Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 10, A GRÉGOIRE XI

Lettre n. 11, A GRÉGOIRE XI

XI. - A GRÉGOIRE XI, qui était à Corneto. - Elle l'exhorte à la patience, et lui recommande la cité de Sienne, en le priant d'excuser les fautes commises par ses concitoyens.

(Le Souverain Pontife avait quitté Gênes le 28 octobre, et était arrivé - à Corneto le 5 décembre. Il ne partit pour Rome que le 13 janvier 1377. Sainte Catherine lui écrit de Sienne.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très saint et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille Catherine se recommande à vous dans son précieux sang, avec le désir de voir votre coeur ferme et inébranlable dans la vraie et parfaite patience, considérant qu'un coeur faible, mobile et sans patience, ne pourra jamais parvenir à accomplir les grandes oeuvres de Dieu. Toute créature raisonnable, si elle veut servir Dieu et se revêtir de vertu, doit avoir cette constante et forte patience; sans cela, Dieu ne sera jamais en elle. Si l'homme se laisse attirer, par un mouvement déréglé, vers la prospérité, les plaisirs, l'amour de lui-même et du monde, ou si l'injure et la tribulation l'ébranlent par l'impatience, et lui font abandonner les vertus qu'un saint désir avait fait naître dans son âme, et qu'il veut acquérir, il doit bien voir que la vertu ne peut jamais exister et devenir parfaite sans son contraire (). S'il redoute le contraire, il s'ensuit qu'il fuira la vertu, avec [186] laquelle il devait attaquer et combattre le vice, qui lui est opposé. Il doit vaincre l'orgueil avec l'humilité; les richesses, les plaisirs et les honneurs du monde, avec la pauvreté volontaire. La paix chassera la guerre de l'âme et du prochain; la patience vaincra l'impatience par l'amour de l'honneur de Dieu et de la vertu; la haine et le mépris de soi-même feront porter avec courage et résignation les coups, les injures, les mépris, les affronts, les souffrances du corps et les pertes temporelles. L'homme doit être constant, ferme et d'une patience inaltérable; il ne serait pas, sans cela, le serviteur du Christ; mais il deviendrait le serviteur et l'esclave de la sensualité, qui ôte la constance et rend le coeur étroit, faible et pusillanime. Il ne doit point agir ainsi, mais il doit prendre pour modèle la douce Vérité suprême, qui nous donne la vie en supportant nos défauts avec tant de patience.

2. O très saint Père, mon très doux Père, ouvrez l'oeil de votre intelligence, et voyez que, si la vertu est nécessaire à chaque homme pour sauver son âme, combien plus elle est nécessaire à vous, qui avez à nourrir et à gouverner le corps mystique de la sainte Église, votre épouse. Quel besoin vous avez de constance, de force et de patience! Pensez que vous êtes devenu bien jeune une plante du jardin de la sainte Eglise (Grégoire Xl fut nommé cardinal à l'âge de dix-huit ans par son oncle maternel, le Pape Clément VI. Il monta sur le Salut-Siège à quarante ans.), et que vous devez vous efforcer de combattre par la vertu le démon, la chair et le monde, nos trois ennemis principaux, qui nous [187] attaquent nuit et jour et qui ne dorment jamais. J'espère de la Bonté divine que vous résisterez à ces ennemis, et que vous remplirez la fin pour laquelle Dieu vous a Créé, c'est-à-dire que vous rendrez gloire et louange à son nom, et que vous jouirez de sa bonté en obtenant son éternelle vision, qui fait notre béatitude. Maintenant, vous êtes le Vicaire du Christ, qui vous a choisi pour travailler et combattre pour l'honneur de Dieu, le salut des âmes et la réforme de la sainte Église. Les travaux et les peines vous sont particulièrement destinés, outre les combats ordinaires que doivent soutenir toutes les âmes qui veulent servir Dieu.

3. Plus votre fardeau est pesant, plus votre coeur doit être fort, courageux et sans crainte à l'égard des choses qui peuvent vous arriver. Vous savez bien, très saint Père, qu'en prenant l'Église pour épouse, vous vous êtes engagé à souffrir pour elle les vents contraires, les peines, les tribulations qui vous attaqueront à son occasion. Hé bien! allez donc, en homme courageux, au-devant de ces tempêtes, avec force, patience et persévérance; que la peine ne vous fasse jamais regarder en arrière par surprise et par peur; mais persévérez et réjouissez-vous au milieu des périls et des batailles, pour que votre coeur se réjouisse en voyant l'oeuvre de Dieu se faire au milieu des obstacles qui se sont présentés et qui se présenteront. Il, en est toujours ainsi; toujours la persécution de l'Eglise, ou les tribulations de l'âme vertueuse, finissent par la paix, que méritent la vraie patience et la persévérance, à laquelle est réservée la couronne de gloire. C'est là le remède, [188] et c'est pour cela que je vous ai dit, très saint Père, que je désirais vous voir un coeur ferme et inébranlable, protégé par une vraie et sainte patience. Je veux que vous soyez un arbre d'amour, enté sur le Verbe d'amour, Jésus crucifié; un arbre qui, pour l'honneur de Dieu et le salut de vos brebis, jette des racines profondes dans l'humilité. Si vous êtes un arbre d'amour ainsi enraciné, vous trouverez en vous l'arbre d'amour, dont la racine porte le fruit de la patience, de la force, et au milieu la couronne de la persévérance; vous trouverez dans les peines la paix, le repos et la consolation; vous verrez que vous ressemblez à Jésus crucifié; et en souffrant par amour pour Jésus crucifié, vous verrez avec joie que cette grande guerre conduit à une grande paix.

4. La paix, la paix, très saint Père; qu'il plaise à Votre Sainteté de recevoir vos fils qui ont offensé leur père; votre bonté vaincra leur malice et leur orgueil. Ce n'est point une honte de vous abaisser pour ramener un enfant coupable; c'est, au contraire, une chose utile et glorieuse devant Dieu et devant les hommes. Oui, mon Père, plus de guerre d'aucune sorte. Vous pouvez, sans manquer à votre conscience, donner la paix et détourner la guerre sur les infidèles. Imitez la patience et la douceur de l'Agneau sans tache, le Christ, le doux Jésus, dont vous tenez la place. J'espère de Notre-Seigneur, qu'il agira si bien en vous pour cela et pour d'autres choses, qu'il accomplira votre désir et le mien. Puis-je désirer autre chose en cette vie que l'honneur de Dieu, votre paix et la réforme de la sainte [189] Eglise, et aussi la vie de la grâce dans toute créature raisonnable? Prenez courage; ici, autant que j'ai pu en juger, la disposition générale est de vous avoir pour père, surtout cette pauvre cité qui a toujours été la fille chérie de Votre Sainteté; les circonstances l'ont forcée à faire des choses qui ont déplu à Votre Sainteté. On voit maintenant qu'ils ont été contraints, et Votre Sainteté peut bien les excuser. Vous les attirez avec l'amorce de l'amour. Je vous prie, par l'amour de Jésus crucifié, d'aller le plus vite que vous pourrez prendre la place des glorieux apôtres Pierre et Paul. Marchez toujours en assurance de votre côté, et Dieu, du sien, vous donnera tout ce qui est nécessaire à vous et au bien de votre Epouse. Je termine; pardonnez à ma présomption. Ayez courage, et comptez sur les prières des vrais serviteurs de Dieu, qui prient et intercèdent beaucoup pour vous. Je vous demande humblement votre bénédiction avec tous vos autres enfants. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 12, A GRÉGOIRE XI

XII.- A GREGOIRE XI - Elle demande la paix en déplorant les désordres des chrétiens et des ministres de la sainte Eglise.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint et très doux Père dans le Christ Jésus, votre indigne et misérable petite fille Catherine, la [190] servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, écrit à Votre Sainteté, dans son précieux sang, avec le désir que j'ai depuis longtemps de vous voir un portier ferme et sans aucune crainte. Vous êtes le portier du cellier de Dieu, c'est-à-dire le gardien du sang de son Fils unique, dont vous tenez la place sur terre. Car personne ne peut avoir le sang du Christ, si ce n'est de vos mains. Vous paissez et nourrissez les chrétiens fidèles; vous êtes la mère qui nous allaite sur le sein de la charité divine, parce que vous ne nous donnez jamais le sang sans le feu, ni le feu sans le sang, car le sang a été répandu avec le feu de l'amour. O notre seigneur et maître, je dis que, depuis bien longtemps, je désire vous voir un homme courageux et sans crainte, à l'exemple du doux et tendre Verbe, qui a couru avec courage à la mort ignominieuse de la très sainte Croix pour accomplir la volonté du Père et notre salut. Le doux Verbe nous apporta la paix, parce qu'il fut le médiateur entre Dieu et nous.

2. Ce doux et tendre Verbe ne se laissa pas arrêter par notre ingratitude, par les injures, les mépris et les affronts, mais il courut à la mort honteuse de la Croix, parce qu'il était passionné pour notre salut, et que nous ne pouvions obtenir la paix que par ce moyen. O très saint Père, je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié de suivre ses traces. Hélas! la paix, la paix, pour l'amour de Dieu; ne regardez pas notre misère, notre ingratitude, notre ignorance, ni les persécutions de vos enfants rebelles; mais que votre bonté, votre patience triomphent de leur malice et de leur orgueil; ayez compassion de tant d'âmes et de [191] corps qui périssent. O pasteur et gardien du sang de l'Agneau, ne vous laissez pas arrêter par la peine, les affronts, les reproches que vous pourrez recevoir, ni par la crainte servile et les mauvais conseils du démon, qui ne veut que la guerre et le désordre. Que tout cela, très saint Père, ne vous empêche pas de courir à la mort ignominieuse de la Croix; imitez le Christ, dont vous êtes le Vicaire souffrez les peines, les opprobres, les tourments, les mépris, et portez la croix du saint désir. Je parle du désir de l'honneur de Dieu et du salut de vos enfants. Oui, ayez-en faim, et, avec le regard de votre intelligence, élevez-vous sur la croix du saint désir, et regardez combien de maux produirait cette malheureuse guerre, et quel bien, au contraire, procurerait la paix.

3. Hélas! mon Père, mon âme se désole de voir que mes iniquités sont cause de tout ce mal. il me semble que le démon a pris possession du monde, non par lui, qui ne peut rien, mais par nous, qui lui obéissons. De quelque côté que je me tourne, je vois que chacun porte la clef du libre arbitre avec une volonté corrompue; les séculiers, les religieux, les clercs poursuivent avec ardeur les délices, les honneurs et les richesses du monde à travers le désordre et la corruption. Mais ce qui m'afflige surtout, et ce qui est le plus abominable devant Dieu, c'est de voir les fleurs qui sont plantées dans le corps mystique de la sainte Eglise, les fleurs qui devaient répandre une bonne odeur, ceux dont la vie devrait étre le miroir des vertus, ceux qui devraient goûter et aimer l'honneur de Dieu et le salut des âmes, ceux-là, au contraire, répandent l'odeur infecte du péché; ils [192] s'aiment eux-mêmes, et unissent leurs vices à ceux des autres, surtout pour persécuter la douce Epouse du Christ et Votre Sainteté. Hélas! nous sommes tombés sous la loi de la mort, et nous avons fait la guerre à Dieu. O mon Père, vous nous êtes donné pour négocier la paix; je ne crois pas qu'elle puisse se faire si vous ne portez pas la croix du saint désir, comme je vous l'ai dit. Nous avons la guerre avec Dieu, et les enfants rebelles l'ont avec Dieu et avec Votre Sainteté. Dieu veut et vous demande que vous arrachiez, autant que vous le pourrez, le pouvoir des mains du démon. Travaillez à détruire la corruption des ministres de la sainte Eglise; arrachez les fleurs infectes et plantez des fleurs de bonne odeur, des hommes vertueux qui craignent Dieu.

4. Je vous demande ensuite qu'il plaise à Votre Sainteté de consentir à la paix, et de l'accepter telle qu'on pourra l'avoir, en respectant toutefois la sainte Eglise et votre conscience. Dieu veut que vous pensiez aux âmes et aux choses spirituelles plus qu'aux choses temporelles. Agissez généreusement, parce que Dieu est pour vous; n'ayez aucune crainte, et si vous prévoyez bien des peines et des tribulations, ne vous en effrayez pas, mais fortifiez-vous dans le Christ, le doux Jésus. C'est du milieu des épines que naît la rose, et c'est du milieu des persécutions que viendront la réforme de la sainte Eglise, la lumière qui dissipera les ténèbres des chrétiens, la vie des infidèles et l'exaltation de la très sainte Croix. Vous êtes notre instrument et notre moyen; faites ce que vous pouvez faire avec amour, sans négligence et sans crainte. C'est ainsi que vous serez un bon ministre [193], et que vous accomplirez la volonté de Dieu et le désir de ses serviteurs, qui meurent de chagrin, sans cependant pouvoir mourir, en voyant une plus grande offense contre leur Créateur, et une si déplorable profanation du sang du Fils de Dieu. Moi, je n'en puis plus; pardonnez-moi, très saint Père, ma présomption; que l'amour et la douleur m'excusent devant vous. Je finis; donnez-nous la vie en Jésus crucifié; arrachez les vices et plantez des vertus; prenez courage et ne craignez rien. Demeurez dans la douce et sainte dilection de Dieu.

5. J'ai un grand désir de me retrouver en présence de Votre Sainteté; j'aurais beaucoup de choses à vous exposer, mais j'en suis empêchée par beaucoup d'affaires bonnes et utiles à l'Eglise, qui se sont présentées (Sainte Catherine était alors en Toscane, et travaillait à y établir la paix. Sa lettre est écrite du monastère qu'elle avait fondé dans une maison de campagne que lui avait donnée Nanni. (Voir Vie de sainte Catherine, p. II, C. 7 .). La paix, la paix, pour l'amour de Jésus crucifié, et non pas la guerre; c'est là l'unique remède. Je vous recommande Annibal, votre fidèle serviteur. Je vous écris de notre nouveau monastère que vous m'avez accordé sous le titre de Sainte-Marie-des-Anges. Je vous demande humblement votre bénédiction. Vos fils négligents, maître Jean et frère Raymond, se recommandent à Votre Sainteté. Que Jésus crucifié soit avec vous. Doux Jésus, Jésus amour [194].








Lettre n. 13, A GRÉGOIRE XI

XIII. - A GREGOIRE XI. - Elle le prie d'exercer avec fermeté et constance l'autorité que Dieu lui a donnée.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint et très doux Père, votre indigne et misérable petite fille Catherine dans le Christ, le doux Jésus, se recommande à vous dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir un homme courageux, délivré de toute crainte et de tout amour sensible de vous-même et de toute créature qui vous soit unie par les liens de la parenté; car je vois et je reconnais en la douce présence de Dieu que rien n'est plus opposé à votre saint désir, à l'honneur de Dieu, à la réforme et à l'exaltation de la sainte Eglise. Aussi mon âme souhaite avec un ardent amour que Dieu, dans son infinie miséricorde, vous délivre de toute passion et de toute faiblesse de coeur, qu'il vous rende un homme nouveau, tout brûlant de zèle pour la réforme, car autrement vous ne pourrez pas accomplir la volonté de Dieu et le désir de ses serviteurs. Hélas! hélas! mon très doux Père, pardonnez-moi ce que je vous ai dit et ce que je vous dis; j'y suis contrainte par la douce Vérité Suprême; c'est sa volonté, mon Père, c'est ce qu'il vous demande. Dieu vous demande que vous fassiez justice de cette multitude d'iniquités commises par ceux qui se nourrissent dans le jardin de la sainte Eglise; les animaux ne doivent pas se nourrir de la nourriture des hommes. Puisque l'autorité vous a été donnée, et que vous l'avez [195] acceptée, vous devez user de votre puissance; si vous ne voulez pas en user, il serait mieux d'y renoncer, pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes.

2. Il y a une autre chose que Dieu veut et qu'il vous demande: il veut que vous fassiez la paix avec la Toscane, et que vous obteniez de vos enfants coupables, révoltés contre vous, tout ce que vous pouvez en obtenir, mais sans guerre, en les punissant seulement comme un père le fait pour son fils qui l'a offensé. La divine Bonté vous demande encore que vous donniez plein pouvoir à ceux qui vous demandent d'organiser la croisade. Ce qui vous paraît impossible est possible à la douce bonté de Dieu, qui l'ordonne et le veut ainsi. Prenez garde, si vous tenez à la vie, d'agir avec négligence, et ne méprisez pas les oeuvres que le Saint-Esprit demande de vous, et que vous pouvez faire. Si vous voulez la justice, vous pouvez l'accomplir; vous pourrez avoir la paix en mettant de côté les pompes coupables et les plaisirs du monde, en défendant seulement l'honneur de Dieu et les droits de la sainte Eglise. Vous avez le pouvoir de donner à ceux qui vous demandent; vous n'êtes pas pauvre, mais vous êtes riche, puisque vous portez dans vos mains les clefs du ciel, qui sera ouvert à qui vous l'ouvrirez, et qui sera fermé à qui vous le fermerez; Dieu vous jugera si vous ne le faites pas. Si j'étais à votre place, je craindrais les effets des jugements divins sur moi. Aussi je vous conjure bien affectueusement, de la part de Jésus crucifié. d'obéir à la volonté de Dieu. Je sais que vous ne voulez et que vous ne désirez pas autre chose que de faire sa volonté, pour ne pas encourir cette dure sentence: " Malheur à toi, qui n'a [196] pas employé le temps et la force qui t'avaient été donnés. " Mon Père, je me confie en la bonté de Dieu, et j'espère de Votre Sainteté que vous ferez en sorte d'éviter ce malheur. Je n'en dis pas davantage; pardonnez-moi, pardonnez-moi, c'est le grand amour que j'ai pour votre salut, et la grande douleur que j'éprouve en voyant votre danger, qui me fait parler de la sorte. J'aurais préféré vous le dire de vive voix pour soulager entièrement ma conscience. Quand il plaira à Votre Sainteté de m'appeler, je viendrai avec empressement. Faites que je ne me plaigne pas de vous à Jésus crucifié; je ne puis me plaindre à d'autres, car vous n'avez pas de supérieur sur terre. Demeurez dans la douce et sainte dilection de Dieu. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 14, A GRÉGOIRE XI

XIV. A GREGOIRE XI. - Elle recommande à la bienveillance du Souverain Pontife les ambassadeurs de Sienne, qui vont à Rome Solliciter leur pardon et l'éloignement des troupes du Pape.

(Cette lettre, la dernière adressée par sainte Catherine à Grégoire XI, fut portée à Rome par les ambassadeurs de la république de Sienne, qui furent bien reçus.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, votre indigne petite fille, [197] la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir accorder une paix vraie et parfaite à ceux qui sont vos sujets et vos enfants, et qui reviennent sous le joug de la sainte obéissance. Si vous le faites, vous pourrez vivre dans la paix et le repos de l'âme et du corps. Dieu, dans son infinie charité, m'a fait la grâce de me montrer que c'était le moyen que vous deviez prendre pour apaiser entre Dieu et les âmes cette guerre qu'ont fait naître les fautes commises contre son ineffable bonté et contre Votre Sainteté. Je ne doute pas qu'en accordant cette paix vous ne pacifiiez également l'Italie toute entière. Oh! combien sera heureuse mon âme lorsque je verrai que, grâce à votre bonté, tous seront unis par le lien de l'amour! Vous savez, très saint Père, qu'on ne peut unir Dieu à l'homme que par le lien de l'amour; et l'Amour s'est attaché et s'est cloué à la croix, parce que l'homme, qui était fait d'amour, ne pouvait être mieux gagné que par l'amour. C'est l'amour du Verbe, le Fils de Dieu, qui a fini la guerre que l'homme faisait en se révoltant contre Dieu et en se soumettant à la puissance du démon.

2. Ainsi, très saint Père, vous détruirez la guerre et la puissance du démon dans la cité des âmes de vos enfants. Le démon ne chasse pas le démon; mais c'est avec la vertu de l'humilité et avec votre bonté que vous le chasserez. Le démon ne résistera pas parce qu'il ne peut résister à l'humilité, et qu'il en est écrasé. Avec l'amour et la faim que vous aurez pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes, vous imiterez l'Agneau immolé et consommé dont vous [198] tenez la place; vous détruirez la guerre et la haine dans leurs coeurs, et vous jetterez des charbons sur la tête de vos enfants qui se sont révoltés contre vous, leur Père, comme des démons incarnés. Par ce doux et bon moyen vous vaincrez le démon et l'orgueil de l'homme, que rien ne peut mieux abattre que l'humilité. Vous finirez la guerre par la patience, en supportant les défauts de vos enfants, leur imposant cependant la punition qu'ils méritent, autant qu'ils pourront la porter et ainsi la miséricorde, la bonté, la sainte justice et la douce flamme de l'amour, détruiront la haine dans leurs âmes, comme l'eau disparaît dans la fournaise. Oui, de la bonté, mon Père, car vous savez que toute créature raisonnable est plutôt captivée par l'amour et la bonté que par autre chose; cela est vrai surtout pour nos Italiens de ces contrées. Je ne vois pas que vous puissiez prendre un meilleur moyen. En agissant ainsi vous obtiendrez d'eux tout ce que vous voudrez. Je vous en prie pour l'amour de Jésus crucifié, pour le bien et l'utilité de la sainte Eglise.

3. Les ambassadeurs Siennois vont se présenter à Votre Sainteté; il n'y a personne au monde plus facile à prendre par l'amour, et je vous conjure de vous servir de cette amorce pour les attirer (Saint Bernardin rend le même témoignage de ses concitoyens. Il disait: Il sangue sanese è uno sangue dolce.). Ecoutez un peu les excuses qu'ils vous feront de leurs fautes ils s'en repentent, et il semble qu'ils en sont réduits à ne plus savoir que faire. Qu'il plaise donc à Votre Sainteté, mon doux Père, de leur indiquer ce qu'ils pourraient faire pour vous être agréable, et pour [199] n'être pas en guerre avec ceux auxquels ils sont unis. Encouragez-les donc pour l'amour de Jésus crucifié. Je crois que si vous le faites, ce sera un grand bien pour l'Eglise, et qu'il n'en résultera aucun inconvénient.

4. Je vous prie ensuite de vous appliquer à punir les fautes des pasteurs et des officiers de l'Eglise qui font ce qu'ils ne devraient pas faire. Choisissez-en de bons qui vivent dans la vertu et la justice; vous devez le faire pour l'honneur de Dieu, pour leur conscience et leur salut. Les séculiers font grande attention à ceux qui ont le pouvoir, et quand ils ont vu que les fautes restaient impunies, il en est résulté de grands inconvénients. J'espère de la souveraine et éternelle bonté de Dieu et de Votre Sainteté que vous ferez cela avec tout ce qui sera bon de faire à ce sujet. Je m'arrête. Pardonnez à ma présomption. Je vous demande humblement votre bénédiction. Je vous recommande les ambassadeurs de Sienne. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus. Jésus amour.








Lettre n. 15, A URBAIN VI

XV.- A URBAIN VI. - De la charité et de ses effets. - La justice doit être unie à la miséricorde. - Sainte Catherine invite le Souverain Pontife à réprimer les abus et à pardonner aux rebelles.

(Cette lettre est écrite de Florence, vers la fin du mois de juin 1378. Sainte Catherine continuait la mission que lui avait confiée Grégoire XI, et venait d'échapper aux fureurs d'une sédition. ( p.111, c. 6.). Elle avait connu à la cour pontificale d'Avignon Urbain VI, qui était alors le cardinal Prignani, archevêque de Bari.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très saint et très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des [200] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermi dans la vraie et parfaite charité; afin que vous donniez, comme le bon Pasteur, votre vie pour votre troupeau. Il est bien vrai, très saint Père, que celui qui est affermi dans la charité est le seul qui soit disposé à mourir pour l'amour de Dieu et le salut des âmes; il est libre de l'amour de lui-même, tandis que celui qui reste dans l'amour-propre n'est pas prêt à donner sa vie. Non seulement il ne la donne pas, mais il semble ne vouloir pas souffrir la moindre peine, parce qu'il craint de perdre la vie du corps et son bien-être. Aussi toutes ses actions sont imparfaites et corrompues, parce que l'amour qui le porte à les faire est mauvais; et dans toutes les conditions où il se trouve, qu'il commande ou qu'il obéisse, il agira avec peu de vertu.

2. Le pasteur qui est affermi dans la vraie charité n'agit pas de la sorte; mais toutes ses actions sont bonnes et parfaites, parce que l'amour qui le guide est uni à la perfection de la divine charité. Il ne craint ni le démon ni la créature; il craint seulement son Créateur, et il ne s'arrête pas aux attaques du monde, aux opprobres, aux insultes, aux affronts, aux scandales et aux murmures de ceux qui se plaignent et s'irritent quand ils sont repris par leur supérieur. Il ne s'en trouble pas, parce que son coeur viril est revêtu [201] de la force de la charité. Rien ne ralentit l'ardeur de son saint désir, et ne lui ôte la perle précieuse de la justice qu'il porte sur la poitrine, brillante et unie à la miséricorde. Car si la justice était sans la miséricorde, elle serait dans les ténèbres de la cruauté, et elle deviendrait plutôt l'injustice que la justice. La miséricorde sans la justice serait pour l'inférieur comme le baume sur la plaie qui a besoin d'être brûlée avec le feu. Si on y met le baume sans la brûler, elle se corrompt plutôt qu'elle ne guérit; mais l'union de la justice et de la miséricorde donne la vie au supérieur qui les possède, et la santé à l'inférieur, s'il n'est pas déjà un membre du démon, qui ne veut jamais se corriger. Lors même que l'inférieur résisterait mille fois, le supérieur ne doit pas cesser de le reprendre, et sa vertu ne sera pas moins grande parce que le coupable ne voudra pas en profiter.

3. C'est là ce que fait la pure et vraie charité dans l'âme de celui qui s'aime non pour lui, mais pour Dieu, qui cherche Dieu pour l'honneur et la gloire de son nom, parce qu'il voit qu'il est digne d'être aimé à cause de son infinie bonté. Il ne recherche pas le prochain pour lui, mais pour Dieu, et il désire lui rendre les services qu'il ne peut rendre à Dieu; car il voit et comprend que celui qui est notre Dieu n'a pas besoin de nous. Alors il travaille avec zèle à être utile au prochain, et surtout à ses inférieurs qui lui sont confiés; il ne cesse jamais de poursuivre le salut de leur âme et de leur corps, malgré l'ingratitude qu'il trouve en eux, malgré les menaces et les pièges des hommes; mais, véritablement revêtu de la robe nuptiale, il suit la doctrine de l'humble Agneau sans tache, le doux [202] et bon Pasteur, que l'ardent désir de notre salut fit courir à la mort ignominieuse de la très sainte Croix. C'est ce que fait faire l'amour ineffable que l'âme a conçu en Jésus crucifié, son modèle.

4. Très saint Père, Dieu vous a établi pasteur de ses brebis dans toute la chrétienté; il vous a choisi pour administrer le Sang de Jésus crucifié, dont vous êtes le Vicaire, et il vous a choisi à une époque ou l'iniquité des fidèles est plus abondante qu'elle ne l'a jamais été, dans le corps du clergé et dans le corps universel do la religion chrétienne. C'est aussi une très grande nécessité pour vous d'être affermi dans la charité parfaite, avec la pierre précieuse de la justice, comme je l'ai dit. Ne vous inquiétez pas du monde, ni des malheureux habitués du vice et de leurs injures; mais, comme un vrai chevalier, un bon pasteur, réformez avec courage, arrachez le vice, plantez la vertu, et soyez prêt à donner votre vie s'il le faut. Très doux Père, le monde n'en peut plus, tant les vices abondent, surtout on ceux qui sont placés dans le jardin de la sainte Eglise comme des fleurs odoriférantes, pour y répandre le parfum de la vertu; et nous les voyons s'abandonner à des vices si honteux et si coupables, qu'ils en infectent le monde tout entier.

5. Hélas! où est cette pureté de coeur, cette honnêteté parfaite qui rendait continents ceux qui ne l'étaient pas? Ils font tout le contraire, car souvent ceux qui étaient chastes sont entraînés au vice par leur impureté. Hélas! où sont ces largesses de la charité, ce zèle des âmes, ces aumônes aux pauvres pour le bien de l'Eglise et pour leurs nécessités? Vous savez bien qu'ils font le contraire. Ah! malheureuse que je suis, [203] je le dis avec douleur, leurs enfants se nourrissent de ce qu'ils doivent au sang du Christ, et ils n'ont pas honte d'agir comme des fourbes, et de jouer avec ces mains très saintes, consacrées par vous, le Vicaire du Christ, sans parler de tant d'autres fautes qu'ils commettent. Hélas! où est cette humilité profonde qui devrait confondre l'orgueil de leur sensualité. C'est la sensualité qui les rend simoniaques par avarice, et leur fait acheter des bénéfices avec des présents, des flatteries, de l'argent, des plaisirs et des frivolités, indignes des clercs et pires que celles des séculiers. O mon doux Père, appliquez le remède, et donnez quelque soulagement aux désirs embrasés des serviteurs de Dieu, qui se meurent de douleur sans pouvoir mourir. Ils désirent ardemment que vous, le vrai Pasteur, vous entrepreniez la réforme, non seulement par des paroles, mais par des faits, unissant en vous la pierre précieuse de la justice avec la miséricorde, et reprenant sans aucune crainte servile ceux qui se nourrissent sur le sein de la douce Epouse, et qui sont devenus les ministres du Sang.

6. Très saint Père, je ne vois pas d'autres moyens pour réussir, que de renouveler entièrement le jardin de votre Épouse, la sainte Église, en y mettant des plantes bonnes et vertueuses, en cherchant à vous entourer d'un grand nombre de saints personnages, en qui vous trouviez la vertu, et qui ne craignent pas la mort. Ne vous arrêtez pas à la naissance, pourvu qu'il soient des pasteurs tout appliqués à conduire leurs brebis. Créez un collège de bons cardinaux, qui puissent être fermes comme des colonnes, pour vous aider à soutenir, avec l'aide Dieu, le fardeau de vos [204] peines (Le 18 septembre suivant, Urbain VI créa vingt-neuf cardinaux.). Oh! combien sera heureuse mon âme lorsque je verrai rendre à l'Epouse du Christ ce qui lui appartient, lorsque je verrai sur son sein ceux qui ne s'arrêtent pas à leur intérêt particulier, mais à la gloire et à la louange du nom de Dieu, ceux qui se nourrissent sur la table de la Croix, de la nourriture des âmes! Je ne doute pas qu'alors les séculiers ne se corrigent, parce qu'ils ne pourront résister à la sainteté de leur doctrine et à la pureté de leur vie. Il ne s'agit donc plus de dormir; mais il faut, avec courage et sans négligence, faire pour la gloire et la louange du nom de Dieu, tout ce que vous pourrez jusqu'à l'heure de la mort.

7. Je vous prie ensuite et je vous recommande, pour l'amour de Jésus crucifié, les brebis qui sont hors du bercail, sans doute à cause de mes péchés. Ne différez pas, par amour pour ce Sang dont vous êtes le ministre, de les recevoir avec miséricorde et bonté. Que Votre Sainteté triomphe de leur dureté, et leur rende le service de les ramener à la bergerie. S'ils ne le demandent pas avec une vraie et parfaite humilité, que Votre Sainteté supplée à leur faiblesse, et n'exige de l'infirme que ce qu'il peut donner. Hélas! hélas! ayez compassion de tant d'âmes qui périssent; ne faites pas attention au scandale qui a eu lieu dans cette ville, où il semble vraiment que les démons de l'enfer ont fait tous leurs efforts pour empêcher la paix et le repos de l'âme et du corps (Cette émeute, dont sainte Catherine de Sienne faillit être victime, eut lieu le 22juin 1378.). Mais la divine [205] Bonté a fait en sorte que ce grand mal ne produisit pas de grands maux. Et maintenant vos enfants sont tranquilles, et demandent de vous l'huile de la miséricorde. Admettons, très saint Père, qu'ils ne vous la demandent pas avec toutes les formes convenables, et avec ce regret du coeur qu'ils devraient avoir de leurs fautes et que désirerait Votre Sainteté. Hélas ne les refusez pas; ces enfants seront ensuite meilleurs que les autres (Les Florentins se montrèrent en effet par la suite très fidèles au Saint-Siège. Parmi les huit députés envoyés par la République se trouvent un Médicis.- Véri dé Medici. (Voir Gigli, t. I, p.III.). Hélas! mon Père, je ne voudrais plus rester ici; mais, faites de moi ce que voudrez. Accordez-moi seulement cette grâce et cette miséricorde que je vous demande, moi pauvre misérable!

8. Mon Père, ne me refusez pas cette douceur que je vous demande pour vos enfants, afin que, la paix faite, vous leviez l'étendard de la très Sainte Croix. Vous voyez bien que les infidèles eux-mêmes vous y invitent (Les Turcs venaient de remporter de grands avantages, et menaçaient sans cesse, dans la Méditerranée, les côtes de France et d'Italie.). J'espère que la douce bonté de Dieu vous remplira de son ardente charité, et que vous comprendrez cette perte des âmes, et combien vous êtes tenu de les aimer; et alors vous croîtrez en zèle et en sollicitude pour les retirer des mains du démon, et vous chercherez à guérir le corps mystique de la sainte Eglise et le corps de toute la chrétienté vous chercherez surtout à réconcilier vos enfants, en les ramenant par la douceur et avec la verge de la justice, autant qu'ils peuvent la supporter, mais jamais [206] davantage. Je suis persuadée que vous ne pourrez le faire sans la vertu de charité, et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans la vraie et parfaite charité, non pas que je croie que vous n'êtes pas dans la charité, mais parce que, tant que nous sommes pèlerins et voyageurs dans cette vie, nous pouvons croître dans la perfection de la charité. C'est ce qui m'a fait dire que je voulais en vous la perfection de la charité, que vous entretiendrez sans cesse avec le feu du saint désir, et que vous répandrez, comme un bon pasteur, sur tous vos sujets. Je vous conjure de le faire; pour moi, je continuerai à vous servir jusqu'à la mort, en priant et en faisant tout ce que je pourrai pour l'honneur de Dieu, pour votre paix et celle de vos enfants. Je ne vous en dirai pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez, très Saint Père, à ma présomption; mais l'amour et la douleur m'excusent devant Votre Sainteté. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.









Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 10, A GRÉGOIRE XI