moïse et les prophètes. Moïse a été lui-même pauvre comme Lazare, lui qui a estimé que la pauvreté de Jésus-Christ était un plus grand trésor que toutes les richesses de l'Égypte (He 12), Jérémie, jeté dans un lac, y fut nourri du pain de la tribulation (Jr 38,9-10). Tous ces prophètes sont là pour enseigner tes frères, mais ils ne peuvent être sauvés qu'autant que quelqu'un ressuscite des morts, car ces frères, avant la résurrection de Jésus-Christ, me conduisaient à la mort; il est mort, mais ces frères sont ressuscités, et maintenant mes yeux voient Jésus-Christ, mes oreilles l'entendent, mes mains peuvent le toucher. Ce que nous venons de dire est la condamnation des marcionites et des manichéens, qui ne veulent point admettre l'Ancien Testament. Voyez ce que dit Abraham: «S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes», etc., paroles qui signifient: Vous faites bien d'attendre celui qui doit ressusciter des morts, mais c'est Jésus-Christ lui-même qui vous parle par la bouche des prophètes, et si vous les écoutez, c'est lui-même que vous écoutez. - S. Grég. (hom. 40). Mais comme le peuple juif a refusé d'entendre dans le sens spirituel les paroles de Moïse, il n'a pu parvenir à celui que Moïse avait prédit et annoncé.

S. Ambr. On peut encore donner à cette histoire cet autre sens: Lazare est pauvre dans ce monde, mais il est riche aux yeux de Dieu. En effet, toute pauvreté n'est pas sainte, comme toute possession des richesses n'est pas nécessairement criminelle, c'est la vie molle et sensuelle qui déshonore les richesses, comme c'est la sainteté qui rend la pauvreté honorable. Ou bien encore, Lazare, c'est tout homme apostolique qui est pauvre par la parole et riche par la foi, qui s'attache à la vraie foi et ne recherche pas les vains ornements de la parole. Je comparerai cet homme à celui qui, souvent frappé de verges par les Juifs, offrait pour ainsi dire, à lécher aux chiens les ulcères de son corps (2Co 11,24; cf. Dt 25,2-3). Heureux ces chiens qui ont léché les gouttes de sang qui découlait de ces plaies et qui remplit ainsi la bouche et le coeur de ceux qui doivent garder la maison, veiller sur le troupeau et le défendre contre les loups. Et co mme le pain est la figure de la parole, et que la foi vient de la parole, les miettes de pain représentent certaines vérités de la foi, c'est-à-dire les mystères des Écritures. Les Ariens, qui recherchent avec tant d'empressement l'appui de la puissance royale pour attaquer la vérité de l'Église, ne vous paraissent-ils pas comme revêtus de pourpre et de fin lin? Comme ils prêchent l'erreur et le mensonge en place de la vérité, ils multiplient leurs pompeux discours. C'est ainsi que la riche hérésie a composé je ne sais combien d'évangiles, tandis que la foi pauvre s'en est tenu au seul Évangile qu'elle a reçu de Dieu. La riche philosophie s'est fait plusieurs dieux, et l'Église pauvre n'a reconnu et adoré qu'un seul Dieu. Ces richesses ne vous semblent-elles pas être une véritable indigence, et cette indigence une véritable richesse ?

S. Aug. (Quest. évang). Ce récit peut encore recevoir une autre interprétation. Lazare serait la figure du Seigneur, étendu à la porte du riche, parce que les humiliations de son incarnation l'ont abaissé jusqu'aux oreilles superbes des Juifs. Il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, c'est-à-dire, qu'il demandait aux Juifs les plus petites oeuvres de justice qui ne fussent pas enlevées par leur or gueil à sa table, c'est-à-dire à sa puissance, et qu'ils pussent au moins pratiquer, sinon sous l'influence d'une vie constamment vertueuse, au moins de temps en temps et par hasard, comme les miettes qui tombent de la table. Les ulcères, ce sont les blessures du Seigneur, les chiens qui venaient les lécher, ce sont les Gentils, que les Juifs regardaient comme immondes, et qui, cependant par tout l'univers, goûtent avec une pieuse suavité les plaies du Seigneur dans le sacrement de son corps et de son sang. Le sein d'Abraham, c'est le secret du Père, où Jésus-Christ est monté après sa résurrection; il y a été porté par les anges, parce que ce sont les anges qui ont annoncé à ses disciples (Mt 28,7 Mc 16,7 Lc 24,9) qu'il était remonté dans le sein du Père. L'interprétation que nous avons donnée plus haut peut s'appliquer au reste du récit, car le sein de Dieu peut très-bien s'entendre du lieu où (même avant la résurrection) les âmes des justes vivent dans la société de Dieu.


CHAPITRE XVII


vv. 1-2

10701 Lc 17,1-2

Théophyl. Notre-Seigneur répond aux pharisiens avares qui attaquaient ses enseignements sur la pauvreté, par la parabole du mauvais riche et de Lazare. Il s'entretient ensuite des pharisiens avec ses disciples, et les leur représente comme des schismatiques et comme des gens qui entravent par leurs obstacles les voies divines: «Et Jésus dit à ses disciples: Il est impossible qu'il n'arrive des scandales», c'est-à-dire des obstacles à la vie sainte et agréable à Dieu. - S. Cyr. Il y a deux sortes de scandales, les uns sont opposés directement à la gloire de Dieu, les autres se bornent à créer des obstacles à nos frères dans la voie du bien; c'est ainsi que les doctrines des hérétiques, et tout discours contraire à la vérité sont directement opposés à la gloire de Dieu. Or, Notre-Seigneur ne paraît pas avoir ici en vue cette première espèce de scandale, mais plutôt ceux qui arrivent entre amis et entre frères, comme les querelles, les médisances, et autres différends semblables. Voilà pourquoi il ajoute plus bas: «Si votre frère pèche contre vous, reprenez-le», etc. - Théophyl. Ou bien il veut dire que la prédication et la vérité doivent nécessairement rencontrer bien des difficultés, telles que celles que les pharisiens suscitaient à la prédication de Jésus-Christ. Mais s'il est nécessaire que les scandales arrivent, comment me dira-t-on, Notre-Seigneur peut-il en faire un crime à l'auteur du scandale en disant: «Malheur à celui par qui arrive le scandale ?» Car tout ce qui est le produit de la nécessité est digne d'indulgence. Nous répondons que cette nécessité tire son origine de notre libre arbitre. Notre-Seigneur, considérant comment les hommes se portent au mal et sont indifférents pour le bien, déclare que les scandales sont une conséquence nécessaire de cet état de choses; comme un médecin qui voit un de ses malades faire usage d'un mauvais régime, dit de lui: Cet homme deviendra nécessairement malade. Aussi le Sauveur annonce malheur à celui par qui arrive le scandale, et lui en prédit le châtiment: «Il vaudrait mieux pour lui qu'on lui mît une meule de moulin au cou et qu'on le précipitât dans la mer». - Bède. Notre-Seigneur fait ici allusion à un usage de la Palestine, où le châtiment des grands crimes, chez les anciens Juifs, consistait à précipiter les coupables au fond de la mer avec une grosse pierre au cou. Et en effet, il vaut mieux, même pour un innocent, perdre la vie du corps par un supplice atroce, mais passager, que de précipiter son frère innocent dans la mort éternelle. C'est à juste titre que le Sauveur donne le nom de «petit» à celui qui est scandalisé; car celui dont l'âme est grande et élevée, quoi qu'il voie, quoi qu'il lui arrive, ne se laisse point détourner de la foi. Autant que nous le pouvons sans péché, évitons donc de donner du scandale à nos frères; s'ils prennent scandale de la vérité, il est plus utile de permettre ce scandale, que d'abandonner les intérêts de la vérité. - S. Chrys. Par le supplice de celui qui scandalise les âmes, apprenez quelle sera la récompense de celui qui les sauve. Car s'il n'avait tant à coeur le salut d'une seule âme, il ne menacerait pas d'un si grand châtiment les auteurs du scandale.


vv. 3-4

10703 Lc 17,3-4

S. Ambr. Après la parabole du mauvais riche souffrant cruellement dans les flammes éternelles, le Sauveur fait à ses disciples une obligation de pardonner à tous ceux qui reviennent de leurs erreurs; de peur que le désespoir ne les fasse persévérer dans le mal: «Prenez garde à vous». - Théophyl. Comme s'il leur disait: Il est nécessaire qu'il arrive des scandales, mais il n'est pas nécessaire que vous périssiez si vous êtes sur vos gardes, de même qu'il n'y a point nécessité que les brebis deviennent la proie du loup, si le berger veille sur elles, et comme il y a plusieurs espèces de personnes qui donnent le scandale, que les unes peuvent être guéries, que les autres sont incurables, il ajoute: «Si votre frère pèche contre vous, reprenez-le», etc. - S. Ambr. Le pardon ne doit pas être trop difficile, ni l'indulgence trop grande, il faut éviter à la fois les reproches sévères qui découragent, et une connivence coupable qui autorise le mal; aussi Notre-Seigneur nous dit-il ailleurs: «Reprenez-le entre vous et lui»; car une réprimande amicale est toujours plus utile qu'une accusation trop vive; l'une inspire une honte salutaire, l'autre excite l'indignation; ayez plutôt des ménagements pour cette crainte qu'a le coupable que ses fautes soient révélées; car il est bien plus avantageux qu'il voie en vous un ami qui le reprend, qu'un ennemi qui veut sa perte, et il se rendra toujours plus facilement à vos conseils, qu'il ne cédera à vos injures. La crainte est un faible gardien de la persévérance, la honte enseigne bien plus efficacement le devoir; car si la crainte réprime le vice, elle ne peut le corriger. Notre-Seigneur dit avec dessein: «Si votre frère pèche contre vous», car on ne peut raisonner des fautes commises contre Dieu, comme des offenses envers nos semblables.

Bède. Remarquez encore qu'il ne nous fait point une obligation de pardonner indifféremment à tout homme qui nous offense, mais seulement à celui qui témoigne du repentir; car tel est l'ordre que nous devons suivre pour éviter les scandales: n'offenser personne, reprendre par zèle pour la justice ceux qui sont en faute, et recevoir avec des entrailles de miséricorde les pécheurs repentants. - Théophyl. Mais, me dira-t-on, si après avoir pardonné plusieurs fois à mon frère, il continue à m'offenser, quelle conduite tenir à son égard? Notre-Seigneur a répondu à cette question: «S'il pèche contre vous sept fois le jour, et que sept fois le jour il revienne à vous, disant: Je me repens, pardonnez-lui».

Bède. Le nombre sept n'exprime pas ici les limites que nous devons apporter au pardon, mais il signifie qu'il faut pardonner toutes les offenses, ou du moins qu'il faut toujours pardonner à celui qui se repent. Le nombre sept, en effet, exprime souvent dans l'Écriture l'universalité des choses ou des temps. - S. Ambr. Ou bien encore, de même que Dieu s'est reposé de ses oeuvres le septième jour, ainsi un repos éternel nous est promis après la semaine de ce monde; Dieu veut donc que la sévérité de la vengeance s'apaise et se repose, à l'exemple de toutes les oeuvres mauvaises de ce monde, qui doivent un jour prendre fin.


vv. 5-6

10705 Lc 17,5-6

Théophyl. Les disciples ayant entendu les enseignements du Seigneur sur des devoirs difficiles, c'est-à-dire sur la pauvreté et la fuite des scandales, lui demandent d'augmenter en eux la foi, qui doit les aider à pratiquer la pauvreté (car rien de plus efficace pour inspirer l'amour de la pauvreté, comme la foi et l'espérance en Dieu), et à résister aux scandales: «Alors les Apôtres dirent au Seigneur: Augmentez-nous la foi». - S. Grég. (Moral., 22, 14). Afin que cette foi qu'ils avaient reçue dans son germe, parvînt à la perfection par des accroissements successifs. - S. Aug. (Quest. évang., 2, 39). Par cette foi, qu'ils prient le Sauveur d'augmenter en eux, on peut entendre celle qui nous fait croire ce que nous ne voyons pas; cependant il y a aussi une foi qu'on peut appeler la foi des choses, qui nous porte à croire non seulement aux paroles, mais aux choses présentes, ce qui doit un jour s'accomplir, lorsque la sagesse de Dieu, par laquelle tout a été fait, s'offrira à la contemplation des saints dans tout l'éclat de sa gloire.

Théophyl. Notre-Seigneur approuve ouvertement leur demande, et les exhorte à croire fermement en leur découvrant toute la puissance de la foi: «Le Seigneur leur dit: Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé», etc. Il y a ici deux prodiges extraordinaires, transporter un arbre enraciné dans la terre, et le planter au milieu de la mer (car que peut-on planter au milieu des flots), et qui tous deux font voir la puissance de la foi. -
S. Chrys. (hom. 58 sur S. Matth). Le Sauveur prend pour exemple le grain de sénevé, parce que bien que son volume soit très-petit, il a cependant plus de force que toutes les autres graines, et il veut nous apprendre par là que le plus petit degré de foi, peut opérer de grandes choses. N'allez pas cependant accuser légèrement les Apôtres, de ce qu'ils n'ont point transporté de mûrier, car Notre-Seigneur ne leur a point dit: Vous transporterez, mais: «Vous pourrez transporter». Mais ils ne l'ont point voulu, parce que cela était inutile, puisqu'ils ont opéré de plus grands prodiges. - S. Chrys. (hom. 32 sur la 1 e Epit. aux Cor). Mais comment concilier ces paroles de Jésus-Christ, que le plus petit degré de foi peut transporter un arbre ou une montagne, avec celles où saint Paul déclare que c'est la foi parfaite qui transporte les montagnes? (1Co 13,2) Nous répondons que l'apôtre saint Paul attribue à la foi parfaite la vertu de transporter les montagnes, non que ce soit le privilège exclusif de la foi parfaite, mais parce qu'il s'adressait à des esprits encore grossiers qui trouvaient ce prodige extraordinaire à cause de la difficulté que présente la masse énorme d'une montagne.

Bède. Ou bien le Seigneur compare ici la foi parfaite à un grain de sénevé, parce qu'elle a peu d'apparence au dehors, et qu'elle déploie toute sa force dans l'intérieur de notre corps. Dans le sens allégorique, le mûrier (dont les fruits et les branches ont la couleur du sang), est la figure de l'Évangile de la croix que la foi des Apôtres a par la prédication arraché du peuple juif, dans lequel il était enraciné comme dans sa terre primitive, pour le transporter et le planter au milieu de la mer des nations. - S. Ambr. Ou bien encore, ces paroles signifient la puissance de la foi pour chasser l'esprit immonde, d'autant plus que la nature de cet arbre favorise cette opinion. En effet, le fruit du mûrier est blanc dans sa fleur, il paraît rouge lorsqu'il a pris sa forme, et devient noir lorsqu'il est parvenu à sa maturité. C'est ainsi que le démon, déchu par sa prévarication de la fleur blanche de sa nature angélique, et de son éclatante dignité, est devenu un objet d'horreur par les noires vapeurs qu'exhale son iniquité. - S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). Il y a encore une autre analogie entre le démon et le mûrier; les vers se nourrissent des feuilles du mûrier, ainsi le démon se sert des pensées qu'il suggère pour nourrir le ver qui ne meurt point, mais la foi peut déraciner de nos âmes ce mûrier et le précipiter dans l'abîme.


vv. 7-10

10707 Lc 17,7-10

Théophyl. Comme la foi rend celui qui la possède fidèle observateur des commandements de Dieu, et lui fait opérer des oeuvres vraiment admirables, il semblait qu'elle pouvait exposer l'homme au vice de l'orgueil. Aussi Notre-Seigneur prémunit ses disciples contre ce sentiment d'orgueil qui pouvait naître de leurs vertus, par l'exemple suivant: «Qui de vous, ayant un serviteur attaché au labourage», etc. - S. Aug. (quest. Evang., 2, 39). Ou bien encore, comme la plupart ne comprenaient pas cette foi à la vérité qui devait un jour se découvrir sans nuage, on pourrait croire que Notre-Seigneur ne répond pas directement à la demande de ses disciples. En effet, la suite des paroles du Sauveur se rapporte difficilement à cette prière des Apôtres: «Augmentez en nous la foi», à moins de les entendre dans ce sens, que nous passons d'une foi moins parfaite à une foi parfaite, c'est-à-dire de la foi qui nous fait servir Dieu, à la foi où nous jouissons pleinement de Dieu. La foi s'augmente en effet, lorsqu'après avoir eu pour objet les paroles de la prédication, elle s'étend même aux choses visibles. Mais cette foi contemplative est accompagnée de ce repos ineffable que Dieu nous prépare dans son royaume éternel, et ce repos est la récompense des travaux méritoires qui s'accomplissent dans l'Église. Ainsi, quel que soit le genre de travaux auxquels est appliqué le serviteur, qu'il laboure dans les champs, ou qu'il garde les troupeaux (c'est-à-dire qu'il s'occupe dans cette vie des choses de la terre, ou qu'il soit au service des hommes insensés figurés par les troupeaux), il faut qu'après ces travaux accomplis il rentre à la maison, c'est-à-dire qu'il soit réuni à l'Église.

Bède. Ou bien encore, ce serviteur qui revient des champs, c'est le docteur qui interrompt pour un temps l'oeuvre de la prédication, pour rentrer dans sa conscience et y repasser ses actions et ses paroles. Le Seigneur ne lui dit pas aussitôt: Allez (de cette vie mortelle), et mettez-vous à table, c'est-à-dire, réjouissez-vous dans l'éternel repas de la vie bienheureuse. - S. Ambr. En effet, nul ne s'asseoit à ce banquet avant de passer de cette vie à l'autre. Moïse lui-même a dû passer de l'endroit où il était pour être témoin de la grande vision ou Dieu se révélait à lui (Ex 3,3-5). De même donc que vous ne dites pas aussitôt à votre serviteur: Mettez-vous à table, mais que vous exigez de lui auparavant d'autres services; ainsi Dieu ne vous demande pas un seul genre d'oeuvres et de travaux, notre travail ne doit cesser qu'avec notre vie: Est-ce qu'il ne lui dit pas au contraire: «Préparez-moi à souper», etc. - Bède. Dieu commande à ce serviteur de lui préparer à manger, c'est-à-dire qu'après le travail de la prédication publique, il doit se livrer à une humble considération de lui-même; c'est la nourriture que Dieu désire. Se ceindre les reins, c'est, pour une âme humble, relever et resserrer toutes les pensées flottantes qui peuvent entraver notre marche dans la voie des bonnes oeuvres; car on ne serre ses vêtements avec une ceinture que pour n'être point exposé à tomber en marchant. Servir le vrai Dieu, c'est confesser hautement que toute notre force vient du secours de sa grâce.

S. Aug. (quest. Evang). C'est alors que ses ministres le servent, c'est-à-dire qu'ils se livrent à la prédication de l'Évangile, que Dieu boit et mange, pour ainsi dire, la confession et la foi des Gentils.

«Et après cela tu mangeras et tu boiras», (Bède) c'est-à-dire: Après que j'aurai goûté avec joie l'oeuvre de votre prédication, et que je me serai rassasié de votre componction comme d'un mets délicieux, alors vous passerez, et vous serez nourri vous-même à jamais de l'aliment éternel de ma sagesse.

S. Cyr. Notre-Seigneur nous enseigne ici qu'en vertu du droit de sa puissance souveraine, il exige de ses serviteurs l'obéissance comme une chose qui lui est due: «Aura-t-il de l'obligation à ce serviteur, parce qu'il a fait ce qu'il lui a commandé? Je ne le pense pas.» Quoi de plus propre à guérir la maladie de l'orgueil? Pourquoi vous enorgueillir? Ignorez-vous que si vous ne remplissez pas l'obligation qui vous est imposée, vous vous exposez au danger, et que si vous y êtes fidèle, vous ne faites rien de trop, d'après ces paroles de saint Paul: «Si je prêche l'Évangile, la gloire n'en est point à moi, car c'est pour moi une obligation de le faire, malheur à moi si je ne prêche pas l'Évangile !» (1Co 9,16) Considérez en effet, que ceux qui exercent l'autorité parmi nous, ne remercient pas leurs serviteurs lorsqu'ils exécutent les ordres qui leur ont été donnés, mais ils cherchent à gagner leur affection à force de bienveillance pour leur inspirer un plus grand zèle dans l'accomplissement de leurs devoirs. Ainsi Dieu nous demande de le servir en vertu de son droit souverain, mais comme il est plein de clémence et de bonté, il promet des honneurs infinis à ceux qui travaillent pour lui, et la grandeur de sa bienveillance est bien supérieure à toutes les fatigues que nous endurons à son service.

S. Ambr. Ne vantez donc pas votre mérite lorsque vous avez fidèlement servi, vous n'avez fait que ce que vous deviez faire. Le soleil obéit à Dieu, la lune lui est soumise, les anges exécutent ses ordres; gardons-nous donc de nous louer nous-mêmes, c'est la conclusion que le Sauveur tire lui-même de ce qu'il vient de dire: «De même quand vous aurez fait ce qui vous est commandé, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles; nous avons fait ce que nous devions faire». - Bède. Nous sommes des serviteurs, parce que nous avons été rachetés d'un grand prix (1Co 7,23); nous sommes des serviteurs inutiles, parce que le Seigneur n'a nul besoin de nos biens (Ps 15,2); ou parce que les souffrances de cette vie n'ont aucune proportion avec la gloire future (Rm 8,18). La perfection de la foi pour les chrétiens, consiste donc à reconnaître leur imperfection, alors même qu'ils ont accompli tout ce qui leur est commandé.



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