Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 15, A URBAIN VI

Lettre n. 16, A URBAIN VI

XVI.- A URBAIN VI. - Elle l'invite a profiter des avis qu'on lui donne, et a pardonner ceux qui pourraient le blesser.

(Cette lettre a été écrite dans les premiers jours de juillet 1378.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave [207] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le vrai et légitime pasteur et chef de vos brebis, que vous devez nourrir du sang de Jésus crucifié. Ce sang, Votre Sainteté doit voir à qui et par le moyen de qui elle le donne. Oui, très saint Père, quand vous avez à mettre des pasteurs dans le jardin de la sainte Eglise, que ce soient des personnes qui cherchent Dieu, et non les honneurs; et que le chemin qu'ils prennent pour arriver, soit la vérité, et non le mensonge.

2. O très saint Père, soyez patient quand on vous dit ces choses, parce qu'elles ne sont dites que pour l'honneur de Dieu et votre salut, comme doit le faire le fils qui aime tendrement son père: il ne peut souffrir qu'on fasse une chose qui serait un tort ou une honte pour son père, et il veille toujours avec zèle, parce qu'il sait qu'un père qui gouverne une grande famille ne peut voir plus qu'un homme, et qu'alors, si ses enfants légitimes ne veillaient point à son honneur et à ses intérêts, il serait bien souvent trompé. Il en est ainsi pour vous, très saint Père: vous êtes le père et le seigneur de toute la chrétienté. Nous sommes tous sous les ailes de Votre Sainteté. Votre autorité s'étend à tout; mais votre vue est bornée comme celle de l'homme, et c'est une nécessité que vos enfants voient et fassent, dans la sincérité de leur coeur et sans aucune crainte servile, tout ce qui est utile à l'honneur de Dieu, au vôtre, et au salut des brebis qui sont sous votre houlette. Je sais que Votre Sainteté désire ardemment avoir des auxiliaires qui puissent lui servir, mais il faut pour cela les écouter avec patience [208].

3. Je sais bien que deux choses vous font de la peine et troublent votre âme, et je n'en suis pas étonnée. D'abord, lorsque vous apprenez les fautes qui se commettent, vous gémissez de voir Dieu offensé, parce que ces péchés vous déplaisent et vous blessent le coeur. On ne doit pas les supporter avec indifférence, et ne pas s'affliger des offenses faites à Dieu; non certainement: ce serait paraître complice de ceux qui les commettent. Ce qui vous fait ensuite de la peine, c'est quand un de vos enfants vient vous dire ce qu'il croit devoir offenser Dieu, et nuire aux âmes et à l'honneur de Votre Sainteté. Il pêcherait par ignorance, s'il n'avait soin de vous dire, en conscience, la pure vérité, telle qu'il la connaît, parce que rien ne doit être secret et caché pour Votre Sainteté.

4. Quand un fils ignorant vous offense en le faisant, je vous prie, saint Père, de ne pas vous troubler, et de le reprendre de sa faute. Je vous dis cela, parce que maître Giovianni m'a dit que frère Barthélemi, par erreur et par scrupule de conscience, vous avait fait de la peine et vous avait irrité. La pensée d'avoir irrité Votre Sainteté lui cause une grande douleur, ainsi qu'à moi. Je vous prie par l'amour de Jésus crucifié de punir sur moi la peine qu'il vous a causée. Je suis prête à supporter la pénitence et la punition que voudra Votre Sainteté. Je crois que ce sont mes péchés qui ont été cause de sa faute, et je dois en porter la peine. Il a un grand désir de venir vous en demander pardon, quand il plaira à Votre Sainteté de l'appeler. Supportez avec patience ses défauts et les miens; baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et fortifiez-vous dans la douce ardeur de sa charité [210]. Pardonnez à mon ignorance. Je vous demande humblement votre bénédiction. Je remercie la Bonté divine et Votre Sainteté de la grâce que vous m'avez accordée le jour de saint Jean-Baptiste (Cette grâce était probablement une indulgence plénière pour le jour de cette fête, malgré l'interdit qui pesait alors sur Florence.). Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 17, A URBAIN VI

XVII. - A URBAIN VI. - De la lumière nécessaire pour gouverner l'Eglise, et des désordres qu'il faut combattre. - Elle déplore le schisme qui commence.

(Cette lettre est écrite de Sienne, le 18 septembre 1378.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermi dans la vraie lumière, afin que l'oeil de votre intelligence étant éclairé, vous puissiez connaître et voir la vérité, et en la connaissant, vous l'aimerez, et son amour fera briller les vertus en vous.

2. Et quelle vérité connaîtrons-nous, très saint Père? Nous connaîtrons la Vérité éternelle, cette Vérité qui nous aima avant que nous fussions. Et où la connaîtrons-nous? Dans la connaissance de nous-mêmes, en voyant que Dieu nous a créés à son [210] image et ressemblance, contraint par le feu de sa charité. C'est cette Vérité qui nous a créés, pour que nous participions à lui-même et que nous jouissions de son éternel et suprême bonheur. Qui nous a découvert et manifesté cette vérité? Le sang de l'humble Agneau sans tache, dont vous êtes le Vicaire et le cellérier. Vous tenez les clefs de ce sang dans lequel nous avons été régénérés par la grâce; et toutes les fois que l'homme sort du péché mortel et reçoit ce sang dans la sainte confession, on peut dire qu'il renaît de nouveau. Ainsi, nous trouvons sans cesse la vérité manifestée dans ce sang, lorsque nous en recevons le fruit.

3. Qui connaît cette vérité? C'est l'âme qui a dissipé le nuage de l'amour-propre, et qui a la pupille de la lumière de la sainte Foi dans l'oeil de son intelligence. Avec cette lumière, elle connaît cette vérité dans la connaissance d'elle-même et de la bonté divine, et elle en goûte avec un ardent désir la douceur et la suavité. Cette douceur est si grande, qu'elle adoucit tout ce qui est amer; elle rend légers les pesants fardeaux, elle dissipe les ténèbres et les obstacles, elle revêt celui qui est nu, rassasie celui qui a faim. Elle unit et elle divise, parce qu'elle est dans l'éternelle vérité. L'âme connaît dans cette vérité que Dieu ne veut autre chose que son bien, et alors elle conclut avec raison que tout ce que Dieu donne ou permet dans cette vie, nous le tenons de son amour pour notre sanctification en lui, pour les besoins de notre salut ou pour l'accroissement de notre perfection. Dès que l'âme connaît ces choses à la lumière de la vérité, elle reçoit avec respect [211] toutes les fatigues, les calomnies, les mépris, les injures. les affronts, les injustices et toutes les pertes avec une vraie patience, cherchant seulement la gloire et l'honneur du nom de Dieu dans le salut des âmes. Elle gémit plus de l'offense de Dieu et de la perte des âmes que de ses propres injures. Elle est patiente, mais non pas indifférente, lorsqu'on attaque son Créateur. L'âme alors montre dans la patience qu'elle est dépouillée de l'amour-propre et revêtue du feu de la divine charité.

4. En revêtant cette charité de l'amour ineffable, très saint Père, l'amertume où vous vous trouvez deviendra pour vous d'une grande douceur et suavité. Le poids qui vous accable, l'amour le rendra léger, parce que vous connaîtrez que, sans souffrir beaucoup, il est impossible d'apaiser votre faim et celle des serviteurs de Dieu, cette faim de voir la sainte Eglise réformée par de bons, d'honnêtes, de saints pasteurs. En supportant sans cause les coups des méchants qui, avec le bâton de l'hérésie, veulent frapper Votre Sainteté (Les cardinaux s'étaient déjà séparés d'Urbain VI, et nommaient à Fondi l'antipape Clément VII, le 20 septembre, deux jours après la date de cette lettre.), vous recevrez la lumière; car la vérité est ce qui nous délivre; la vérité est que vous avez été choisi par le Saint-Esprit et par eux; vous êtes son Vicaire. Les ténèbres du mensonge et de l'hérésie qu'ils ont fait naître ne peuvent rien contre cette lumière, et plus ils voudront augmenter les ténèbres, plus vous recevrez une lumière parfaite.

5. Cette lumière porte avec elle le glaive de la [212] haine du vice et de l'amour de la vertu, et c'est le lien qui lie l'âme en Dieu et dans l'amour du prochain. O très saint et très doux Père, c'est ce glaive que je vous prie de prendre; voici le moment de le tirer du fourreau et de haïr le vice en vous, en vos sujets et dans les ministres de la sainte Eglise. Je dis en vous, parce que dans cette vie, personne ne peut se dire sans péché, et la charité doit d'abord commencer par soi-même. Il faut donc la mettre, par l'amour de la vertu, en nous d'abord, puis ensuite dans le prochain. Attaquez le vice; et si le coeur de la créature ne peut être changé et corrigé de ses défauts qu'autant que Dieu y agit et que l'homme s'efforce avec son aide d'en ôter le poison du vice, du moins, très saint Père, éloignez de vous ceux qui vivent d'une manière coupable et déshonnête. Qu'il plaise à Votre Sainteté de les rendre réguliers chacun à son rang, comme la Bonté divine l'exige. Ne souffrez plus les actes de la débauche, je ne dis pas les désirs, parce que vous ne pouvez commander aux volontés, mais au moins les actes, que vous pouvez empêcher. Plus de simonie, plus d'excès de plaisirs, plus de joueurs de ce Sang qui est le bien des pauvres et de la sainte Eglise. Ces joueurs font un tripot d'un lieu qui doit être le temple du Seigneur Comme clercs et comme chanoines, ils devraient être des fleurs et des miroirs de sainteté? ils sont semblables à des fripons, répandant partout l'infection de la débauche et le poison de l'exemple.

6. Hélas! hélas! hélas! mon doux Père, c'est dans la peine, la douleur, l'amertume et l'angoisse que je [213] vous écris ces choses; et si ce que je dis paraît trop fort et trop audacieux, que la douleur et l'amour m'excusent devant Dieu et Votre Sainteté. Car de quelque côté que je me tourne, je ne sais où reposer mn tête. Si je me tourne là où le Christ doit être la vie éternelle, je vois qu'auprès de vous, qui êtes le Christ sur la terre, se trouve un enfer d'iniquités tout empesté par l'amour-propre. Cet amour les pousse à s'élever contre vous, et ils ne veulent plus soutenir Votre Sainteté, qui vit au milieu de tant de misères. Mais ne vous découragez pas; faites briller sur votre poitrine la perle de la sainte justice sans aucune crainte et avec un coeur d'homme, car vous n'avez plus rien à redouter. Si Dieu est pour nous, personne ne sera contre nous. Réjouissez-vous, réjouissez-vous, car votre allégresse sera parfaite dans le ciel; réjouissez-vous dans ces fatigues, parce qu'après ces fatigues, viendront le repos et la réforme de la sainte Eglise.

7. Bien que vous soyez abandonné de ceux qui devaient être votre soutien, ne ralentissez point vos pas; mais courez, au contraire, plus vite, en vous fortifiant toujours par la lumière de la très sainte Foi, dans la connaissance de la vérité, et par les prières de l'assistance des serviteurs de Dieu. entourez-vous de ceux qui, au milieu des fatigues de cette vie, seront votre espérance et votre consolation (Urbain VI suivit ce conseil, et fit venir à Rome les hommes les plus recommandables par leurs lumières et leurs vertus.); cherchez à avoir, avec le secours de Dieu, l'aide de ses serviteurs, qui vous conseilleront avec foi et sincérité [214], sans passion et sans écouter les inspirations empoisonnées de l'amour-propre. Il me semble que ce secours vous est absolument nécessaire, et je suis persuadée que vous le rechercherez avec zèle, parce que l'oeil de votre intelligence est éclairé des lumières de la vérité. Sans cela vous ne pourriez faire fleurir la vertu dans ceux qui vous sont soumis, vous ne pourriez les ramener à leur devoir, et mettre des plantes bonnes et vertueuses dans l'Eglise.

8. Je vous ai dit que je ne sais où trouver quelque repos; et c'est la vérité, car le mal, qui est partout, se trouve principalement dans cette ville. Du temple de Dieu, qui est le lieu de la prière, ils ont fait une caverne de voleurs, avec tant de misère, qu'il est surprenant que la terre ne les engloutisse pas. Tout vient de la faute des mauvais pasteurs, qui ne corrigent le vice ni par la parole, ni par le bon exemple d'une sainte vie. O mon doux Pasteur, qui avez été donné aux chrétiens aveugles par la tendre et l'ineffable charité de Dieu, combien vous avez besoin de lumière! Avec la lumière vous connaîtrez le mal, et où il est; la vertu, et où elle se trouve; et vous pourrez discerner ce qu'il faut pour chacun. J'ai compris, dans mn faiblesse et ma misère, que sans la lumière vous ne pouviez arracher les épines et planter la vertu; aussi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans la vraie et parfaite lumière, parce que dans la lumière vous connaîtrez la vérité; la connaissant, vous l'aimerez, et l'aimant, vous en serez revêtu. Avec ce vêtement vous résisterez aux coups qui nuiront, non pas à vous, mais à ceux qui les portent. Embrassez les peines avec un grand [215] courage, en vous baignant dans le sang de Jésus Crucifié, dont vous êtes le Vicaire. Je n'en dis pas davantage; si je m'écoutais, je ne m'arrêterais pas encore. Je ne voudrais plus parler, mais me trouver sur le champ de bataille, supportant les peines et combattant avec vous, jusqu'à la mort, pour la vérité, pour la gloire, l'honneur de Dieu et la réforme de la sainte Eglise. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez, très saint Père, à mon ignorance, si j'ose si mal vous parler. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 18, A URBAIN VI

XVIII. - A URBAIN VI. - Elle exhorte le Souverain Pontife à puiser dans les ardeurs de la charité des forces pour supporter la tribulation, et pour résister avec courage aux rebelles. - Elle lui conseille de faire garder sa personne contre les embûches de ses ennemis.

(Cette lettre est du 5 octobre 1378, au moment où sainte Catherine se disposait à partir pour Rome.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtu du vêtement puissant d'une ardente charité, afin que les traits que vous lancent les hommes pervers du monde, qui s'aiment eux-mêmes, ne puissent vous [216] nuire. Aucun trait, quelque terrible qu'il soit, ne peut blesser l'âme ainsi revêtue, parce que Dieu est la force éternelle et suprême. Il ne peut être blessé par nos iniquités, qui ne peuvent l'atteindre. Le mal que nous faisons ne lui nuit pas, et notre bien ne lui est pas utile. Le mal ne nuit qu'à nous, et le bien profite à ceux qui le font avec le secours de la grâce divine.

2. Dieu est la force suprême et éternelle; celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu est en lui, parce que Dieu est charité. Aussi, l'âme qui en est revêtue, parce qu'elle est en Dieu, ne peut être vaincue par aucune peine, aucune tribulation. Les peines, au contraire, la fortifient intérieurement, parce qu'elles éprouvent la vertu de la patience. Les coups des méchants qui s'aiment eux-mêmes, ne vous nuiront pas; ils ne renverseront ni la charité de votre âme, ni votre Epouse la sainte Eglise qui ne peut périr, parce qu'elle est fondée sur la pierre vive, le Christ, le doux Jésus. A qui nuiront ces coups? A ceux-là même qui les frappent, très saint et très doux Père; ces traits et ces flèches empoisonnées retourneront contre eux. Ils n'attaquent en vous que l'apparence, et ils ne vous causent d'autre perte et d'autre douleur que le scandale et l'hérésie qu'ils ont semés dans le corps mystique de la sainte Église. Livrez-vous à la douce ardeur de la charité sans aucune hésitation; fortifiez-vous et devenez semblable à votre chef le doux Jésus, qui, toujours, depuis le commencement du monde jusqu'à la fin, a voulu et voudra que rien de grand ne se fasse sans beaucoup souffrir [217].

3. Jetez-vous donc sans crainte à travers les épines avec le vêtement puissant de la charité. Hélas! hélas ne vous laissez pas arrêter par la peine; ne vous inquiétez pas de la vie du corps, ne craignez pas de la perdre, car Dieu est peur vous; et, s'il est utile de donner sa vie, il faut la donner avec joie. Oh que malheureuse est mon âme, cause de tant de maux J'ai appris que ces démons incarnés n'avaient pas nommé un Christ sur la terre, mais qu'ils avaient fait naître un antéchrist opposé à vous, le Christ de la terre; car je confesse et je ne nie pas que vous êtes le Vicaire du Christ, que vous tenez les clefs du cellier de la sainte Eglise, où se trouve le sang de l'Agneau sans tache, et que vous en êtes le ministre, malgré ceux qui voudront dire le contraire, et à la honte des menteurs que Dieu confondra par la douce vérité qui est pour vous et votre douce Epouse. Ainsi donc, très saint Père, commencez sans crainte le combat; dans ce combat, il faut être cuirassé de ce vêtement qui est l'arme de la divine charité. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir revêtu de ce doux et royal vêtement, afin que vous soyez plus ferme et plus courageux à combattre pour la gloire et l'honneur de Dieu et pour le salut des âmes. Cachez-vous dans le côté de Jésus crucifié; que ce soit votre asile, et baignez-vous dans son très-doux sang.

4. Moi, l'esclave rachetée par le sang du Christ, moi et tous ceux que Dieu m'a donnés à aimer particulièrement et m'a confiés, nous sommes tous prêts à donner notre vie pour la vérité; nous sommes tous prêts à obéir à Votre Sainteté et à souffrir pour elle jusqu'à la mort, en vous aidant avec l'arme [218] sainte de la prière, en semant et annonçant la vérité partout où le voudra la douce volonté de Dieu et de Votre Sainteté. Je ne vous en dis pas davantage à ce sujet.

5. Procurez-vous de bons et vertueux pasteurs, et entourez-vous de vrais serviteurs de Dieu. Que votre espérance et votre foi ne s'appuient pas sur le secours des hommes, qui ne sont rien, mais seulement sur le secours de Dieu, qui ne nous sera jamais enlevé, dés que nous espérons en lui; et plus nous espérerons en Dieu, plus il nous assistera. Espérons donc en lui de tout notre coeur, de toute notre âme, de toutes nos forces. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

6. Très saint Père, outre cette espérance que vous avez mise et que vous mettrez en votre Créateur, je vous demande, autant que je le sais et que je le puis, de bien faire garder votre personne, parce que nous devons faire en sorte de ne pas tenter Dieu, tout en ne négligeant rien de ce que nous avons à faire. Je veux que vous preniez toutes les sûretés possibles pour votre conservation, parce que je sais que des méchants qui aiment le monde et s'aiment eux-mêmes ne dorment pas, et qu'ils cherchent à vous tendre des pièges pour vous ôter la vie. Mais la douce et l'ineffable bonté de Dieu a prévenu et préviendra leur malice elle veillera sur les besoins de son Epouse. De votre côté, cependant, faites tout ce que vous pourrez faire. Pardonnez, pardonnez, mon Père, à ma présomption, mais la douleur et l'amour m'excusent et ma conscience me reprendrait si je ne vous parlais point ainsi. Je ne serai pas tranquille tant que [219] je ne vous parlerai pas moi-même, tant que je ne serai pas en présence de Votre Sainteté; je veux donner mon sang, ma vie, je veux faire couler la moelle de mes os pour la sainte Eglise, quoique j'en sois, je le reconnais, bien indigne. Je prie l'infinie bonté de Dieu, de m'en rendre digne, avec tous ceux qui ont le même désir. Voici le moment où les fleurs des saints désirs doivent s'ouvrir, et montrer ce qu'on aime, de soi ou de la vérité. Je finis, parce que si je m'écoutais, je ne m'arrêterais pas. Je vous demande humblement votre douce bénédiction. Je vous demande aussi de me faire connaître parfaitement votre volonté, afin que j'accomplisse fidèlement ce que voudra l'honneur de Dieu et ce que vous ordonnerez, vous, le Vicaire de Jésus crucifié, auquel j'obéirai en tout jusqu'à la mort, autant que Dieu m'en fera la grâce. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 19, A URBAIN VI

XIX. - A URBAIN VI. - De la douleur de l'âme qui voit offenser Dieu, et comment sa peine peut se changer en douceur.

( Le texte manuscrit de cette lettre porte en note, qu'elle était accompagnée de cinq oranges confites et dorées que sainte Catherine envoyait au Saint-Père pour adoucir son esprit; de là vient la comparaison qu'elle développe dans sa lettre. Cette circonstance doit faire croire que notre Sainte était à Rome, où elle arriva le 28 novembre 1378.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des [220] serviteurs de Jésus crucifié, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir délivré des peines amères qui affligent votre âme. Que la cause de cette peine disparaisse, et qu'il ne reste en vous que cette douce peine qui engraisse et fortifie l'âme, parce qu'elle vient du feu de la divine charité, c'est-à-dire de la douleur et du regret amer de nos fautes, des outrages contre Dieu qui se font dans le corps universel de l'Eglise et dans son corps mystique, et de la perte des âmes des infidèles, qui sont rachetées comme nous par le Sang du Christ. Vous avez les clefs de ce sang, très saint Père, et vous voyez les âmes dans les mains du démon. C'est cette peine qui nourrit l'âme de l'honneur de Dieu, lui donne sur la table de la très Sainte Croix le pain des âmes, et la fortifie en la délivrant de cette faiblesse de l'amour-propre qui afflige et dessèche l'âme, parce qu'elle la prive de la charité, et la rend insupportable à elle-même.

2. Mais ceux qui ressentent cette douce amertume chassent ce qui est amer, parce qu'ils ne se recherchent pas pour eux, mais pour Dieu, et non pas pour leur intérêt et leur plaisir. Ils cherchent Dieu parce qu'il est infiniment bon, parce qu'il est digne d'être aimé, et que nous devons l'aimer par reconnaissance. Et comment l'âme arrive-t-elle à cette douce perfection? Par la lumière; car la vérité de Jésus crucifié se présente au regard de l'intelligence, qui goûte Sa doctrine par un mouvement d'amour. L'âme s'en [221] revêt et la suit en cherchant uniquement l'honneur de Dieu et le salut des âmes, comme fit elle-même la Vérité, qui, pour l'honneur de son Père et pour notre salut, courut à la mort ignominieuse de la très sainte Croix, avec une humilité parfaite et une patience si grande, que le Sauveur ne fit jamais entendre la moindre plainte; et c'est en souffrant beaucoup qu'il rendit la vie à l'enfant mort du genre humain.

3. Il semble, très saint Père, que Jésus, l'éternelle Vérité, veut faire de vous un autre lui-même. Vous êtes son Vicaire, le Christ sur terre, et il veut que dans l'amertume et la souffrance vous réformiez sa douce Epouse et la vôtre, qui est depuis si longtemps pâle et défigurée. Elle ne peut être blessée et privée du feu de la charité divine, mais ceux qui se nourrissent sur son sein la font paraître par leurs fautes faible et malade, en épuisant son sang par l'amour d'eux-mêmes. Maintenant Dieu veut que vous soyez son instrument, et qu'en supportant des peines et des persécutions nombreuses, l'Eglise soit entièrement renouvelée par la tribulation: elle en sortira pure comme un enfant. Tout ce qui est vieux sera retranché et renouvelé dans l'homme nouveau. Livrez-vous donc à cette douce amertume, qui sera suivie d'une consolation pleine de douceur. Soyez un arbre d'amour enté sur l'arbre de vie, le Christ, le doux Jésus. De cet arbre naîtra la pensée des vertus comme une fleur dans votre volonté, et son fruit mûrira dans la faim de l'honneur de Dieu et du salut de vos brebis.

4. Ce fruit d'abord semble amer lorsqu'on le prend [222] avec la bouche du saint désir; mais comme l'âme est décidée à souffrir jusqu'à la mort pour Jésus crucifié et pour l'amour de la vertu, il devient vraiment doux. J'ai remarqué souvent cela pour l'orange, qui paraît amère et forte; lorsqu'on retire ce qui est dedans et qu'on la met à confire afin que l'eau en ôte l'amertume, elle se remplit de choses fortifiantes, et elle se couvre d'or à l'extérieur. Où est allée l'amertume, qui était dans le principe désagréable à la bouche de l'homme? Dans l'eau et dans le feu. Il en est de même, très saint Père, pour l'âme qui conçoit l'amour de la vertu. Les commencements lui paraissent amers, parce qu'elle est encore imparfaite; mais si elle veut s'appliquer le remède du sang de Jésus crucifié, l'eau de la grâce qui s'y trouve attirera l'amertume de la sensualité, cette amertume qui la fait souffrir. Et comme le sang n'est jamais sans le feu, puisqu'il a été répandu avec le feu de l'amour, on peut dire en vérité que le feu et l'eau en retirent l'amer et lui ôtent ce qu'elle avait d'abord, c'est-à-dire l'amour-propre; ils la remplissent de force par la persévérance, la patience mêlée au miel d'une humilité profonde, que conserve la connaissance de soi-même. Car, dans le temps de l'amertume, l'âme se connaît mieux, elle connaît mieux aussi la bonté de son Créateur. Lorsque ce fruit est plein et préparé, il se couvre à l'extérieur d'un or qui représente son intérieur. C'est l'or de la pureté avec l'éclat d'une ardente charité, qui paraît au dehors en se manifestant au service du prochain par une vraie patience, le supportant toujours avec une grande tendresse de coeur, et s'abreuvant de cette douce [223] amertume que nous devons ressentir de l'offense de Dieu et de la perte des âmes.

5. C'est ainsi, très saint Père, que nous produirons des fruits sans mauvaise amertume, et que nous pourrons détruire celle que causent maintenant à nos coeurs et à nos esprits les hommes coupables et méchants qui s'aiment eux-mêmes et qui affligent Votre Sainteté et vos enfants par les offenses qu'ils commettent contre Dieu. J'espère de la bonté de notre doux Créateur qu'il nous délivrera de cette peine, en répandant la lumière et en confondant ceux qui en sont cause. Puissions-nous porter avec Votre Sainteté des fruits de vertu, en mémoire du Sang de Jésus crucifié, avec une humilité sincère, reconnaissant que nous ne sommes pas, mais que l'être et toute grâce ajoutée à l'être, viennent de lui. Vous accomplirez ainsi en vous la volonté de Dieu et le désir de mon âme. Fortifiez-vous, très doux Père, dans une humilité sincère; n'ayez aucune crainte, car vous pourrez tout par Jésus crucifié, en qui est placée et s'affermît sans cesse notre espérance. Je m'arrête. Pardonnez à ma présomption. Je vous demande humblement votre bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [224].








Lettre n. 20, A URBAIN VI

XX. - A URBAIN VI. - Elle prie Dieu de répandre le feu de la charité sur lui comme sur les apôtres au jour de la Pentecôte, et elle loue le Pape de l'humilité qu'il a montrée dans une procession.

(Cette lettre fut écrite le 30 mai 1379, vendredi de la Pentecôte.)




AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint Père, que l'Esprit-Saint remplisse votre âme, votre coeur et votre volonté du feu de la charité divine, et qu'il répande une lumière surnaturelle dans votre intelligence, afin qu'à votre lumière, nous qui sommes vos brebis, nous voyions la lumière, et qu'aucun piège que le démon veut vous tendre dans sa malice ne soit caché à Votre Sainteté. Je désire, très saint Père, voir accomplir en vous toutes les autres choses que la douce volonté de Dieu vous demande, et que vous désirez, je le sais, avec une grande ardeur.

2. J'espère que le doux feu de l'Esprit-Saint agira dans votre coeur et dans votre âme, comme il l'a fait dans les saints disciples qui reçurent, par sa vertu, la force et la puissance contre les démons visibles et invisibles. Ils triomphaient des tyrans du monde, et répandaient la foi avec une infatigable patience. Il leur donna la lumière et la sagesse pour connaître la doctrine et la vérité qu'il avait laissées; et comme l'amour suit l'intelligence, il les revêtit du feu de sa charité; ils perdirent toute crainte servile et toute [225] complaisance humaine, pour s'appliquer uniquement à honorer Dieu et à sauver les âmes des mains du démon. Cette vérité, dont ils étaient éclairés, ils voulaient la communiquer à toutes les créatures. Mais ce fut après de longues veilles, d'humbles et continuelles prières et de nombreuses fatigues d'esprit, après dix jours de peines et de saints exercices, qu'ils furent remplis de la force de l'Esprit-Saint. O très saint Père, il semble qu'ils enseignent et encouragent aujourd'hui Votre Sainteté; il semble qu'ils nous apprennent le moyen de recevoir le Saint-Esprit.

3. Quel est ce moyen? C'est de rester dans la connaissance de soi-même. Par cette connaissance, l'âme reste toujours humble; elle ne s'égare pas dans la joie et ne s'impatiente pas dans la tristesse; car tout est mûr et patient dans cette connaissance, qui enfante la haine de la sensualité. Elle reste, dans cette cellule, à veiller et à prier, parce que notre intelligence doit veiller pour connaître la douce volonté de Dieu et ne pas dormir dans le sommeil de l'amour-propre. Elle reçoit alors la grâce de la prière continuelle, c'est-à-dire un saint et vrai désir, et ce désir fait pratiquer la vertu, qui est une prière continuelle. Car on ne cesse pas de prier en ne cessant pas de bien faire ( ). C'est ainsi que nous recevons cette force pleine de douceur. Suivons donc cette voie avec une véritable et sainte sollicitude, autant que nous le pourrons.

4. Je dis que l'exemple des apôtres doit vous fortifier [226], vous, le vrai Souverain Pontife, en vous montrant la vérité divine et la puissance de son secours. Car ce n'est pas avec le bras des hommes qu'ils ont conquis le monde entier et dissipé les ténèbres de l'infidélité, mais c'est avec la force, la sagesse et la charité de Dieu, dont le pouvoir n'est point affaibli pour vous et pour toute créature qui espère en lui, Il est bien vrai que vous recevrez cette force pour les besoins présents de votre Epouse, et que vous serez fortifié non seulement par la foi, mais par les oeuvres. Nous avons bien vu, depuis quatre semaines, que la vertu de Dieu a fait des choses admirables par le moyen d'une vile créature, et nous voyons clairement que c'est lui qui agit, et non pas la puissance de l'homme (Ce passage fait allusion à la remise du château Saint-Ange, qu'avait gardé jusqu'alors un Français. Pierre Rostaing. On voit que sainte Catherine eut grande part à cet événement.). Rendons-lui donc gloire, et témoignons-lui notre gratitude et notre reconnaissance.

5. Je me réjouis du fond de mon coeur, très saint Père, d'avoir vu moi-même la volonté de Dieu s'accomplir en vous par cet acte d'humilité de la procession sainte qui ne se faisait plus depuis très longtemps. Oh! qu'elle a été agréable à Dieu et pénible aux démons, qui firent tous leurs efforts pour causer quelque scandale à l'intérieur et à l'extérieur! Mais les anges enchaînaient leurs fureurs (Urbain VI se rendit processionnellement et nu-pieds de Sainte-Marie in Transtevere à la basilique de Saint-Pierre. Peu de temps après éclata une émeute populaire que le Pape apaisa par sa fermeté. (Vie de sainte Catherine, p III, ch. II. - Gigli, t, I, p. 148.) [227].

6. Je vous ai dit que je désirais vous voir accomplir la douce volonté de Dieu en d'autres choses, et je vous rappelle que la Vérité veut que vous vous appliquiez avec zèle à diriger et à régler l'Église de Dieu de jour en jour, autant que vous le pourrez. C'est Dieu qui agira par vous; il vous donnera la force pour faire, et la lumière pour connaître ce qui est nécessaire afin de diriger sa barque avec sagesse et prudence. Il vous donnera la volonté de le faire; il vous l'a déjà donnée, mais il l'augmentera par son infinie miséricorde. Avec ce secours, vous confondrez les tyrans, vous dissiperez les ténèbres de l'hérésie; car lui-même a manifesté et manifestera la vérité. Je me réjouis, parce que la très douce Mère Marie et le doux Pierre, prince des apôtres, vous ont remis en votre place (Le Pape peut revenir habiter le Vatican après la reddition du château Saint-Ange.).

7. Maintenant, l'éternelle Vérité veut que, dans votre jardin, vous fassiez un jardin de serviteurs de Dieu, et que vous les nourrissiez des choses temporelles, afin qu'ils vous nourrissent de choses spirituelles, et qu'ils n'aient d'autres occupations que de prier en la présence de Dieu pour le bon état de la sainte Église et pour Votre Sainteté. Ce seront ces soldats qui vous donneront une complète victoire, non seulement sur les chrétiens coupables, qui sont les membres retranchés de la sainte obéissance, mais sur les infidèles, contre lesquels je désire ardemment vous voir lever l'étendard sacré de la Croix. Il semble qu'ils viennent vous y inviter eux-mêmes. Ce [228] sera alors un double triomphe. Grandissons donc, et nourrissons-nous dans les véritables et royales vertus. Entrons dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, parce que nous recevrons ainsi la plénitude de l'Esprit-Saint.

8. Prenez courage, mon très saint et très doux Père, Dieu vous donnera du repos; après les grandes peines viendront les grandes consolations, car il écoute favorablement les bons et saints désirs. Il faut commencer par l'amour et les actes d'humilité, en imitant humble Agneau dont vous êtes le Vicaire, persévérant jusqu'à la mort dans la ferme espérance en sa providence, et vous réjouissant toujours en notre Créateur et en ses humbles serviteurs, comme Votre Sainteté se plaît à le faire. Mais je vous le rappelle, parce que la langue ne peut s'empêcher de parler de l'abondance du coeur, surtout quand je me sens excitée par la vue de la douce bonté de Dieu. Soyez patient avec moi, qui vous pèse tant, d'une manière ou d'une autre, et pardonnez à ma présomption. Je suis persuadée que Dieu vous fait plus regarder à l'affection qu'aux paroles. Je vous demande humblement votre bénédiction. Que la douce et éternelle bonté de Dieu, que l'éternelle Trinité vous donne sa grâce avec la plénitude du feu de Sa charité, afin que par vos mains se réforme la sainte Église, et que vous fassiez le sacrifice de vous-même à Dieu. Je m'arrête. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Réjouissez-vous et tressaillez d'allégresse dans les doux mystères de Dieu, et si j'ai en quelque chose offensé Dieu ou Votre Sainteté, je me reconnais coupable, et je vous prie [229]de me pardonner, acceptant d'avance toute sorte de pénitence. Doux Jésus, Jésus amour.









Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 15, A URBAIN VI