Catena Aurea 12641

vv. 41-46

12641 Jn 6,41-46

S. Chrys. (hom. 46 sur S. Jean). Les Juifs qui espéraient recevoir une nourriture matérielle, ne commencèrent à se troubler que lorsque cette espérance leur fut enlevée: «Cependant les Juifs murmuraient contre lui, parce qu'il avait dit: Je suis le pain vivant», etc. La cause apparente de leur trouble, c'est que Notre-Seigneur leur déclarait qu'il était descendu du ciel, mais la cause véritable, c'est qu'ils avaient perdu l'espérance de la nourriture matérielle qu'ils attendaient. Cependant le miracle qu'il venait d'opérer leur inspirait encore pour lui quelque respect, voilà pourquoi ils n'osent le contredire ouvertement, ils se contentent de témoigner leur désapprobation par leurs murmures. Quel était l'objet de ces murmures, le voici: «Et ils disaient: Est-ce que ce n'est pas là Jésus, fils de Joseph ?» - S. Aug. (Traité 26 sur S. Jean). Ils étaient encore loin du pain du ciel, et ils n'en connaissaient pas le désir; car ce pain exige la faim de l'homme intérieur. - S. Chrys. (hom. 46). Il est évident qu'ils ne connaissaient pas encore l'admirable génération du Sauveur, puisqu'ils l'appellent le fils de Joseph, et toutefois il ne leur en fait point de reproche, et ne leur dit point: Je ne suis pas le fils de Joseph, parce qu'ils étaient incapables de comprendre sa naissance miraculeuse; car s'ils ne pouvaient comprendre sa naissance selon la chair, à plus forte raison sa naissance éternelle et ineffable. - S. Aug. (Traité 26). Il a pris notre chair mortelle, mais non pas comme les hommes la prennent. Il avait un Père dans les cieux, et il s'est choisi une mère sur la terre; il est né sans mère dans le ciel, et sans père sur la terre. Mais quelle fut sa réponse aux murmures des Juifs? «Jésus leur répondit: Ne murmurez, point entre vous», c'est-à-dire: Je sais pourquoi vous n'avez point cette faim spirituelle, et pourquoi vous ne comprenez, ni ne cherchez ce pain: «C'est que personne ne peut venir à moi, si mon Père qui m'a envoyé, ne l'attire». Quel magnifique éloge de la grâce ! Nul ne vient, s'il n'est attiré; ne cherchez point à savoir et à juger qui est attiré, et qui ne l'est pas; pourquoi Dieu attire celui-ci plutôt que celui-là, si vous ne voulez vous égarer, et contentez-vous d'entendre cette vérité: Vous n'êtes point encore attiré, priez Dieu qu'il vous attire.

S. Chrys. (hom. 46). Les Manichéens saisissent avidement ces paroles pour nous objecter que notre libre arbitre n'a aucune puissance. Cependant Notre-Seigneur ne veut pas détruire ici ce qui est en nous, mais nous montrer simplement le besoin que nous avons du secours de Dieu, et il veut parler ici non de celui qui vient malgré lui, mais de celui qui rencontre de grands obstacles. - S. Aug. Si nous sommes attirés malgré nous à Jésus-Christ, c'est donc aussi malgré nous que nous croyons. C'est donc ici l'oeuvre de la violence et non de la volonté; mais on ne peut entrer dans l'Eglise qu'autant qu'on le veut, on ne peut croire que parce qu'on le veut, «car il faut croire de coeur pour obtenir la justice» (Rm 10). Si donc celui qui est attiré vient malgré lui, il n'a point la foi; s'il n'a point la foi, il ne vient pas. En effet, ce n'est pas en marchant que nous approchons de Jésus-Christ, mais en croyant; ce n'est point par un mouvement de notre corps, mais par la volonté de notre coeur. C'est donc par la volonté que nous sommes attirés. Comment sommes-nous attirés par la volonté? «Mettez vos délices dans le Seigneur, et il vous accordera ce que votre coeur demande» (Ps 37). Il y a une certaine volupté du coeur pour celui qui goûte la douceur de ce pain céleste. Or, si le poète a pu dire: «Chacun est entraîné par son plaisir», à combien plus juste titre pouvons-nous dire que l'homme qui place ses délices dans la vérité, dans la béatitude, dans la justice, dans la vie éternelle, est véritablement attiré vers le Christ; car toutes ces choses c'est le Christ. Dira-t-on que les sens du corps ont leurs voluptés, et que l'âme n'en a point qui lui soient propres? Donnez-moi une âme qui aime, donnez-moi une âme qui désire, une âme fervente, une âme qui se regarde comme exilée et qui ait faim et soif dans la solitude de cette vie, une âme qui soupire après la fontaine de l'éternelle patrie, et elle comprendra ce que je dis. Mais pourquoi Notre-Seigneur s'exprime-t-il de la sorte: «Si mon Père ne l'attire ?» S'il faut que nous soyons attirés, soyons-le par celui à qui l'Epouse des cantiques a dit: «Attirez-moi après vous» (Ct 1). Mais examinons le véritable sens de ces paroles. Le Père attire au Fils ceux qui croient au Fils, parce qu'ils pensent qu'il a Dieu pour Père. En effet, Dieu le Père a engendré un Fils qui lui est égal, et celui qui pense et médite attentivement dans la foi de son âme, que celui en qui il met sa foi est égal au Père, est attiré par le Père vers le Fils. Arius ne voit en lui qu'une créature; le Père ne l'a pas attiré. Photius dit que le Christ n'est qu'un homme, celui qui partage ses sentiments n'est pas attiré par le Père. Dieu le Père attire Pierre, lorsqu'il dit: «Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant» (Mt 16). Aussi que lui répond Notre-Seigneur: «Ce n'est point la chair et le sang qui vous l'a révélé, mais mon Père qui est dans les cieux». Il l'attire par là même qu'il lui révèle; car si les révélations qui ont lieu parmi les jouissances de la terre sont assez fortes pour entraîner ceux qui aiment, comment supposer que Jésus-Christ, révélé par le Père, n'ait pas la même force pour nous entraîner? Qu'est-ce que l'âme désire plus vivement que la vérité? Mais ici les hommes sont tourmentés par la faim et la soif de la vérité, ce n'est que dans le ciel que leurs désirs seront rassasiés, c'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute: «Et je le ressusciterai au dernier jour». La soif qu'il éprouve ici-bas sera rassasiée à la résurrection des morts, parce que je le ressusciterai.

S. Aug. (Quest. sur le Nouv. et l'Ane. Test., chap. 27) Ou bien encore, le Père attire au Fils par les oeuvres qu'il faisait par le Fils. - S. Chrys. (hom. 46). Quelle est grande la dignité du Fils, puisqu'il ressuscite ceux que le Père lui amène, que ses oeuvres ne sont point séparées de celles du Père, et qu'il nous montre ici la parfaite égalité de sa puissance avec celle du Père. Mais de quelle manière le Père attire au Fils? la voici: «Et il est écrit dans les prophètes: Et ils seront tous enseignés de Dieu». Voyez ici la dignité de la foi, ce n'est point des hommes, ni par le moyen des hommes, qu'elle nous est enseignée, Dieu seul en est le souverain maître, toujours prêt à répandre sur tous lès hommes ses grâces aussi bien que sa doctrine. Mais si tous sont enseignés de Dieu, comment expliquer l'incrédulité d'un certain nombre? L'expression tous doit s'entendre de plusieurs, ou bien de tous ceux qui ont la bonne volonté. - S. Aug. (de la prédest., chap. 8) On peut encore l'entendre dans un autre sens: Lorsqu'un maître de belles-lettres est seul dans une ville, nous disons: Il enseigne les lettres à tout le monde, non pas que tous les habitants de la ville les apprennent, mais parce que ceux qui veulent les apprendre n'ont que lui pour maître; de même nous disons ici que Dieu enseigne à tous les hommes à venir à Jésus-Christ, non pas que tous soient dociles à ses enseignements, mais parce que personne ne peut venir par une autre voie. - S. Aug. (Traité 26). Ou bien encore, tous les hommes de ce royaume seront enseignés de Dieu, dans ce sens que les hommes ne seront point leur véritable maître. Sans doute, ce sont les hommes qui leur enseignent extérieurement la doctrine qu'ils cherchent à comprendre, mais c'est au dedans que l'intelligence en est donnée, au dedans que la lumière brille, au dedans que la révélation se fait. Le bruit de mes paroles vient frapper vos oreilles, mais si le maître intérieur n'en révèle le sens, qu'est-ce que je dis? que sont mes paroles? Notre-Seigneur dit donc aux Juifs: «Et ils seront tous enseignés de Dieu», c'est-à-dire: Comment, Juifs, pouvez-vous me connaître, vous que le Père n'a pas enseignés ?

Bède. Notre-Seigneur dit au pluriel: «Il est écrit dans les prophètes», parce que tous les prophètes, remplis d'un seul et même esprit, tendaient au même but, bien que l'objet de leurs prophéties fût différent. Aussi tous les prophètes s'accordent avec chacun d'entre eux, c'est ainsi que le prophète Joël s'accorde avec le prophète qui a dit: «Ils seront tous enseignés de Dieu».On ne trouve pas ces paroles dans Joël, mais on y lit quelque chose de semblable: «Enfants de Sion, faites éclater votre joie, livrez-vous à votre allégresse, à la présence du Seigneur votre Dieu, parce qu'il vous a donné un docteur de justice» (Jl 2, 23). Cependant cette pensée se trouve plus explicitement exprimée dans Isaïe, lorsqu'il dit: «Je rendrai tous tés-enfants disciples de Dieu». - S. Chrys. (hom. 46). C'est qu'en effet avant Jésus-Christ, c'étaient les hommes qui enseignaient les vertus divines, maintenant, au contraire, c'est le Fils unique de Dieu et l'Esprit saint.

S. Aug. (de la prédestin., chap. 8) Tous ceux qui sont ainsi enseignés de Dieu, viennent au Fils, parce que le Père les a instruits et enseignés par le Fils: «Quiconque a entendu le Père et appris de lui, vient à moi». Si tout homme qui a entendu le Père et appris de lui, vient au Fils, tous ceux qui ne l'ont pas entendu sont privés d'enseignement. Que cette école céleste dans laquelle le Père se fait entendre, et apprend à venir au Fils, est éloignée des sens de la chair ! Ce n'est point à l'oreille du corps qu'il s'adresse, mais à l'oreille du coeur, là où est le Fils lui-même, parce qu'il est le Verbe, par lequel le Père enseigne; là où est aussi l'Esprit saint, car la foi nous apprend que les oeuvres de la Trinité sont indivisibles; cependant ce divin enseignement est attribué au Père, parce que le Fils procède de lui ainsi que le Saint-Esprit. Ainsi la grâce qui se répand secrètement dans les âmes par un effet de la bonté divine, n'est rejetée par aucune dureté de coeur, car son premier objet est de faire disparaître cette dureté de coeur. Pourquoi donc Dieu n'enseigne-t-il pas à tous les hommes à venir à Jésus-Christ? C'est que ceux qui sont enseignés, le sont par miséricorde, tandis que ceux qui ne le sont pas en sont privés par un juste jugement. Dirons-nous que ceux qu'il n'enseigne pas veulent cependant apprendre? On nous répondra: Et que signifient ces paroles: «O Dieu ! vous nous convertirez de nouveau vers nous, et vous nous donnerez la vie? » (Ps 84) Et si ce n'est pas Dieu qui inspire la bonne volonté à ceux qui ne l'ont pas, pourquoi l'Eglise prie-t-elle pour ses persécuteurs, conformément au précepte que lui en fait le Seigneur? Il n'est personne qui puisse dire: J'ai cru et c'est ma foi qui a été le principe de ma vocation, car c'est la miséricorde de Dieu qui prévient celui qui est appelé, afin qu'il puisse recevoir le don de la foi.

S. Aug. (Traité 26). Voilà donc comment le Père nous attire en nous enseignant la vérité, et sans nous imposer aucune nécessité, et il n'appartient qu'à Dieu de nous attirer ainsi: «Quiconque a entendu le Père, et appris de lui, vient à moi». Quoi donc ! est-ce que Jésus-Christ n'a rien enseigné? Mais les hommes n'ont point vu le Père se faisant leur maître, et ils ont vu le Fils qui en remplissait les fonctions à leur égard? C'était le Fils qui parlait, mais c'était le Père qui enseignait. Si donc moi qui ne suis qu'un homme, j'enseigne celui qui a entendu ma parole, à plus forte raison le Père enseigne celui qui a entendu sa parole ou son Verbe. C'est ce que le Sauveur nous explique parfaitement en ajoutant immédiatement: «Non que personne ait vu le Père, si ce n'est celui qui est de Dieu», paroles dont voici le sens: Je viens de vous dire: «Quiconque a entendu le Père et appris de lui»; n'allez pas vous tenir à vous-mêmes ce langage: Nous n'avons jamais vu le Père, comment pourrons-nous être instruits par lui? Apprenez de moi comment vous pourrez être instruits: Je connais mon Père, je viens de lui comme la parole sort de celui qui la profère, je suis non pas la parole qui retentit et qui passe, mais la parole qui demeure avec celui qui la prononce, et qui attire celui qui l'entend. - S. Chrys. (hom. 46). Tous nous venons de Dieu, mais Notre-Seigneur ne parle point ici de ce qui distingue le Fils de Dieu et lui est propre, à cause de l'esprit encore faible et grossier de ses auditeurs.


vv. 47-52

12647 Jn 6,47-52

S. Aug. (Traité 26 sur S. Jean). Notre-Seigneur en vient enfin à révéler aux Juifs ce qu'il était: «En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle»; c'est-à-dire, celui qui croit en moi, me possède. Qu'est-ce que me posséder? c'est posséder la vie éternelle; car la vie éternelle, c'est le Verbe qui était au-commencement avec Dieu, et cette vie était la lumière des hommes. La vie s'est revêtue de la mort, afin que la mort fût détruite par la vie.

Théophyl. Comme ce peuple insistait pour obtenir la nourriture corporelle, et rappelait à ce dessein le souvenir de la manne qui avait été donnée à leurs pères, le Sauveur veut leur montrer que tous les faits de la loi ancienne étaient une figure de la vérité qu'ils avaient présente sous leurs yeux, et les élève à la pensée d'une nourriture toute spirituelle, en leur disant: «Je suis le pain de vie». - S. Chrys. (hom. 46). Il se donne le nom de pain de vie, parce qu'il contient le principe de notre vie, de cette vie présente et de la vie future.

S. Aug. (Traité 26). Mais pour réprimer l'orgueil des Juifs qui étaient fiers de la manne qui avait été donnée à leurs pères, Jésus ajoute: «Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et sont morts». Ce sont véritablement vos pères, et vous leur êtes semblables, ils sont les pères murmurateurs d'enfants imitateurs de leurs murmures, car le plus grand crime que Dieu ait relevé contre ce peuple, ce sont ses murmures contre Dieu. Or, ils sont morts, parce qu'ils ne croyaient que ce qu'ils voyaient, et qu'ils ne croyaient ni ne comprenaient ce qui était invisible à leurs yeux. - S. Chrys. (hom. 46). Ce n'est pas sans dessein que le Sauveur ajoute cette circonstance: «Dans le désert», il veut leur rappeler indirectement le peu de temps pendant lequel la manne a été donnée à leurs pères, et qu'elle ne les a pas suivis dans la terre promise. Mais les Juifs estimaient encore le miracle de la multiplication des pains comme de beaucoup inférieur au miracle de la manne, parce que la manne semblait descendre du ciel, et que le miracle de la multiplication des pains avait lieu sur la terre; c'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute: «Voici le pain descendu du ciel». - S. Aug. (Traité 26). Ce pain a été figuré par la manne, il a été figuré par l'autel de Dieu. De part et d'autre c'étaient des symboles figuratifs; les signes extérieurs sont différents, l'objet figuré est le même. Entendez l'Apôtre qui vous dit: «Ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle». (1Co 10)

S. Chrys. (hom. 46). Notre-Seigneur relève ensuite une circonstance qui devait faire sur eux une vive impression, c'est qu'ils ont été bien plus favorisés que leurs pères que la manne n'a pas empêchés de mourir: «Voici le pain qui descend du ciel, pour que celui qui en mange ne meure point». Il fait ressortir la différence des deux nourritures par la différence des résultats. Le pain dont il parle ici, ce sont les vérités du salut, et la foi que nous devons avoir en lui, ou bien son corps, car toutes ces choses conservent la vie de l'âme.

S. Aug. (Traité 26) Mais est-ce que nous qui mangeons le pain descendu du ciel, nous ne mourrons pas aussi? Ceux qui ont mangé la manne sont morts comme nous mourrons nous-mêmes un jour de la mort du corps. Mais quand à la mort spirituelle dont leurs pères sont morts, Moïse et un grand nombre d'autres qui ont mangé la manne et qui ont été agréables à Dieu, n'y ont pas été soumis, parce qu'ils ont reçu cette nourriture visible avec des dispositions toutes spirituelles, ils l'ont désirée dans l'esprit, goûtée dans l'esprit, ils en ont été rassasiés dans l'esprit. Encore aujourd'hui nous recevons une nourriture visible, mais autre chose est le sacrement, autre chose est la vertu du sacrement. Combien qui reçoivent ce pain de l'autel, et qui meurent en le recevant ! comme le dit l'Apôtre: «Il mange et boit son jugement» (1Co 11). Mangez donc spirituellement ce pain céleste, apportez l'innocence au saint autel. Tous les jours vous péchez, mais que vos péchés ne soient point de ceux qui donnent la mort à l'âme. Avant d'approcher de l'autel, pesez bien ce que vous dites: Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs. Si vous les remettez véritablement, on vous remettra les vôtres. Approchez donc avec confiance, c'est du pain et non du poison qu'on vous présente: «Si quelqu'un mange de ce pain, il ne mourra point». Mais il s'agit ici de la vertu du sacrement, et non de ce qui est visible dans le sacrement; de celui qui se nourrit intérieurement de ce pain, et non de celui qui se contente de le manger extérieurement. - Alcuin. Celui qui mange ce pain ne meurt pas «parce que je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel». - Théophyl. Il est descendu du ciel par son incarnation, il n'a donc point commencé par être homme avant de s'unir à la divinité comme le rêve Nestorius. - S. Aug. (Traité 26). La manne est aussi descendue du ciel, mais la manne n'était que figurative, et nous avons ici la vérité. Or, ma vie, dit le Sauveur, est pour les hommes une source de vie: «Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra non-seulement dans cette vie par la foi et la justice, mais il vivra éternellement». «Et le pain que je donnerai, est ma chair qui sera livrée pour la vie du monde». - La Glose. Le Seigneur explique ici dans quel sens il est un véritable pain, ce n'est pas seulement par sa divinité qui donne la nourriture à tout ce qui existe, mais par son humanité qui a été unie au Verbe de Dieu, et c'est pour cela qu'il ajoute: «Et le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde». - Bède. Le Seigneur a donné ce pain lorsqu'il a livré à ses disciples le mystère de son corps et de son sang, et quand il s'est offert lui-même à Dieu son Père sur l'autel de la croix. La vie du monde dont il parle ici ne doit point s'entendre des éléments matériels qui composent le monde, mais de tous ceux que l'on comprend sous le nom de monde. - Théophyl. En disant: «Que je donnerai», il fait ressortir sa puissance et prouve que s'il a été crucifié, ce n'est pas comme étant inférieur à son Père, mais de sa pleine volonté. Car bien que nous disions qu'il a été livré par son Père, cependant il s'est véritablement livré lui-même. Considérez encore que le pain que nous mangeons dans les saints mystères n'est pas seulement la figure de la chair de Jésus-Christ, mais qu'il est lui-même la vraie chair de Jésus-Christ. Car il ne dit pas: Le pain que je donnerai est la figure de ma chair, mais: «c'est ma chair». En vertu de paroles ineffables, ce pain est changé au corps de Jésus-Christ par une bénédiction mystérieuse et par l'habitation de l'Esprit saint dans la chair de Jésus-Christ. Mais pourquoi ne voyons-nous pas cette chair? Parce que la vue de cette chair nous inspirerait une vive horreur lorsque nous voudrions nous en nourrir. C'est donc pour condescendre à notre faiblesse que cette nourriture spirituelle nous est donnée d'une manière conforme à nos habitudes. Jésus donne sa chair pour la vie du monde, parce que c'est en mourant qu'il a détruit l'empire de la mort. Cette vie du monde, je puis l'entendre de la résurrection, car la mort du Seigneur a été pour tout le genre humain un principe de résurrection. Peut-être aussi peut-on entendre cette vie qui est le fruit de la justification et de la sanctification par l'Esprit; car bien que tous n'aient pas reçu la vie qui consis te dans la sanctification et dans la participation de l'Esprit saint, cependant le Seigneur s'est livré pour le monde et il a fait ce qui dépendait de lui, pour que le monde tout entier fût sanctifié.

S. Aug. (Traité 26). Mais comment la chair pourrait-elle comprendre que Notre-Seigneur ait donné le nom de pain à sa propre chair? Les fidèles connaissent le corps de Jésus-Christ, si toutefois ils ne négligent pas de devenir eux-mêmes le corps de Jésus-Christ. Oui, qu'ils fassent partie du corps de Jésus-Christ, s'ils veulent vivre de l'esprit de Jésus-Christ. Est-ce que mon corps peut recevoir le mouvement et la vie de votre esprit? C'est ce pain dont parle l'Apôtre, lorsqu'il dit: «Nous ne faisons tous qu'un même corps, nous qui mangeons d'un même pain». O sacrement de la piété ! O symbole de l'unité ! O lien de la charité! Celui qui veut vivre, possède ici une source de vie, qu'il approche, qu'il croie, et qu'il s'incorpore à Jésus-Christ pour recevoir la vie.


vv. 53-55

12653 Jn 6,53-55

S. Aug. (Traité 26 sur S. Jean). Les Juifs ne comprenaient pas quel était ce pain d'union, et c'est la raison de leurs disputes: «Les Juifs donc se disputaient entre eux, disant: Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ?» Pour ceux au contraire qui se nourrissent de ce pain, ils n'ont point de dispute entre eux, car c'est par la vertu de ce pain que Dieu fait habiter ensemble ceux qui n'ont qu'un même esprit (Ps 67, 7)

Bède. Les Juifs s'imaginaient que le Seigneur leur partagerait sa chair par morceaux, et la leur donnerait ainsi à manger, ils disputaient donc entre eux, parce qu'ils ne comprenaient point. - S. Chrys. (hom. 46). Ils prétendaient qu'il était impossible qu'il leur donnât ainsi sa chair, et il leur montre que loin d'être impossible, c'est une chose absolument nécessaire: «Et Jésus leur dit: En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme»,etc., c'est-à-dire vous ignorez comment ce pain peut vous être donné, et de quelle manière vous devez le manger, et cependant, je vous le déclare, si vous ne mangez ce pain, vous n'aurez point la vie en vous., etc.

Bède. Et pour étendre à tous l'obligation de ce précepte il le généralise en disant: «Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang», etc. Or, dans la crainte de voir appliquer à la vie présente les effets de la communion à sa chair, il ajoute: «Il a la vie éternelle». Celui donc, qui ne mange pas sa chair et ne boit pas son sang, demeure privé de cette vie. On peut jouir de la vie présente sans manger ce pain, mais pour la vie éternelle, cela est impossible. Il n'en est pas ainsi de la nourriture que nous prenons pour soutenir la vie du corps, elle est absolument nécessaire à la conservation de cette vie, et cependant elle ne peut la conserver indéfiniment, car il arrive tous les jours qu'un grand nombre de ceux qui l'ont prise meurent par suite de maladie, de vieillesse ou de quelque autre accident. Mais les effets de cette nourriture et de ce breuvage, c'est-à-dire du corps et du sang de Jésus-Christ, sont bien différents; celui qui ne les reçoit point ne peut avoir la vie, et celui qui les reçoit a nécessairement la vie et la vie éternelle. - Théophyl. Car ce n'est pas seulement la chair d'un homme, c'est la chair d'un Dieu, chair qui a la puissance de rendre l'homme tout divin, en l'enivrant de sa divinité.

S. Aug. (de la Cité de Dieu, 21, 19). Il en est qui s'appuient sur ces paroles pour promettre à ceux qui ont reçu le baptême du Christ, et qui participent à la réception de son corps, qu'ils seront délivrés des supplices éternels, quelle qu'ait été d'ailleurs leur vie. C'est une erreur que l'apôtre saint Paul condamne lorsqu'il dit: «Il est aisé de connaître les oeuvres de la chair qui sont la fornication, l'impureté, l'impudicité, la dissolution, etc., dont je vous déclare, comme je vous l'ai déjà dit que ceux qui commettent ces crimes, ne seront point héritiers du royaume de Dieu. (Ga 5) Nous devons donc examiner avec soin dans quel sens il faut entendre les paroles du Sauveur. Celui qui fait partie de l'unité de son corps, c'est-à-dire de cette union étroite des chrétiens membres de ce corps dont les fidèles reçoivent le sacrement dans la sainte communion, mange véritablement le corps et boit le sang de Jésus-Christ. Par conséquent, les hérétiques et les schismatiques qui sont séparés de l'unité de son corps, peuvent bien recevoir le même sacrement, mais sans aucune utilité pour eux; je dirai plus, il leur est nuisible et il devient pour eux la cause d'un jugement rigoureux, plutôt qu'un principe de délivrance. Ceux dont les moeurs sont évidemment mauvaises et condamnables et qui par leurs impuretés ou par d'autres actions semblables, c'est-à-dire par l'iniquité de leur vie se séparent de la justice de la vie qui est Jésus-Christ, ne mangent pas véritablement le corps de Jésus-Christ, parce qu'ils ne font point partie de ses membres. Pour ne pas en dire davantage, ils ne peuvent être en même temps les membres de Jésus-Christ et les membres d'une prostituée (1Co 6,15).

S. Aug. (Traité 26). Notre-Seigneur veut donc que dans cette nourriture et dans ce breuvage, nous voyions la société de son corps et de ses membres, c'est-à-dire l'Eglise, composée de saints que Dieu a prédestinés, appelés, justifiés, et glorifiés, et de ses fidèles. Le symbole de cette vérité, c'est-à-dire, l'unité du corps et du sang de Jésus-Christ, nous est présenté tous les jours dans certains lieux, à des jours marqués dans d'autres endroits, sur la table du Seigneur, et c'est sur cette table que les fidèles prennent ce sacrement, les uns pour leur vie, les autres pour leur mort. Mais la vérité qui est elle-même figurée par ce sacrement est un principe de vie pour tous, et n'est une cause de mort pour aucun de ceux qui ont le bonheur d'y participer. Comme les Juifs auraient pu croire que la promesse de la vie éternelle faite à ceux qui prendraient cette nourriture et ce breuvage, entraînait l'affranchissement de la mort du corps, Notre-Seigneur prévient cette pensée en ajoutant: «Et je le ressusciterai au dernier jour», c'est-à-dire, que son âme jouira d'abord de la vie éternelle dans le repos que Dieu a préparé aux âmes des saints, et que son corps lui-même ne sera point privé de cette vie éternelle, dont il entrera en possession au dernier jour de la résurrection des morts.


vv. 56-60

12656 Jn 6,56-60

Bède. Le Sauveur venait de dire précédemment: «Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle»; il montre maintenant quelle distance sépare la nourriture et le breuvage matériel du mystère spirituel de son corps et de son sang: «Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage». - S. Chrys. (hom. 46 sur S. Jean). Notre-Seigneur tient ce langage pour fortifier la foi aux enseignements qui précèdent, et bien persuader ceux qui l'écoutent, que ce n'est point ici une parabole et une figure, mais qu'il faut absolument manger le corps du Christ; ou bien son intention est de nous apprendre que la nourriture véritable est celle qui donne le salut à notre âme.

S. Aug. (Traité 26). Ou bien encore, ce que les hommes cherchent dans la nourriture et la boisson, c'est d'apaiser leur faim et leur soif, or cet effet ne peut être complètement atteint qu'au moyen de cette nourriture et de ce breuvage, qui communiquent à ceux qui les prennent, l'immortalité et l'incorruptibilité, et les fait entrer dans la société des saints dans laquelle ils jouiront d'une paix absolue et de l'unité la plus parfaite. C'est pour cela que Notre-Seigneur nous a donné son corps et son sang sous des symboles qui nous offrent une parfaite image de cette unité. C'est ainsi que le pain résulte de l'assemblage d'un grand nombre de grains de blé, et que le vin est le produit d'un grand nombre de grains de raisin. Le Sauveur explique ensuite ce que c'est que manger sa chair et boire son sang, en ajoutant: «Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui». Manger cette nourriture et boire ce breuvage, c'est donc demeurer en Jésus-Christ, et avoir Jésus-Christ demeurant en soi; par conséquent, celui qui ne demeure pas en Jésus-Christ, et en qui Jésus-Christ ne demeure pas, ne mange pas sa chair et ne boit point son sang; mais au contraire il ne mange et ne boit cet auguste mystère que pour son jugement et sa condamnation.

S. Chrys. (hom. 47). On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède: Notre-Seigneur avait promis la vie éternelle à ceux qui mangeraient ce pain, il confirme cette promesse par ces paroles: «Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui». - S. Aug. (serm. 2 sur les par. du Seig). Il en est un grand nombre qui mangent la chair du Sauveur et boivent son sang avec un coeur hypocrite, ou qui après s'en être nourris deviennent des apostats; peut-on dire d'eux qu'ils demeurent en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ demeure en eux? Il y a donc une manière particulière de manger cette chair et de boire ce sang pour que nous demeurions en Jésus-Christ et que Jésus-Christ demeure en nous. - S. Aug. (de la Cité de Dieu, 12, 25). Il faut pour cela ne point participer seulement au sacrement extérieur, mais manger véritablement le corps et boire le sang de Jésus-Christ. - S. Chrys. (hom. 47). Comme je suis vivant, il est évident que celui qui mangera mon corps et boira mon sang, entrera en participation de cette vie, c'est ce que le Sauveur établit en ajoutant: «Comme mon Père qui est vivant m'a envoyé, et que je vis par mon Père, de même celui qui me mange vivra aussi par moi». - S. Aug. (serm. 2 sur les par. du Seig). C'est-à-dire, je vis comme mon Père; il ajoute, par mon Père, pour établir sa génération et prouver indirectement que le Père était le principe de son existence. La vie qu'il promet par ces paroles: «Celui qui me mange vivra par moi», n'est point cette vie ordinaire et commune même aux infidèles qui ne se nourrissent pas de la chair du Sauveur, mais cette vie spirituelle qui a seule quelque prix aux yeux de Dieu. La résurrection dont il parle n'est pas non plus la résurrection commune à tous les hommes, mais la résurrection glorieuse qui sera suivie des récompenses éternelles.

S. Aug. (Tr. 26 sur S. Jean). Notre-Seigneur ne dit point: Comme je me nourris de mon Père et que je vis par mon Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi, parce qu'en effet, l'union étroite qui existe entre le Père et le Fils ne donne pas au Fils un degré supérieur de bonté, comme la participation que nous avons au Fils par l'union étroite avec son corps et avec son sang, nous rend évidemment meilleurs. Si donc Notre-Seigneur s'exprime de la sorte: «Je vis par mon Père», parce qu'il vient du Père, son égalité avec le Père n'en souffre en aucune manière. Et cependant en ajoutant: «Et celui qui me mange vivra par moi», il ne veut pas établir une parfaite égalité avec lui, mais simplement exprimer la grâce, bienfait du médiateur. Or si nous entendons ces paroles: «Je vis par mon Père»; dans le sens de ces autres paroles: «Mon Père est plus grand que moi»; ces autres paroles: «Comme mon Père m'a envoyé», etc., reviennent à celles-ci: L'anéantissement qui a été la suite de mon incarnation, a eu pour fin de me faire vivre à cause de mon Père, c'est-à-dire, de lui rapporter toute ma vie comme à celui qui était plus grand que moi, et la participation à la nourriture que je donne fait que chacun vit à cause de moi.

S. Hil. (de la Trin., 8) Il ne reste donc aucun moyen de douter de la vérité de la chair et du sang de Jésus-Christ, la déclaration du Sauveur aussi bien que notre foi, concourent à établir que c'est véritablement sa chair et véritablement son sang; et le principe de notre vie, c'est que nous possédons dans notre nature Jésus-Christ, qui demeure en nous par le moyen de sa chair, et qui nous donne la vie aux mêmes conditions qu'il vit lui-même par son Père. Si donc nous avons la vie par lui en vertu de sa chair, c'est-à-dire, en participant à la nature de sa chair, comment n'aurait-il pas naturellement en lui son Père selon l'esprit, puisqu'il ne vit que par son Père? Or, il vit par son Père, parce que sa naissance ne lui a pas donné une nature différente de celle de son Père.

S. Aug. (Traité 26). Or, ce pain est descendu du ciel afin que nous puissions recevoir la vie en le mangeant, nous qui de nous-mêmes ne pouvions prétendre à la vie éternelle: «C'est ici, dit Notre-Seigneur, le pain qui est descendu du ciel». - S. Hil. (de la Trin., 10) Il se donne ici le nom de pain, et il déclare que ce pain est sa chair, pour prévenir la pensée que la puissance et la nature du Verbe aient éprouvé quelque amoindrissement par leur union avec la chair, car par-là même que ce pain descend du ciel, il prouve clairement que son corps n'est point le produit d'une conception ordinaire, mais qu'il a une origine divine. Et comme il nous déclare que ce pain c'est lui-même, il prouve par-là que le Verbe s'est uni à un corps véritable. - Théophyl. Ce n'est pas Dieu seul que nous mangeons dans ce sacrement, puisqu'il est impalpable et incorporel; ce n'est pas non plus la chair d'un simple mortel qui ne nous servirait de rien. Mais comme Dieu s'est uni notre chair, sa chair est un principe de vie; ce n'est pas qu'elle ait été transformée et qu'elle soit devenue la nature de Dieu, mais de même que le fer embrasé conserve sa nature du fer, et possède en même temps la propriété du feu, ainsi la chair du Seigneur est devenue une chair vivifiante comme étant la chair du Verbe de Dieu.

Bède. Pour montrer la distance qui sépare l'ombre de la lumière, la figure de la vérité, il ajoute: «Ce n'est pas comme vos pères, qui ont mangé la manne et qui sont morts». - S. Aug. (Tr. 26). Cette mort doit être entendue de la mort éternelle, car ceux mêmes qui mangent le corps du Christ, ne sont pas exempts de la mort du corps, mais ils reçoivent en échange la vie éternelle, parce que Jésus-Christ est la vie éternelle. - S. Chrys. (hom. 47 sur S. Jean). Dieu a bien pu sans moisson, sans provision de blé et sans le secours d'autres aliments, leur conserver la vie pendant quarante ans, combien plus facilement pourrait-il le faire à l'aide de cette nourriture spirituelle dont la manne était la figure? Le Sauveur fait souvent des promesses de vie, parce que rien n'est plus agréable aux hommes; dans l'Ancien Testament, Dieu promettait une longue vie, maintenant Jésus-Christ nous promet une vie qui ne doit point avoir de fin. Il nous fait voir en même temps qu'il a révoqué la sentence qui nous livrait à la mort en punition de nos péchés, et qu'il l'a remplacée par la promesse de la vie éternelle: Jésus dit ces choses dans la synagogue, lorsqu'il enseignait à Capharnaüm, où il avait opéré un grand nombre de miracles. Il enseignait dans la synagogue et dans le temple pour attirer le peuple à lui et lui prouver qu'il n'était pas en opposition avec Dieu le Père.

Bède. Dans le sens mystique, Capharnaüm dont le nom signifie très-belle campagne représente le monde, comme la synagogue est la figure du peuple juif, et le Sauveur nous apprend ici qu'en apparaissant au monde dans le mystère de son incarnation il a enseigné au peuple juif un grand nombre de vérités que ce peuple a comprises.



Catena Aurea 12641