Catherine de Sienne, Dialogue 104

CHAPITRE VII

104 Comment la pénitence ne doit pas être considérée comme le fondement ni comme le principal effet de la perfection, qui est l'amour de la vertu.

J'ai répondu, très chère fille, à tes deux premières questions. Je vais maintenant résoudre la troisième. Je te demande d'apporter à cet exposé une attention toute particulière, pour te reprendre toi-même, Si parfois le démon ou la faiblesse de ton esprit te portaient à vouloir conduire, ou à désirer voir marcher tous mes serviteurs, dans la voie que tu as suivie toi-même. Rien ne serait plus contraire à la doctrine que tu as reçue de ma Vérité.
Souvent, en effet, il arrive qu'en voyant nombre de créatures marcher dans le chemin d'une austère pénitence, l'on souhaite de voir toutes les âmes s'engager dans cette voie: si l'on en remarque qui ne la prennent pas, on s'en indigne, on s'en scandalise en soi-même, on estime qu'elles ne font pas bien.
Quelle erreur pourtant, et sache-le comprendre!
Celui que l'on juge ainsi comme faisant mal, parce qu'il accomplit moins de pénitences, bien souvent, fera mieux et sera plus vertueux, que l'homme austère qui murmure contre lui. Je te l'ai (379) déjà dit précédemment, si ceux qui se nourrissent à la table de la pénitence n'apportent pas dans leur mortification une véritable humilité, si leur pénitence, au lieu d'être simplement un instrument de vertu, est leur principal souci, maintes fois, par leurs murmures, ils nuiront à leur perfection. Ils doivent sortir de leur aveuglement. Il leur faut apprendre que la perfection ne consiste pas seulement dans les macérations, dans les mortifications corporelles, mais dans la destruction de la volonté propre, de la volonté perverse. C'est dans cette voie de l'abnégation et de la soumission de la volonté à ma douce volonté, que vous devez désirer et que je veux que tu désires voir marcher toutes les âmes. Voilà la doctrine, éclairée de cette glorieuse lumière, voilà la voie où l'âme, revêtue de ma Vérité, s'empresse à courir, emportée qu'elle est par l'amour.
Ce n'est pas que je méprise la pénitence. La pénitence est bonne pour mâter le corps, et l'empêcher de se révolter contre l'esprit. Mais je ne veux pas, très chère Fille, que tu en fasses une règle pour chacun, car le corps n'est pas chez tous d'égale force, ni de même complexion il est chez l'un plus robuste, chez l'autre plus débile. Et même souvent, comme je l'ai dit, chez la même personne, des circonstances pourront survenir, qui forceront d'interrompre les pénitences qu'elle avait commencées.
Si donc tu avais pris ou fait prendre aux autres la pénitence, comme fondement de la perfection, le découragement viendrait vite et avec (380) lui l'imperfection. Vous seriez sans consolation, et comme sans force dans l'âme, en vous voyant sevrés de cette austérité que vous aimiez, et dont vous aviez fait le principe de votre avancement spirituel. Il vous semblerait être séparés de moi, et le sentiment d'être privés de ma Bonté vous remplirait d'ennui, d'amertume et de trouble. Vous en viendriez ainsi à négliger vos exercices, et à vous relâcher de l'oraison fervente, que vous étiez accoutumés de faire au temps de vos pénitences. Maints accidents survenus vous auront obligés de renoncer à vos macérations, et l'oraison n'aura plus pour vous cette saveur que vous lui trouviez auparavant. Oui, voilà où vous en arriveriez, Si vous aviez fait de l'amour de la pénitence, le fondement de la perfection, au lieu de le placer dans l'ardent désir des vraies et réelles vertus. Tu vois quelles funestes conséquences résulteraient de cette méprise: c'est l'aveuglement, c'est le murmure contre mes serviteurs, c'est l'ennui, c'est l'amertume profonde, c'est l'application à me servir par des oeuvres finies, moi, le Bien infini, et qui, à ce titre, réclame de vous un désir infini.
Il faut donc fonder votre perfection sur la mortification et l'anéantissement de la volonté propre. Dès lors, par cette volonté toute soumise à ma volonté, vous m'offrirez un doux et ardent et infini désir, sans autre objet que mon honneur et le salut des âmes.
Vous vous nourrirez ainsi à la table du saint désir, sans jamais trouver en vous-mêmes ou dans le prochain (381) une occasion de scandale; vous vous réjouirez en toute chose, et vous saurez tirer profit de tant de manières différentes, par lesquelles je conduis les âmes.
Ce n'est pas ce que font, bien au contraire, les malheureux qui ne suivent pas cette douce doctrine, cette voie droite tracée par nia Vérité. Ils jugent d'après leur aveuglement, ou d'après leur vue personnelle qui est très basse, et les voilà partis comme des fous, perdant tout à la fois les biens de la terre et les biens du ciel! Dès cette vie, je te l'ai dit dans un autre endroit, ils ont un avant-goût de l'enfer (382).



CHAPITRE VIII

105 Résumé de ce qui précède, avec une addition sur la correction du prochain.


J'ai donc, très chère fille, satisfait à ton désir en t'expliquant ce que tu me demandais sur la manière de reprendre ton prochain, sans te laisser tromper par le démon ou par ta faible vue. A moins de révélation expresse venant de moi et concernant une faute particulière, ta correction doit toujours demeurer générale. Elle doit âtre accompagnée d'humilité et observer la méthode que je t'ai indiquée, qui consiste à te réprimander toi-même en même temps que les autres.
Je t'ai dit ensuite et je te répète, qu'il n'est permis d'aucune manière, de juger les créatures en général, ni mes serviteurs, en particulier, en induisant l'état intérieur de leur âme des dispositions heureuses ou fâcheuses dans lesquelles ils se trouvent. Je t'ai donné la raison pour laquelle tu ne peux pas juger, et serais, si tu jugeais, trompée dans ton jugement. Ce que vous devez au prochain en ce cas, toi et les autres, c'est la compassion. Le jugement doit m'être réservé.
Je t'ai exposé encore la doctrine et le principe (383) fondamental que tu devais inculquer à ceux qui viendraient te demander conseil pour sortir des ténèbres du péché mortel et suivre le chemin de la vertu. Enseigne-leur comme principe et fondement l'amour de la vertu par la connaissance d'eux-mêmes et de ma Bonté envers eux, et demande-leur de mortifier et d'anéantir leur propre volonté. pour qu'elle ne se révolte en rien contre Moi. Indique-leur aussi la pénitence, mais comme un moyen, non comme le but principal, ainsi qu'il a été dit. La pénitence ne doit pas, non plus, être égale pour tous, mais se mesurer aux aptitudes, aux forces et à la condition de chacun. Suivant cette règle, les uns useront peu, les autres beaucoup, de ces moyens extérieurs.
Il ne t'est pas permis, ai-je dit, de reprendre le prochain d'une faute en particulier, mais seulement de façon générale, selon la manière que je t'ai indiquée. Je ne voudrais pas cependant que tu croies, que devant une faute extérieure bien caractérisée, tu ne puisses lui en faire la correction entre toi et lui. Tu le peux faire, et même, s'il s'obstine et refuse de s'en amender, il est permis de la faire connaître à deux ou trois personnes. Si cela encore ne suffit pas, tu peux dénoncer le coupable au corps mystique de la sainte Eglise (
Mt 18,15-17). Ce que j'ai voulu te dire, c' est que cela ne t'était pas permis, pour toute vision ou sentiment intérieur que tu aurais dans l'esprit. Encore que tu aurais été témoin du fait, il ne faudrait pas te hâter, à moins que tu ne (384) l'aies vu sans doute possible, ou que tu en aies reçu de Moi, dans ton esprit, la révélation expresse. Et, même alors, tu dois employer la méthode de correction que je t'ai expliquée. C'est le plus sûr, pour éviter d'être induit en erreur par le démon, sous le couvert de la charité du prochain.
Maintenant, j'ai fini, ma fille très chère, de t'exposer sur ce point, ce qu'il est nécessaire d'observer pour conserver et accroître la perfection de l'âme (385).





CHAPITRE IX

106

Des signes auxquels on connaît que les visites et les visions spirituelles sont de Dieu ou du démon.

Je vais t'exposer, à présent, comme tu l'as demandé, le signe que je donne à l'âme, pour qu'elle puisse discerner les visites qu'elle reçoit par mode de visions ou autres consolations spirituelles, dont elle se croit favorisée et reconnaître Si elles sont de moi ou non. Le signe de ma présence, ai-je dit, c'est l'allégresse que je laisse dans l'âme après ma visite, et le désir de la vertu, spécialement de la vertu de véritable humilité, jointe à l'ardeur de la divine charité.
Tu m'as demandé si, dans cette allégresse, ne se pouvait pas glisser quelque illusion; et, s'il en était ainsi, tu voudrais suivre le parti le plus sûr et t'en tenir au signe de la Vertu, qui ne peut être trompeur. Je te dirai donc l'erreur qui s'y peut mêler et à quoi tu pourras reconnaître que cette joie spirituelle est vraie ou fausse.
Voici comment l'erreur peut t'égarer.
Je veux que tu saches, que la créature raisonnable qui aime ou désire un bien, ressent une joie dés qu'elle le possède. Et plus elle aime ce bien (386)
qu'elle possède, moins elle le voit, moins elle s'applique à l'examiner avec prudence. Elle est toute à la jouissance qu'elle éprouve de cette consolation:
la joie de posséder enfin ce qu'elle aime ne lui permet pas de le juger: son moindre souci est de se rendre compte de ce qu'il vaut.
Il en va de même de ceux qui aiment et désirent vivement les consolations spirituelles, qui recherchent les visions et s'attachent plus aux douceurs des consolations, qu'à moi-même, comme je te l'ai dit de ceux qui étaient encore dans l'état imparfait et qui regardaient davantage à la faveur des consolations, qu'ils recevaient de Moi, le donateur, qu'à l'amour de ma Charité, avec lequel je les leur donne. Ceux-là peuvent être trompés dans leur allégresse, sans compter d'autres dangers, dont je t'entretiendrai à part, dans un autre endroit.
Comment sont-ils abusés? - Ecoute.
Lorsqu'ils ont conçu un grand amour de la consolation, comme il a été dit, et que la consolation leur arrive, ou quelque vision, quel qu'en soit la provenance, ils ressentent de la joie d'avoir enfin ce qu'ils aiment et désiraient d'avoir. Aussi, souvent, ces consolations pourraient venir du démon, qu'ils en éprouveraient encore de la joie. Ne t'ai-je pas dit, en effet, que lorsque le démon visite l'âme, sa présence se fait sentir, tout d'abord, par l'allégresse; mais qu'elle laissait ensuite l'âme dans la tristesse, avec un remords dans la conscience, et sans aucun désir de la vertu! J'ajouterai que cette allégresse peut se prolonger, et que l'âme peut la ressentir (387) parfois pendant toute la durée de son oraison. Mais si cette allégresse n'est pas accompagnée d'un ardent désir de la vertu, parfumée d'humilité, embrasée du feu de nia divine charité, cette vision, cette consolation, cette visite reçue, vient du démon, elle n'est pas de Moi. L'âme a bien possédé le signe de l'allégresse; mais comme cette allégresse n'est pas unie à l'amour de la vertu, elle peut juger avec évidence que cette allégresse procède uniquement du désir qu'elle avait des consolations personnelles intérieures. Elle se réjouit maintenant, elle est dans la joie, parce qu'elle croit avoir ce qu'elle souhaitait, et que c'est le propre de l'amour, quel qu'il soit, d'être dans la joie, dès qu'il possède ce qu'il aime.
Tu ne pourrais donc te fier à la seule allégresse éprouvée, alors même que cette allégresse durerait tout le temps de la consolation, et plus encore. L'amour, aveuglé par cette allégresse, ne découvrira par cette tromperie du démon, s'il ne fait pas appel à d'autres signes que la prudence lui fournit; mais s'il procède avec prudence, il verra si, oui ou non, cette allégresse est accompagnée de l'amour de la vertu. Il discernera ainsi, si cette visite spirituelle est de Moi ou du démon.
Tel est le signe de discernement que je t'avais donné quand je t'avais dit que la joie que tu en éprouverais serait pour toi un signe de ma visite, pourvu que cette joie fût accompagnée de la vertu. Telle est bien la vérité. C'est là un signe certain qui te démontrera s'il y a ou non tromperie, si la (388) joie que tu éprouves est bien provoquée par ma présence, ou si elle procède de l'amour-propre spirituel et du désir des consolations personnelles. Ma visite apporte la joie avec l'amour de la vertu, celle du démon ne cause que la joie. Quand l'âme en vient à constater qu'elle n'est pas plus avancée dans la vertu qu'auparavant, il en faut conclure que cette allégresse procède de l'amour-propre des consolations spirituelles.
Tous, sache-le bien, ne sont pas trompés par cette joie, il n'y a que les imparfaits, ceux qui recherchent la consolation et regardent plus au don qu'au donateur, Mais ceux qui purement, sans aucun intérêt personnel, par la seule ardeur de l'amour qu'ils ont pour Moi, regardent au donateur et non au don et n'attachent de prix au don qu'à cause de Moi qui donne, nullement à cause de la consolation qu'ils en retirent, ceux-là ne peuvent jamais être abusés par cette allégresse. Ils ont un signe certain qui leur permet de discerner promptement quand le démon parfois essaye de les tromper en se transformant en ange de lumière, et de visiter leur esprit en y répandant soudain une grande allégresse. N'étant point passionnés par le désir de la consolation spirituelle, ils ont tôt fait, par leur prudence, d'éventer le piège, dès qu'ils constatent que l'allégresse une fois dissipée, ils demeurent dans les ténèbres. Ils s'en humilient alors dans la vraie connaissance qu'ils ont d'eux-mêmes, ils renoncent à ton Le consolation, et s'attachent avec passion à la doctrine de ma Vérité. Le démon, tout confus, ne (389) se présentera plus jamais ou rarement sous cette forme.
Ceux, au contraire, qui sont avides de consolations personnelles, recevront souvent sa visite. S'ils sont trompés ils reconnaîtront leur erreur, par le moyen que je t'ai indiqué, en constatant que l'allégresse n'était pas accompagnée de la vertu, et qu'ils ne sont point sortis de cette visite, avec l'humilité, avec une vraie charité, avec un grand désir de mon honneur à moi, le Dieu éternel, et du salut des âmes. C'est ma Bonté qui a ainsi pourvu à la préservation de tous, parfaits et imparfaits, dans quelque état que vous soyez. Vous pourrez déjouer toutes les ruses, si vous voulez conserver la lumière de l'intelligence que je vous ai donnée avec la pupille de la très sainte Foi. Ne la laissez donc point obscurcir par le démon, ou éteindre pas votre amour-propre car, si vous ne la voulez perdre, il n'est au pouvoir de personne de vous l'enlever (390).




CHAPITRE X

107

Comment Dieu exauce les saints désirs de ses serviteurs. Combien lui sont agréables ceux qui le prient, et frappent avec persévérance à la porte de sa Vérité.
J'ai fini, ma très chère fille, d'éclaircir tes doutes. J'ai procuré à l'oeil de ton intelligence la lumière dont il avait besoin pour éviter les pièges que le démon te pourrait tendre, et j'ai satisfait ainsi à toutes tes demandes. Car Moi, crois-le bien, je ne méprise pas le désir de mes serviteurs. Je donne à quiconque me demande, et je vous invite tous à demander. C'est me déplaire vivement que dé ne pas frapper, en vérité, à la porte de la Sagesse de mon Fils unique, en suivant sa doctrine. Car suivre sa doctrine c'est comme frapper à la porte, en criant vers moi le Père éternel par la voix du saint désir, par d'humbles et continuelles prières. Et c'est moi le Père, qui vous donne le pain de la grâce par la porte de la douce Vérité. Parfois, pour éprouver vos désirs et votre persévérance, je fais semblant de ne pas vous entendre, mais je vous entends bien, et j'accorde à votre esprit ce dont il a besoin. C'est moi qui vous donne la faim et la soif avec laquelle vous criez vers moi, et je ne veux qu'éprouver votre (391)constance, pour combler vos désirs, lorsqu'ils sont bien ordonnés et dirigés vers Moi. C'est à crier de la sorte que vous invite ma Vérité, quand elle dit Appelez et l'on vous répondra, frappez et il vous sera ouvert, demandez et l'on vous donnera (
Mt 7,7 Lc 11,9) .
Et Moi aussi je te dis " Je ne veux pas que tu laisses faiblir ton désir ni que tu cesses d'implorer mon secours! N'abaisse pas ta voix! Crie, crie vers moi pour que je fasse miséricorde au monde! Frappe sans interruption à la porte de ma Vérité, mon Fils, en suivant ses traces. Que tes délices soient d'être avec lui sur la croix, avec pour aliment les âmes à sauver pour la gloire et l'honneur de mon nom, gémissant dans l'angoisse de ton coeur, sur la mort de la race humaine que tu vois entraînée vers une telle. misère que ta langue ne la saurait décrire. C'est par tes gémissements, c'est par tes cris, que je voudrais faire miséricorde au monde C'est cela que je demande à mes serviteurs! A ce signe je reconnaîtrai qu'ils m'aiment en vérité, et Moi, comme je te l'ai dit, je ne mépriserai pas leur désir (392).




CHAPITRE XI

108


Comment cette âme s'humilie en rendant grâces à Dieu. Elle prie ensuite pour le monde entier, et spécialement pour le corps mystique de la sainte Église, pour ses fils spirituels et pour les deux pères de son âme. Enfin elle demande à connaître les fautes des ministres de la sainte Eglise.

Alors cette âme, dans une véritable ivresse, paraissait hors d'elle-même. L'action de ses sens était suspendue en son corps, par l'union d'amour qu'elle avait faite avec son Créateur pendant que son esprit était ravi dans la contemplation de la Vérité éternelle, qui absorbait le regard de son intelligence. Cette vue de la Vérité l'avait faite tout amour pour la Vérité! Et elle disait
O souveraine et éternelle Bonté de Dieu! Eh! que suis-je donc, moi misérable, pour que vous, Père éternel et souverain, vous m'ayez manifesté votre Vérité, pour que vous m'ayez découvert les ruses secrètes du démon et les illusions du sens propre, auxquelles je suis exposée, moi et les autres, pendant le pèlerinage de cette vie, afin que je ne sois trompée ni par le démon ni par moi-même? Qui donc vous inspire? L'amour! Car vous m'avez aimée sans être aimée de moi (393).
O foyer d'amour! Grâces, grâces, soient à vous, Père éternel! A moi imparfaite et remplie de ténèbres, vous le Parfait, vous la Lumière, vous avez montré la perfection et la voie lumineuse de la doctrine de votre Fils unique. J'étais morte, vous m'avez rendu la vie! J'étais malade, vous m'avez servi le remède! Et non seulement le remède du Sang, que vous avez appliqué par votre Fils à ce malade qu'est le genre humain; mais encore vous m'avez donné contre une infirmité secrète un remède que je ne connaissais pas; vous m'avez enseigné cette doctrine que je ne puis d'aucune manière juger la créature raisonnable et spécialement vos serviteurs i Aveugle et infirme que j'étais! Que de fois ne les ai-je pas jugés, sous couleur de votre honneur et du salut des âmes! Je vous remercie donc, ô Bonté souveraine et éternelle, de ce qu'en me découvrant votre Vérité, et les tromperies du démon, et les illusions du sens propre, vous m'avez fait connaître mon infirmité! Je vous en supplie par votre grâce et par votre miséricorde, qu'aujourd'hui soit le terme et la fin de mes égarements! Que je ne m'écarte plus désormais de la doctrine que votre Bonté m'a donnée, à moi et à quiconque la voudra suivre. Sans vous, rien ne se peut faire! J'ai donc recours à vous, vous êtes mon refuge, Père éternel, et ce n'est pas pour moi seule que je vous implore, mais encore pour le monde entier, et particulièrement pour le corps mystique de la sainte Eglise.
Qu'elle brille dans vos ministres, cette Vérité, (394) cette doctrine que vous m'avez enseignée, à moi misérable, vous la Vérité éternelle! Je vous le demande aussi et Spécialement pour tous ceux que vous m'avez donnés, que j'aime d'un amour de prédilection, et que vous avez fait une même chose avec moi. Ils seront ma joie, pour la gloire et l'honneur de votre nom, si je les vois
courir dans cette douce et droite voie, purs, mortsà leur volonté et à leur sens propre, sans un jugement, sans un scandale, sans un murmure contre leur prochain! Je vous en prie, ô mon très douxAmour, qu'aucun d'entre eux ne me soit ravi, par les mains du démon infernal, mais qu'au dernier jour, tous, ô Père éternel, parviennent à Vous, qui êtes leur fin. Je vous adresse encore une autre prière, pour les deux soutiens que vous m'avez donnés sur la terre, pour les deux pères que vous avez préposés à ma garde et à mon enseignement à moi, pauvre misérable, depuis le commencement de ma conversion jusqu'à cette heure. Unissez-les: de leurs deux corps ne faites qu'une âme, et qu'ils n'aient de pensée que pour réaliser en eux, et dans les mystères que vous avez confiés à leurs mains, et dans le salut des âmes, la gloire et l'honneur de votre nom. Et moi qui ne suis pas votre fille, mais une esclave indigne et misérable, que toujours je sois vraiment ainsi vis-à-vis d'eux, en tout respect, avec une sainte crainte, pour l'amour de Vous! Que je sois votre honneur, leur joie, leur consolation, et l'édification du prochain (395).
Je suis assurée, ô Vérité éternelle, que vous ne mépriserez pas mon désir, dans les prières que je vous adresse! Car je sais, pour l'avoir vu, selon que vous avez daigné me le manifester, et beaucoup plus encore, pour l'avoir expérimenté, que vous exaucez les saints désirs. Moi, votre indigne servante, je ferai tout ce qui est en moi, suivant que vous m'en ferez la grâce, pour observer votre commandement et votre doctrine.
Maintenant, ô Père éternel, je me souviens d'une promesse que vous m'avez faite, quand vous m'avez parlé des ministres de la sainte Église. Vous m'avez dit que vous m'entretiendriez plus en détail, en un autre endroit, des fautes qu'ils commettent de nos jours. S'il vous plaît de m'en révéler quelque chose, je vous écouterai, pour avoir un sujet d'augmenter en moi la douleur, et la compassion, et l'angoisse de mon désir pour leur salut. Car je n'ai pas oublié ce que vous m'avez enseigné, que c'est par la souffrance, et les larmes, et les douleurs, et les sueurs, et les prières de vos serviteurs, que vous enverriez la consolation, en réformant la sainte Eglise en lui donnant de bons et saints Pasteurs. C'est pour accroître en moi ce désir, que je vous adresse cette demande (396).



CHAPITRE XII

109 Comment Dieu excite le zèle de cette âme pour la prière en répondant à quelques-unes de ses demandes.


Alors, le Dieu éternel, abaissant sur cette âme le regard de sa miséricorde, ne méprisa point son désir. Il accueillit ses prières et pour satisfaire au voeu qu'elle lui avait présenté, au sujet de la promesse qu'il lui avait faite, Il lui disait: O bien-aimée et très chère fille, j'exaucerai ta demande, j'accomplirai ton désir, pourvu que, de ton côté, tu ne commettes aucune erreur ni négligence. Elles seraient beaucoup plus graves, et tu mériterais de plus sévères reproches qu'auparavant, maintenant que tu as connu davantage ma Vénté. Applique-toi donc avec zèle à prier pour tontes les créatures raisonnables, pour le corps mystique de la sainte Église et pour ceux que tu aimes d'un amour particulier. N'apporte aucune négligence dans le devoir qui t'incombe de la prière, de l'exemple de ta vie, de l'enseignement de la parole. Reprends le vice et recommande la vertu de tout ton pouvoir. Des appuis que je t'ai donnés, tu m'as dit en vérité ce qu'il fallait dire. Fais en sorte d'être le moyen par lequel je donnerai à chacun ce dont (397) il a besoin, selon ses dispositions, et suivant que moi, ton Créateur, t'en ferai la grâce. Car, sans moi, vous ne pourrez rien faire et c'est moi qui réaliserai tes désirs. Mais ne manquez pas, toi et eux, d'espérer en moi. Ma Providence, elle, ne vous manquera pas; chacun recevra humblement ce qu'il est capable de recevoir. Que chacun donc s'emploie à remplir le ministère à lui confié, selon la mesure qu'il a reçue ou qu'il recevra de ma Bonté (398).




3ème Réponse


MISÉRICORDE A LA SAINTE ÉGLISE

LA RÉFORME DES PASTEURS!


CHAPITRE I

110
De la dignité des prêtres, et du sacrement du corps du Christ. De ceux qui se communient dignement, et de ceux qui le font indignement.

Je vais répondre maintenant, à la demande que tu m'as faite, concernant les ministres de la sainte Eglise. Pour mieux connaître la vérité, ouvre l'oeil de ton intelligence et contemple leur excellence, et la dignité a laquelle je les ai élevés. Comme l'on comprend mieux une chose par son contraire, je veux te montrer la dignité de ceux qui administrent dans la vertu, le trésor que j'ai mis entre leurs mains. Par là tu verras davantage la misère de ceux, qui aujourd'hui se nourrissent au sein de cette épouse.
Alors cette âme, pour obéir à cette invitation, se mirait dans la Vérité, où elle voyait la vertu briller en ceux qui la goûtent vraiment.
Et le Dieu éternel lui disait: (1)
Ma fille très chère, je veux d'abord te dire la dignité où je les ai établis par ma Bonté, outre l'amour général que j'ai eu pour mes créatures, en vous créant à mon image et à ma ressemblance, et en vous faisant renaître à la grâce, dans le Sang de mon fils unique. Vous avez acquis une telle excellence, par l'union que j'ai faite de ma divinité à la nature humaine, que vous surpassez en dignité l'ange même car j'ai pris votre nature, non celle de l'ange. Ainsi, comme je te l'ai dit, je suis Dieu fait homme, et l'homme a été fait Dieu, par l'union de la nature divine et de votre nature humaine. Cette grandeur est un bénéfice commun à toutes les créatures raisonnables. Mais parmi elles, j'ai élu mes ministres, pour votre salut, afin que par eux vous soit distribué le Sang de l'humble Agneau immaculé, mon Fils unique. A ceux-là, j'ai donné pour fonction d'administrer le Soleil, en leur confiant la lumière de la science et la chaleur de la divine charité, et la couleur unie à la chaleur et à la lumière, le Sang et le Corps de mon Fils.
Ce Corps est un soleil, parce qu'il est une même chose avec moi qui suis le vrai Soleil, et si grande est cette union que l'on ne les peut diviser ni séparer l'un de l'autre. Ainsi, dans le soleil, l'on ne saurait séparer la chaleur de la lumière, ni la lumière de la chaleur, tant est parfaite leur union.
Le soleil, sans sortir de sa sphère, sans se diviser, répand la lumière sur l'univers entier. Quiconque le veut, participe à sa chaleur. Aucune impureté (2) ne le peut souiller, et sa lumière lui est unie, comme je l'ai dit.
De même ce Verbe, mon Fils, avec son Sang précieux, est un soleil, Dieu tout entier, et homme tout entier: car il est une même chose avec moi et moi avec lui. Ma Puissance n'est pas séparée de sa Sagesse; et la chaleur, le feu du Saint-Esprit n'est point divisée non plus, de moi le Père, ni de lui le Fils, parce que l'Esprit-Saint procède du Père et du Fils, et nous sommes un même Soleil.
Moi, le Dieu éternel, je suis le Soleil d'où procèdent le Fils et le Saint-Esprit. Au Saint-Esprit est attribuée la chaleur, au Fils la sagesse, et dans cette Sagesse mes ministres reçoivent une lumière de grâce, pour avoir administré cette lumière, avec lumière, et avoir su reconnaître mon bienfait à Moi, le Dieu éternel, en suivant la doctrine de cette Sagesse mon Fils unique. C'est cette lumière que possède, unie à elle, la couleur de votre humanité. La lumière de ma Divinité est ainsi la lumière qui est unie à la couleur de votre humanité.
Cette couleur est devenue lumineuse, quand elle est devenue impassible en vertu de la Déité de la nature divine. C'est par ce moyen, c'est-à-dire par le Verbe incarné, étroitement uni à la lumière de ma Divinité et à la chaleur et au feu de l'Esprit-Saint, que vous avez reçu la lumière. A qui en ai-je confié la dispensation? - A mes ministres, dans le corps mystique de la sainte Eglise, afin que vous ayez la vie, en recevant d'eux son Corps en nourriture et son Sang pour breuvage (3).
Ce Corps, ai-je dit, est un soleil. Le corps ne peut donc vous être donné, sans que vous soit donné aussi le sang; ni le sang et le corps, sans l'âme de ce Verbe; ni l'âme ni le corps, sans ma Divinité à moi, le Dieu éternel. L'un est inséparable de l'autre. Comme je te l'ai dit en un autre endroit, la nature divine ne se sépare jamais de la nature humaine: ni la mort, ni rien ne les peuvent diviser. C'est donc toute l'Essence divine que vous recevez en ce très doux sacrement, sous cette blancheur de pain. Comme le soleil est indivisible, ainsi Dieu se trouve tout entier, et l'homme tout entier, dans la blancheur de l'hostie. Diviserait-on l'hostie en mille et mille miettes s'il était possible, en chacune je suis encore, Dieu tout entier, homme tout entier, comme je t'ai dit. En divisant le miroir l'on ne divise pas l'image qui se voit dans le miroir, ainsi en divisant l'hostie, l'on ne divise pas Dieu, l'on ne divise pas l'homme, mais en chaque parcelle il y a tout entier le Dieu-homme. Et il n'est pas non plus diminué en lui-même, comme on le peut comprendre par l'exemple du feu.
Si tu avais une lumière et que tout le monde vint y allumer ses flambeaux, ta lumière n'en serait pas diminuée, et chacun cependant l'aurait tout entière. Il est vrai, pourtant, que chacun y participe plus ou moins suivant la matière qu'il présente à la flamme pour en recevoir le feu. Un exemple te le fera mieux comprendre.
Supposons qu'il y ait plusieurs personnes à venir chercher de la lumière avec des cierges. L'une (4) apporte un cierge d'une once, l'autre de deux onces, une troisième de trois onces, celle-ci d'une livre, celle-là, de plus encore. Toutes s'approchent de la lumière, et chacune allume son cierge. Dans chaque cierge allumé, quel que soit son volume, l'on voit désormais la lumière tout entière, sa couleur, sa chaleur et son éclat; cependant, tu jugeras que celui qui porte un cierge d'une once possède moins de lumière que celui qui tient un cierge d'une livre.
Ainsi advient-il à ceux qui s'approchent de ce Sacrement. Chacun apporte son cierge, c'est-à-dire le saint désir avec lequel il reçoit et prend ce Sacrement. Le cierge est éteint, et il s'allume, lorsqu'on reçoit ce sacrement. Je dis qu'il est éteint, parce que, par vous-même, vous n'êtes rien. Je vous ai donné, il est vrai, la matière avec laquelle vous pouvez recevoir et conserver en vous cette lumière; cette matière, c'est l'amour, parce que je vous ai créés par amour; aussi, ne pouvez-vous vivre sans amour.
Cet être, qui vous a été donné par amour, a trouvé dans le saint baptême, par la vertu du Sang de ce Verbe, la disposition sans laquelle vous ne pourriez participer à cette lumière. Vous seriez comme un cierge, sans mèche, qui ne saurait brûler et qu'il est impossible d'allumer, si, avec le sentiment d'une âme créée par moi, faite pour aimer, - et tellement qu'elle ne peut vivre sans amour, que son aliment c'est l'amour, - vous n'aviez reçu dans le saint baptême, la très sainte foi unie à la grâce. La très sainte foi, voilà la mèche qui (5) peut s'enflammer à cette lumière! Et où donc l'âme ainsi préparée allumera-t-elle son flambeau? Au feu de ma divine charité, en m'aimant, en me craignant, en suivant la doctrine de ma Vérité.
Il est vrai que l'âme s'enflamme plus ou moins, comme je t'ai dit, suivant la matière qu'elle apportera pour alimenter ce feu! Bien, que tous, en effet, vous ayez une même matière, puisque tous vous avez été créés à mon image et ressemblance et que tous, vous les chrétiens, vous possédez la lumière du saint baptême, chacun cependant peut croître en amour et en vertu, selon qu'il le veut, avec le secours de ma grâce. Non que vous changiez, pour prendre une autre forme que celle que je vous ai donnée; mais vous accroissez, vous développez l'amour de la vertu par la pratique même de la venu, et le sentiment de la charité par l'exercice de votre libre arbitre, pendant que le temps vous en est donné car, le temps passé, vous ne le pourrez plus faire.
Ainsi, il dépend de vous de croître en amour, et c'est avec cet amour, que vous vous approchez de cette douce et glorieuse lumière, qui vous est distribuée par mes ministres auxquels je l'ai confiée, et que je vous ai donnée comme une nourriture. Tant vous apporterez d'amour et d'ardent désir, tant vous participerez à cette lumière. Vous ne la recevrez pas moins tout entière, comme je te l'ai expliqué par l'exemple de ceux qui participaient à la lumière suivant le poids des cierges qu'ils venaient y allumer, bien que chacun semblât (6) avoir la lumière tout entière, sans division aucune. Ainsi la lumière de mon Fils ne peut être divisée, ni par l'imperfection de celui qui la reçoit, ni par la faute de celui qui l'administre. Mais cependant vous ne participez à cette lumière, vous n'en recevez de grâce en vous, que dans la mesure de vos dispositions, de votre saint désir. Qui s'approcherait de ce sacrement, en péché mortel, n'en recevrait aucune grâce, quoiqu'il reçut réellement Dieu tout entier, et l'homme, tout entier, comme je te l'ai dit.
Sais-tu à quoi ressemble cette âme qui reçoit le Sacrement indignement? A un cierge qui serait tombé dans l'eau, et qui ne fait que crépiter quand on l'approche du feu; veut-on y introduire la flamme, elle s'éteint, et il n'en reste que de la fumée. Cette âme, elle aussi, porte en elle son cierge, qu'elle a reçu au saint baptême, mais elle l'a jeté dans l'eau de la faute qu'elle a commise, au dedans d'elle-même. Cette eau a mouillé la mèche, cette lumière de la grâce qui lui fut donnée dans le saint baptême, et tant qu'elle n'a pas été séchée, au feu d'une véritable contrition accompagnée de l'aveu de la faute, elle va, à la table de l'autel, recevoir cette lumière, réellement, mais non spirituellement. Quand l'âme n'est pas préparée comme il convient à un si grand mystère, cette vraie lumière ne demeure pas en elle par la grâce; elle s'éteint aussitôt, et l'âme se trouve en une confusion plus grande, en des ténèbres plus épaisses, avec une faute plus lourde à porter. De ce Sacrement, elle ne retire qu'un remords plus criant dans sa conscience, non (7)par le défaut de cette lumière inaltérable, mais par l'effet de l'eau criminelle qui est dans cette âme, et qui fait obstacle au sentiment qu'elle devrait avoir, pour participer à la lumière.
Tu vois donc bien que cette lumière est inséparable de la chaleur et de la couleur auxquelles elle est unie. Cette union, rien ne la peut rompre, ni la faiblesse du désir qui porte l'âme à s'approcher de ce sacrement, ni la faute même de l'âme qui le reçoit, ni le péché de celui qui l'administre. Le soleil, t'ai-je dit, éclaire une chose immonde, sans en être impur, de même, en ce sacrement, cette douce lumière ne peut être souillée, ni divisée, ni diminuée; rien ne peut l'atteindre ni la faire dévier de son centre. Quand le monde entier communierait à la lumière et à la chaleur de ce Soleil, ce Verbe soleil, mon Fils unique, ne se séparerait jamais de Moi, le Soleil Père éternel.
Par le corps mystique de la sainte Eglise, il est administré à quiconque veut le recevoir; mais il n'en demeure pas moins tout entier, et bien que vous le receviez, Dieu et homme, tout entier, comme je te l'ai expliqué par l'exemple de la lumière, alors même que tous les hommes viendraient allumer leur flambeau à cette lumière, ils la recevraient tout entière. mais elle n'en demeurerait pas moins tout entière (8).






Catherine de Sienne, Dialogue 104