Catherine de Sienne, Lettres



SAINTE CATHERINE DE SIENNE


LETTRES


Traduites par E. Cartier, éd. Pierre Téqui







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LES LETTRES DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE




Lettre n.1, A GRÉGOIRE XI

I. - LETTRE A GRÉGOIRE XI. - Sainte Catherine cherche à fortifier le Souverain Pontife contre les dangers de l'amour de lui-même.- Elle l'exhorte à revenir en Italie, et à secourir les habitants de Lucques et de Pise. - Elle le conjure de n'élever aux dignités de l'Église que des hommes vertueux.

(Note: Cette lettre et les deux suivantes furent écrites dans les premiers mois de l'année l376 quelque temps avant le voyage de sainte Catherine a Avignon. Sa réputation de sainteté l'avait déjà mise en crédit auprès du Souverain Pontife, et ce fut ce qui décida les Florentins à la choisir pour médiatrice. Quelques auteurs disent que sainte Catherine avait été en correspondance avec le Pape Urbain V, mais Burlamacchi, malgré toutes ses recherches, n'a pas en trouver de preuves.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE.




1.Très révérend et très aimé Père dans le Christ Jésus, votre indigne et pauvre misérable petite fille, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de [141] Jésus-Christ (Toutes les lettres de sainte Catherine commencent par ces mots: Al nome di Jesù Cristo crocifisso, e di Maria dolce. Elles finissent par ceux-ci: Jesù dolce, Jesù amore. Sainte Catherine prend le titre de serva e sehiava de'servi di Jesù Cristo; imitant ainsi l'humlité des souverains pontifes, qui signent servus servorum Dei. Ce fut saint Grégoire qui le premier adopta cette formule en opposition aux titres fastueux que prenait le patriarche de Constantinople.), vous écrit dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un arbre fertile qui donne en abondance des fruits délicieux, parce qu'il est planté dans une terre féconde. Il sécherait, s'il n'était pas dans cette terre, et il ne donnerait pas de fruits; cette terre est la vraie connaissance de vous-même, L'âme qui se connaît s'humilie, parce qu'elle ne voit aucune raison de s'enorgueillir, et elle nourrit en elle le bon fruit d'une ardente charité, parce qu'elle y voit l'infinie bonté de Dieu; elle reconnaît qu'elle n'est pas; et l'être qu'elle possède, elle l'attribue à Celui qui est (Sainte Catherine emploie souvent cette définition que Dieu a donne lui-même: Colui che è, en opposition avec celle de la créature, Quella che non i. (Vie de sainte Catherine, Ire p., ch. x. ). Alors, il semble que l'âme soit contrainte d'aimer ce que Dieu aime, et de détester ce qu'il déteste.

2. O douce et bonne connaissance, qui portes avec toi le glaive de la haine cette haine te fait tendre la main du saint désir, pour arracher et détruire le ver de l'amour-propre. Ce ver gâte et ronge la racine de notre arbre, tellement, qu'il ne peut plus produire des fruits de vie, mais qu'il dessèche et qu'il perd sa verdure. Car celui qui s'aime, nourrit en lui ce funeste orgueil, source et principe de tout mal dans toutes [142] les conditions, que l'on commande ou qu'on obéisse. Celui qui s'isole dans l'amour de lui-même, celui qui s'aime pour lui et non pour Dieu, ne peut que mal faire, et toute vertu est morte en lui. Il ressemble à une femme qui met au jour des enfants morts. Car il ne possède pas la vie de la charité; il songe à sa propre gloire, et non pas à celle du nom de Dieu. Aussi, je le dis, s'il commande, il fait mal, parce que, par amour de lui-même et pour ne pas déplaire aux créatures, dont l'intérêt et l'amour-propre le rendent esclave, il étouffe en lui la sainte justice. Il voit les défauts et les péchés de ceux qui lui sont soumis, et il fait semblant de ne pas les voir, pour ne pas les reprendre; ou, s'il les reprend, c'est avec une telle nonchalance et une telle lâcheté de coeur, qu'il ne produit aucun effet. Il ménage ainsi le vice, parce qu'il craint de déplaire et de s'attirer des ennemis. Il s'aime lui-même, et il ne fait rien pour avoir la paix, et c'est la plus grande cruauté qu'il puisse commettre. Si la plaie, quand il le faut, n'est pas brûlée avec le feu et taillée avec le fer, si on y met seulement du baume, non seulement elle ne guérit pas, mais encore elle se corrompt et elle donne la mort.

3. Hélas! hélas! mon très doux Père (Dolcissimo babbo mio. - Baibo était le nom tendre que les petits enfants donnaient à leurs pères), c'est ce qui fait que ceux qui obéissent se perdent dans le désordre et l'iniquité. Hélas! je le dis en gémissant, combien est dangereux ce ver rongeur de l'amour-propre, qui non seulement donne la mort au pasteur, mais en fait périr aussi tant d'autres! Pourquoi emploie-t-il de semblables moyens? Parce qu'il redoute [144] la peine. Le baume qu'il applique aux malades ne déplaît à personne, et personne ne lui en saura mauvais gré. Il n'a pas contrarié le malade, qui voulait du baume; il lui en a donné. O misère humaine! Le malade est aveugle, parce qu'il ne connaît pas son besoin; le pasteur qui soigne est aveugle, car il ne voit et ne regarde que son plaisir et son utilité personnelle; et, pour ne pas se nuire, il n'use pas du fer de la justice, ni du feu d'une ardente charité. Il arrive ce que dit le Christ: " Si un aveugle en conduit un autre, ils tomberont tous les deux dans le précipice. " Le malade et le médecin se précipitent dans l'enfer. C'est bien là un pasteur mercenaire; car non seulement il n'arrache pas ses brebis à la dent du loup, mais encore il les dévore lui même. Et pourquoi cela? Parce qu'il s'aime sans aimer Dieu, et il ne suit pas le doux Jésus, le vrai Pasteur, qui a donné sa vie pour ses brebis. Il est donc bien dangereux pour soi et pour les autres, cet amour coupable; et il faut bien le fuir; car il est la source de tout mal. J'espère, par la bonté de Dieu, Ô mon vénérable Père, que vous l'étoufferez en vous. Vous ne vous aimerez pas pour vous, vous n'aimerez pas le prochain pour vous, ni Dieu non plus; mais vous l'aimerez parce qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté, parce qu'il est digne d'être aimé. Et vous vous aimerez, vous aimerez le prochain pour l'honneur et la gloire du doux nom de Jésus. Oui, je veux que vous soyez ce bon et véritable pasteur; que, si vous aviez mille vies, vous soyez prêt à les donner toutes pour l'honneur de Dieu et le salut des créatures, O mon Père bien-aimé, vous le Christ de la terre, imitez le [144] doux saint Grégoire; vous pouvez faire ce qu'il a fait, car il était homme comme vous, et Dieu est toujours ce qu'il était alors. Il ne nous manque que le courage et la faim du salut des âmes. Mais, mon Père, le moyen de l'acquérir, c'est de nous séparer de cet amour de nous-mêmes et des créatures en dehors de Dieu: il ne faut plus s'arrêter aux amis, aux parents, aux intérêts temporels, mais seulement à la vertu, aux intérêts spirituels. Les choses de la terre ne périssent que parce qu'on néglige celles du ciel.

4. Efforçons-nous donc d'avoir cette glorieuse faim qu'avaient les saints et vrais pasteurs d'autrefois éteignons en nous le feu de l'amour-propre. Imitons ceux qui combattaient le feu avec le feu. Ils avaient tellement dans leurs coeurs le feu d'une ardente charité, qu'ils avaient faim des âmes et qu'ils s'en nourrissaient avec délices. O feu doux et glorieux, dont la vertu est si grande, qu'elle éteint le feu des plaisirs déréglés et de l'amour de nous-mêmes aussi promptement qu'une goutte d'eau disparaît dans une fournaise! Si on me demande comment on acquiert ce feu et cette faim, puisque de nous-mêmes nous ne sommes que des arbres stériles, je répondrai que c'est en s'attachant à l'arbre fertile de la très sainte et très douce Croix; là se trouve l'Agneau immolé pour notre salut, avec tant d'amour, qu'il semble ne pouvoir se rassasier. Il crie encore qu'il a soif, comme s'il disait: Mon ardeur, ma soif, mon désir de votre salut sont plus grands que je ne puis vous le montrer par ma passion, qui n'est pas infinie. O doux et bon Jésus, que les pontifes, les pasteurs et toutes les créatures rougissent de leur ignorance, de leur orgueil et de leurs [145] jouissances, en voyant cette générosité, cette bonté, cet amour ineffable de notre Créateur, qui s'est montré à nous, dans notre humanité, comme un arbre riche de fruits doux et suaves, pour que nous puissions nous greffer sur lui. C'est ce que firent le fidèle saint Grégoire et les autres bons pasteurs; ils virent qu'il n'y avait aucune vertu en eux, et ils s'attachèrent au Verbe, notre arbre divin. Ils s'y greffèrent en s'unissant à lui par les liens de l'amour, parce que l'oeil se fixe et s'attache là où il voit le bien et la beauté. Ils s'étaient tellement liés à lui, qu'ils ne se voyaient plus, mais qu'ils voyaient et goûtaient tout en Dieu. Le vent de la tempête, les démons, les créatures ne pouvaient les empêcher de porter de bons fruits, parce qu'ils étaient greffés sur la sève de Jésus, notre bon arbre, et les fruits qu'ils donnaient étaient pleins de de cette douce sève de la charité, dans laquelle ils étaient unis.

5. C'est ainsi que je veux vous voir. Si jusqu'à présent vous n'avez pas été bien ferme, je vous demande et je vous conjure, pour le temps qui vous reste, d'agir en homme courageux, et de suivre le Christ, dont vous êtes le Vicaire. Ne craignez rien, Ô Père, des vents furieux qui se sont élevés, et de ces enfants dénaturés qui se sont révoltés contre nous. Ne craignez rien, parce que le secours de Dieu est prêt. Veillez aux choses spirituelles, mettez de bons pasteurs et de bons gouverneurs dans nos villes; car ce sont les mauvais, pasteurs et les mauvais gouverneurs qui ont fait naître la révolte (Sainte Catherine signale comme cause de révolte les exactions et les scandales des représentants du Saint-Siège. Saint Antonin le fait aussi dans ses Chroniques, part. III, tit. XXII, ch. 1. Une croisade devait aider la paix, en éloignant dle l'Italie les bandes salariées qui y entretenaient le trouble et le pillage.). Appliquez vite le remède; confiez-vous [146] dans le Christ Jésus, et ne craignez rien. Avancez donc, et accomplissez avec un saint zèle les bonnes résolutions que vous avez prises; retournez à Rome, et entreprenez une glorieuse croisade. Ne tardez pas davantage; vos lenteurs ont fait naître beaucoup d'embarras; le démon a travaillé et travaille encore pour empêcher ce qui doit se faire, parce qu'il y trouve sa ruine. Courage, Saint Père, plus de négligence; levez l'étendard de la sainte Croix; c'est l'odeur de la Croix qui vous donnera la paix. Je vous supplie d'inviter les rebelles à une sainte paix, pour que toute la guerre se tourne contre les infidèles. J'espère que l'infinie bonté de Dieu vous enverra un prompt secours... Courage donc, courage venez, oui, venez consoler les pauvres serviteurs de Dieu, vos enfants. Nous vous attendons avec un ardent et tendre désir. Pardonnez-moi, mon Père, tout ce que je vous ai dit. Vous le savez, c'est de l'abondance du coeur que parle la langue. J'en suis sûre, vous serez l'arbre que je désire voir, et rien ne vous arrêtera.

6. Je vous prie d'envoyer porter aux habitants de Lucques et de Pise les paroles paternelles que Dieu vous inspirera (Les Florentins faisaient tous leurs efforts pour attirer à leur parti les habitants de Pise et de Lucques. Sainte Catherine séjourna longtemps à Pise en 1375, pour maintenir dans l'obéissance cette ville, qui finit par encourir l'interdit. Elle réussit mieux pour Lucques, qui resta fidèle au Souverain Pontife.); secourez-les autant que vous [147] pourrez, et invitez-les à demeurer fermes et fidèles. Je suis restée jusqu'à ce moment à Pise et à Lucques, en les engageant de tout mon pouvoir à ne pas se liguer avec les coupables qui se sont révoltés contre vous. Mais ils sont dans une grande perplexité, parce qu'ils ne reçoivent de vous aucun secours, et qu'ils sont, au contraire, travaillés et menacés par vos ennemis: ils n'ont cependant encore rien promis. Je vous prie d'écrire aussi d'une manière plus pressante à messire Pierre (Messire Pierre Gambaconti était tout-puissant à Pise. Nous verrons que sainte Catherine était très attachée à sa famille.). Faites-le avec affection, et ne tardez pas. Je ne vous en dis pas davantage.

7. J'ai entendu dire ici que vous aviez nommé des cardinaux. Je crois que l'honneur de Dieu et nos intérêts demandent que vous vous appliquiez à choisir des hommes vertueux. Si vous faites le contraire, vous encourrez le blâme de Dieu, et vous nuirez à la sainte Église (La nomination des cardinaux dont semble se plaindre sainte Catherine, fut faite le 20 décembre 1375. Dans cette promotion, qui fut la dernière de Grégoire XI, sur neuf cardinaux sept étaient Français, et trois parents du Souverain Pontife. Ces cardinaux étaient Pierre de la Jugie, Hugues de Mont-Relaix, Jean de Busseries, Gny de Malefic, Jean de la Grange, Pierre de Sortenai, Gérard du Puy. Les deux autres étaient: Simon de Borsano, Italien, et Pierre de Lune, Espagnol, qui peu d'années après devint l'antipape Benoît XIII.). Nous ne devons pas ensuite nous étonner si Dieu nous envoie les châtiments et les fléaux de sa justice. Faites, je vous prie, [149] ce que vous avez à faire avec courage et crainte de Dieu.

8. J'ai appris que vous vouliez élever à un autre dignité le Maître de notre Ordre je vous demande, par amour de Jésus crucifié, que, s'il en est ainsi, vous nous donniez un bon et vertueux vicaire. Notre Ordre en a besoin, car il est bien inculte (Le maître général des Frères Prêcheurs était alors frère Elie de Toulouse; il ne fut pas changé. L'ordre de Saint Dominique avait alors besoin d'une réforme, à la suite du relâchement causé par la peste noire. Elle fut commencée par sainte Catherine, et continuée par le bienheureux Raymond de Capoue, la bienheureuse Claire Gambacorti, et le bienheureux Jean-Dominique.). Vous pourrez en causer avec messire Nicolas d'Osimo et avec l'Archevêque d'Otrante. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je vous demande humblement votre bénédiction. Pardonnez, si j'ose ainsi vous écrire. Doux Jésus. Jésus amour.








Lettre n.2, A GRÉGOIRE XI

II. - A GRÉGOIRE XI. - Sainte Catherine cherche à éloigner le Pape de la guerre, et à le porter à la paix, en lui montrant les dangers de l'une et les avantages de l'autre. - La conquête des âmes doit être préférée à la puissance temporelle.



1. Très saint et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne petite fille Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, écrit à Votre Sainteté dans son précieux sang, avec [149] le désir de vous voir en paix, vous et vos enfants avec vous (Sainte Catherine ne parlant pas particulièrement de la paix pour Florence, ou peut croire que cette lettre a été écrite pendant que les envoyés du Pape offraient des conditions avantageuses aux Florentins, qui ne les acceptèrent pas, au commencement de 1376.). La paix, Dieu vous la demande, et veut que vous la fassiez le plus tôt que vous pourrez. Hélas! peut-il vouloir que nous nous attachions à la puissance et aux biens temporels de manière à causer la perte des âmes, et les outrages envers Dieu qu'entraîne nécessairement la guerre? Ne veut-il pas au contraire que vous fixiez les regards de votre intelligence sur la beauté de l'âme et sur le sang de son Fils, ce sang, qui purifie nos âmes, et dont vous êtes le ministre? Il vous invite à avoir faim des âmes, parce que celui qui a faim de l'honneur de Dieu et du salut de ses brebis, pour les sauver et les retirer des mains du démon, sacrifie non seulement ses biens, rnais encore sa vie même.

2. Vous me direz peut-être, saint Père, que vous êtes obligé en conscience de conserver et de recouvrer les biens de l'Eglise. Hélas! je l'avoue, c'est la vérité; mais il me semble qu'il vaut mieux encore conserver une chose qui est plus chère. Le trésor de l'Eglise est le sang du Christ, donné pour prix de l'âme; ce trésor du sang n'a pas été payé pour les biens temporels, mais pour le salut du genre humain. En admettant que vous êtes tenu de reconquérir et de conserver les richesses, les droits que l'Eglise a perdus, vous êtes tenu bien davantage à reconquérir tant de brebis, qui sont un trésor pour l'Eglise. Elle [150] serait trop appauvrie si elle les perdait. Elle ne deviendrait pas pauvre elle-même, parce que le sang du Christ ne peut diminuer; mais elle perdrait cet ornement de gloire qu'elle reçoit des vertus et de l'obéissance de ceux qui lui sont soumis. Il vaut mieux négliger les intérêts temporels que les intérêts spirituels. Faites seulement ce que vous pourrez et vous serez excusé devant Dieu et devant les hommes du monde; vous les vaincrez bien mieux avec les armes de la douceur, de l'amour et de la paix, qu'avec les rigueurs de la guerre et vous rentrerez ainsi dans vos droits spirituels et temporels.

3. Mon âme, dans son union avec Dieu, a une soif ardente de notre salut, de la réforme de la sainte Eglise, et du bonheur du monde entier; et il me semble que Dieu ne me manifeste pas d'autre remède que la paix; je n'en vois pas d'autres en lui. La paix, oui, la paix, pour l'amour de Jésus crucifié; et ne vous arrêtez pas à l'ignorance, à l'aveuglement et à l'orgueil de vos enfants. Avec la paix vous vaincrez la guerre et la haine qui divise les coeurs; vous les réunirez. C'est par la vertu que vous chasserez le démon. Ouvrez, ouvrez donc l'oeil de votre intelligence avec la faim et le désir des âmes, et voyez les deux maux qui se présentent la perte de la grandeur, de la puissance et des biens temporels, que vous vous croyez obligé de reconquérir, et la perte de la grâce dans les âmes et de l'obéissance qu'elles doivent à Votre Sainteté; et alors vous verrez que vous êtes tenu bien davantage à reconquérir les âmes. Puisque l'oeil de l'intelligence peut comparer ces maux, vous, très saint Père, qui êtes [151] placé entre les deux, vous devez choisir le moindre, et en le choisissant pour fuir le plus grand, vous éviterez les deux, et vous y gagnerez de toute manière; car vous aurez retrouvé, dans la paix, vos enfants, et avec eux ce qu'ils vous doivent.

4. Pardonnez-moi de vous parler ainsi; ce n'est pas pour vous enseigner, mais j'y suis forcée par la Vérité même, et par le désir que j'ai, Ô mon doux Père, de vous voir dans la paix et dans le repos de l'âme et du corps; car, avec toutes ces guerres et ces embarras, il me semble que vous ne pouvez pas avoir une heure tranquille. Le bien des pauvres se dépense en soldats qui dévorent le sang et la vie des hommes. N'est-ce pas aussi un obstacle au désir que vous avez de réformer l'Eglise votre épouse, en lui donnant de bous pasteurs pour la conduire? Vous savez que vous pouvez le faire bien difficilement avec la guerre. Comme vous pensez avoir besoin des princes et des grands, vous vous croyez obligé de leur donner des pasteurs selon leurs idées, et non pas selon les vôtres, quoique ce soit bien mal, pour n'importe quel motif, de donner à l'Église d'autres pasteurs que des hommes vertueux, qui agissent non pas pour eux-mêmes, mais pour Dieu, et qui cherchent la gloire et l'honneur de son nom. Un pasteur ne doit pas être enflé d'orgueil, et ressembler à un pourceau par la volupté, et à une feuille qui vole au souffle des richesses et de la vanité du monde.

5. Hélas! ne faites pas ainsi, pour l'amour de Jésus-Christ, et pour le salut de votre âme. Éloignez, autant que vous le pourrez, toute cause de guerre, afin de n'avoir pas le malheur de suivre la volonté [152] des hommes plutôt que la volonté de Dieu, et votre désir. Vous avez besoin du secours de Jésus crucifié; c'est en lui qu'il faut placer votre amour et votre espérance, et non pas dans l'homme et dans Sa puissance; oui, c'est dans le Christ, le doux Jésus dont vous tenez la place, et qui semble vouloir que l'Eglise revienne à sa première beauté. Oh i quel bonheur pour votre âme et la mienne, si je vous vois entreprendre ce bien, et si Dieu vous permet de l'accomplir, non par la force, mais par l'amour. Cela se fera par la paix et par les vrais et bons pasteurs, par les humbles serviteurs de Dieu, que vous trouverez quand Votre Sainteté voudra les chercher.

6. Les deux choses qui ont fait perdre et qui font perdre à l'Église ses biens temporels, sont la guerre et le défaut de vertu. Là où n'est pas la vertu, est toujours la guerre contre le créateur; la guerre n'est donc pas la cause véritable. Aussi je vous dis que si vous voulez recouvrer ce que vous avez perdu, le seul remède est le contraire de ce qui vous l'a fait perdre; il faut le reconquérir avec la paix et la vertu. Par ce moyen vous satisferez votre saint désir, celui des serviteurs de Dieu, et le mien pauvre misérable; vous rachèterez les âmes des malheureux infidèles qui ne participent pas au Sang de l'Agneau, sacrifié et immolé pour nous. Voyez, très saint Père, quel bien la guerre empêche, et quels maux elle entraîne. J'espère de la bonté de Dieu et de Votre Sainteté que vous ferez tout votre possible pour nous donner le remède de la sainte paix. C'est la volonté de Dieu, et je vous dis, de la part du doux Jésus, que pour cela et pour vos autres affaires, vous preniez [153] conseil des vrais serviteurs de Dieu, parce qu'ils vous conseilleront selon la vertu. Ecoutez-les, car vous en avez besoin; il serait bon et nécessaire de les avoir toujours près de vous, et de les employer comme les colonnes du corps mystique de la sainte Église.

7. Je crois que F. J. de P. (on ignore quel personnage désignent ces initiales), porteur de cette lettre, est un vrai et bon serviteur de Dieu; je vous le recommande, et je vous prie qu'il plaise à Votre Sainteté de le conserver toujours près de vous, lui et ceux qui lui ressemblent. Je termine ici. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez à ma présomption. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n.3, A GRÉGOIRE XI

III.- A GRÉGOIRE XI. - Elle exhorte le Pape à vaincre ses enfants rebelles par l'amour et la douceur, et à tourner ses armes contre les infidèles.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon bien-aimé et révérend Père dans le Christ Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, votre indigne et misérable petite fille, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un vrai pasteur, apprenant de Jésus, dont vous tenez la place, qu'il [154] a donné sa vie pour ses brebis. Sans s'arrêter à notre ingratitude, aux persécutions, aux injures, aux affronts, aux reproches de ceux qu'il avait créés et comblés de bienfaits, il n'en poursuivit pas moins l'oeuvre de notre salut; l'ardent désir qu'il avait d'honorer son Père et de nous sauver, l'empêchait de voir ses peines; et, par sa sagesse, sa bonté, sa paix et sa douceur, il triompha de notre malice. Je vous on prie, mon doux Père, et je vous le dis de la part de Jésus crucifié, faites de même, et par votre bonté, votre patience, votre humilité, votre mansuétude, triomphez de la malice et de l'orgueil de vos enfants, qui se sont révoltés contre vous, qui êtes leur père. Sachez qu'on ne chasse pas le démon par le démon, mais qu'on le chasse par la vertu. Admettons que vous ayez reçu de grandes injures, qu'on vous a attaqué et ravi ce qui vous appartenait. Eh bien! mon Père, je vous en prie, ne vous arrêtez pas à leur malice, mais à votre bonté, et ne cessez pas de travailler à notre salut. Leur salut est que vous leur donniez la paix, car un fils qui est en guerre avec son père est privé, tant qu'il y reste, de son héritage.

2. O Père, la paix pour l'amour de Dieu! afin que tant de fils ne perdent pas l'héritage de la vie éternelle. Vous savez que Dieu a remis entre vos mains le pouvoir de donner ou d'ôter cet héritage comme le voudra votre bonté. Vous tenez les clefs; il est ouvert à qui vous ouvrez, et la porte sera fermée à qui vous la fermerez. Le doux et bon Jésus l'a dit à Pierre, dont vous tenez la place: " Tout ce que vous délierez sur la terre sera [156] délié dans le ciel. " Vous êtes donc le vrai Père et Pasteur; vous voyez que c'est maintenant le temps de donner sa vie pour les brebis qui sont sorties de la bergerie; il faut les chercher et les reconquérir par la patience et par la guerre contre les infidèles, en élevant l'étendard de la très ardente et très douce Croix. Mais pour l'élever il ne s'agit pas de dormir; il faut se tenir debout et le déployer avec courage. J'espère de la miséricorde infinie de Dieu que vous gagnerez les infidèles, et que vous corrigerez la malice des chrétiens, parce que tous courront à l'odeur de la Croix, même ceux qui ont été les plus rebelles envers vous. Oh! quel bonheur si nous voyons le peuple chrétien donner le trésor de la foi aux infidèles, qui, après avoir reçu la lumière, s'avanceraient vers la perfection! Semblables à une plante nouvelle, ils perdraient le froid de l'erreur pour recevoir la chaleur et la lumière du Saint-Esprit par la sainte Foi, et ils produiraient des fleurs et des fruits de vertu dans le corps mystique de la sainte Église, et le parfum de leurs vertus aiderait à étouffer les vices, les péchés, l'orgueil et l'impureté, qui règnent tant à cette époque parmi les chrétiens, et surtout parmi les prélats, les pasteurs et les chefs de la sainte Eglise, qui perdent et dévorent les âmes. Oui, ils ne les convertissent pas, ils les dévorent (Les scandales étaient flagrants, les saints les pleuraient et les Souverains Pontifes faisaient tous leurs efforts pour les faire cesser. . - Sainte Brigitte, Révél., liv.IV, ch. cxxxi.). Et cela à cause de l'amour-propre qui est en eux, et qui engendrent' l'orgueil, l'ambition, l'avarice [156] et la souillure de l'esprit et du corps. Ils voient les loups de l'enfer emporter leurs brebis, et ils ne paraissent pas s'en occuper, tant ils sont appliqués à se procurer les plaisirs, les délices, les louanges et les faveurs du monde. Tout ce mal vient de leur amour-propre; car s'ils s'aimaient pour Dieu et non pour eux-mêmes, Ils rechercheraient l'honneur de Dieu et non pas le leur, l'utilité du prochain et non pas leur bien-être.

3. Hélas! mon doux Père, veillez et appliquez-vous à ces choses; cherchez des hommes bons et vertueux pour leur donner le soin de vos brebis; ceux-là ne seront pas des loups, mais des agneaux qui nourriront le corps mystique de la sainte Eglise; nous en profiterons, et ce sera pour vous une paix, une consolation, un secours dans les peines qui, je le sais, vous accablent. Je vois bien, mon bon Père, que vous êtes comme l'agneau est au milieu des loups; mais prenez courage, ne craignez rien, parce que la Providence et l'aide de Dieu ne vous manqueront jamais. Ne vous étonnez pas si vous rencontrez de grands obstacles, si le secours des hommes vous fait défaut, et si ceux qui devaient vous aider se tournent et conspirent contre vous, Ne craignez rien, mais plutôt espérez davantage, et ne renoncez pas à votre doux et saint désir (Des l'année l372, Grégoire XI avait manifesté en plein Consistoire son intention de retourner à Rome. En 1374 il l'avait promis aux ambassadeurs de Rome, et l'avait annoncé aux princes chrétiens.); qu'il s'enflamme au contraire de jour en jour. Allons, mon Père, réalisez le projet de votre retour et de la croisade à laquelle [157] vous engagent les infidèles en envahissant toujours vos possessions (Les Turcs, sous la conduite d'Amurat, venaient de faire de grandes conquêtes en Grèce et en Arménie.). Soyez prêt à donner votre vie pour le Christ; car nous avons autre chose qu'un corps. Pourquoi ne pas donner mille fois sa vie, s'il le faut pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes?

4. Le Christ l'a fait, et vous, son Vicaire, vous devez le remplacer. N'est-ce pas l'usage que le lieutenant suive les traces et les exemples de son capitaine? Venez, venez donc; ne tardez plus, afin de pouvoir faire bientôt la guerre aux infidèles, et de n'être pas arrêté par les membres corrompus qui se sont révoltés contre vous. Je vous en prie, je le veux, usez à leur égard d'une sainte ruse, en employant la bonté, comme je vous l'ai dit. Ce sera un feu d'amour et des charbons ardents que vous jetterez sur leurs têtes, et par ce moyen vous les gagnerez, eux, leur bien et leur personne, pour faire une guerre sérieuse contre les infidèles. C'est ainsi qu'a fait notre doux Sauveur il a jeté tant de feu et de flammes d'amour sur ceux qui lui étaient rebelles, qu'il les a amenés peu à peu à être ses auxiliaires et les propagateurs du nom de Dieu. Paul, le grand apôtre, de loup devint agneau; ce vase d'élection répandit par toute la terre le feu dont le Christ l'avait rempli; il purifia les chrétiens de leurs vices, les enrichit de vertus; il arracha les infidèles à l'erreur, et les éclaira des lumières de la sainte Foi. Voilà ce que la Vérité suprême veut que vous fassiez; ce que vous avez reçu, il faut le donner.

5. La paix, la paix, la paix, mon doux Père, et non plus la guerre. Marchons sur nos ennemis, et portons les armes de la très sainte Croix avec l'épée de la douce et sainte parole de Dieu. Hélas donnez la nourriture à ces serviteurs affamés qui vous attendent maintenant avec un ardent désir. Du courage, mon Père, du courage, et ne vous laissez pas abattre par la douleur; mais qu'elle vous fortifie en vous faisant déplorer l'injure faite au saint nom de Dieu. Rassurez-vous par l'espérance que Dieu vous aidera dans vos difficultés et vos besoins. Je m'arrête, car si je m'écoutais, je parlerais tant que j'aurais un souffle de vie. Pardonnez à ma présomption, et que la douleur et l'amour que j'ai pour l'honneur de Dieu et l'exaltation de la sainte Église, m'excusent auprès de votre bonté. Je vous en dirais bien plus long de vive voix que par lettre, et il me semble que je soulagerais ainsi mon âme. Maintenant je n'en puis plus; ayez pitié des doux et amoureux désirs qui sont offerts pour vous et pour la sainte Église dans des larmes et des prières continuelles. Pas de négligence, mais travaillez avec zèle; il semble que la Vérité suprême veut produire des fruits. Oui, bientôt viendront les fruits, car les fleurs commencent à paraître. Suivez avec un coeur viril et sans crainte l'Agneau immolé pour nous sur la Croix, et demeurez dans le saint et doux amour de Dieu. Je vous prie, mon révérend Père, d'écouter et d'accorder, si vous le pouvez, ce que vous dira le porteur de cette lettre (C'était Néri, un des plus chers disciples de sainte Catherine de Sienne.). Donnez-lui audience [159], je vous prie, et ajoutez foi à ses paroles, car on ne peut pas tout dire par écrit. Si vous voulez me communiquer des choses secrètes, vous pouvez les lui confier en toute assurance. Pour ce que je peux faire, s'il fallait donner ma vie, je la donnerais bien volontiers pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n.4, A GRÉGOIRE XI

IV.- A GRÉGOIRE XI. - Sainte Catherine cherche à adoucir le Souverain Pontife à l'égard des Florentins, et elle l'exhorte à ramener le troupeau rebelle au bercail de la sainte Église, par la douceur et par l'amour, à l'exemple de Jésus-Christ.



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, votre indigne et misérable petite fille, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir bon pasteur. Je vois, mon doux Père, que le loup ravit vos brebis, et que personne ne s'y oppose. Je m'adresse donc à vous, notre Père et notre Pasteur, et je vous conjure, de la part de Jésus crucifié, d'apprendre de lui avec quelle ardeur d'amour il s'est livré à la mort ignominieuse de la sainte Croix, pour sauver des mains du démon la brebis perdue du genre humain; car le démon la possédait par la révolte de l'homme contre Dieu. Oui, Dieu. l'infinie Bonté, est [160] descendu; il a vu le malheur, la damnation et la ruine de cette brebis, et il a vu qu'il ne pouvait la sauver par la colère et par la guerre, quoiqu'il en fût outragé, et que l'homme par sa révolte et sa désobéissance, méritât une peine infinie. L'éternelle et souveraine Sagesse ne voulut pas le faire; mais elle trouva un meilleur moyen, le plus doux, le plus tendre qu'elle put trouver; elle vit que rien ne triomphait du coeur de l'homme comme l'amour, car il a été fait par amour, et c'est pour cela qu'il est si porté à aimer. L'homme est fait par amour quant à l'âme et quant au corps. Par amour, Dieu l'a créé à son image et à sa ressemblance; par amour aussi, son père et sa mère lui ont donné l'existence.

2. Dieu, voyant donc qu'il était si porté à l'amour, lui jeta l'appât de l'amour, en lui donnant le Verbe, son Fils, qui prit notre humanité pour faire une grande paix. Mais la justice divine voulait que l'injure faite à Dieu fût punie. La miséricorde divine vint donc avec une ineffable charité; et pour satisfaire la justice et la miséricorde, Dieu condamna son Fils à mort, après l'avoir revêtu de notre humanité, c'est-à-dire de la chair d'Adam, qui l'avait offensé. Par sa mort fut apaisée la colère du Père, parce que la justice était accomplie sur la personne du Fils. Il a ainsi satisfait la justice, il a satisfait la miséricorde, et il a sauvé le genre humain des mains du démon. Le doux Verbe a fait, sur les bras de la sainte Croix, le tournoi de la mort contre la vie, et de la vie contre la mort (Fecendo uno torniello. Cette ligure, empruntée à la vie du moyen âge, rappelle ce que chante l'Eglise au jour de Pâques: Mors et vita duello conflixere mirando.) Par sa mort il a détruit notre [162] mort, et il nous a donné la vie en perdant la vie de son corps. C'est donc par l'amour qu'il nous a gagnés, c'est par la bonté qu'il a vaincu notre malice, et si bien, que tous les coeurs devraient se rendre à lui. On ne peut, il l'a dit lui-même, mieux prouver son amour qu'en donnant sa vie pour son ami. Que dirons-nous donc de cet amour violent et parfait, qui lui a fait donner sa vie pour son ennemi? Car, par le péché, nous étions devenus les ennemis de Dieu. O doux et amoureux Verbe, qui, par l'amour, aviez retrouvé la brebis, par l'amour vous lui avez donné la vie, et vous l'avez ramenée au bercail, en lui rendant la grâce qu'elle avait perdue.

3. O mon très doux et très saint Père, je ne vois pas non plus d'autres moyens, d'autre remède pour retrouver vos brebis rebelles qui ont quitté le bercail de la sainte Eglise, en ne voulant plus obéir à vous, leur Père. Aussi je vous prie, de la part de Jésus crucifié, et je veux que vous me fassiez cette grâce, de vaincre leur malice par votre bonté. Nous sommes à vous, Ô Père, et je sais que presque tous ne croient pas avoir mal fait. Admettons qu'ils ne sont pas excusables; mais il leur semble qu'ils ne pouvaient pas faire autrement, à cause des peines, des injustices et des extorsions qu'ils avaient à endurer de la part des mauvais pasteurs et gouverneurs. Ils sentaient l'infection de la vie de ceux que vous saviez bien être des démons incarnés, et ils [162] tombèrent dans cette crainte détestable de Pilate, qui, pour ne pas perdre sa puissance, condamna Jésus-Christ. Pour ne pas perdre l'Etat, ils vous ont persécuté. Miséricorde, Ô Père, je vous le demande pour eux; ne vous arrêtez pas à l'ignorance et à l'orgueil de vos enfants, mais attirez-les par le charme de votre amour et de votre bonté, en leur faisant quelque douce réprimande.

4. Que Votre Sainteté nous rende la paix, à nous, vos malheureux enfants, qui vous avons offensé. Je vous le dis, Christ de la terre, de la part du Christ du Ciel, en agissant ainsi sans détour et sans colère, ils accourront tous avec le regret de leur faute, ils viendront appuyer leur tête sur votre sein. Alors vous vous réjouirez, nous nous réjouirons, parce que votre amour aura ramené la brebis perdue dans le bercail de la sainte Église; alors, mon doux Père, vous accomplirez votre saint désir et la volonté de Dieu; vous ferez cette croisade, que je vous engage, de sa part, à commencer le plus tôt possible et avec zèle; ils s'y disposeront aussi avec ardeur, Car ils sont prêts à donner leur vie pour le Christ. Au nom de Dieu, notre doux amour, élevez, mon Père, l'étendard de la sainte Croix, et vous verrez les loups se changer en agneaux. La paix, la paix, la paix, pour que la guerre ne nous fasse pas perdre cette saison favorable.

5. Si vous voulez la vengeance et la justice, frappez sur moi, misérable, et faites-moi souffrir toutes les peines et les tourments que vous voudrez jusqu'à la mort. Je crois que c'est l'infection de mes péchés qui a causé beaucoup de ces malheurs et de [163] ces discordes ( Sainte Catherine exprimait souvent cette crainte. Son humilité lui persuadait qu'elle était cause des maux de l'Eglise. Cf. Dialogue, ch. II, 3.); punissez donc à votre gré votre misérable petite fille. Hélas! mon Père, je meurs de douleur, et je ne puis mourir. Venez, venez, et ne résistez plus à la volonté de Dieu, qui vous appelle. Vos brebis affamées attendent que vous veniez prendre et conserver la place de votre prédécesseur et de votre chef, l'apôtre saint Pierre. Votre qualité de Vicaire du Christ vous oblige de résider à votre place. Venez donc, venez, ne tardez pas davantage. Prenez courage, et ne craignez rien de ce qui pourrait vous arriver, parce que Dieu sera avec vous. Je vous demande humblement votre bénédiction pour moi et pour tous mes enfants spirituels. Je vous prie de pardonner à ma présomption. Je n'en dis pas davantage; persévérez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.









Catherine de Sienne, Lettres