Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 128, A FRÈRE JUSTE

Lettre n. 129, A QUELQUES NOVICES

CXXIX (83). - A QUELQUES NOVICES de Sainte Marie-du-Mont-des-Oliviers.- Des sûretés qu'on trouve dans la véritable obéissance.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mes très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des enfants obéissants jusqu'à la mort, à l'exemple de l'Agneau sans tache, qui obéit à son Père jusqu'à la mort honteuse de la Croix. Pensez qu'il est la voie et la règle que vous et toutes créatures devez suivre. Je veux qu'il soit l'objet continuel de vos pensées. Voyez combien ce Verbe a été obéissant il n'a pas fui l'immense fardeau des peines que son Père lui imposait; il y a couru, au contraire, avec grand désir. C'est ce qu'il a montré dans la Cène du Jeudi Saint, quand il a dit: "J'ai désiré d'un grand désir faire cette pâque avec vous, avant de mourir. " Il entendait par cette pâque l'obéissance à son Père et l'accomplissement de sa volonté. Il voyait que le temps était arrivé de faire le sacrifice de son corps a son Père pour nous, et il se réjouissait; il disait, plein d'allégresse J'ai désiré avec désir. La pâque dont il parlait était de se donner lui-même en nourriture, et de sacrifier son corps pour obéir à son Père. Il avait mangé souvent l'autre pâque avec ses disciples, mais non pas celle-là [803].

2. O ineffable, très douce et très ardente charité! vous ne pensiez pas à vos peines et à votre mort honteuse; si vous y aviez pensé, vous n'auriez pas été si joyeux et vous ne l'auriez pas appelée une pâque. Comprenez, mes enfants, que ce doux Agneau était comme l'aigle véritable; il ne regardait pas la terre de son humanité, mais il fixait son regard sur le disque du soleil, sur le Père éternel, et il voyait en lui-même que sa volonté était que nous soyons sanctifiés en lui. Cette sanctification ne pouvait s'accomplir à cause du péché de notre premier père Adam. Il fallait qu'il y eût un moyen, un intermédiaire pour accomplir cette volonté de Dieu. Le Verbe vit que c'était lui, et il s'est uni à la nature humaine par obéissance, parce que c'était au moyen de son sang que la Volonté divine devait s'accomplir en nous; c'était dans son sang que nous devions être Sanctifiés; et c'était cette douce pâque que l'Agneau sans tache désirait avec tant d'ardeur pour accomplir la volonté du Père en nous, et pour lui obéir entièrement.

3. O doux amour! amour ineffable! vous avez uni et attaché la créature au Créateur. Vous avez fait comme on fait d'une pierre qu'on unit à une autre pierre; pour que le vent ne puisse pas les séparer, on les cimente avec la chaux vive détrempée dans l'eau. O Verbe incarné! vous avez affermi la pierre de la créature en l'attachant à son Créateur; vous l'avez unie au moyen du sang mêlé à la chaux vive de la divine Essence par votre union avec la nature humaine. Vous l'avez ainsi mise en état de résister aux vents contraires, aux attaques, aux tentations [805], aux peines qui tourmentent notre âme, et qui lui viennent du démon, de la créature et de la chair. Oui, je vois, la Vérité suprême, que votre sang nous a entourés d'un rempart si fort et si solide, qu'aucun vent contraire ne peut le renverser. N'est-ce pas là un motif pour la créature, ô très doux Amour, e n'aimer que vous seul, et de ne craindre aucune des illusions qui se présentent?

4. Aussi, mes bien-aimés Fils dans le Christ, le doux Jésus, je vous prie de ne jamais craindre, et d'espérer dans le sang de Jésus crucifié. Ne vous laissez pas vaincre par les tentations, les illusions, et la peur que vous pourriez avoir de ne pas persévérer; ne vous effrayez pas des peines que vous croyez rencontrer dans l'obéissance et dans votre Ordre; ne redoutez rien de ce qui pourrait vous arriver. Conservez en vous la bonne et sainte volonté, qui seule est maîtresse de ce rempart, que renversa ou conserve le libre arbitre, selon la décision toute-puissante de la volonté.

5. Je ne veux donc pas que vous craigniez; toute crainte servile doit être bannie de votre esprit. Vous direz avec le doux, l'ardent saint Paul, en répondant aux défaillances du coeur et aux illusions du démon: Souffre aujourd'hui, mon âme, pour Jésus crucifié; je puis tout, car j'ai en moi, par le désir et l'amour, Celui qui me fortifie. Aimez, aimez, aimez, enivrez-vous du sang du tendre Agneau, qui a fait de votre âme un rocher inébranlable, qui l'a tirée de l'esclavage du démon. Oui, votre âme est libre et maîtresse, et personne ne peut l'asservir, si elle ne le veut pas. C'est le privilège de toute créature raisonnable [805].

6. Mais je vois que la divine Providence vous a placés dans une barque pour que vous ne périssiez pas sur la mer orageuse de cette triste vie. Cette barque est la vie religieuse, que dirige la vraie et sainte obéissance. Comprenez combien est grande la grâce que Dieu vous a faite, en songeant à votre faiblesse. Celui qui vit dans le siècle n'a que ses bras pour se soutenir sur les flots agités; mais celui qui est dans la vie religieuse est soutenu par les bras des autres; S'il est véritablement obéissant, il n'a pas à rendre compte de lui-même, il n'a qu'à obéir à son supérieur. C'est à votre obéissance que je verrai si vous suivez l'Agneau immolé pour nous. Je vous ai dit que je voulais que vous imitiez le doux et bon Jésus, qui a été obéissant jusqu'à la mort, et qui accomplit en tout la volonté de son Père. Dieu veut que vous fassiez la même chose, et que vous accomplissiez sa volonté en observant fidèlement votre règle, aimant mieux mourir que de ne pas obéir à votre supérieur. Si cependant il se présentait une circonstance (que Dieu ne le permette pas!) ou le supérieur vous commanderait des choses contraires à Dieu, vous ne devez pas alors obéir, et je ne le veux pas, parce que la créature ne doit jamais obéir à ce qui est opposé au Créateur; mais, en tout autre chose, il faut toujours obéir, sans jamais vous arrêter à votre consolation spirituelle ou temporelle.

7. Je vous dis cela parce que souvent le démon, sous des apparences de vertu et de perfection, nous fait désirer un lieu, un moment plutôt qu'un autre, en nous disant: Dans ce moment, dans ce lieu, j'ai plus de consolation, et mon âme est plus tranquille. Mais [806] l'obéissance ne doit pas avoir de préférence; et je vous répète que vous devez plutôt suivre l'obéissance que la consolation. Songez que c'est là un piège caché où tombent beaucoup de serviteurs de Dieu qui, sous prétexte de le mieux servir, le servent plus mal. Vous savez bien que c'est par la seule volonté qu'on plaît ou qu'on déplaît à Dieu. Si vous, qui êtes religieux, vous avez bonne volonté, le démon ne vous tentera pas avec les choses grossières que vous avez abandonnées, en quittant le siècle, mais il le fera par des motifs spirituels; il vous dira: Il me semble que j'aurais plus de paix et d'amour de Dieu dans ce lieu que dans un autre; et, pour y arriver, vous résisterez à l'obéissance, ou, si vous obéissez, vous le ferez avec peine, et vous perdrez la paix en voulant l'avoir. Il vaut bien mieux renoncer à sa propre volonté, et ne penser à autre chose qu'à faire la volonté de Dieu, en suivant la règle et les ordres de son supérieur. Je suis persuadée que vous serez des aiglons dignes de l'Aigle véritable (Les saints Pères disent que l'aigle éprouve ses aiglons en leur faisant contempler le soleil; il précipite du haut des airs ceux qui ne peuvent en soutenir les rayons. (S. Ambroise, in Comm. Psalm. CX VIII, p.429.- S. Augustin, Tract. XVI, in Job.).

8. Les hommes du monde s'éloignent de la volonté de leur Créateur. Lorsque Dieu permet qu'il leur arrive quelques épreuves et quelques persécutions, ils disent: Je ne les voudrais pas, moins parce que je souffre, que parce qu'il me semble qu'elles me séparent de Dieu. Mais ils se trompent; c'est la passion sensuelle qui les fait tomber dans les pièges du [807] démon, et fuir la peine, qu'ils craignent plus que le péché. L'ennemi se sert de ce moyen pour tromper tous les hommes. Il faut donc vaincre notre volonté. Les séculiers obéissants observent les commandements de Dieu, et les religieux les commandements et les conseils, comme ils l'ont promis à leur profession. Ainsi donc, mes enfants, soyez obéissants jusqu'à la mort, pour acquérir les véritables et solides vertus. Pensez que vous serez aussi humbles que vous serez obéissants; car de l'obéissance vient l'humilité, et de l'humilité l'obéissance, et toutes les deux viennent de la source d'une ardente charité; vous trouverez cette source de la charité dans le côté de Jésus crucifié, et c'est là que je veux vous voir chercher votre refuge et votre demeure. Sachez que le religieux hors de sa cellule meurt comme le poisson qui est hors de l'eau, et je vous parle de la cellule du côté de Jésus, où vous trouverez la connaissance de vous-mêmes et de sa bonté.

9. Soyez donc embrasés d'un ardent désir, courrez, entrez et restez dans cette douce retraite, et ni les démons ni les créatures ne pourront vous ravir la grâce, et vous empêcher d'atteindre votre but, qui est de voir et de goûter Dieu. Je termine. Obéissez jusqu'à la mort en suivant l'Agneau, qui est la voie et la règle. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié; cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Aimez-vous, aimez-vous les uns les autres. Doux Jésus, amour [808].








Lettre n. 130, A FRÈRE MATHIEU THOLOMEI

CXXX (84).- A FRÈRE MATHIEU THOLOMEI, de l'Ordre des Frères prêcheurs .- De la manière d'aimer et de servir Dieu sans rechercher son intérêt et sa consolation. - De la visite du Saint-Esprit.

(Frère Mathieu Tholomei était fils de François Tholomei. Sainte Catherine convertit son frère Jacques et ses deux soeurs, Françoise et Genocebia, qui furent tertiaires de l'ordre de Saint-Dominique. (Vie de sainte Catherine, IIe partie, ch.7. )



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Fils dans le Christ le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir chercher Dieu en vérité, sans aucun motif d'intérêt personnel et humain; car avec de semblables motifs nous ne pouvons plaire à Dieu; Dieu nous a donné le Verbe, son Fils unique, sans penser à sa propre utilité. il est bien vrai que nous ne pouvons être utiles à Dieu en aucune manière, mais il n'en est pas ainsi pour nous; Car, lors même que nous ne servons pas Dieu par intérêt, nous en retirons un grand avantage. Dieu a la fleur, c'est-à-dire l'honneur, et nous le fruit de l'utilité. Il nous a aimés sans être aimé, et nous aimons parce que nous sommes aimés. Il nous aime gratuitement, et nous l'aimons par devoir, parce que nous sommes tenus de l'aimer, et que nous en retirons un avantage. Nous ne pouvons rendre à Dieu un amour gratuit, puisque [809] nous sommes obligés de l'aimer; tandis qu'il était libre à notre égard, il nous a aimés avant d'être aimé, et il nous a créés à son image et ressemblance. Ainsi donc nous ne pouvons lui être utiles en l'aimant, et nous ne pouvons l'aimer d'un premier amour.

2. Et je dis cependant que Dieu, qui nous a aimés sans intérêt, veut être aimé de nous de la même manière. Comment pourrons-nous faire ce qu'il demande, puisque nous ne pouvons rien faire pour lui? Je vais vous dire le moyen qu'il nous a donné de l'aimer généreusement, sans penser à notre propre avantage: nous devons être utiles non pas à lui, puisque nous ne le pouvons pas, mais à notre prochain. Par ce moyen nous pourrons faire ce qu'il nous demande

pour la gloire et l'honneur de son nom. Afin de lui témoigner notre amour, nous devons servir et aimer toutes les créatures raisonnables, et étendre notre charité aux bons et aux méchants, aussi bien à ceux qui nous nuisent et se révoltent contre nous, qu'à ceux qui nous font du bien; car Dieu ne s'arrête pas aux personnes, mais aux saints désirs, et sa charité s'étend aux justes et aux pécheurs. Il y en a qu'il aime comme des fils, d'autres comme des amis, d'autres comme des serviteurs, d'autres comme des fugitifs qu'il voudrait voir revenir ceux-là sont les pauvres pécheurs qui sont privés de la grâce. Et comment leur montre-t-il sa tendresse paternelle? En leur donnant le temps, et avec le temps les moyens de se repentir de leur péché, en leur ôtant l'occasion et le pouvoir de faire tout le mal qu'ils désirent, et en leur donnant des motifs de détester le vice et d'aimer la vertu. Cet amour de la vertu leur ôte la volonté de [810] pécher; et ainsi avec le temps que Dieu leur donne par amour, d'ennemis ils deviennent amis; ils retrouvent la grâce, et sont dignes d'êtres les héritiers du Père.

3. L'amour filial parait en ceux qui servent Dieu en vérité, sans aucune crainte servile. La volonté propre est détruite et morte en eux; ils obéissent pour Dieu jusqu'à la mort à toute créature raisonnable. Ce ne sont pas des mercenaires qui servent par intérêt, ce sont des fils dévoués qui méprisent les consolations et se réjouissent des tribulations. Ils cherchent comment ils peuvent devenir semblables à Jésus crucifié, et se nourrir de ses opprobres, de ses fatigues et de ses peines. Ceux-là ne cherchent et ne servent pas Dieu à cause des douceurs, des consolations spirituelles ou temporelles, qu'ils reçoivent de Dieu ou de la créature. Ils ne recherchent ni Dieu ni le prochain pour eux-mêmes, mais ils cherchent Dieu pour Dieu, parce qu'il est digne d'être aimé; ils s'aiment pour Dieu, pour la gloire et l'honneur de son nom, et ils servent le prochain pour Dieu, lui rendant tous les services qu'ils peuvent lui rendre. Les enfants suivent ainsi les traces du Père, en se livrant tout entiers à la charité du prochain; ils aiment les serviteurs de Dieu comme ils aiment leur Créateur; ils aiment les imparfaits avec le saint désir de les voir arriver à la perfection, et ils offrent pour eux de continuelles prières. Ils aiment les méchants ensevelis dans le péché mortel, parce que ce sont des créatures raisonnables que Dieu a créées et rachetées comme eux avec le même sang. Ils gémissent de leur damnation, et ils donneraient leur vie pour les en retirer. Ils [811] aiment leurs ennemis, leurs persécuteurs, parce que ce sont des créatures de Dieu, comme nous l'avons dit, et aussi parce que ce sont des moyens et des occasions d'exercer leurs vertus et de les rendre parfaites, surtout cette douce et royale vertu de la patience, qui ne se scandalise, ne se trouble jamais, et n'est ébranlée par aucun vent contraire, par aucune persécution des hommes.

4. Ceux-là sont ceux qui cherchent Dieu sans intérêt, et qui l'aiment en vérité comme de légitimes et chers enfants; et Dieu les aime comme un véritable Père; il leur manifeste le secret de sa charité pour leur faire avoir l'héritage éternel. Aussi courent-ils tout enivrés du sang de Jésus-Christ, tout embrasés du feu de la divine charité qui les éclaire parfaitement. Ils ne courent pas dans la voie de la vertu à leur manière, mais à l'exemple de Jésus crucifié, dont ils suivent les traces; et s'il était possible de servir Dieu et d'acquérir les vertus sans peine, ils ne le voudraient pas. Ils ne font pas comme les autres, comme les amis et les serviteurs, qui quelquefois servent par un motif d'intérêt. Ils aiment beaucoup, parce qu'ils connaissent leurs besoins et le bienfaiteur qui peut et veut les secourir. Ils étaient d'abord serviteurs, parce qu'ils connaissaient leurs fautes et la peine qui devait les punir; et alors avec la crainte de la peine, ils ont chassé le vice, et avec l'amour ils ont embrassé la vertu en servant le maître qu'ils avaient offensé. Ils ont commencé à espérer en sa bonté, en pensant qu'il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. S'ils restaient dans la crainte, ils ne pourraient avoir la [812] vie et arriver à la grâce parfaite de leur Seigneur, mais ils seraient des serviteurs mercenaires.

5. Il ne faut pas rester non plus dans l'amour du fruit et de la consolation qu'on reçoit de celui dont on est l'ami, parce que cet amour ne serait pas durable; il disparaîtrait quand cesseraient les douceurs, les consolations et les jouissances spirituelles, ou quand viendraient les vents contraires de la persécution ou les tentations du démon. Il céderait alors aux attaques de l'ennemi, aux combats de la chair; la privation des consolations spirituelles serait sa ruine, et les injures, les persécutions des créatures produiraient l'impatience. On aime alors d'un faible amour, comme saint Pierre, qui, avant la Passion, aimait Jésus-Christ tendrement; son amour n'était pas fort, et il faillit en présence de la Croix. Mais ensuite il quitta cet amour de la douceur, après la venue du Saint-Esprit; il perdit la crainte pour revêtir un amour puissant et éprouvé dans le feu de nombreuses tribulations. Quand il eut l'amour filial, il les supporta toutes avec une vraie patience, et courut au-devant d'elles avec une grande allégresse, comme s'il eût été à des noces et non pas à des tourments. Il en était ainsi, parce qu'il avait l'amour filial; mais s'il était resté dans l'amour de la douceur et dans la crainte, pendant et après la Passion de Jésus-Christ, il ne serait jamais parvenu à la perfection des enfants de Dieu; il n'aurait pas été le champion de la sainte Eglise et le sauveur de tant d'âmes.

6. Mais remarquez le moyen que prirent saint Pierre et les autres disciples pour pouvoir perdre la crainte servile et l'amour faible des consolations [813], pour recevoir le Saint-Esprit, comme le leur avait promis la Vérité suprême. L'Ecriture dit qu'ils se renfermèrent dans le Cénacle, et qu'ils y restèrent dans des veilles et des prières continuelles pendant dix jours, et que le Saint-Esprit vint ensuite. C'est cette doctrine que nous devons suivre. Toute créature raisonnable doit se renfermer dans la solitude, et y rester dans les veilles et la prière pendant dix jours, afin de recevoir ensuite la plénitude du Saint-Esprit. Lorsqu'il fut venu, il éclaira les disciples des lumières de la vérité, et ils virent le secret de l'ineffable charité du Verbe, avec la volonté du Père qui ne voulait autre chose que notre sanctification. C'est ce que nous a montré le sang de ce tendre et doux Verbe, qui revint à ses disciples; car dans la plénitude du Saint-Esprit, étaient à la fois la puissance du Père, la sagesse du Fils, la clémence et la bonté du Saint-Esprit. Ainsi fut accomplie la parole du Christ qui disait à ses disciples: " Je m'en irai et je reviendrai vers vous. " Il revint en effet, parce que le Saint-Esprit ne pouvait pas venir sans le Fils et sans le Père, car il ne fait qu'une même chose avec eux. Il vint donc avec la puissance qui est attribuée au Père, avec la sagesse qui est attribuée au Fils, et avec la bonté et l'amour qui sont attribués au Saint-Esprit.

7. Les Apôtres l'ont bien montré car aussitôt l'amour leur fait perdre la crainte; la vraie sagesse leur révèle la vérité, et ils marchent armés d'une grande puissance contre les infidèles; ils renversent & terre les idoles et chassent les démons. Ce n'était pas avec la puissance du monde et avec la force du [814]

corps, mais avec la force du Saint-Esprit et avec la puissance divine que leur avait données la grâce. il en sera de même pour tous ceux qui quitteront le vomissement du péché mortel et les misères du monde pour commencer a goûter le souverain Bien, et à se passionner pour sa douceur. Mais, comme je l'ai dit, celui qui resterait dans la crainte n'évitera pas l'enfer. Il ferait comme le voleur qui a peur de la potence, et qui ne vole pas; s'il ne craignait pas le châtiment, il volerait. Il en est de même de celui qui aimerait Dieu pour la douceur qu'il y trouve; son amour ne serait pas fort et parfait, il serait faible et sans consistance, tandis qu'il faut prendre la voie et le moyen de persévérer et d'arriver a la perfection.

8. Le moyen d'y arriver est de faire comme saint Pierre et les disciples ont fait; il faut qu'a leur exemple, ceux qui sont arrivés a l'amour du Père, ceux qui sont ses enfants ou qui veulent le devenir, entrent et s'enferment dans la connaissance d'eux-mêmes. C'est la cellule que l'âme doit habiter. Dans cette cellule, elle trouve une autre cellule, la cellule de la connaissance de la Bonté divine à son égard. La connaissance d'elle-même lui donne une humilité sincère avec une haine sainte de l'offense qu'elle a, faite et qu'elle fait à son Créateur, ce qui la porte à une vraie et parfaite patience; la connaissance de Dieu qu'elle trouve en elle lui donne la vertu d'une ardente charité, qui lui inspire de saints et d'amoureux désirs. Et alors elle se livre aux veilles et a la prière continuelle, parce qu'elle se tient enfermée dans cette douce et glorieuse retraite de la connaissance de Dieu et d'elle-même. Elle veille non seulement [815] de corps, mais d'esprit, car l'oeil de son intelligence ne se ferme jamais, et reste toujours fixé sur son objet, sur l'amour ineffable de Jésus crucifié; il y voit l'amour et sa propre faute, car c'est pour sa faute que le Christ a donné son sang. Alors l'âme s'excite avec ardeur à aimer ce que Dieu aime, et a détester ce qu'il déteste. Toutes ses oeuvres sont dirigées vers Dieu, et elle fait tout pour sa gloire et l'honneur de son nom, et c'est là cette prière continuelle que recommande saint Paul lorsqu'il dit: "Priez, et ne cessez jamais. " C'est là le moyen de n'être pas seulement serviteur et ami, de ne pas se borner à la crainte servile et à l'amour fragile de sa propre consolation, mais d'être à la fois serviteur, ami, et fils véritable; car en étant fils, on ne cesse pas d'être serviteur et ami, mais on l'est en vérité, sans penser à soi, et en ne songeant qu'à plaire à Dieu.

9. Les disciples restèrent dix jours dans le Cénacle, et l'Esprit-Saint descendit sur eux. De même l'âme qui veut arriver à la perfection doit rester renfermée dix jours, c'est-à-dire dans les dix commandements de la loi; et avec ces commandements elle observera les conseils, car les commandements et les conseils sont liés ensemble, et on ne peut observer les uns sans les autres. Ceux qui vivent dans le monde doivent observer les conseils mentalement par le saint désir, et ceux qui sont séparés du monde doivent les observer mentalement et réellement. C'est ainsi qu'on reçoit l'abondance du Saint-Esprit, avec la vraie sagesse de la lumière parfaite et de la connaissance, avec la force et la puissance contre [816] toute sorte d'attaques, surtout contre soi-même en triomphant de la sensualité. Mais il est impossible de le faire si vous vous dissipez dans les conversations, si vous désertez votre cellule, et si vous négligez le choeur. C'est parce que je le comprenais que je vous disais, quand vous m'avez quittée, de vous appliquer à fuir les conversations, à aimer votre cellule, à ne pas abandonner le choeur et la table commune, autant qu'il vous serait possible, et à persévérer dans les veilles et la prière. Vous remplirez ainsi le désir que je vous exprimais en disant que je voulais vous voir chercher Dieu en vérité et sans aucun intérêt. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.










Lettre n. 131, A FRÈRE MATTHIEU THOLOMEI DE SIENNE

CXXXI (85). - A FRÈRE MATTHIEU THOLOMEI DE SIENNE, de l'Ordre de. Frères Prêcheurs à Rome, et à DOM NICOLAS DE FRANCE, religieux de la chartreuse de Beauregard. - De la force nécessaire pour résister aux attaques de nos ennemis, et de la charité qui doit y être jointe.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir combattre courageusement sur le champ de bataille, sans jamais tourner la tête en arrière pour quelque cause que ce [817] soit; mais soyez prêts à résister aux coups comme un vaillant chevalier, sans aucune crainte servile. Si vous êtes armé, les coups ne pourront vous nuire. Il faut vous armer avec les armes de la force unie à une ardente chante, car l'amour du souverain Bien nous fera supporter volontairement toute peine et toute fatigue. Cette arme est si bonne et si puissante, que ni les démons avec leurs tentations, ni les hommes avec leur mépris et leurs injures ne peuvent détruire la force et la joie que l'âme reçoit de la douceur de la charité. L'âme si bien armée frappe ses ennemis; car le démon trouvant l'âme pleine de force au milieu des combats qu'il lui livre, voit qu'elle les soutient avec joie par la sainte haine qu'elle a d'elle-même, et par le désir qu'elle éprouve de ressembler à Jésus crucifié et de souffrir les peines et les fatigues pour son amour. Il voit qu'elle méprise ses attaques par amour pour son Créateur, et que sa volonté triomphe de toutes ses illusions. Cette force que le démon trouve dans l'âme le couvre de confusion; il reste vaincu, tandis que l'âme remplie de la grâce divine est tout embrasée d'amour et tout ardente à combattre pour Jésus crucifié.

2. Vous voyez, mon cher Fils, qu'avec la force vous frapperez le démon; je dis aussi que vous frapperez le monde avec toutes ses délices et toutes les créatures qui voudront vous poursuivre, de quelque manière que ce soit, en les supportant avec une tendre charité, avec une vraie et sainte patience. Par la patience et la charité, vous jetterez des charbons embrasés d'amour sur leur tête, et la force de l'amour apaisera leur colère et leurs persécutions. Ces armes [818] ont donc bien nécessaires, et sans elles nous ne pouvons résister. Nous ne pouvons éviter ces combats tant que nous sommes dans un corps mortel, et quelle que soit notre position. Chacun les supporte de différentes manières, selon qu'il plaît à la Bonté divine de les lui envoyer. Celui qui n'est pas armé reçoit la blessure de l'impatience, et aussi la blessure de la délectation et du consentement volontaire. Il ne pare pas les coups nombreux que le démon lui porte, et il meurt en tombant dans le péché mortel, tandis que s'il était armé, aucun coup ne pourrait lui nuire, comme nous l'avons dit.

3. Si vous me dites: Je ne puis avoir ces armes; quel moyen puisse prendre pour me les procurer? Je vous répondrai que toute créature raisonnable peut les avoir, si elle le veut, avec la grâce divine. Le bien et le mal s'accomplissent par la volonté; c'est le seul consentement de l'homme qui fait le péché ou la vertu; car, sans la volonté, le péché ne serait pas péché, et la vertu ne serait pas vertu; l'âme ne serait pas souillée par l'acte du péché, ni par aucune pensée mauvaise, si la volonté n'y consentait pas, comme les bonnes pensées et les actes de vertu ne donneraient pas la vie de la grâce à l'âme, si la volonté ne consentait pas à les recevoir avec amour. Cette volonté de l'homme est si forte, que ni le démon, ni les créatures, ni rien au monde ne peuvent l'ébranler, la faire consentir au péché ou à la vertu plus qu'elle ne veut. C'est ce que nous apprend saint Paul, lorsqu'il nous dit: " Ni la faim, ni la soif, ni les persécutions, ni le feu, ni le glaive, ni les choses présentes ou futures, ni les anges, ni les démons, ne [819] pourront me séparer de la charité de Dieu, si je ne le veux pas (Rm 8,35) ". Par ces paroles, le glorieux Apôtre nous montre quelle est la force de la volonté que Dieu nous a donnée dans sa miséricorde. Personne ne peut dire: Je ne puis pas; personne ne peut s'excuser du pêché. Les plus mauvaises pensées peuvent se présenter à notre coeur, et personne ne peut les en empêcher: leur présence n'est pas un péché; c'est le consentement que la volonté leur donne qui est un péché, et on peut toujours refuser ce consentement.

4. Ainsi donc, puisque nous avons un si grand trésor que personne ne peut perdre s'il ne le veut pas, il ne faut pas craindre les coups, mais il faut nous plaire toujours au milieu des combats, tant que nous vivrons. Celui qui voit la récompense du combat, le désire avec ardeur; sans combat, point de victoire; et celui qui ne remporte pas de victoire est couvert de confusion. Savez-vous le bien que nous acquérons par le combat? L'homme, au moment des grands combats, a besoin de secouer sa négligence, d'être plus zélé à employer son temps, et à ne pas rester oisif; il s'applique plus au saint exercice de la prière; il recourt humblement à Dieu, qu'il voit être sa force, et il lui demande son secours. Le combat lui fait connaître aussi sa faiblesse. et la fragilité de sa passion sensitive. Il conçoit alors la haine de l'amour-propre, et il se méprise lui-même avec une humilité sincère; il se trouve digne des peines et indigne des récompenses qui suivent les peines; il connaît aussi la [820] bonté de Dieu en voyant que la bonne volonté qu'il a et qui résiste, lui vient de Dieu. Cette bonté lui inspire l'amour et la reconnaissance, parce qu'il voit et comprend que c'est Dieu qui le conserve dans sa bonne volonté. C'est dans les combats que s'acquièrent véritablement les grandes vertus, parce que toute vertu reçoit la vie de la charité, et la charité est nourrie par l'humilité; et, comme nous l'avons dit, au moment du combat l'âme se connaît mieux elle-même, et connaît mieux la bonté de Dieu en elle. Elle connaît sa fragilité, et elle s'humilie, et dans sa bonne volonté qui résiste, elle connaît la bonté de Dieu: de là lui viennent l'amour et la charité.

5. Il est donc bon de se réjouir au temps du combat, et de ne jamais tomber dans le trouble; car souvent le démon, qui n'a pu nous tromper avec l'amorce du plaisir, cherche à nous perdre au moyen du trouble; il veut nous faire croire que pendant le combat nous sommes privés de Dieu, et qu'alors la prière et les autres saints exercices ne nous servent de rien. Il nous dit intérieurement: Ce que tu fais est inutile; tu dois prier avec un coeur libre et un esprit tranquille, et non pas avec tant de pensées frivoles et mauvaises; il vaudrait mieux te taire. Le démon agit ainsi pour que nous abandonnions nos saints exercices et l'humble prière, qui est l'arme avec laquelle nous nous défendons, ou, pour mieux dire, un lien qui lie et fortifie notre volonté en Dieu; c'est par elle que croît l'ardente et puissante charité, avec laquelle l'âme résiste aux coups, comme nous l'avons dit. Aussi le démon s'applique, par cet artifice, à nous faire quitter cette défense; car, quand nous ne [821] l'aurons plus, il obtiendra peu à peu de nous ce qu'il voudra.

6. Ne nous laissons donc troubler par aucune attaque, et n'abandonnons aucun de nos exercices. Lors même que nous serions tombés dans le péché, il ne faut pas nous laisser décourager, parce que nous devons croire qu'aussitôt que l'homme reconnaît et regrette sincèrement la faute qu'il a commise, Dieu le reçoit avec miséricorde. Il faut croire, avec une foi vive et une ferme espérance, que Dieu ne nous Imposera pas un fardeau au-dessus de nos forces. Les démons ne nous tourmentent qu'autant que Dieu le permet, et jamais davantage; et nous devons être persuadés que Dieu sait, peut et veut nous délivrer quand il voit qu'il est temps, pour notre salut, d'éloigner de nous les tentations et les épreuves. Tout ce qu'il nous donne, tout ce qu'il permet, est toujours pour notre bien et notre progrès dans la perfection. Avec cette lumière de la foi et avec l'espérance, vous triompherez de cette ruse du démon et des autres. En baissant la tête avec une humilité profonde, vous passerez par la porte étroite; en suivant la doctrine de Jésus crucifié, vous acquerrez les dons de force et de charité, qui sont, nous l'avons dit, nos armes défensives. Comment acquiert-on ces armes? Avec la lumière de la très sainte Foi. La Foi avec la ferme espérance, et avec la charité, qui seule lui donne la vie, nous fait connaître la faiblesse de nos ennemis et notre force, qui est le Christ, le doux Jésus. L'espérance nous rend certains que toute faute sera punie et toute peine récompensée, et la charité nous fortifie contre tous nos adversaires [822].

7. Courage donc, très chers Fils; combattons en contemplant le sang de l'humble Agneau sans tache qui nous rendra forts et courageux sur le champ de bataille. Sans cela nous n'entrerions pas victorieux dans notre cité de Jérusalem, c'est-à-dire dans la vie éternelle. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir combattre généreusement, comme un vaillant chevalier, sur le champ de bataille, et je vous conjure de le faire, en restant toujours soumis à la verge de l'obéissance (Ce qui suit était adressé seulement à Fr. Matthieu Tholomei). O mon bien cher Fils! il me semble que l'éternel Epoux de votre âme veut que vous vous glorifiiez avec le glorieux saint Paul, qui se glorifiait au milieu des nombreuses tribulations et des outrages qu'il souffrit, lui qui fut pris et battu tant de fois par les Juifs. Et vous aussi, mon Fils bien-aimé, glorifiez-vous au milieu des souffrances; recevez-les avec respect, et croyez que vous êtes digne de la peine et indigne de la récompense. Voici le moment ou nous devons souffrir pour la gloire et l'honneur du nom de Dieu. Ne craignez rien et soyez persuadé que vous ne pouvez vous perdre sous la conduite de votre bon Maître. Courage; bientôt paraîtra l'aurore; vous appellerez, et la vérité vous répondra. Noyez-vous, noyez-vous dans le doux Sang de Jésus crucifié, qui rend douces les choses amères, et légers les plus grands fardeaux. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection. Doux Jésus, Jésus amour. Criez dans votre cellule, et la Vérité suprême entendra vos cris, et moi, ignorante et pauvre mère, je le ferai [823] aussi, et vous serez secouru dans vos besoins. Ne manquez pas à l'espérance, et la Providence ne vous manquera pas.









Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 128, A FRÈRE JUSTE