Catena Aurea 10831

vv. 31-34

10831 Lc 18,31-34

S. Grég. (hom. 2, sur les Evang). Le Sauveur qui prévoyait le trouble que sa passion devait jeter dans l'esprit de ses disciples, leur prédit longtemps à l'avance et les souffrances de la passion, et la gloire de sa résurrection: «Ensuite Jésus prit à part les douze, et leur dit: Voici que nous montons à Jérusalem», etc. - Bède. Il prévoyait aussi que certains hérétiques prétendraient qu'il avait enseigné une doctrine contraire à la loi et aux prophètes, et il leur montre que les oracles des prophètes ont annoncé au contraire la consommation de son sacrifice sanglant, et la gloire qui devait le suivre.

S. Chrys. (hom. 66, sur S. Matth). Il prend à part ses disciples pour s'entretenir avec eux de sa passion; il ne voulait pas qu'elle fût connue pour le moment du peuple parmi lequel cette prédiction eût jeté le trouble et l'agitation; mais il la fait exclusivement connaître à ses disciples pour leur donner le courage de supporter ce triste événement lorsqu'il serait arrivé.

S. Cyr. Il veut aussi les convaincre que sa passion lui était parfaitement connue, qu'il allait volontairement au-devant de ses souffrances, et prévenir ainsi dans leur esprit cette difficulté: Comment celui qui promettait de nous sauver, est-il tombé lui-même dans les mains de ses ennemis? Aussi leur raconte-t-il par ordre toute la suite de sa passion: «Il sera livré aux Gentils, et moqué, et flagellé, et couvert de crachats». - S. Chrys. (hom. 66, sur S. Matth). C'est ce qu'avait prédit Isaïe: «J'ai livré mes épaules aux coups, et mes joues aux soufflets, je n'ai point détourné mon visage de ceux qui me couvraient d'injures et de crachats». (Is 50). Le même prophète a également prédit le supplice de la croix: «Il a livré son âme à la mort, et il a été mis au nombre des scélérats». (Is 53). Notre-Seigneur ajoute: «Et après qu'ils l'auront flagellé, ils le mettront à mort». David a aussi prédit sa résurrection, lorsqu'il disait (Ps 15): «Vous ne laisserez pas mon âme dans l'enfer (Ac 2) ». Le Sauveur renouvelle ici cette prédiction: «Et il ressuscitera le troisième jour».

S. Isid. (Liv. 2, lett. 212). J'admire la folie de ceux qui demandent pourquoi Jésus-Christ a ressuscité avant le troisième jour. Qui ne voit que s'il eut ressuscité plus tard qu'il ne l'avait prédit, ce serait un signe d'impuissance, tandis qu'en ressuscitant plutôt il donne une preuve de sa puissance toute divine. Qu'un débiteur qui a promis à son créancier de payer sa dette dans trois jours, s'acquitte le jour même, nous le regarderons non comme un menteur, mais comme un homme fidèle à sa parole. Je dirai plus, le Sauveur n'a pas prédit qu'il ressusciterait après trois jours, mais le troisième jour. Or, vous avez la veille du sabbat, le jour du sabbat lui-même jusqu'au coucher du soleil, et le jour qui suit le sabbat, lequel fut celui de sa résurrection.

S. Cyr. Les disciples ne comprenaient pas encore parfaitement ce que les prophètes avaient prédit; mais après sa résurrection, il leur ouvrit l'esprit pour qu'ils comprissent les Écritures (Lc 24, 45): «Mais ils ne comprirent rien à cela». - Bède. Ils désiraient ardemment voir se prolonger la vie de leur maître, par conséquent ils ne pouvaient souffrir d'entendre parler de sa mort. Ils savaient d'ailleurs qu'il était non seulement un homme innocent, mais qu'il était véritablement Dieu, et ils ne pouvaient supposer qu'il pût mourir; et comme il leur parlait souvent en paraboles, ils croyaient pouvoir entendre dans un sens figuré tout ce qu'il leur disait de sa passion: «Et cette parole leur était cachée, et ils ne comprenaient point ce qui leur était dit». Les Juifs au contraire qui conspiraient pour le faire mourir, comprenaient parfaitement qu'il voulait parler de sa passion, lorsqu'il leur disait: ce que nous lisons dans saint Jean: «Il faut que le Fils de l'homme soit élevé». Aussi lui répondirent-ils: «Nous avons appris de la loi que le Christ demeure éternellement, comment donc pouvez-vous dire: «Il faut que le Fils de l'homme soit élevé ?»


vv. 35-43

10835 Lc 18,35-43

S. Grég. (hom. 2, sur les Evang). Comme les disciples encore charnels ne pouvaient comprendre le mystère que Jésus venait de leur prédire, il fait suivre cette prédiction d'un miracle sous leurs yeux, rend la vue à un aveugle, pour les affermir dans la foi par cette guérison toute divine: «Comme il approchait de Jéricho, il arriva qu'un aveugle était assis sur le bord du chemin». - Théophyl. Notre-Seigneur guérit miraculeusement cet aveugle pendant qu'il était en chemin pour ne pas laisser ses voyages même sans utilité, et nous apprendre à nous ses disciples que nous devons rendre toutes nos actions profitables au prochain, et à n'en point souffrir d'inutiles. - S. Aug. (Quest. évang., 2, 48). Ces paroles: «Comme ils étaient près de Jéricho», pourraient signifier qu'ils en étaient déjà sortis, mais qu'ils n'en étaient pas encore éloignés. A la vérité, cette manière de parler n'est pas très-usitée, mais ce qui motiverait ici cette interprétation c'est que d'après le récit de saint Matthieu, comme ils sortaient de Jéricho, Jésus rendit la vue à deux aveugles qui étaient assis le long du chemin. Le nombre des aveugles ne pourrait faire difficulté; qu'un évangéliste ne parle que d'un seul sans faire mention de l'autre, peu importe, saint Marc lui-même ne parle que d'un seul, lorsqu'il raconte que Jésus lui rendit la vue, comme il sortait de Jéricho. Il va même jusqu'à faire mention de son nom et de son père, pour nous faire entendre qu'il était très-connu, tandis que l'autre ne l'était pas du tout, ce qui explique pourquoi il a cru ne devoir parler que de celui que l'on connaissait davantage. Cependant comme la suite du récit, dans l'Évangile selon saint Luc, prouve évidemment que la guérison de cet aveugle eut lieu lorsque Jésus allait à Jéricho, il ne nous reste d'autre solution que de dire que le Sauveur a deux fois opéré ce miracle, la première fois sur un seul aveugle, lorsqu'il allait entrer dans Jéricho, et la seconde sur deux aveugles, lorsqu'il sortait de cette ville, de sorte que saint Luc a rapporté le premier miracle et saint Matthieu le second

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). Une foule nombreuse entourait Jésus-Christ, l'aveugle ne le connaissait pas, mais il sentait intérieurement sa présence, et son coeur lui faisait pressentir celui que ses yeux ne pouvaient apercevoir: «Entendant le bruit du peuple qui passait, il demanda ce que c'était». Ceux qui le voyaient de leurs yeux lui répondirent d'après l'idée qu'on s'était faite du Sauveur: «Ils lui dirent que c'était Jésus de Nazareth qui passait». Mais l'aveugle proclame bien haut la vérité. On lui enseigne une chose, et il en annonce hautement une autre: «Et il se mit à crier: Jésus fils de David, ayez pitié de moi».Qui vous a donc enseigné cette vérité? Avez-vous pu lire les livres sacrés, privé que vous êtes de la vue? Comment donc avez-vous pu connaître celui qui est la lumière du monde? Ah ! c'est vraiment ici que «Dieu éclaire les aveugles» (Ps 145). -
S. Cyr. Cet homme élevé dans la loi des Juifs ne pouvait ignorer que le Dieu fait homme devait naître de la race de David; aussi s'adresse-t-il à lui comme à un Dieu, en lui disant: «Ayez pitié de moi»; bel exemple qu'il donne à imiter à ceux qui divisent le Christ en deux personnes, il proclame ici que le Christ est Dieu, en même temps qu'il proclame sa descendance de David. Qu'ils admirent aussi la justice de sa foi; ceux qui l'entendaient voulaient en comprimer les élans et la constance: «Ceux qui marchaient devant, le gourmandaient pour le faire taire», mais sa pieuse hardiesse ne se laissait pas intimider par ces défenses répétées, c'est que la foi sait résister à tous les obstacles, et triompher de toutes les difficultés. Il est bon de se dépouiller de toute fausse honte, lorsqu'il s'agit du service de Dieu, car si nous en voyons quelques-uns déployer tant d'audace pour acquérir quelques sommes d'argent, ne faut-il pas que nous soyons saintement audacieux lorsqu'il s'agit du salut de notre âme: Voyez en effet cet aveugle: «Mais il criait beaucoup plus encore: Fils de David, ayez pitié de moi». Jésus-Christ s'arrête à la voix de ceux qui l'invoquent avec foi, et il abaisse sur eux ses regards. Aussi appelle-t-il cet aveugle et lui commande-t-il de s'approcher: «Alors Jésus s'arrêtant, commanda qu'on le lui amenât». Il voulait que celui qui l'avait déjà touché par la foi s'approchât aussi de lui par le corps: «Et quand il se fut approché, il lui demanda: Que voulez-vous que je vous fasse ?» Il lui fait cette question, non par ignorance, mais dans l'intérêt de ceux qui étaient présents, afin de les convaincre que ce pauvre aveugle ne demandait pas d'argent, mais un acte de puissance divine à Jésus comme à un Dieu: «Il lui dit: Seigneur, que je voie».

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). Comme les Juifs toujours prêts à calomnier la vérité pouvaient dire ainsi que pour l'aveugle-né (Jn 9): ce n'est pas lui, c'est quelqu'un qui lui ressemble, le Sauveur voulut que l'aveugle avouât ouvertement l'infirmité de sa nature, pour qu'il connût mieux ensuite la puissance de la grâce divine; mais dès que cet aveugle a formulé l'objet de sa demande, Jésus, avec une majesté souveraine lui commande de voir: «Et Jésus lui dit: Voyez»; ce ton d'autorité rendait plus coupable l'incrédulité des Juifs, car quel prophète avait jamais tenu un pareil langage? Considérez cependant ce que le divin Médecin a exigé de celui qu'il a guéri: «Votre foi vous a sauvé». C'est au prix de la foi que Dieu vend ses bienfaits, et la grâce ne se répand que là où la foi est prête à la recevoir. La grâce est comme une fontaine abondante, ceux qui viennent y puiser avec des vases de petite dimension, remportent une petite quantité d'eau, ceux au contraire qui puisent avec de plus grands vases, en remportent davantage; ou bien encore, elle est comme la lumière du soleil qui pénètre plus ou moins dans l'intérieur d'un appartement selon la grandeur des fenêtres qui sont ouvertes, ainsi la grâce se répand dans une âme selon la mesure de ses intentions et de ses désirs. La voix de Jésus-Christ devient pour cet aveugle un principe de lumière, car il était la parole ou le Verbe de la véritable lumière: «Il vit aussitôt», ajoute l'Évangéliste. Or, cet aveugle montra autant de reconnaissance après sa guérison, qu'il avait manifesté de foi avant de l'obtenir.

«Et il suivait Jésus en glorifiant Dieu». - S. Cyr. Preuve évidente qu'il est délivré d'une double cécité, de celle du corps et de celle de l'âme, car il n'eût point ainsi glorifié Dieu, s'il n'eût véritablement recouvré la vue. Il devient en outre pour les autres une occasion de rendre gloire à Dieu: «Et tout le peuple voyant cela, rendit gloire à Dieu». - Bède. Non seulement pour le bienfait de la vue qui vient d'être rendue à cette aveugle, mais pour la foi vive qui lui a obtenu sa guérison.

S. Chrys. C'est ici le lieu d'examiner pourquoi Jésus-Christ défendit au possédé qu'il avait délivré du démon, de marcher à sa suite (Mc 5, 19; Lc 8, 38; Mt 8), tandis qu'il ne s'oppose pas à ce même désir que manifeste l'aveugle après sa guérison. Ces deux manières d'agir ont leur raison d'être. Il renvoie le premier comme un hérault qui devra proclamer partout par sa guérison, la puissance de son bienfaiteur; car c'était un miracle vraiment extraordinaire, qu'un possédé aussi furieux eût recouvré le parfait usage de sa raison. Il permet au contraire à l'aveugle de le suivre, alors qu'il se rendait à Jérusalem pour y consommer le grand mystère de la croix, afin qu'en ayant sous les yeux le souvenir de ce miracle si récent, ses disciples fussent bien persuadés que sa passion était l'effet non de sa faiblesse, mais de sa miséricorde.

S. Ambr. Cet aveugle est la figure du peuple des Gentils, qui dut au mystère de la rédemption du Seigneur de recouvrer la lumière qu'il avait perdue. Peu importe que sa guérison soit figurée par un seul aveugle ou par deux; car comme il tire son origine de Cham et de Japhet (cf. Gn 10, 1), fils de Noé, il peut trouver dans ces deux aveugles la figure des deux auteurs de sa race. - S. Grég. (hom. 2, sur les Evang). Ou bien encore, cet aveugle représente le genre humain, aveugle lui-même par la faute de son premier père qui lui a fait perdre la clarté de la céleste lumière, et l'a plongé dans les ténèbres de sa condamnation. Jéricho veut dire lune, et cet astre par ses décroissances mensuelles représente les défaillances continuelles de notre nature mortelle. C'est au moment où notre Créateur s'approche de Jéricho, que l'aveugle recouvre la lumière, parce qu'en effet le genre humain a recouvré la lumière qu'il avait perdue, lorsque la divinité s'est revêtue des infirmités de notre chair. Celui donc qui ne connaît pas la clarté de l'éternelle lumière est un aveugle. S'il se contente de croire au Rédempteur, qui a dit: «Je suis la voie», (Jn 11) il est assis le long du chemin, mais si à la foi s'ajoute la prière pour obtenir de voir la lumière éternelle, il demande l'aumône. Ceux qui marchent devant Jésus représentent la multitude des désirs de la chair, et l'agitation tumultueuse des vices qui, avant que Jésus entre dans notre coeur, dissipent toutes nos pensées, et viennent nous troubler jusque dans l'exercice de la prière. Cet aveugle loin de se taire, criait beaucoup plus encore; ainsi, plus nous sommes accablés par l'agitation et le tumulte de nos pensées, plus devons-nous persévérer avec ferveur dans la prière. Lorsqu'en priant nous sommes obsédés de pensées étrangères, nous sentons jusqu'à un certain point que Jésus passe. Si au contraire nous nous appliquons fortement à la prière, Dieu s'arrête dans notre coeur, et nous rend la lumière que nous avions perdue. Ou bien encore, l'action de passer est propre à l'humanité, celle de s'arrêter ne convient qu'à la divinité. Le Seigneur entendit en passant les cris de cet aveugle, et il s'arrêta pour lui rendre la vue, parce qu'en effet, c'est par son humanité qu'il a compâti avec miséricorde aux cris que nous poussons vers lui dans notre aveuglement, et c'est par la puissance de sa divinité qu'il a répandu en nous la lumière de sa grâce. Il lui demande tout d'abord ce qu'il veut, pour exciter notre coeur à prier, car il veut que nous lui demandions ce qu'il a prévu que nous demanderions et ce qu'il accorderait à nos prières. - S. Ambr. Ou bien encore, il fait cette question à cet aveugle, pour nous enseigner qu'on ne peut être sauvé sans confesser sa foi. - S. Grég. (hom. 2, sur les Evang). Cet aveugle, ne demande pas au Seigneur de lui donner de l'argent, mais de lui rendre la vue; gardons-nous donc nous-mêmes de demander les richesses trompeuses, mais demandons cette lumière, qu'il n'est donné de voir qu'à nous et aux anges; et c'est la foi qui nous conduit à cette lumière. Comme Notre-Seigneur le dit à cet aveugle: «Voyez, votre foi vous a sauvé».Il voit en effet, et marche à la suite du Sauveur, parce qu'il pratique le bien qu'il connaît.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 48). Si Jéricho veut dire lune, et par là même est la figure de notre mortalité, nous pouvons dire que le Sauveur lorsque sa mort était proche, avait commandé de prêcher la lumière de l'Évangile aux Juifs seuls, qui sont représentés par cet aveugle dont parle ici saint Luc. Mais lorsqu'il ressuscite des morts et quitte la terre, il ordonne d'annoncer cette lumière aux Juifs et aux Gentils qui sont figurés par les deux aveugles dont parle saint Matthieu (Mt 10, 5; Mt 13, 10).


CHAPITRE XIX


vv. 1-10

10901 Lc 19,1-10

S. Ambr. Zachée était monté sur un sycomore, l'aveugle était assis le long du chemin; le Seigneur attend l'un pour le guérir, il honore l'autre en daignant descendre dans sa maison: «Jésus étant entré dans Jéricho, traversait la ville», etc. C'est par un dessein particulier de Dieu que nous voyons paraître ici un chef de publicains; car qui pourra désespérer de son salut, puisque cet homme, dont les richesses venaient en grande partie de la fraude, a cependant trouvé grâce devant Dieu? Il était fort riche, pour vous apprendre que tous les riches ne sont pas nécessairement des avares. - S. Cyr. Mais Zachée, de son côté, n'a point mis le moindre retard, et s'est ainsi montré digne de la miséricorde de Dieu, qui rend la vue aux aveugles, et appelle ceux qui sont éloignés.

Tite de Bost. La semence du salut avait germé dans son âme, puisqu'il désirait voir Jésus: «Et il cherchait à voir Jésus pour le connaître». Il ne l'avait jamais vu, car s'il l'eût vu une seule fois, il aurait renoncé depuis longtemps aux injustices de sa vie; en effet, lorsqu'on a vu Jésus, il est impossible de persévérer dans l'iniquité. Or, deux choses s'opposaient à ce que Zachée pût voir Jésus: il en était empêché par la foule, moins des hommes que de ses péchés et de ses crimes, et il était d'ailleurs petit de taille: «Et il ne le pouvait à cause de la foule, parce qu'il était fort petit», ajoute l'Évangéliste. - S. Ambr. D'où vient qu'il n'est fait mention dans l'évangile de la taille d'aucun autre que de celle de Zachée? La raison n'en serait-elle pas qu'il était petit par suite de sa malice, ou qu'il était petit par son peu de foi? car il n'était pas encore bien zélé, lorsqu'il monta sur cet arbre, il n'avait pas encore vu le Christ. - Tite de Bost. Mais il eut une bonne inspiration, car il courut en avant et monta sur un sycomore, et il vit ainsi passer Jésus qu'il désirait tant de connaître: «Courant donc en avant, dit l'Évangéliste, il monta sur un sycomore pour le voir, parce qu'il devait passer par là». Il désirait seulement voir Jésus, mais celui qui nous accorde toujours plus que nous ne demandons, lui donne au delà de ses espérances: «Arrivé à cet endroit, Jésus le vit».Il vit son âme pleine du désir ardent de mener une vie sainte, et il l'inclina doucement vers la piété. - S. Ambr. Sans être invité, il s'invite lui-même à descendre chez lui: «Et l'ayant vu, il lui dit: Zachée, descendez vite»,etc. Il savait que l'hospitalité qu'il demandait serait largement récompensée, et bien qu'il n'eût pas encore entendu Zachée lui adresser d'invitation, il voyait les sentiments de son coeur.

Bède. Voici que le chameau a déposé la lourde protubérance qu'il portait sur son dos, et il passe par le trou d'une aiguille, c'est-à-dire, un riche, un publicain, sacrifie l'amour des richesses, renonce à tous ses profits frauduleux, et reçoit la bénédiction que lui apporte la visite du Sauveur: «Et il se hâta de descendre, et il le reçut avec joie». - S. Ambr. Que les riches apprennent donc que le crime n'est pas dans les richesses, mais dans le mauvais usage qu'on en fait; car si les richesses sont un moyen de perdition pour les méchants, elles sont dans la main des bons un puissant auxiliaire de leur vertu.

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). Considérez l'excessive bonté du Sauveur: innocent, il se mêle aux coupables; source de toute justice, il entre en relation avec l'avarice qui est la cause de toute perversité; en entrant dans la maison d'un publicain, sa sainteté n'est point obscurcie par les sombres vapeurs de l'avarice, qu'il dissipe au contraire par l'éclat de sa justice. Cependant les envieux, et ceux qui ne cherchaient qu'à le calomnier, s'efforcent d'incriminer sa conduite: «Voyant cela, tous murmuraient en disant: «Il est descendu chez un pécheur».Mais Jésus, accusé d'être le convive et l'ami des publicains, dédaigne ces calomnies pour accomplir son oeuvre; car le médecin ne peut guérir les malades qu'à la condition de supporter ce que leurs plaies ont de rebutant. C'est ce qui arriva, le publicain changea de vie et devint meilleur: «Mais Zachée, se tenant devant Jésus, lui dit: Voici, Seigneur, que je donne la moitié de mes biens aux pauvres»,etc. Entendez cette admirable résolution, Jésus n'a point encore parlé, et il obéit déjà. De même que le soleil, dont les rayons pénètrent dans une maison, l'éclaire non point par des paroles, mais par son action, ainsi le Sauveur dissipe les ténèbres de l'iniquité par les seuls rayons de sa justice, car il est la lumière qui luit dans les ténèbres. Tout ce qui est uni est fort, tout ce qui est divisé est faible, c'est pourquoi Zachée fait le partage de ses biens. Il faut avoir soin de remarquer que les richesses de Zachée n'étaient pas toutes le fruit de l'injustice, mais qu'elles provenaient aussi de son patrimoine. Comment aurait-il pu sans cela rendre le quadruple de ce qu'il avait acquis injustement? Il savait que la loi prescrit de rendre le quadruple de tout bien mal acquis (Ex 22), afin que si l'on ne craint pas de violer la loi, on soit au moins arrêté par l'obligation onéreuse qu'elle impose. Mais Zachée n'attend pas la condamnation de la loi, il se fait lui-même son propre juge.

Théophyl. Si nous voulons pénétrer plus avant, nous trouverons qu'il ne restait plus rien à Zachée de ses biens. Après avoir donné la moitié de ses biens aux pauvres, il emploie le reste à rendre le quadruple à tous ceux qu'il avait pu léser. Et non seulement il le promet, mais il le fait aussitôt, car il ne dit pas: Je donnerai la moitié de mes biens, et je rendrai quatre fois autant à ceux à qui j'ai fait tort, mais voici que je donne, et que je restitue. Aussi Jésus-Christ lui annonce-t-il qu'il a reçu le salut: «Jésus lui dit: Le salut est entré aujourd'hui dans cette maison». La maison ici signifie celui qui l'habite, et le Sauveur veut dire que Zachée a obtenu la grâce du salut. Il ajoute, en effet: «Parce que celui-ci est aussi enfant d'Abraham». Or, il n'aurait pu dire d'un édifice matériel et inanimé qu'il était enfant d'Abraham. - Bède. Zachée est appelé enfant d'Abraham, non parce qu'il est né de sa race, mais parce qu'il a été l'imitateur de sa foi, et qu'il a renoncé à ses biens pour les distribuer aux pauvres, de même qu'Abraham avait quitté son pays et la maison de son père. Notre-Seigneur dit: «Il est aussi enfant d'Abraham», pour nous apprendre que ce ne sont pas seulement ceux qui ont vécu dans la sainteté, mais ceux qui renoncent à leur vie injuste qui sont enfants de la promesse.

Théophyl. Jésus ne dit pas que Zachée était fils d'Abraham, mais qu'il l'est maintenant; car tant qu'il était chef des publicains, il n'avait aucun trait de ressemblance avec le juste Abraham, et ne pouvait être son fils. Cependant comme quelques-uns murmuraient de ce que le Sauveur était descendu dans la maison d'un pécheur, il calme leur indignation en ajoutant: «Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu». - S. Chrys. Pourquoi me faire un crime de chercher à ramener les pécheurs? Je suis si loin de les haïr, qu'ils sont la cause de ma venue sur la terre; je suis venu comme médecin et non comme juge, aussi je ne dédaigne pas de devenir le convive des malades, et je supporte la mauvaise odeur de leurs plaies, afin de pouvoir y appliquer des remèdes plus efficaces. Mais on me demandera comment saint Paul défend aux chrétiens de manger avec un de leurs frères qui serait ou fornicateur, ou avare (1Co 5,11), tandis que nous voyons Jésus-Christ s'asseoir à la table des publicains. Je réponds que les publicains n'étaient pas encore élevés à la dignité de frères; et d'ailleurs saint Paul défend tout commerce avec ceux de nos frères qui persévèrent dans le mal. Or, tels n'étaient point les publicains avec qui le Sauveur ne dédaignait pas de manger.

Bède. Dans le sens figuré, Zachée, qui veut dire justifié, représente le peuple des Gentils qui a embrassé la foi. Il était comme amoindri et rapetissé par les préoccupations de la terre, mais Dieu l'a grandi et sanctifié. Il a désiré voir Jésus qui entre dans Jéricho, lorsqu'il a cherché à participer à la foi que le Sauveur était venu apporter au monde. - S. Cyr. La foule représente cette multitude ignorante et tumultueuse qui n'a pu élever ses regards jusqu'au sommet de la sagesse; aussi longtemps que Zachée demeure dans la foule, il ne peut voir Jésus-Christ, mais aussitôt qu'il s'élève au-dessus de cette multitude ignorante, il mérite de recevoir dans sa maison celui qu'il désirait simplement de voir. - Bède. Ou bien encore la foule (c'est-à-dire les habitudes criminelles), qui défendait à l'aveugle de demander à Jésus par ses cris qu'il lui rendit la vue, est aussi l'obstacle qui empêche Zachée de voir le Sauveur. Or, de même que l'aveugle a triomphé de la foule en redoublant ses cris suppliants, ainsi Zachée qui était petit, s'est élevé au-dessus des obstacles de la foule, en abandonnant toutes les choses de la terre, et en montant sur l'arbre de la croix. En effet, le sycomore, dont les feuilles sont semblables à celles du mûrier, mais qui s'élève à une plus grande hauteur (ce qui lui a fait donner par les latins le nom de celsa, élevé), porte aussi le nom de figuier sauvage. Or, la croix du Seigneur est comme le figuier qui nourrit les fidèles, tandis que les incrédules s'en moquent comme d'une folie. Zachée qui était petit, monte sur cet arbre pour grandir sa taille; ainsi le chrétien qui est humble et qui a la conscience de sa propre misère s'écrie: A Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n'est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. (Ga 6). - S. Ambr. L'Évangéliste ajoute avec dessein: «Parce que le Seigneur devait passer par là», soit où était le sycomore, soit où Zachée se trouvait lui-même. Le Sauveur voulait observer l'ordre mystérieux d'après lequel la grâce de la foi devait se répandre, et son dessein était d'annoncer l'Évangile aux Juifs avant de le porter aux Gentils. Il voit donc Zachée sur l'arbre, car déjà la sublimité de sa foi l'élevait au milieu des fruits des bonnes oeuvres à la hauteur d'un arbre fécond, Zachée est monté sur l'arbre, parce qu'en effet, il s'élève au-dessus de la loi.

Bède. Le Seigneur, en traversant la ville, arrive à l'endroit où Zachée était monté sur le sycomore. C'est ainsi qu'après avoir envoyé des prédicateurs dans la personne desquels il allait prêcher lui-même l'Évangile, Jésus arriva au milieu du peuple des Gentils, qui déjà s'était relevé de son état d'abaissement par la foi à sa passion; le Sauveur jette sur lui un regard en le choisissant par sa grâce. Notre-Seigneur était aussi entré quelquefois dans la maison d'un des chefs des pharisiens, mais tandis qu'il y opérait des oeuvres dignes d'un Dieu, ils trouvaient le moyen de calomnier sa conduite. Aussi ne pouvant plus souffrir leur audace criminelle, il les abandonne en leur disant: «Votre maison sera laissée déserte» (Mt 23). Aujourd'hui, au contraire, il faut qu'il descende dans la maison de Zachée qui était petit, c'est-à-dire qu'il se repose dans le coeur des Gentils devenus humbles, en faisant briller à leurs yeux la grâce de la nouvelle loi. Zachée reçoit l'ordre de descendre de ce sycomore, et de préparer à Jésus une demeure dans sa maison; c'est ce que l'Apôtre nous recommande par ces paroles: «Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte»; (2Co 13, 4). Il est manifeste que les Juifs ont toujours été opposés au salut des Gentils; mais cette grâce du salut qui remplissait autrefois les demeures des Juifs, brille aujourd'hui aux yeux des Gentils, parce qu'ils sont devenus eux-mêmes enfants d'Abraham, en imitant la foi qu'il avait en Dieu.

Théophyl. Il est facile de tirer de ce récit des inductions morales. Ainsi celui qui a sur les autres la triste prééminence du vice, est très petit au point de vue spirituel, et il ne peut voir Jésus à cause de la foule, car embarrassé qu'il est par ses passions et par les préoccupations du monde, il ne voit point Jésus marcher, c'est-à-dire agir en nous, et il ne reconnaît aucune de ses opérations. Il monte sur un sycomore (c'est-à-dire qu'il s'élève au-dessus des fausses douceurs de la volupté figurées par cet arbre), il le domine, et de cette hauteur, il voit Jésus-Christ et en est vu. - S. Grég. (Moral., 27, vers la fin). Ou encore, comme le sycomore est aussi appelé figuier sauvage (ficus fatua), Zachée, qui est petit, monte sur un sycomore, et voit ainsi le Seigneur, parce que ceux qui embrassent ce qui est une folie aux yeux du monde, contemplent dans tout son éclat la sagesse de Dieu. En e ffet, quelle folie plus grande pour le monde, que de ne pas chercher à recouvrer ce qu'on a perdu, d'abandonner ses biens à ceux qui les ravissent, et de ne pas rendre injure pour injure? Or, c'est justement cette sage folie qui nous obtient de voir la sagesse de Dieu, sinon pleinement telle qu'elle est, du moins par la lumière de la contemplation.

Théophyl. Or, le Seigneur lui dit: «Hâtez-vous de descendre», c'est-à-dire: Vous êtes monté par la pénitence en un lieu élevé, descendez maintenant par un sentiment d'humilité, de peur que l'orgueil ne soit la cause de votre ruine, car je ne puis descendre que dans la maison de celui qui est humble. Il y a en nous deux sortes de biens, les biens du corps, et ceux de l'âme; le juste se dépouille donc de tous ses biens corporels, mais il conserve les biens spirituels. De plus, s'il a fait tort à quelqu'un, il lui en rend quatre fois autant; c'est-à-dire que celui qui, sous la conduite de la pénitence, marche dans un sentier tout opposé à la voie de ses anciennes iniquités, répare ainsi par ses nombreuses vertus tous ses péchés passés, il mérite ainsi la grâce du salut, et le nom d'enfant d'Abraham, parce qu'il s'est séparé de sa propre famille, c'est-à-dire de ses anciennes iniquités.


vv. 11-27

10911 Lc 19,11-27

Eusèbe. Il en était qui pensaient que le premier avènement du Sauveur serait immédiatement suivi de l'établissement de son royaume, et ils croyaient que ce royaume commencerait lors de son entrée à Jérusalem, tant la vue des miracles qu'il avait opérés les avait frappés d'étonnement. Il les avertit donc que son père ne le mettrait pas en possession de son royaume, avant qu'il eût quitté les hommes pour retourner à son Père: «Comme ils écoutaient ces discours, il ajouta encore une parabole sur ce qu'il était près de Jérusalem»,etc. - Théophyl. Le Seigneur leur fait voir qu'ils sont dans l'illusion; car le royaume de Dieu n'est pas une chose extérieure et sensible. Il leur montre aussi que comme Dieu il connaît leurs pensées, en leur proposant la parabole suivante: «Il dit donc: Un homme de grande naissance s'en alla en un pays lointain pour prendre possession d'un royaume et revenir ensuite».

S. Cyr. L'explication de cette parabole retrace tous les mystères de Jésus-Christ, depuis le premier jusqu'au dernier. En effet, le Verbe qui était Dieu s'est fait homme, et quoiqu'il ait pris la forme d'esclave, il est cependant d'une noblesse éclatante par sa naissance ineffable au sein du Père. - S. Bas. (sur Is 13). Cette noblesse, il ne la tire pas seulement de sa divinité, mais de son humanité, puisqu'il est né selon la chair de la race de David. Il s'en est allé dans un pays lointain, non point par la distance matérielle qui nous sépare de lui, mais par l'effet des rapports qui existent entre lui et nous. Dieu est près de chacun de nous, toutes les fois que nous lui sommes unis par la pratique des bonnes oeuvres, et il s'en éloigne, toutes les fois que poursuivant notre perte, nous nous séparons de lui. Il s'en alla donc dans cette région terrestre si éloignée de Dieu, pour prendre possession du royaume des nations, selon cette prédiction du Roi-prophète: «Demandez-moi, et je vous donnerai toutes les nations pour héritage» (Ps 2; cf. Ac 13,3 He 1,5 He 5,5) - S. Aug. (Quest. évang., 2, 40). Ou bien cette région lointaine, c'est l'Église des Gentils qui s'est étendue jusqu'aux extrémités de la terre; car le Sauveur s'en est allé pour faire entrer la plénitude des nations, et il reviendra pour que tout le peuple d'Israël obtienne la grâce du salut.

Eusèbe. Ou bien ce départ pour un pays lointain, signifie son ascension de la terre aux cieux; et lorsqu'il ajoute «Pour prendre possession de son royaume et revenir», il fait allusion à la gloire et à la majesté de son second avènement. Il prend seulement d'abord le nom d'homme, à cause de sa naissance temporelle, il y ajoute le titre de noble, mais il n'y joint pas celui de roi, parce que lors de son premier avènement il n'était pas environné de l'éclat de la majesté royale. Il ajoute avec raison:» Pour entrer en possession de son royaume, car il l'a reçu des mains de son Père qui le lui a donné, selon ces paroles de Daniel: «Le Fils de l'homme venait sur les nuées, et le royaume lui fut donné». (Dn 7). - S. Cyr. En effet, lorsqu'il monte dans les cieux, il va s'asseoir à la droite de la majesté du Très-Haut; et en y montant il répand suivant certaine mesure les grâces divines sur ceux qui croient en lui, de même qu'un maître confie ses biens à ses serviteurs pour qu'ils les fassent fructifier, et qu'ils méritent ainsi la récompense de leurs services: «Ayant appelé dix de ses serviteurs, il leur donna dix mines». - S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). La sainte Écriture emploie ordinairement le nombre dix pour exprimer la perfection. En effet, lorsqu'on veut dépasser ce nombre, il faut commencer de nouveau par l'unité, comme si le dernier était la limite du nombre parfait; voilà pourquoi dans la distribution des talents, celui qui atteint la limite des devoirs que Dieu lui impose, reçoit dix mines. - S. Aug. (quest. Evang). Ou bien encore, les dix mines signifient le décalogue de la loi, et les dix serviteurs, tous ceux qui étaient soumis à la loi et auxquels la grâce de l'Évangile a été annoncée. Car nous devons entendre que ces dix mines ne leur ont été confiées, que lorsqu'ils comprirent que la loi, débarrassée de ses voiles, se rapportait à l'Évangile. - Bède. La mine que les Grecs appellent ìíá, pesait cent drachmes, et tout discours de l'Écriture qui nous enseigne la perfection de la vie des cieux a, pour ainsi dire, la valeur éclatante du nombre cent.

Eusèbe. Ceux qui reçoivent ces mines représentent ses disciples, à chacun desquels il confie la même somme, en leur recommandant à tous le même emploi, c'est-à-dire de la faire fructifier: «Et il leur dit: Faites-les valoir jusqu'à ce que je revienne». Or, le seul moyen pour les disciples de les faire valoir, était d'annoncer aux hommes attentifs la doctrine de son royaume, doctrine qui est la même pour tous, c'est la même foi, le même baptême, et c'est pour cela que chacun d'eux reçoit une mine. - S. Cyr. Mais il y a une grande différence entre ces derniers, et ceux qui ont refusé de recev oir le royaume de Dieu, et dont il ajoute: «Or, ceux de son pays le haïssaient», etc. C'est le reproche que Jésus-Christ adressait aux Juifs: «Maintenant ils ont vu les oeuvres que j'ai faites, et ils ont haï, et mon Père et moi» (Jn 15). Ils ont refusé de se soumettre à son règne, lorsqu'ils dirent à Pilate: «Nous n'avons pas d'autre roi que César» (Jn 19). Dans ceux qu'il appelle ses concitoyens, les Juifs se trouvent clairement désignés, puisqu'ils avaient les mêmes ancêtres selon la chair, et parce qu'il se conformait comme eux aux prescriptions de la loi. S. Aug. (quest. Evang). Ils envoyèrent une députation après lui, parce que même après sa résurrection ils poursuivirent les Apôtres par de continuelles persécutions, et rejetèrent ouvertement la prédication de l'Évangile

Eusèbe. Le Sauveur, après avoir parlé de ce qui a trait à son premier avènement, prédit son retour dans tout l'éclat de sa gloire et de sa majesté: «Etant donc revenu après avoir été mis en possession de son royaume». - S. Chrys. (hom. 39, sur la 1 re Epît. aux Cor). (1 Co 15, 24).La sainte Écriture distingue deux règnes de Dieu sur les hommes, l'un qu'il tient de la création, et qu'il possède comme Roi universel de tout ce qui existe, en vertu de son droit de Créateur; l'autre qui est un règne d'affection qu'il n'exerce que sur les justes qui lui sont librement et volontairement soumis; c'est ce dernier royaume dont il prend ici possession.

S. Aug. (quest. Evang). Il revient après avoir pris possession de ce royaume, parce qu'il doit revenir dans tout l'éclat de sa gloire, lui qui avait apparu d'abord si humble au milieu des hommes, lorsqu'il disait: «Mon royaume n'est pas de ce monde» (Jn 18).

S. Cyr. Or, lorsque Jésus-Christ reviendra, après avoir pris possession de son royaume, il donnera aux ministres de sa parole les éloges qu'ils ont mérités, et les comblera de joie et d'honneurs dans les cieux, parce qu'en faisant valoir le talent qui leur avait été confié, ils en ont acquis un grand nombre d'autres: «Le premier vint et dit: Seigneur, votre mine a produit dix autres mines». Ce premier serviteur représente l'ordre des docteurs qui ont été envoyés au peuple de la circoncision, il a reçu une mine pour la faire valoir, parce que les docteurs ont reçu l'ordre de prêcher une seule et même foi. Cette mine en a produit dix autres, parce que leurs enseignements ont fait entrer en société avec eux le peuple qui vivait sous la loi.

«Il lui dit: Fort bien, bon serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de choses», etc. Ce serviteur a été fidèle en peu de choses, c'est-à-dire qu'il n'a point altéré la parole de Dieu; car tous les dons que nous pouvons recevoir dans la vie présente, ne sont rien en comparaison de ceux qui nous sont réservés pour l'avenir. - Evagr. (Ch. des Pèr. gr). L'Évangile nous dit que ce serviteur reçoit le gouvernement de dix villes, parce qu'il reçoit la récompense de ses propres biens. Il en est qui interprétant ces promesses dans un sens grossier et laissant encore dominer dans leur âme l'ambition du pouvoir et des honneurs, s'imaginent qu'ils recevront les dignités de préteurs et de gouverneurs dans la Jérusalem terrestre qu'ils espèrent voir rebâtir avec des pierres précieuses. - S. Ambr. Ces dix villes sont les âmes à la tête desquelles est placé à juste titre celui qui a fait fructifier dans le coeur des hommes les trésors du Seigneur, c'est-à-dire: «Les paroles du Seigneur qui sont pures comme l'argent éprouvé par le feu» (Ps 11). Jérusalem est bâtie comme une ville (Ps 121); ainsi en est-il des âmes pacifiques, et ceux qui ont été jugés dignes de la vie des anges, sont établis comme les anges au-dessus de ces âmes pour les diriger et les conduire.

«Un autre vint et dit: Seigneur, votre mine a produit cinq autres mines». - Bède. Ce serviteur représente la phalange de ceux qui ont été envoyés pour prêcher l'Évangile aux Gentils. La mine qui leur a été confiée, (c'est-à-dire la foi de l'Évangile) a produit cinq mines, parce qu'ils ont converti à la grâce de la foi les nations qui étaient auparavant esclaves des sens du corps: «Vous, lui répondit-il, vous aurez puissance sur cinq villes»,c'est-à-dire la perfection de votre vie brillera d'un éclat supérieur à celui des âmes que vous, avez initiées à la foi.

S. Ambr. Ou bien dans un autre sens: Celui qui a gagné cinq mines est celui qui est chargé d'enseigner les préceptes de la morale, parce que notre corps a cinq sens qui ont chacun leurs obligations distinctes; celui qui en a gagné dix, reçoit le double, le pouvoir d'enseigner les mystères de la loi, et la sainteté de la morale chrétienne. Nous pouvons encore voir dans les dix mines, les dix commandements de la loi (c'est-à-dire la doctrine de la loi), et dans les cinq mines, les conseils de la perfection; mais je veux que le docteur de la loi soit parfait en toutes choses. Comme il est ici question des Juifs, il n'y a que deux serviteurs qui apportent le produit de leur argent, non de l'argent de lui-même, mais de leur bonne administration; car le produit de la doctrine céleste ne ressemble point au produit de l'argent que l'on prête à intérêt. - S. Chrys. Pour les biens de la terre, l'on ne peut guère devenir riche sans qu'un autre s'appauvrisse; pour les biens spirituels, au contraire, on ne peut s'enrichir qu'à la condition d'enrichir les autres; c'est qu'en effet, le partage des biens extérieurs les diminue nécessairement, tandis que les biens spirituels ne font que s'accroître en se partageant.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 46). On peut dire encore que les dix et les cinq mines qui ont été gagnées par les deux serviteurs qui ont fait un bon emploi de la somme qui leur était confiée, représentent ceux à qui la grâce avait déjà donné l'intelligence de la loi et qui ont été comme acquis au troupeau de Dieu; analogie fondée sur les dix préceptes de la loi, ou sur les cinq livres écrits par Moïse qui a été chargé de donner la loi. Les dix et les cinq villes, à la tête desquelles le Seigneur place ces fidèles serviteurs, se rapportent au même sujet; car la multiplicité des interprétations variées qui sortent en abondance de chaque précepte ou de chaque livre, ramenées ou réduites à un seul et même objet, forme comme la ville des intelligences, qui vivent des pensées éternelles. En effet, une ville n'est pas une agglomération d'êtres quelconques, mais une multitude d'êtres raisonnables unis entre eux par les liens d'une loi commune. Les serviteurs qui reçoivent des éloges pour avoir fait valoir et fructifier la somme qui leur était confiée, représentent ceux qui justifieront du bon emploi qu'ils ont fait du talent qu'ils ont reçu en multipliant les richesses du Seigneur, c'est-à-dire le nombre de ceux qui croient en lui. Ceux qui ne peuvent rendre compte sont figurés par le serviteur qui avait gardé dans un linge la mine qu'il avait reçue: «Et un troisième vint et dit: Seigneur, voilà votre mine que j'ai gardée enveloppée dans un suaire», etc. Il y a, en effet, des hommes qui se rassurent dans cette coupable erreur, qu'il suffit que chacun rende compte de lui-même. A quoi bon, disent-ils, prêcher aux autres et travailler à leur salut, pour assumer ainsi devant Dieu la responsabilité des autres? puisque d'ailleurs ceux-mêmes qui n'ont pas reçu la loi, sont inexcusables devant Dieu, aussi bien que ceux qui sont morts sans que l'Évangile leur ait été annoncé, parce que les uns et les autres pouvaient connaître le Créateur par les créatures: «Je vous ai craint, parce que vous êtes un homme sévère», etc. En effet, Dieu semble moissonner ce qu'il n'a pas semé, en condamnant comme coupables d'impiété, ceux qui n'ont jamais entendu parler ni de la loi, ni de l'Évangile. Or, c'est sous le prétexte d'éviter la responsabilité de ce jugement sévère, qu'ils vivent dans l'oisiveté, et négligent le ministère de la parole, et c'est comme s'ils enveloppaient dans un suaire le talent qu'ils ont reçu. - Théophyl. C'est avec un suaire que l'on couvre la face des morts. Ce n'est donc pas sans raison qu'il est dit que ce serviteur paresseux avait enveloppé dans un suaire la mine qu'il avait reçue, parce qu'il l'avait laissée comme ensevelie et sans emploi, sans la faire ni valoir ni fructifier.

Bède. On peut dire encore qu'envelopper l'argent dans un suaire, c'est ensevelir dans l'oisiveté d'une indolente apathie les dons qu'on a reçus de Dieu. Or, ce que ce serviteur prétendait donner comme excuse, est justement ce qui le fait déclarer plus coupable: «Le maitre lui répondit: Je te juge sur tes paroles, méchant serviteur». Il l'appelle méchant serviteur, tant pour sa négligence à faire valoir le talent qui lui était confié, que pour l'orgueilleuse hardiesse avec laquelle il accuse Injustice du Seigneur: «Vous saviez que j'étais un homme sévère, reprenant ce que je n'ai pas déposé, et moissonnant ce que je n'ai pas semé, pourquoi donc n'avez-vous pas mis mon argent à la banque ?» c'est-à-dire: Vous saviez que j'étais dur et prêt à reprendre ce qui ne m'appartenait pas, pourquoi cette pensée ne vous a-t-elle pas inspiré la crainte que j'exigerais avec bien plus de sévérité encore ce qui m'appartient? Cet argent, c'est la prédication de l'Évangile et la parole divine, car la parole de Dieu est pure comme l'argent éprouvé par le feu (Ps 11). Cette parole de Dieu devait être mise à la banque, c'est-à-dire déposée dans des coeurs ouverts et bien disposés. -
S. Aug. (Quest. évang). Ou encore, cette banque à laquelle l'argent doit être placé, c'est la profession extérieure et publique de la religion qui nous est imposée comme un moyen nécessaire de salut.

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). Dans l'ordre des richesses matérielles, les débiteurs ne sont obligés qu'à représenter la somme qui leur a été donnée; ils ne doivent rendre qu'autant qu'ils ont reçu, et on ne leur en demande pas davantage. Mais pour la parole divine, non seulement nous sommes obligés de la garder fidèlement, mais nous devons encore la faire fructifier, comme le Sauveur nous en avertit par les paroles qui suivent: «Afin qu'à mon retour, je reprisse mon argent avec intérêt». - Bède. Celui, en effet, qui reçoit par la foi l'argent de la parole divine que lui confient les docteurs de l'Évangile, doit le rendre avec usure, soit par la pratique des bonnes oeuvres, soit en se servant de ce qu'il a entendu pour chercher à comprendre ce que les prédicateurs ne lui ont point encore expliqué. - S. Cyr. Le devoir des docteurs c'est d'annoncer aux fidèles les salutaires enseignements de l'Évangile; mais il n'appartient qu'à la grâce divine de leur faire comprendre ce qu'ils écoutent avec docilité, et de seconder leur intelligence. Or, ce serviteur n'a mérité ni louange, ni honneur, loin de là, il a été condamné comme un serviteur paresseux et inutile: «Et il dit à ceux qui étaient présents: ôtez-lui la mine, et la donnez à celui qui en a dix». - S. Aug. (Quest. évang). Nous apprenons de là qu'on peut perdre les dons de Dieu, si on les a sans les avoir, c'est-à-dire sans en faire usage, et qu'on mérite, au contraire, de les voir augmenter lorsqu'on les possède véritablement, c'est-à-dire quand on en fait un salutaire emploi.

Bède. Dans le sens figuré, cette dernière circonstance signifie je pense, que lorsque la plénitude des nations sera entrée dans l'Église, tout Israël sera sauvé (Rm 11), et qu'alors la grâce spirituelle se répandra avec abondance sur les docteurs. - S. Chrys. (hom. 43 sur les Actes). Le Seigneur dit à ceux qui étaient présents: «Ôtez-lui la mine», parce qu'il ne convient pas à l'homme sage de punir par lui-même, et il se sert d'un autre pour infliger le châtiment qu'il a prononcé comme juge; ainsi Dieu ne punit point par lui-même les pécheurs, mais par le ministère des anges. - S. Ambr. On ne dit rien des autres serviteurs, qui, comme des débiteurs prodigues, ont laissé perdre ce qui leur avait été confié. Les deux serviteurs qui ont fait fructifier ce qu'ils avaient reçu, représentent le petit nombre de ceux qui, par deux fois, sont appelés à cultiver la vigne du Seigneur; les autres représentent tous les Juifs: «Seigneur, lui dirent-ils, il a déjà dix mines».Mais pour justifier cette mesure de toute injustice, le Seigneur ajoute: «On donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance».

Théophyl. Puisqu'il a décuplé la mine qu'il avait reçue, et en a représenté dix à son maître, il est évident que s'il en multiplie un plus grand nombre dans la même proportion, le profit d e son maître sera plus considérable. Quant au serviteur oisif et paresseux, qui n'a point cherché à augmenter ce qu'il avait reçu, on lui ôtera même ce qu'il possède: «Et à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a», afin que l'argent du maître ne demeure pas infructueux, tandis qu'il peut être donné à d'autres qui le feront fructifier. Cette vérité s'applique non seulement à la prédication et à l'enseignement, mais à la pratique des vertus morales. En effet, Dieu nous donne pour ces vertus des grâces et une aptitude particulière, il donne à l'un la grâce du jeûne, à l'autre celle de la prière, à un troisième la grâce de la douceur et de l'humilité. Si nous sommes attentifs à profiter de ces grâces, nous les multiplierons, mais si nous sommes indifférents, nous les perdrons sans retour. Notre-Seigneur ajoute ensuite pour ses ennemis: «Quant à mes ennemis, qui n'ont pas voulu m'avoir pour roi, amenez-les ici, et tuez-les devant moi». - S. Aug. (Quest. évang). Il désigne ici l'impiété des Juifs qui n'ont pas voulu se convertir à lui. - Théophyl. Il les livrera à la mort en les jetant dans le feu extérieur (cf. Mt 8,22 Mt 8,25), et dès cette vie même, ils ont été massacrés impitoyablement par les armées romaines.

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). Cette sentence tombe directement sur les Marcionites. Jésus-Christ dit ici: «Amenez mes ennemis, et qu'on les mette à mort en ma présence»; et cependant ils prétendent que le Christ est bon, et que le Dieu de l'Ancien Testament est mauvais. Or, il est évident que le Père et le Fils font ici la même chose, le Père envoie une armée à la vigne pour détruire ses ennemis (Mt 21), et le fils les fait mettre à mort en sa présence. - S. Chrys. (hom. 79 sur S. Matth). Cette parabole est différente de la parabole des talents racontée par saint Matthieu (Mt 25). Nous voyons ici le même capital donner divers produits, puisqu'une seule mine rapporte d'un côté cinq, de l'autre, dix mines. Dans la parabole de saint Matthieu, c'est le contraire, celui qui a reçu deux talents, en a gagné deux autres, celui qui en avait reçu cinq, en a gagné autant; et c'est la raison pour laquelle ils ne reçoivent pas la même récompense.



Catena Aurea 10831