Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 42, AU ROI LOUIS DE HONGRIE

Lettre n. 43, A LA REINE DE HONGRIE

XLIII (311). - A LA REINE DE HONGRIE, mère du roi. - De l'amour divin; il s'accroît par la connaissance de nous-même, et doit s'étendre à l'amour du prochain. - Nous devons aimer particulièrement la sainte Eglise.

(Elisabeth, fille de Ladislas, roi de Pologne, veuve de Charles-Robert, roi de Hongrie, et mère de Louis à qui est adressée la lettre précédente. Elle mourut en 1380. Elle fut très attachée à Urbain VI, et lui envoya une tiare magnifique enrichie de pierreries en remplacement de celle qu'avait emportée l'archevêque d'Arles, en quittant Rome avec les cardinaux français.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très chère et révérende Mère dans le Christ Jésus, votre indigne Catherine, la servante et l'esclave des [364] serviteurs de Jésus-Christ, vous écrit avec le désir de vous voir embrasée et enflammée du doux et tendre feu de l'Esprit-Saint; car c'est l'amour qui dissipe les ténèbres et donne la parfaite lumière, qui détruit l'ignorance et donne la parfaite connaissance. Oui, l'âme qui est remplie de l'Esprit-Saint, c'est-à-dire du feu de la divine charité, reconnaît toujours son néant, et ne s'attribue que le péché: tout son être, toutes les grâces, tous les dons spirituels et temporels, elle reconnaît les devoir à son Créateur; et tout ce qu'elle a reçu, tout ce quelle reçoit, elle sait que c'est gratuitement, et non par obligation pour des services qu'elle a rendus. Cette conviction, vénérable Mère, enrichit l'âme et lui donne le plus riche trésor qu'elle puisse posséder; car en connaissant son néant, elle est conduite peu à peu à connaître la hanté de Dieu à son égard, et de cette connaissance découle une humilité profonde qui, comme une eau bienfaisante, éteint le feu de l'orgueil et allume le feu d'une ardente charité: il naît de la connaissance de la bonté de Dieu à son égard, parce que l'âme, en voyant l'amour infini de Dieu pour elle, ne peut s'empêcher de l'aimer.

2. Une condition de l'amour est d'aimer ce qu'aime celui qu'on aime, et de haïr ce qu'il hait: aussitôt que nous nous sommes vus et que nous avons vu la Bonté divine, nous aimons et nous haïssons; et il est impossible que, sans cette connaissance, nous puissions participer à la grâce divine, car celui qui ne se connaît pas tombe dans l'orgueil et dans tous les vices; et parce que l'orgueil aveugle l'âme, l'appauvrit, la dessèche en lui ôtant la nourriture de [365] la grâce, celui-là n'est plus capable de se gouverner et de gouverner les autres. C'est pourquoi j'ai dit que je désirais vous voir remplie du feu de l'Esprit-Saint; car je sens que si vous voulez vous conduire et conduire vos sujets, vous avez besoin d'une grande lumière, d'un grand et ardent amour pour l'honneur de Dieu et le salut des créatures, afin de n'être pas égarée par l'amour-propre et la crainte servile. Mais je veux vous voir dépouillés de vous-mêmes, vous et votre fils, et tout embrasés de ce feu d'amour. C'est lorsque nous haïrons notre sensualité, qui veut toujours se révolter contre le Créateur, que nous aimerons vraiment les vertus du doux et bon Jésus.

3. Mais vous savez que nous ne pouvons montrer cet amour sans le moyen de notre prochain, car c'est sur cet amour que reposent les commandements de la loi, aimer Dieu par-dessus toutes choses et le prochain comme nous-mêmes, d'un amour pur, et non pas mercenaire, c'est-à-dire, nous aimer, aimer le prochain pour Dieu, et Dieu pour Dieu, comme étant la Bonté suprême, qui mérite tout notre amour. Et vraiment, très chère Mère, quand l'âme regarde l'Agneau immolé sur le bois de la très sainte Croix, à cause de l'amour ineffable qu'il a pour sa créature, elle conçoit un si grand amour pour le salut des âmes, qu'elle se livrerait cent mille fois à la mort pour sauver une âme de la mort éternelle. Personne ne peut faire un sacrifice qui soit plus agréable à Dieu que celui-là. Vous savez qu'il a tant aimé cette nourriture, qu'il n'a pas craint, pour la prendre, les amertumes, les souffrances, la mort, les outrages notre ingratitude même ne l'a pas empêché [367] de courir, comme enivré et passionné pour notre salut, jusqu'à l'opprobre de la très sainte Croix. Je vous invite donc, vous et votre fils, à cette douce nourriture. Nous avons trouvé le lieu où il faut la prendre, et voici le moment, car le fruit est mûr. Ce lieu est le jardin de la très sainte Eglise dans ce jardin se nourrissent tous les fidèles chrétiens; c'est là qu'est planté l'arbre de la Croix, où est attaché le Fruit divin, l'Agneau immolé pour nous avec amour si ardent, qu'il désirait enflammer tous les coeurs. O Fruit très doux, si plein de joie, d'allégresse, de consolation, quel coeur pourrait ne pas se briser d'amour en regardant ce Fruit savoureux, le doux et bon Jésus, que Dieu le Père a donné pour Epoux à la sainte Eglise I

4. Oui, nous devons nous passionner pour la sainte Eglise par amour pour Jésus crucifié. Hâtez-vous de secourir cette Epouse baignée dans le sang de l'Agneau, et voyez que tout le monde lui nuit, les chrétiens comme les infidèles. Vous savez que c'est dans le moment du besoin que se montre l'amour: l'Eglise a besoin de vous, et vous avez besoin d'elle; elle a besoin de votre secours humain, et vous de son secours divin; et vous savez que plus vous lui donnerez votre secours, plus vous participerez à la grâce divine, au feu de l'Esprit-Saint qui est en elle. O douce Epouse! rachetée par le sang du Christ, vous êtes si parfaite, qu'un membre séparé de vous ne peut recevoir et goûter le fruit divin Très chère et vénérable Mère, nous devons donc, vous, moi, toutes les créatures, l'aimer, la servir toujours, mais surtout dans les moments difficiles. Pauvre misérable que je suis, je n'ai rien pour la servir, et si mon [367] sang pouvait lui être utile, je le répandrais bien volontiers de toutes les parties de mon corps. Je lui donnerai le peu que Dieu me donnera pour elle je n'ai à lui offrir que des larmes, des soupirs, des prières continuelles; mais vous, ma Mère, et le seigneur maître, le Roi votre fils, vous pouvez l'aider non seulement par vos prières et vos saints désirs, mais encore vous pouvez, par amour, l'assister temporellement.

5. Ne méprisez pas cette occasion, par l'amour de Dieu; profitez-en, pour Jésus crucifié, pour votre bien et l'avancement de votre salut; priez et conjurez votre cher fils d'assister et de servir la sainte Eglise; et si notre Christ de la terre le demande et veut le charger de cette entreprise, pressez-le d'écouter favorablement sa demande, de s'offrir lui-même et d'encourager le Saint-Père dans son projet de faire une croisade contre ces méchants infidèles, qui possèdent ce qui nous appartient, et plus encore (Les Turcs avaient fait de grands ravages en Valachie, en Macédoine et en Achaïe. Ils menaçaient d'envahir toute l'Europe. Grégoire XI voulait organiser une croisade contre eux, mais il était empêché par les guerres continuelles que lui faisaient les princes chrétiens.): on me dit qu'ils veulent entreprendre davantage. N'est-ce pas une honte pour les chrétiens de leur laisser posséder ce saint et vénérable lieu qui nous appartient à tant de titres? Il ne faut plus le souffrir, mais, comme des fils affamés de l'honneur de leur père, vous devez vous lever et reprendre notre bien pour le salut de leurs âmes et l'exaltation de la sainte Eglise. Songez que si on vous avait pris une de vos villes, vous voudriez la reprendre, vous combattriez jusqu'à la mort. Je vous conjure de faire de même et [368] davantage pour ce qui nous a été pris; vous devez y apporter plus de zèle, car il s'agit des âmes et du saint lieu, tandis que votre ville ne regarderait que la terre.

6. Vous avez appris sans doute comment les Turcs persécutent de plus en plus les chrétiens, et s'emparent des possessions de la sainte Eglise. C'est pour cela que le Saint-Père veut organiser une croisade contre eux. J'espère de la bonté de Dieu que vous et les autres vous êtes disposés à l'aider et à l'encourager dans cette entreprise autant que vous le pourrez. Je vous en prie, je vous en conjure de la part de Jésus crucifié, soyez pleine de zèle et d'ardeur: ce sera le moyen de recevoir et de conserver dans sa plénitude la grâce divine, le feu de l'Esprit-Saint dont mon âme désire vous voir tout embrasée. Très chère Mère, j'ai écrit sur le même sujet qu'à vous à la reine de Naples et à plusieurs autres princes (A la reine de Naples, XXXIV, XXXV; au roi de France, XXXII; au seigneur de Milan, LXXIII; à Jean Hawkwood, LV.). Tous m'ont répondu favorablement, et ont promis le secours de leurs biens et de leur personne; ils sont tous remplis d'un grand désir de donner leur vie pour le Christ, et il leur tarde bien de voir le Saint-Père élever l'étendard de la sainte Croix. J'espère de l'ineffable charité de Dieu qu'il l'élèvera bientôt, et je vous prie de suivre leur exemple. Louange à Jésus crucifié! et qu'il vous remplisse de sa très sainte grâce. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [369].








Lettre n. 44, A MESSIRE CHARLES DE LA PAIX

XLIV (189)- A MESSIRE CHARLES DE LA PAIX, qui fut depuis roi de la Pouille ou de Naples.- Elle l'exhorte à venir aux secours de la sainte Eglise et du Pape Urbain VI, et à combattre d'abord ses passions, à l'exemple des saints.

(Cette lettre est de 1380, et par conséquent une des derniéres écrites par sainte Catherine. Charles Durazzo était arrière-petit-fils de Charles Il, roi de Naples, et cousin de Louis le Grand, roi de Hongrie. Il avait été adopté d'abord par la reine Jeanne, qui lui préféra ensuite Louis d'Anjou; mais le Pape Urbain VI l'investit du royaume de Naples, dont il prit possession sans coup férir, et il fit étouffer la reine Jeanne en 1381, sous prétexte de la punir de l'assassinat de son premier mari. Il devint ensuite l'ennemi d'Urbain VI, hérita en 1385 du royaume de Hongrie, et mourut l'année suivante, assassiné par l'ordre de la reine douairière.)



AU NOM DE JESUS CRUCITIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un chevalier courageux qui combatte généreusement pour la gloire et l'honneur du nom de Dieu, pour l'exaltation et la réforme de la sainte Eglise. Mais remarquez, très cher Frère, que vous ne pourrez faire ce bien, être courageux et secourir la sainte Eglise, si vous ne combattez d'abord et si vous ne faites la guerre contre nos trois grands ennemis, le monde, le démon et notre chair fragile. Ce sont les trois principaux tyrans qui font mourir l'âme à la grâce dans quelque état que [370] ce soit, si elle les laisse entrer en ouvrant avec la main du libre arbitre la porte de la volonté. Le monde nous attaque par ses joies vaines et déréglées il étale aux regards de notre intelligence les emplois, les richesses, les honneurs, les grandeurs avec tous leurs coupables plaisirs. Toutes ces choses sont vaines et corruptibles; elles passent comme les vents, elles n'ont aucune force, aucune durée. Ne le voyons-nous pas clairement? l'homme vit aujourd'hui, et demain il est mort il passe de la santé à la maladie. de la richesse à la pauvreté: il est élevé en dignité, et tombe bientôt dans la honte et l'avilissement.

2. L'homme sage et prudent connaît le monde et lui fait la guerre; il ne lui livre pas son coeur par un amour déréglé; il lui ferme la porte de sa volonté; il use de ses biens comme de choses prêtées, et il les estime pour ce qu'elles valent, et pas davantage. Il conçoit de la haine contre les sens, lorsqu'ils veulent posséder ou désirer ce qui est en dehors de la volonté de Dieu; il combat l'ennemi avec le glaive de la haine du vice et de l'amour de la vertu, et avec le bouclier de la très sainte Foi; il résiste aux mouvements des passions qui peuvent l'attaquer, et il ne s'abandonne pas à l'injustice pour gagner et pour acquérir les honneurs, les richesses et les plaisirs du monde au détriment du prochain, parce qu'il les a méprisés. Il ne lève pas la tête avec orgueil en se croyant plus grand que les autres et en voulant les dominer injustement, mais il s'humilie, parce qu'il se méprise lui-même avec le monde; il voudrait se faire le plus petit de tous, et en se faisant petit, il devient grand. Dans quelque position que l'on soit, ou serviteur ou maître, on est obligé de combattre cette tyrannie. Je [371] ne dis pas que, si on veut conserver son rang dans le monde, on ne puisse vivre en état de grâce; on le peut, comme nous le prouvent David, qui fut roi, saint Louis (Le roi saint Louis était son parent par Charles d'Anjou, son bisaïeul), et tant de saints personnages. Ils ont possédé la puissance, mais sans désir et sans amour déréglés; on voyait briller en eux la perle précieuse de la justice avec une humilité sincère et une ardente charité; ils rendaient à chacun ce qui lui était dû, au petit comme au grand, au pauvre comme au riche.

3. Ils ne faisaient pas comme ceux qui règnent maintenant, et qui sont si remplis de l'amour d'eux-mêmes, qu'ils voudraient se faire les dieux de ce monde tyrannique. De là naissent les injustices, les meurtres, les traitements barbares et tous les autres vices. Ils laissent ainsi entrer dans la cité de l'âme leur second et troisième ennemi, le démon et la fragilité de la chair; ils s'en font les serviteurs en suivant volontairement les malices, les erreurs et les différentes tentations du démon, en écoutant les désirs de la chair et en plongeant leur âme et leur corps dans la fange de l'impureté. Si c'est un homme marié, il souille l'état du mariage par de nombreux désordres; il n'a pas pour ce sacrement le respect qui lui est dû, et il ne remplit pas le but pour lequel Dieu l'a fait; mais dans son aveuglement il souille son âme et son corps du péché maudit que Dieu déteste et qui répugne au démon même (). Que l'infinie charité et la miséricorde divine ne s'éloignent pas de ces coupables et des autres. Les malheureux ne pensent pas que [372] la hache est déjà à la racine de l'arbre, et qu'il ne reste plus qu'à frapper quand le Juge suprême voudra: car nous devons mourir, et nous ne savons pas quand.

4. Celui qui craint Dieu n'agit pas ainsi; il a vu à la lumière de la très sainte Foi combien il est dangereux d'écouter ses ennemis, il a vu à la même lumière que tout bien est récompensé, et toute faute punie; il voit qu'en suivant ses ennemis, il offense Dieu, et que l'offense est suivie du châtiment; et alors il prend le glaive de la haine et du mépris, et il retranche toute volonté déréglée en faisant le contraire de ce que veulent ses ennemis. Le monde voudrait être aimé, et il le méprise; le démon voudrait soumettre sa volonté, lui inspirer la haine et le dégoût du prochain, et remplir son coeur de sales pensées: et lui veut suivre la volonté de Dieu, rester dans l'amour du prochain, lui pardonner l'injure qu'il en reçoit, et occuper sans cesse son esprit et sa mémoire des bienfaits qu'il a reçus de la Bonté divine. La chair fragile veut jouir et satisfaire ses appétits, cette loi perverse qui enchaîne nos membres et combat toujours contre l'esprit: et lui fuit tout le contraire, il la soumet au joug de la raison en affligeant et en macérant son corps; il siège sur le tribunal de la conscience, et rend justice. S'il est vierge, il déclare qu'il veut conserver jusqu'à la mort la virginité qu'il a choisie. Le continent conserve la continence, et celui qui est dans l'état du mariage se préserve de tout péché mortel, et ne veut souiller d'aucune manière ce sacrement. Il lavera avec cette douce odeur de la pureté toutes les taches [373] de son esprit et de son corps, et avec l'eau de la grâce, avec une vie bonne et régulière, Il éteindra l'incendie des passions déréglées. Il fera une guerre acharnée à ses ennemis, et il défendra victorieusement la cité de son âme, en fermant la porte de sa volonté pour n'être pas assailli par l'ennemi; et ainsi en sûreté avec le trésor des vertus, il entrera par la porte de la douce volonté de Dieu en suivant la doctrine de Jésus crucifié, qui a donné sa vie pour notre salut avec tant d'amour. Il dispose ainsi sa mémoire à retenir le bienfait du sang de l'humble Agneau, son intelligence à connaître et à comprendre sa volonté, qui ne veut autre chose que sa sanctification et qui ne donne et ne permet rien que dans ce but, et sa volonté à l'aimer de tout son coeur et de toutes ses forces.

5. Celui qui agit de la sorte peut être appelé un vaillant chevalier, qui conserve et garde généreusement la cité de son âme contre les ennemis et les odieux tyrans qui voudraient l'opprimer. Il est prêt à tout faire pour Dieu, pour sa gloire et l'honneur de son nom; il peut combattre ainsi sûrement à l'extérieur pour la sainte Eglise, parce qu'il a bien combattu et vaincu à l'intérieur. S'il n'avait pas bien combattu au dedans, il combattrait mal au dehors; et c'est pour cela que je vous disais qu'il fallait d'abord combattre au dedans de vous-même vos trois ennemis principaux. Maintenant je vous dis, très cher et bien-aimé frère dans le Christ, le doux Jésus, de vous appliquer à les vaincre en purifiant votre conscience par la sainte Confession, cri vivant régulièrement et dans le désir de la vertu, vous réjouissant [374] d'entendre et d'observer la douce parole de Dieu, vous rappelant sans cesse le souvenir de la mort et du sang versé pour vous, recherchant la société de ceux qui craignent Dieu véritablement, qui sont sages, prudents et de bon conseil. Ayez dans toutes vos oeuvres les regards fixés sur Dieu, afin que vous puissiez rendre à chacun ce qui lui est dû à Dieu la gloire, au prochain la bienveillance, et à vous-même la haine du vice et l'amour de la vertu. Réglez votre famille autant que vous le pourrez, afin que tous y vivent dans l'ordre et la sainte crainte de Dieu. Vous pourrez ainsi accomplir la volonté de Dieu en vous.

6. Dieu vous a choisi pour être une colonne dans la sainte Eglise, afin que vous puissiez extirper l'hérésie, confondre le mensonge et exalter la vérité, dissiper les ténèbres et faire briller la lumière en montrant que le Pape Urbain VI est le vrai Souverain Pontife que nous a choisi et donné la clémence du Saint-Esprit, malgré les hommes coupables et pervers qui s'aiment eux-mêmes et qui prétendent le contraire. Ces aveugles n'ont pas honte de parler et d'agir contre eux-mêmes en se montrant impies et menteurs. Cette vérité qu'ils nous ont annoncée, ils la nient maintenant, et les hommages qu'ils lui ont rendus, ils veulent les retirer. Ils montrent, les insensés, que la crainte les a rendus impies et idolâtres en s'inclinant devant le Pape Urbain et en le reconnaissant pour le vrai Vicaire de Jésus-Christ. S'il ne l'était pas, comme ils le disent maintenant, comment ont-ils pu tomber dans une telle faute, dans un tel avilissement d'esprit et de corps? Nous [375] voyons donc qu'ils se déclarent impies et menteurs N'est-ce pas une grande confusion de voir notre Foi souillée par une semblable hérésie? N'est-ce pas un grand malheur de voir tant faire contre la vérité? de voir l'Agneau poursuivi par les loups, les âmes livrées aux mains du démon, et la douce Epouse démembrée? Quel coeur assez dur pour n'être pas attendri? quels yeux ne répandraient pas un torrent de larmes? Quel prince pourra refuser de consacrer toutes ses forces à secourir notre Foi? Il n'y a que ceux qui s'aiment eux-mêmes qui ne sentent pas cela leur coeur est endurci par l'amour-propre, comme celui de Pharaon.

7. Non, la Bonté divine ne veut pas que votre coeur soit si dur, et elle vous appelle à secourir son Epouse. Que votre coeur s'amollisse donc, soyez généreux avec zèle et sans négligence; hâtez-vous de venir, ne tardez plus, Dieu sera pour vous. Il ne faut pas attendre le temps, car c'est un danger. Accourez donc et cachez-vous dans l'arche de la sainte Eglise, sous l'aile de votre Père le Pape, Urbain VI, qui tient les clefs du sang de Jésus-Christ. Je sais que si vous êtes courageux, vous vous appliquerez a faire la volonté de Dieu, sans vous occuper de vous-même: autrement, non. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un vaillant chevalier: et je vous prie qu'il en soit ainsi, pour l'amour de Jésus crucifié. Quelle honte pour les princes du monde, et quelle offense à Dieu, de voir leurs coeurs si glacés! Ils n'ont encore fait que des promesses pour secourir la douce Epouse du Christ! Comment donneraient-ils leur vie pour la vérité, lorsqu'ils regardent à lui donner [377] quelques biens et quelques secours temporels? Je crois qu'ils en seront sévèrement punis. Je ne veux pas que vous agissiez comme eux, mais donnons avec joie notre vie, s'il le faut. Pardonnez-moi si je vous ai trop longuement parlé. La douleur du péché et l'amour de la sainte Eglise me serviront d'excuse devant Dieu et devant vous. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 45, AU COMTE DE FONDI

XLV (192). - AU COMTE DE FONDI. - De la vigne de notre âme, et de l'amour-propre, qui la rend stérile. - Le Pape Urbain VI est le vrai Souverain Pontife.

(Le comte de Fondi, Honoré-Gaétan, fut un principaux fauteurs du schisme; ses États sur les confins de ceux de l'Eglise servirent de retraite aux cardinaux séparés d'Urbain Vl, qui nommèrent le 20 septembre 1378, l'antipape Clément VII.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1.Mon très cher Père et Frère dans le Christ le doux Jésus, moi, Catherine, l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir un bon ouvrier dans la vigne de votre âme, afin que vous rapportiez beaucoup de fruit au temps de la récolte, c'est-à-dire au moment de la mort, où toute faute est punie et toute vertu récompensée. Vous savez que la vérité éternelle nous [377] a créés à son image et ressemblance; Dieu a fait de nous son temple, où il veut habiter par sa grâce, pourvu que l'ouvrier de cette vigne veuille bien la cultiver car si elle n'est pas cultivée, si elle est couverte de ronces et d'épines, il ne pourra pas y habiter. Voyons, très cher Père, quel ouvrier y a placé le Maître. il y a mis le libre arbitre, auquel est confié tout pouvoir. Personne ne peut ouvrir ou fermer la porte de la volonté, si le libre arbitre ne le veut pas. La lumière de l'intelligence lui est donnée pour connaître les amis et les ennemis qui veulent entrer et passer par la porte; et à cette porte est placé le chien de la conscience, qui aboie quand il entend venir, s'il est levé et ne dort pas. Cette lumière fait voir et discerner le fruit à l'ouvrier; il ôte la terre, pour que le fruit soit pur, et il le met dans sa mémoire comme dans un grenier, où s'entasse le souvenir des bienfaits de Dieu. Au milieu de la vigne est placé le vase de son coeur plein du précieux Sang, pour arroser les plantes afin qu'elles ne se dessèchent pas. C'est ainsi qu'est créée et disposée cette vigne, qui est aussi, nous l'avons dit, le temple où Dieu doit habiter par sa grâce.

2. Mais je m'aperçois que le venin de l'amour-propre et de la colère a empoisonné et corrompu cet ouvrier, tellement que notre vigne est toute inculte, et qu'elle ne porte que des fruits de mort ou des fruits sauvages et amers, parce que les semeurs du mal, les démons visibles et invisibles, ont passé par la porte de la volonté, les invisibles par la porte des mauvaises pensées, et les visibles par celle des mauvais conseils, qui éloignent de la vérité au moyen des mensonges, des flatteries et des mauvais exemples. Cette [378] semence qu'ils ont en eux, ils la mettent en nous, et le libre arbitre, en l'acceptant, fait naître des fruits de mort, c'est-à-dire des péchés mortels. Oh! combien est affreuse à voir cette vigne qui s'est toute couverte des épines de l'orgueil et de l'avarice, des ronces de la colère, de l'impatience et de la désobéissance, qui est toute pleine d'herbes vénéneuses! Ce jardin est devenu une écurie où nous nous plaisons dans le fumier de l'impureté. Notre jardin n'est pas fermé, il est ouvert, et nos ennemis, les vices et les démons peuvent y entrer comme dans leur habitation. La fontaine est tarie, la fontaine de la grâce que nous avions reçue au saint Baptême par la vertu de ce Sang qui baignait notre coeur plein d'amour. L'oeil de l'intelligence ne voit plus que les ténèbres, parce qu'il est privé de la lumière de la très sainte Foi; il ne voit et ne connaît plus que l'amour sensitif, et il en remplit la mémoire; il n'a et ne peut avoir d'autres souvenirs que des mouvements et des désirs déréglés, tant qu'il est dans cet état.

3. Près de cette vigne la douce Vérité suprême avait placé une autre vigne, celle du prochain, qui est si unie à la nôtre, que nous ne pouvons y rien faire sans le faire aussi à la sienne. Aussi nous est-il Commandé de la gouverner comîne la nôtre, puisqu'il est dit: " Aime Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme toi-même. " Oh! combien est cruel l'ouvrier qui gouverne mal sa vigne, et ne lui fait rapporter d'autre fruit que quelques actes de vertu si amers, que personne ne peut en goûter! Ce sont les bonnes oeuvres faites en dehors de la charité. Combien est malheureuse cette âme qui an moment de la [379]

récolte ne se trouve aucun fruit! C'est là qu'elle voit sa mort, et dans la mort elle connaît son malheur: et alors elle voudrait avoir le temps de cultiver sa vigne, mais elle ne le trouve pas. L'homme ignorant croyait pouvoir disposer du temps à son gré, mais il n'en est point ainsi. Profitons donc du temps présent, qui nous est accordé par miséricorde.

4. O très cher Père, reconnaissez l'état où vous êtes et voyez votre vigne. Je suis triste jusqu'à la mort de voir ce que le tyran du libre arbitre a fait de votre jardin, où florissaient, à la lumière de la Foi, les exemples de vertu et de vérité. Votre jardin est devenu maintenant un bois sauvage. Vous ne pouvez donner des fruits de vie, puisque vous êtes séparé de la vérité dont vous vous êtes fait le persécuteur: en aimant le mensonge vous avez perdu la foi, et vous moissonnez l'infidélité. Et pourquoi portez-vous ces fruits de mort? A cause de l'amour que vous avez pour la sensualité et de la haine que vous sentez pour votre chef. Ne voyons-nous pas que le Juge suprême n'a pas les yeux fermés sur nous? Comment pouvez-vous faire ce que vous ne devez pas faire contre votre chef? Le Pape Urbain VI n'est-il pas le véritable Pape? Vous savez bien au fond de votre coeur que c'est là le vrai Souverain Pontife, et celui qui dit le contraire est un hérétique réprouvé de Dieu; ce n'est plus un catholique fidèle, c'est un chrétien renégat qui renonce à la foi. Nous devons croire qu'il est le Pape élu régulièrement, qu'il est le vicaire du Christ sur la terre, et que nous devons lui obéir jusqu'à la mort. Lors même qu'il serait un père cruel pour nous, et qu'il nous chasserait on nous injuriant et on nous maltraitant d'un [380] bout de la terre à l'autre, nous ne devrions pas oublier et persécuter la vérité.

5. Si vous me dites: On m'assure au contraire que le Pape Urbain VI n'est pas véritablement le Souverain Pontife, je vous répondrai que je sais que Dieu vous a donné assez de lumière, si vous ne l'obscurcissez pas avec les ténèbres de la colère et du mépris, pour reconnaître que ceux qui parlent de la sorte mentent sur leur tête, pervertissent la vérité qu'ils nous avaient eux-mêmes donnée, et veulent la changer en mensonge. Je sais bien que vous connaissez les motifs qui poussent ceux qui étaient chargés de répandre la foi et la vérité, et qui maintenant ont souillé la foi et nié la vérité. Ils ont fait naître dans l'Eglise un schisme si déplorable. qu'ils sont dignes de mille morts. Vous savez qu'ils ont été poussés par la passion qui vous a poussé vous-même, par l'amour-propre, qui ne peut supporter une parole, un reproche dur, ou la perte des biens de la terre (Urbain VI ôta au comte de Fondi le gouvernement de la ville d'Anagni, qu'il avait reçu pour une somme de vingt mille florins qu'il avait prêtée à Grégoire XI. Le Pape soutenait que cet argent n'avait pas profité à l'Eglise.). Vous avez conçu l'indignation, et enfanté la colère. C'est ainsi qu'ils se privent des biens du ciel, eux et quiconque agit contre la vérité. Les raisons qui prouvent cette vérité sont si claires, si simples, si manifestes, que les personnes les plus bornées peuvent les comprendre. Aussi je ne m'arrête pas il vous les expliquer, parce que je sais que votre intelligence vous suffit.

6. Vous connaissez la vérité, car vous l'avez reconnue, vous l'avez confessée, vous lui avez rendu hommage [381]. Combien je suis affligée de voir votre âme égarée au point d'agir contre cette vérité combien doit souffrir votre conscience! Vous qui avez été un fils obéissant un serviteur dévoué de la sainte Eglise(Le comte de Fondi avait fidèlement servi l'Eglise sous Grégoire XI, et avait maintenu la ville de Rome dans l'obéissance au Saint-Siège.), vous avez reçu une semence si fatale, que vous ne produisez plus que des fruits de mort. Non seulement vous vous perdez vous-même, mais voyez combien vous perdez d'âmes et de corps dont il vous faudra rendre compte au Juge suprême. Ne faites plus ainsi, pour l'amour de Dieu. Le péché est une chose ordinaire à l'homme, mais la persévérance dans le péché est le propre du démon. Rentrez en vous-même, et reconnaissez le danger de votre âme et de votre corps. Aucune faute ne reste impunie, surtout celle qui se commet contre la sainte Eglise: cela s'est toujours vu. Aussi je vous conjure, pour l'amour du Sang répandu pour vous avec tant d'amour, de revenir humblement à votre Père qui vous attend les bras ouverts avec bonté pour vous faire miséricorde, à vous et à tous ceux qui voudront la recevoir. Suivons la raison avec le libre arbitre, et commençons à remuer cette terre de l'amour déréglé et coupable, cet amour terrestre qui ne veut se nourrir que des choses passagères comme le veut, pour qu'il devienne un amour céleste qui cherche les biens du ciel, seuls fermes, assurés et à l'abri de tout changement.

7. Ouvrons la porte de notre volonté pour recevoir le bon laboureur, le Christ, le doux Jésus crucifié, qui sème par la main du libre arbitre la semence de [382] sa doctrine et cette semence produit les fruits des vraies et solides vertus. Ces vertus, le libre arbitre les sépare de la terre, c'est-à-dire qu'il ne les sème et ne les recueille en lui par aucun amour terrestre, par aucune jouissance humaine, mais par la haine et le mépris de soi-même. Il ne les jette pas au dehors mais ce qu'il recueille, il le place dans sa mémoire, par le souvenir des bienfaits de Dieu, reconnaissant tenir tout de lui et non de sa propre vertu. Quel arbre y planter? L'arbre de la charité parfaite, dont la cime s'unit au ciel, c'est-à-dire à la charité infinie de Dieu. Ses rameaux couvrent toute la vigne, et conservent les fruits dans leur fraîcheur, parce que toutes les vertus viennent et vivent de la charité. Comment l'arroser? Non pas avec l'eau, mais avec le Sang précieux versé avec tant d'amour. Ce sang est dans le vase du coeur; et non seulement il arrose cette douce vigne, ce beau jardin, mais il désaltère abondamment le chien de la conscience afin que, fortifié, il fasse bonne garde à la porte de la volonté, et que personne ne passe sans qu'il en avertisse. Il éveille la raison par ses cris; et la raison avec la lumière de l'intelligence regarde si ce sont des amis ou des ennemis. Si ce sont des amis envoyés par la clémence du Saint-Esprit, c'est-à-dire de saintes et bonnes pensées de sages conseils et des oeuvres parfaites, le libre arbitre les reçoit, en ouvrant la porte avec la clef de l'amour. Si ce sont des ennemis, des pensées coupables, il les chasse avec la verge de la haine et du mépris; il ne les laisse passer que quand elles sont changées, et il ferme la porte de la volonté, qui ne consent pas [383].

8. Alors Dieu, voyant que le libre arbitre, l'ouvrier qu'il a mis dans la vigne, a bien travaillé en lui-même et dans le prochain qu'il a secouru autant qu'il lui a été possible par amour et par charité, Dieu se repose dans cette âme par sa grâce. Le bien que nous faisons n'augmente pas son repos, car il n'a pas besoin de nous; mais sa grâce se repose en nous. Cette grâce nous donne la vie, et nous revêt en couvrant notre nudité. Elle nous donne la lumière et rassasie l'âme, et en la rassasiant elle la laisse affamée; elle lui sert sa nourriture sur la table de la très sainte Croix: elle met dans la bouche du saint désir le lait de la divine douceur; elle y ajoute la myrrhe de l'amertume du péché et de la Croix, c'est-à-dire des peines que le Fils de Dieu a souffertes pour nous, et l'encens des humbles et ferventes prières qu'elle offre sans cesse avec ardeur pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Oh! combien est heureuse cette âme! Elle goûte véritablement la vie éternelle; mais nous, ingrats que nous sommes, nous ne nous occupons pas de ce bonheur si nous y pensions, nous aimerions mieux mourir que de perdre un si grand bien. Sortons de cette ignorance par la vérité. En la cherchant sincèrement, nous irons où Dieu l'a placée; et si nous la cherchons ailleurs, nous ne la trouverons pas.

9. Nous avons dit comment nous sommes la vigne, comment elle est ornée, et comment Dieu veut qu'elle soit cultivée. Et maintenant où cette vigne est-elle placée? Dans la sainte Eglise, et le vigneron choisi est le Christ de la terre, qui administre le Sang précieux. Avec la serpe de la pénitence que nous recevons dans la sainte Confession, il retranche le [384] vice de l'âme, il la nourrit sur son sein, et l'attache avec les liens de la sainte obéissance: et sans ces liens notre vigne serait ruinée; la tempête on perdrait tout le fruit, si elle n'était liée par l'obéissance. Aussi je vous conjure de retourner humblement et avec empressement à ce joug (Les exhortations de sainte Catherine ne furent pas écoutées: le comte de Fondi fut excommunié en 1370, et persévéra dans le schisme jusqu'à sa mort, arrivée en 1400.). Cherchez le vigneron et cultivez la vigne de votre âme dans la vigne de la sainte Eglise; autrement vous seriez privé de tout bien, et vous tomberiez dans toute sorte de malheurs. Voici le moment; pour l'amour de Dieu, quittez vos erreurs; car, le moment passé, il n'y a plus de remède. La mort vient bien vite, sans que nous nous en apercevions; et lorsque nous nous trouverons dans les mains du souverain Juge, il sera bien dur de lui résister. Je suis certaine que si vous cultivez bien votre vigne, vous n'hésiterez pas à revenir; mais vous reconnaîtrez avec une humilité profonde les fautes que vous avez commises contre Dieu; vous demanderez en grâce au Saint-Père de vous ramener dans son bercail. Vous ne le pouvez pas autrement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un bon vigneron dans la vigne de votre âme, et je vous en conjure autant que je le sais et que je le puis. Pensez que l'oeil de Dieu est sur vous; n'attendons pas les châtiments de Celui qui voit au fond de notre coeur. Je termine, demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi si j'ai trop parlé; mais l'amour que j'ai pour votre salut et la douleur que je ressens de vous voir offenser Dieu et [385] votre âme en sont cause. Je n'ai pu me taire et ne pas vous dire la vérité. Doux Jésus, Jésus amour.








Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 42, AU ROI LOUIS DE HONGRIE