Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 137, AU FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE

Lettre n. 138, AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE

CXXXVIII (92).- AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs.- Du zèle à acquérir la vertu, et du trésor de la patience.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher et très doux Père, et aussi mon Fils négligent et ingrat dans le Christ, le doux Jésus. Moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un zèle véritable et parfait peur acquérir et conserver les vertus, parce que sans zèle, l'âme ne trouve pas la vertu, et ne conserve pas celle qu'elle a. L'amour est ce qui remplit le coeur de zèle, et fait aller l'affection où se trouve la vertu; si l'âme n'a pas de zèle, c'est signe qu'elle n'aime pas. Il faut donc aimer généreusement, sans intérêt, sans recherche de soi-même ou de quelque créature raisonnable; et, pour arriver à ce doux amour, il nous faut ouvrir l'oeil de l'intelligence pour connaître et voir combien Dieu nous aime; et pour avoir cette connaissance, Il faut que les pieds de l'affection nous conduisent à la cellule de la vraie connaissance de nous-mêmes, parce que dans cette connaissance nous concevons la haine de la sensualité et l'amour de Dieu, à cause de son ineffable charité, que nous trouvons en nous. Et alors le coeur se lève plein d'ardeur et de désir, et cherche le moyen le plus parfait d'employer son temps; le temps paraît toujours précieux, parce que [867] c'est avec le temps que sa volonté peut acquérir ou perdre son trésor. Il voit que le seul moyen d'arriver à la vertu véritable est la charité envers le prochain. Cette charité vient de la connaissance de Dieu, parce que dans la bonté de Dieu l'âme voit et connaît son amour infini, qui ne s'étend pas seulement à elle, mais à toute créature raisonnable, à ses amis et à ses ennemis.

2. L'âme peut aimer l'un plus que l'autre, selon qu'elle y trouve l'attrait de la vertu. Celui qui est vertueux, elle l'aime par amour de la vertu, et comme créature. L'injuste et coupable pécheur, elle l'aime, parce que Dieu l'a créé, et pour qu'il quitte le vice et pratique la vertu. Elle a ainsi pour l'honneur de Dieu faim et soif des âmes, et, pour les arracher des mains du démon, elle sacrifierait sa vie. Son zèle lui fait sacrifier son temps et ses consolations; qu'elles soient nouvelles ou anciennes, elle y renonce pour son prochain. Une servante de Dieu disait: " O mon Seigneur, que voulez-vous que je fasse! " Et il lui fut répondu: "Honore-moi, et sers le prochain; offre-moi des honneurs pour moi, et des peines pour le prochain. "

3. Et quel service lui rendre? Des services spirituels et corporels. Il faut le servir spirituellement en offrant de saints désirs, d'humbles et continuelles prières, avec joie pour ceux qui sont vertueux, avec douleur pour ceux qui sont ensevelis dans la mort du pêché mortel. Il faut supporter avec une patience véritable les scandales, les infamies et les murmures des méchants contre nous, sans jamais pour aucune cause ralentir l'ardeur de nos prières, de nos [868] désirs et de notre zèle pour leur salut. C'est ainsi que l'âme se conforme à Jésus crucifié en se nourrissant avec lui sur la croix douloureuse du désir, et cette croix fut plus cruelle pour le Christ que celle où était attaché son corps. Je dis aussi que Dieu demande pour le prochain des services corporels. Il faut que nous nous fatiguions pour lui, et que nous lui rendions tous les services possibles en souffrant toutes sortes de désagréments et de peines corporelles. Quelquefois Dieu permet que nous ayons à supporter des autres la faim, la soif, la violence, les persécutions, comme les saints martyrs qui enduraient tant de peines et de tourments; mais notre imperfection est si grande, que nous ne sommes pas encore dignes du bonheur d'être persécutés par Jésus-Christ. C'est ainsi que nous devons servir le prochain, honorer Dieu, et tout utiliser pour la gloire et l'honneur de son nom: autrement nos peines ne porteraient pas des fruits de vie, et nous aurions en ce monde un avant-goût de la mort éternelle. Que l'amour de Dieu nous fasse chercher son honneur et le salut des âmes, et que cet amour se prouve dans nos rapports avec le prochain par la vertu de la patience.

4. O patience, que tu es aimable! O patience, quelle espérance tu donnes à celui qui te possède! O patience! que tu es reine et maîtresse, et jamais tu n'es dominée par la colère! O patience, tu fais justice de la sensualité, lorsqu'elle veut s'irriter et lever la tête; tu portes avec toi un glaive à deux tranchants, le glaive de la haine et de l'amour pour frapper et abattre sa colère, l'orgueil et la moelle de l'orgueil [869], l'impatience! Ton vêtement est le soleil avec la lumière de la vraie connaissance de Dieu et avec la chaleur de la divine charité; ses rayons frappent ceux qui te persécutent, et allument les charbons ardents de la charité sur leur tête; ils brûlent et consument la haine dans leurs coeurs. Oui, douce patience fondée sur la charité, c'est toi qui portes des fruits pour le prochain, et qui rends honneur à Dieu; ton vêtement est couvert des étoiles de toutes les vertus, car la patience ne peut être dans l'âme sans y faire briller les vertus. Elle ressemble à la lumière de la lune dans la nuit de la connaissance d'elle-même; et après cette connaissance vient le jour avec la grande lumière et la chaleur du soleil, qui est le vêtement de la patience. Comment donc ne pas se passionner pour une aussi douce chose que la patience? comment ne pas aimer souffrir pour Jésus crucifié ()?

5. Souffrons donc, très cher et très doux Père; ne perdez pas le temps, et appliquez-vous à vous connaître vous-même, afin que cette reine habite votre âme; elle vous est bien nécessaire. Vous vous trouverez ainsi sur la Croix avec Jésus crucifié, et vous vous nourrirez de sa nourriture. Dieu vous appelle, et vous choisit. Il vous semblera être éclairé par la lune pendant que vous souffrirez; mais vous trouverez dans la souffrance la lumière du soleil. Votre âme alors trouvera une vie nouvelle dans la vertu; vous la conserverez, et vous la rechercherez avec plus de zèle et de perfection jusqu'à ce que vous [870] soyez arrivé à votre fin, et vous deviendrez conforme à Jésus crucifié, qui a souffert tant de peines, de tourments et d'opprobres. Pourquoi a-t-il souffert? Parce que la sagesse divine a vu que l'offense faite au Père devait être suivie du châtiment. L'homme était sans force, et ne pouvait satisfaire. Alors Celui en qui n'était pas le poison du péché a satisfait avec un ardent amour. Imitez en cela son exemple; si vous êtes vertueux, souffrez les injustices de ceux qui vous injurient sans que vous les ayez offensés. La souffrance est toujours juste de la part de Dieu, car nous l'offensons toujours. Le Christ a souffert jusqu'à la mort, et il est ressuscité glorieux; nous ferons de même: il faut que tous les serviteurs de Dieu souffrent jusqu'à la mort de la sensualité; car quand la sensualité sera morte, l'âme ressuscitera à la grâce; le vice sera vaincu; elle régnera glorieusement avec la patience; elle en sera revêtue, et elle persévérera jusqu'à ce qu'elle monte au ciel.

6. Toutes les vertus qui sont l'ornement de la patience restent sur la terre; la charité seule entre triomphante dans le ciel; mais elle porte avec elle le fruit de toutes les vertus, et surtout le fruit de la patience. La patience est intimement unie à la charité; elle en est la moelle () car elle se montre toujours revêtue d'amour; elle n'en est jamais dépouillée, puisque la patience sans la charité ne serait pas une vertu. Mais lorsque l'amour véritable et parfait est dans l'âme, elle le montre en souffrant les peines, les opprobres, les mépris, les affronts, les tentations [871] du démon, les combats de la chair, les murmures des méchants et les mensonges de ceux dont le coeur et la langue ne sont jamais d'accord; elle supporte tout avec une sainte et vraie patience, avec un ardent désir de servir Dieu et le prochain. Elle se retire dans la cellule de la connaissance d'elle-même, et dans cette connaissance elle trouve la connaissance de la bonté de Dieu à son égard; elle s'y plaît, elle s'y engraisse. Dans sa cellule, elle prend avec peine la nourriture des âmes; sa table est la sainte Croix et son repos la gloire et l'honneur du nom de Dieu. C'est là qu'elle a choisi Sa couche. Elle trouve ainsi la table, la nourriture, le serviteur, c'est-à-dire le Saint-Esprit et l'honneur du Père, où elle se repose; et parce qu'elle a trouvé cette cellule intérieure si douce, elle la défend à l'extérieur autant qu'il lui est possible.

7. Cher Père et Fils négligent, rappelez-vous la doctrine de Marie et de la douce Vérité suprême; apprenez que vous devez rester dans la connaissance de vous-même, et y offrir d'humbles et continuelles prières. Vous devez étudier votre intérieur, connaître la vérité et fuir toute conversation, excepté celle qui est nécessaire au salut des âmes pour les tirer des mains du démon par la sainte confession. Aimez pour cela être avec les publicains et avec les pécheurs; pour les autres, aimez-les beaucoup, mais fréquentez-les peu. N'oubliez pas alors de réciter à son temps l'office divin; ne soyez jamais paresseux et négligent quand vous avez quelque chose à faire pour Dieu et pour le service du prochain; 'mais, dès que vous aurez fini, réfugiez-vous dans votre cellule [872], et ne vous dissipez pas dans les conversations sous prétexte de faire le bien. Je suis persuadée que si vous êtes vraiment zélé et affamé de vertus, vous ferez, et vous n'oublierez jamais ce que - je vous ai dit. Sans zèle, vous ne le ferez pas, et vous ne conserverez pas même ce que vous avez. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir un zèle véritable et parfait. Oh! oui, j'espère de Marie, ma douce Mère, qu'elle accomplira mon désir. Perdez-vous vous-même, et ne cherchez que Jésus crucifié, sans vous arrêter à aucune créature.

8. Priez les glorieux apôtres Pierre et Paul, pour qu'ils nous donnent, à moi et à mes pauvres enfants, la grâce de nous plonger dans le sang de Jésus crucifié, et de nous revêtir de la douce vérité. Et moi, si c'est sa volonté, que Dieu me retire de cette vie ténébreuse; car la vie est ma peine, et la mort mon plus grand désir. Prenez courage, et réjouissons-nous, car notre joie sera grande dans le ciel. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 139, AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE

CXXXIX (93) - AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. - Comment il faut aimer et suivre la vérité, qui est la volonté de Dieu à notre égard.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des [873] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir l'époux véritable de la Vérité, son disciple, son ami fidèle; mais je ne vois pas le moyen de goûter et de posséder cette Vérité, si nous ne nous connaissons pas nous-mêmes. C'est par cette connaissance que nous comprenons véritablement notre néant. Nous voyons que nous tenons notre être de Dieu, qu'il nous a créés à son image et ressemblance. Dans la connaissance de nous-mêmes, nous trouvons encore la régénération que nous devons à Dieu, qui nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique, dans ce sang qui nous a manifesté la vérité du Père.

2. La vérité était qu'il nous avait créés pour la gloire et l'honneur de son nom, pour nous faire participer à son éternelle beauté, et pour nous sanctifier en lui. Qui prouve que ce soit la vérité? Le sang de l'Agneau sans tache. Et où trouvons-nous ce sang? Dans la connaissance de nous-mêmes. Nous avons été cette terre où a été fixé l'étendard de la Croix; nous avons été le vase pour recevoir le sang de l'Agneau qui coulait de la Croix. Pourquoi avons nous été cette terre? Parce que la terre ne suffisait pas à tenir droite la Croix; elle se serait refusée à cette injustice, les clous eussent été insuffisants pour l'attacher, si l'amour ineffable qu'il avait pour nous ne l'eût retenu. Oui, c'est l'ardente Charité qu'il avait pour l'honneur de son Père et pour notre salut qui le fixait à la Croix; nous sommes la terre où elle a été plantée, le vase qui a reçu le sang. Celui qui le reconnaîtra et sera l'époux de Cette Vérité, trouvera dans le sang la grâce, la richesse et la vie [874] de la grâce; sa nudité sera couverte et revêtue de la robe nuptiale; il sera tout imprégné du feu et du sang répandu par amour, et uni à la Divinité. Dans ce sang, il se nourrira de miséricorde; dans ce sang, il dissipera les ténèbres, et goûtera la lumière, parce que dans ce sang il perd le nuage de l'amour-propre sensitif et la crainte servile qui cause la peine, et il reçoit la sainte crainte et l'assurance de l'amour divin qu'il a trouvé dans le Sang. Tandis que celui qui n'aimera pas la vérité, ne la connaîtra pas dans la connaissance de lui-même et du Sang, comme celui qui marche généreusement, sérieusement et sans crainte servile. La foi vive ne consiste pas seulement en paroles, mais elle brille en tout temps, c'est-à-dire dans l'adversité comme dans la prospérité, dans le temps de la persécution comme dans le temps de la consolation; rien ne peut diminuer la foi et la lumière de celui que la vérité éclaire véritablement non seulement par goût, mais en réalité.

3. Je dis que si cette lumière et cette vérité ne s'étaient pas trouvées dans l'âme, elle n'en serait pas moins le vase qui recevrait le Sang, mais ce serait pour son jugement et sa confusion; elle serait dépouillée du vêtement de la grâce, et elle ressentirait la justice non par le défaut du Sang, mais pour avoir méprisé le Sang. Celui qui est aveuglé par l'amour-propre ne voit pas, et ne connaît pas la vérité dans le Sang, et il reçoit pour sa ruine et avec une grande amertume. Il est privé de la joie du Sang, de la douceur et du fruit du Sang, parce qu'il ne se connaît pas lui-même; il ne connaît pas le Sang en lui, et il n'a pas été l'époux fidèle de la Vérité [875] .

4. Il faut donc connaître la vérité pour être l'époux de la Vérité; il faut dans la cellule de la connaissance de vous-même reconnaître que Dieu vous a donné l'être par bonté et non par obligation, qu'il vous a régénéré en vous rendant la vie de la grâce dans le sang de l'Agneau; c'est là qu'il faut vous baigner, vous anéantir et noyer votre volonté: autrement vous ne serez pas l'époux fidèle, mais infidèle, de la Vérité. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir le véritable époux de la Vérité. Anéantissez-vous donc dans le sang de Jésus crucifié, baignez-vous dans ce sang, enivrez-vous de ce sang, rassasiez-vous de ce sang. Revêtez-vous de ce sang. Si vous avez été infidèle, rebaptisez-vous dans ce sang; si le démon a obscurci l'oeil de votre intelligence, lavez-vous avec ce sang; si vous êtes tombé dans l'ingratitude en méconnaissant les dons que vous avez reçus, soyez reconnaissant par ce sang; si vous êtes un pasteur négligent, si vous n'avez pas la verge de la justice unie a la prudence et à la miséricorde, vous la trouverez dans ce sang; vous la verrez avec l'oeil de l'intelligence, vous la prendrez avec la main de l'amour, vous la tiendrez avec un ardent désir. Oui, détruisez la tiédeur avec la chaleur de ce sang; dissipez les ténèbres avec sa lumière. Vous serez ainsi l'époux de la Vérité, le pasteur véritable, le guide des brebis qui vous sont confiées, l'ami fidèle de la cellule de votre âme et de votre corps, autant que vous le pouvez dans votre position. Vous le ferez, si vous êtes dans ce Sang, mais non pas autrement.

5. Oh! je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié [876] de le faire, et de vous détacher de toute créature, de moi la première. Revêtez-vous de l'amour de Dieu et de l'amour de toutes les créatures pour Dieu; aimez-les beaucoup, mais fréquentez-les peu, à moins que ce ne soit pour travailler au salut des âmes. Pour moi, je le ferai quand Dieu m'en accordera la grâce; je veux me revêtir de nouveau dans ce sang, et me dépouiller des vêtements que j'ai portés jusqu'ici. Je veux ce sang, ce sang est et sera le bonheur de mon âme; je me trompais quand je le cherchais dans les créatures. Je veux au milieu de mes travaux être accompagnée de ce sang, et je trouverai dans ce sang toutes les créatures; je m'abreuverai de leur amour dans ce sang, et je goûterai la paix dans la guerre, la douceur dans l'amertume; et lorsque je serai privée des créatures et de la tendresse de mon Père, je trouverai le Créateur, le Père éternel et souverain. Baignez-vous dans le Sang, et réjouissez-vous, car je me réjouis dans la sainte haine de moi-même. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [877].








Lettre n. 140, AU FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE

CXL (94). - AU FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. - Il faut me dépouiller de l'amour-propre et de la crainte servile pour pratiquer la sainte justice envers Dieu, envers le prochain et envers soi-même.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le coeur dépouillé de tout amour de vous-même, afin que l'amour-propre ne vous empêche pas d'être l'époux de la Vérité, et ne vous rende pas un pasteur timide. La crainte ne doit pas vous ôter le zèle de la sainte justice envers vous et envers ceux qui vous sont soumis (Sainte Catherine envoya le B. Raymond à Rome en 1377, et il y fut nommé prieur du couvent de la Minerve.). Car, là où règne l'amour-propre ne peut briller la justice. Celui qui s'aime lui-même ne peut se rendre ce qui lui appartient, c'est-à-dire la haine et le mépris par la connaissance de lui-même; il ne rend pas à Dieu la gloire et l'honneur de son nom; il ne donne pas à son inférieur l'exemple d'une vie sainte et parfaite; il ne reprend pas celui qui a des défauts, et n'est pas bienveillant pour celui qui est bon, en l'encourageant, l'aidant et l'attachant à l'Ordre, Ainsi donc, celui qui reste dans l'amour-propre [878] commet l'injustice, et n'accomplit pas la justice. Il faut nous dépouiller de nous-mêmes, nous revêtir de Jésus crucifié, monter sur la barque de la très sainte Foi, et voguer sans crainte sur la mer orageuse du monde. Car celui qui est dans cette barque ne doit pas avoir de crainte servile; sa barque est fournie de toutes les provisions que l'âme peut désirer. Lorsque les vents contraires viennent nous attaquer et nous empêcher de satisfaire sur-le-champ nos désirs, il ne faut pas nous en inquiéter, mais avoir une foi vive; car nous avons de quoi nous nourrir, et la barque est si forte, que les vents les plus terribles, en la poussant sur les écueils, ne pourront jamais la briser.

2. Il est vrai que souvent la barque sera couverte par les flots de la mer, mais ce n'est pas pour que nous perdions courage; c'est pour que nous nous connaissions mieux, et que nous distinguions plus parfaitement le calme de la tempête. Dans le calme, nous ne devons pas avoir une confiance déréglée, mais nous devons, avec une sainte crainte, avoir recours aux humbles et continuelles prières, et rechercher avec un ardent désir l'honneur de Dieu et le salut des âmes, dans cette barque de la Croix. C'est pour cela que Dieu permet aux démons, à la chair et au monde, de nous persécuter et de nous couvrir de leurs flots tumultueux. Mais si l'âme qui est sur cette barque ne se tient pas sur le bord, mais se place au centre, dans l'abîme de l'ardent amour de Jésus crucifié, elle n'en recevra aucun mal: elle en deviendra, au contraire, plus forte, plus courageuse à supporter les peines, les fatigues [879] et les injustes reproches du monde, parce qu'elle aura éprouvé et goûté le secours de la Providence divine. Dépouillez-vous donc de l'amour-propre, et revêtez-vous de la doctrine de Jésus crucifié. Je vous en conjure, je veux que vous entriez dans cette barque de la très sainte Croix, et que vous traversiez cette mer orageuse à la lumière d'une foi vive, avec la pierre précieuse d'une vraie et sainte justice envers vous-même et envers vos supérieurs. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 141, AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE

CXLI (95). - AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. - Il faut travailler avec zèle, patience et charité au salut des âmes.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir porter le fardeau des créatures par amour pour l'honneur de Dieu et pour leur salut. Soyez un vrai pasteur, et gouvernez avec sollicitude les brebis qui vous sont, ou qui vous seront confiées, afin que le loup infernal ne les ravisse pas; car, si vous commettiez quelque négligence, il vous en serait demandé compte. Oui, voici le moment de montrer qui a faim ou non, et qui a pitié des morts [880] que nous voyons privés de la vie de la grâce. Travaillez donc avec courage, avec une vraie connaissance et avec d'humbles et continuelles prières, jusqu'à la mort. Sachez que c'est la voie qu'il faut suivre, si vous voulez connaître et être l'époux de l'éternelle Vérité; il n'y en a pas d'autre.

2. Gardez-vous bien de fuir les fatigues, mais recevez-les avec joie, et allez au-devant d'elles avec un saint désir, en disant: Soyez les bienvenues; dites encore: Quelle grâce me fait mon Créateur, en me faisant souffrir pour la gloire et l'honneur de son nom! En agissant ainsi, l'amertume sera votre douceur et votre consolation vous offrirez avec ardeur vos larmes et vos soupirs pour les pauvres brebis qui sont en la puissance du démon. Alors les soupirs seront votre nourriture, et les larmes votre breuvage. N'employez pas autrement votre vie; réjouissez-vous, reposez-vous sur la Croix avec Jésus crucifié; et, en le faisant, vous serez le doux fils de Marie et l'époux de l'éternelle Vérité. Je ne vous en dis pas davantage. Donnez votre vie pour Jésus crucifié; anéantissez-vous dans le sang de Jésus crucifié; prenez la nourriture des âmes sur le bois de la Croix, avec Jésus crucifié; noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [881].








Lettre n. 142, AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE

CXLII (96).- AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. - Du bonheur de souffrir et de mourir pour l'Eglise.

(Cette lettre est écrite de Florence, après l'émeute du 22 juin 1378, dans laquelle sainte Catherine faillit périr. (Vie de sainte Catherine, IIIe p., ch. 6. )



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très Cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le serviteur et l'époux fidèle de la Vérité et de la douce Marie. Oui, ne tournons jamais la tête en arrière, malgré les obstacles et les persécutions du monde; mais ayons une ferme espérance à la lumière de la très sainte Foi, pour traverser avec courage et persévérance cette mer orageuse. Glorifions-nous dans les souffrances, sans cherche? notre gloire, mais la gloire de Dieu et le salut des âmes, comme le faisaient les glorieux martyrs qui, pour la vérité, étaient prêts à souffrir les tourments et la mort. Aussi c'est avec le sang répandu par amour du Sang qu'ils ont fondé les murailles de la sainte Église. O doux Sang! qui ressuscites les morts; Ô Sang! tu donnes la vie, tu dissipes les ténèbres dans les esprits aveuglés des créatures raisonnables, et tu leur donnes la lumière; doux Sang, tu rapproches ceux qui sont séparés; tu [882] revêts ceux qui sont nus, tu rassasies les affamés, et tu désaltères ceux qui ont soif du Sang, et avec le lait de ta douceur tu nourris les petits, ceux qui sont petits par une humilité sincère, et innocents par une vraie pureté. O Sang qui ne s'enivre pas de toi? Ce sont ceux qui s'aiment eux-mêmes, parce qu'ils ne sentent pas ton parfum.

2. Oui, mon cher et doux Père, dépouillons-nous de nous-mêmes et revêtons-nous de la vérité: nous serons alors des époux fidèles. Je vous annonce qu'aujourd'hui je veux commencer une vie nouvelle, pour que mes péchés ne me privent pas encore du bonheur de mourir pour Jésus crucifié; car je vois bien que c'est ma faute si jusqu'à présent j'en ai été privée. Mon désir s'était grandement augmenté, et je brûlais de souffrir, sans l'avoir mérité, pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes, pour la réformation et le bien de la sainte Eglise. Mon coeur se fendait d'amour et de désir de sacrifier ma vie; ce désir m'était doux et pénible: doux, parce que j'étais unie à la Vérité; pénible, parce que mon coeur souffrait do voir l'offense de Dieu et cette multitude de démons qui obscurcissaient toute la cité, et aveuglaient les intelligences; il semblait que Dieu les laissait faire par justice et par vengeance. Aussi, je me consumais en gémissements, je redoutais le malheur qui était près d'arriver, et qui pouvait empêcher de conclure la paix. Mais Dieu, qui ne méprise pas le désir de ses serviteurs, nous protégea, ainsi que la douce Marie, notre Mère, dont le nom avait été invoqué avec les larmes et les angoisses du désir; et dans cette émeute et ce bouleversement, il n'y eut pour ainsi [883] dire d'autre mal que la mort de ceux que frappa la justice.

3. Ainsi fut satisfait le désir que j'avais de voir la providence de Dieu ôter la puissance aux démons, et les empêcher de faire tout le mal. qu'ils voulaient faire. Mais le désir que j'avais de donner ma vie pour la Vérité et pour la douce Épouse du Christ ne fut pas exaucé. L'éternel Époux de mon âme m'a bien trompée, comme vous le racontera de vive voix Christophe. Aussi je pleure, parce que la multitude de mes péchés est si grande, - que je n'ai pu mériter que mon sang donnât la vie et la lumière a ces pauvres aveugles. Mon sang n'a pas réconcilié le fils avec le père; mon sang n'a pas cimenté la pierre dans le corps mystique de la sainte Église. Il semble que les mains de celui qui voulait frapper étaient liées. Je disais C'est moi, prenez-moi, et laissez ceux qui m'accompagnent; c'était comme des coups de poignard qui leur perçaient le coeur. O mon Père! ressentez en vous une grande joie, car je n'ai jamais goûté de semblables mystères avec tant de consolation. C'était la douceur de la vérité, l'ivresse d'une. conscience libre et pure, c'était le parfum de la douce providence de Dieu; c'était la jouissance des nouveaux martyrs, annoncée, vous le savez, par l'éternelle Vérité. La langue ne pourrait suffire a raconter le bonheur qu'éprouvait mon âme. Je sentais si bien ce que je devais a mon Créateur, que, si j'avais pu livrer mon corps aux flammes, il me semblait que je n'aurais pas assez reconnu les grâces que nous avions reçues, moi, mes fils et mes filles. Je vous dis tout cela, non pas pour que vous vous en affligiez [884], mais pour que vous en ressentiez, au contraire, une douce et sainte joie, et que, vous et moi, nous commencions à nous plaindre de mon imperfection; car c'est mon péché qui m'a privée d'un si grand bien. Oh! que mon âme eût été heureuse, si j'avais donné mon sang pour la douce Épouse, pour l'amour du Sang et pour le salut des âmes. Oui, réjouissons-nous, et soyons des époux fidèles.

4. Je ne veux pas vous en dire davantage sur ce sujet; Christophe vous en parlera et vous entretiendra d'autres choses. Je veux seulement vous dire de prier le Christ de la terre de ne pas retarder la paix a cause de ce qui est arrivé; qu'il la fasse, au contraire, avec bien plus d'empressement, afin qu'il puisse s'occuper des grands desseins qu'il a pour l'honneur de Dieu et la réformation de la sainte Église;. car cet événement n'a rien changé, et maintenant la ville est parfaitement tranquille. Priez-le de se hâter, je le demande au nom de la Miséricorde, car c'est le moyen d'arrêter les offenses sans nombre qui se commettent contre Dieu. Dites-lui qu'il ait pitié et compassion de ces âmes qui sont dans les ténèbres; dites-lui qu'il me tire promptement de prison; car, si la paix ne se fait pas, il me semble impossible de m'éloigner, et je voudrais pourtant aller goûter le sang des martyrs, visiter Sa Sainteté, et me retrouver avec vous pour vous raconter les admirables choses que Dieu a faites dans ces derniers temps pour réjouir notre esprit, pour enivrer notre coeur, et augmenter notre espérance a la lumière de la très sainte Foi. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de. Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.










Lettre n. 143, AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE

CXLIII (97).- AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. Conversion et supplice de Nicolas Tuldo, de Pérouse.

(Nicolas Tuldo était un jeune noble de Pérouse qui fut condamné à mort pour avoir mal parlé des magistrats de Sienne. La rigueur excessive de cette sentence l'avait tellement exaspéré, qu'il repoussait tous les secours de la religion, lorsque sainte Catherine vint le visiter. Son supplice. est représenté à fresque, par le Sodoma, dans la chapelle de notre sainte, à Saint-Dominique de Sienne.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon bien-aimé Père et très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris pour me recommander à vous dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir embrasé, anéanti dans ce très doux sang, qui est enflammé du feu de la plus ardente charité. Oui, c'est le désir de mort âme de vous voir dans ce sang, vous, Nanni et mon fils Jacomo car je ne vois pas d'autre moyen de parvenir aux vertus principales qui nous sont nécessaires. Très doux Père votre âme est devenue pour moi une nourriture, et, à chaque instant, je prends cette nourriture à la table du doux Agneau immolé avec tant d'amour. Vous ne parviendrez jamais à cette bonne petite vertu de la véritable humilité, si vous n'êtes anéanti dans le Sang, et cette vertu naîtra de la haine, et la haine de l'amour. Je veux [886] donc que vous vous sachiez dans le côté entr'ouvert du Fils de Dieu; c'est une demeure toute remplie de parfum; le péché même y prend une agréable odeur; là l'épouse bien-aimée se repose sur un lit de feu et de sang; là se voit et se manifeste le secret du coeur du Fils de Dieu.

2. O Coeur! O vase qui déborde pour enivrer et désaltérer tons les désirs de l'amour! Vous donnez la joie, vous éclairez l'entendement, vous remplissez la mémoire, vous la captivez tellement, qu'il est impossible de retenir, de comprendre, d'aimer autre chose que ce doux et bon Jésus. O Sang! Ô feu! ineffable amour! que mon âme serait heureuse de vous y voir anéanti! Je veux que vous fassiez comme celui qui puise de l'eau avec un vase pour la verser sur d'autres choses. Oui, versez l'eau d'un saint désir sur la tête de vos frères, qui Sont nos membres unis au corps de la douce Epouse, et prenez garde aux illusions du démon, qui, je le sais, veut et voudra vous arrêter. Qu'aucune créature ne vous fasse reculer; mais persévérez toujours dans ce que vous verrez le meilleur, jusqu'à ce que nous voyions couler le sang avec de doux et amoureux désirs. Courage donc, mon doux Père; ne dormons plus. Je sais bien que maintenant je ne veux plus me reposer et m'arrêter. J'ai déjà reçu. une tête dans mes mains, et j'en ai ressenti une douceur que le coeur ne peut comprendre, la bouche raconter, l'oeil voir, et l'oreille entendre Dieu a bien surpassé les autres mystères qui ont précédé, et que je ne vous dis pas parce que ce serait trop long.

3. Je suis allée. visiter celui que vous savez, et il en [887] reçut tant de force et de consolation, qu'il se confessa et se trouva dans les meilleures dispositions. Il me fit promettre, pour l'amour de Dieu que, quand viendrait le jour de la justice, je serais avec lui; et, ce que j'ai promis, je l'ai fait. Le matin, avant le premier coup de la cloche, j'allai le trouver, et il fut grandement console. Je le menai entendre la messe, et il reçut la sainte Communion, dont il s'était toujours éloigné. Sa volonté était unie et soumise à la volonté de Dieu. Il lui restait seulement la crainte d'être faible au moment suprême; mais l'infinie bonté de Dieu le trompa, en l'enflammant d'un tel amour et d'un tel désir, qu'il ne pouvait se rassasier de sa présence. il disait: Reste avec moi, ne m'abandonne pas, et je serai toujours bien, je mourrai content. Et il appuyait sa tête sur ma poitrine. Alors je sentis une joie et un parfum de son sang, qui était comme mêlé avec le mien, que je désire répandre pour le doux Epoux Jésus. Ce désir augmentait dans mon âme, et quand je sentais sa crainte, je disais: Courage, mon doux Frère, car bientôt nous serons au noces éternelles; tu iras, baigné dans le doux sang du Fils de Dieu, avec le doux nom de Jésus, qui ne doit jamais sortir de ta mémoire, et je t'attendrai au lieu de la justice.

4. 0 mon Père et mon Fils! son coeur perdit alors toute crainte; la tristesse de son visage se changea en joie, et, dans son allégresse, il disait: " D'où me vient une si grande grâce? Quoi! la douceur de mon âme m'attendra au lieu saint de la justice! " Voyez quelle lumière il avait reçue, puisqu'il appelait saint le lieu de la justice. Et il ajoutait: " Oui, j'irai fort et joyeux [888] et il me semble que j'ai encore mille années a attendre, lorsque je pense que vous y serez. " Et il disait des paroles si douces, que j'admirais la bonté de Dieu. Je l'attendis donc au lieu de la justice, et je l'attendis en priant et en invoquant sans cesse l'assistance de Marie et de Catherine, vierge et martyre. Avant son arrivée je me baissai et je plaçai mon cou sur le billot, mais je n'obtins pas ce que je désirais. Je priais et j'invoquais Marie avec ardeur, et je lui disais que je voulais, au moment suprême, pour lui la lumière et la paix du coeur, et pour moi la grâce de le voir retourner à sa fin dernière. Mon âme alors était tellement enivrés de la douce promesse qui m'était faite, que je n'apercevais plus personne au milieu de toute cette multitude.

5. Il arriva enfin, comme un agneau paisible, et en me voyant il se mit à sourire. Il voulut que je lui fisse le signe de la Croix, et quand il l'eut reçu, je lui dis tout bas: Mon doux frère, allez aux noces éternelles jouir de la vie qui ne finit jamais. Il s'étendit avec une grande douceur, et je lui découvris le cou. J'étais baissée vers lui, et je lui rappelais le sang de l'Agneau. Sa bouche ne disait autre chose que Jésus, Catherine, et, en disant ces mots, je reçus sa tête dans mes mains.

6. Alors je fixai mon regard sur la Bonté divine, et je dis Je veux. Aussitôt je vis, comme on voit la clarté du soleil, Celui qui est Dieu et homme; il était présent, et il recevait le sang. Dans ce sang était un feu du saint désir, que la grâce avait caché dans son âme, et ce feu était absorbé par le feu de la charité divine. Dieu recevait ce sang, son désir [889], son âme, qu'il plaça dans l'ouverture de son côté, dans le trésor de sa miséricorde, montrant ainsi cette grande vérité, que c'était par grâce seulement et par miséricorde, qu'il la recevait, et non pour quelque mérite personnel O bonheur ineffable, de voir avec quelle douceur et quel amour la bonté de Dieu attendait cette âme séparée de son corps! Comme il la regardait miséricordieusement, lorsqu'elle entrait dans son côté, toute baignée de ce sang, que rendait précieux le sang du Fils de Dieu! Le Père tout-puissant la recevait et lui transmettait sa puissance; le Fils, la Sagesse, le Verbe incarné, lui donnait, lui communiquait cet ardent amour qui lui fit recevoir une mort ignominieuse par obéissance à son Père, pour l'utilité du genre humain; et l'onction du Saint-Esprit, qui s'emparait de lui, l'inondait d'une joie capable de ravir mille coeurs; et je ne m'en étonne pas, car il goûtait déjà la douceur divine. Il se retourna, comme fait l'épouse quand elle est arrivée à la porte de l'époux; elle regarde en arrière, et incline la tête pour saluer ceux qui l'ont accompagnée, et leur fait un dernier signe de remerciement.

7. Lorsqu'il eut disparu, mon âme se reposa dans une paix délicieuse; et je jouissais tant du parfum de ce sang, que je ne voulais pas souffrir qu'on lavât celui qui avait jailli sur moi. Hélas! pauvre misérable, je ne veux rien ajouter; je reste sur terre avec un grand regret, et il me semble que la première pierre de ma demeure est déjà posée. Ne vous étonnez donc pas si je ne demande autre chose que de vous voir anéanti dans le sang et dans le feu qui s'échappent du côté du Fils de Dieu. Oui, plus de [890] négligence, mes Fils bien-aimés, car c'est le Sang qui donne et contient la vie. Doux Jésus, Jésus amour.











Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 137, AU FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE