Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 224, A SOEUR ALESSIA

Lettre n. 225, A LA MEME SOEUR ALESSIA

CCXXV (179).- A LA MEME SOEUR ALESSIA.- Du désir de souffrir pour Dieu, et du renoncement à la volonté propre.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [1212] de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la servante et l'épouse de ton Créateur, afin que tu ne te sépares jamais de la vérité, mais que par amour pour la vérité tu désires souffrir, sans être coupable, jusqu'à la mort, parce que dans les peines et les épreuves, l'âme détruit sa volonté sensitive et s'unit davantage à son Créateur, en n'ayant qu'une volonté avec lui. Il faut donc souffrir et nous perdre nous-mêmes; nous nous rendrons ainsi capables d'offrir d'humbles et continuelles prières en présence de Dieu, pour son honneur et pour le salut des âmes.

2. Nous devons être avides de savourer cette douce et glorieuse nourriture. Mais prends garde, ma Fille bien-aimée, de ne pas te tromper; tu te tromperais, si tu voulais manger à la table du Père, et si tu voulais éviter la table du Fils; c'est sur cette table qu'il faut manger, car rien ne peut s'acquérir sans peine, et le Père ne peut connaître la peine, mais seulement le Fils. Et comme sans peine nous ne pouvons traverser cette mer orageuse, le doux et tendre Verbe, qui connaît la peine, nous a tracé notre voie, notre règle; il a préparé notre chemin avec son sang. Ne dormons donc pas, nous les esclaves rachetées par le sang du Christ, ai nous voulons être ses épouses fidèles; mais secouons le sommeil de la négligence, et courons par cette voie de Jésus crucifié avec de tendres et ardents désirs. Ce n'est plus le moment de dormir, car nous voyons le monde dans une misère plus grande que jamais. Aussi je te conjure et je te commande de renouveler tes gémissements et tes désirs, en priant beaucoup, pour le salut de tous les [1213] hommes, pour la réforme de la sainte Eglise, afin que Dieu, dans sa bonté, fasse au Saint-Père la grâce d'accomplir ce qu'il a commencé; car, d'après ce qui m'est écrit de Rome, il parait qu'il se met à l'oeuvre généreusement, et qu'il veut s'appliquer à gagner les âmes (La lettre est de 1377, date du retour de Grégoire XI à Rome). Je connais son saint désir, et j'ai l'espérance, si mes péchés n'y mettent pas obstacle, que la paix se fera bientôt. Je ne te dis qu'une chose, c'est de crier avec une foi vive en la présence de Dieu. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 226, A SOEUR ALESSIA

CCXXVI (180).- A SOEUR ALESSIA, et à quelques autres de ses filles de Sienne, le jour de la Conversion de Saint-Paul.- Il faut détruire la volonté propre poursuivre la vérité à la lumière de la très sainte roi.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Bien-aimée Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir toutes suivre et aimer la vérité. Oui, que l'oeil de l'amour sensitif soit obscurci et perdu en vous, et que l'oeil de l'intelligence soit éclairé de lumière de la très sainte Foi, afin que vous puissiez dire en Vérité, avec le glorieux saint Paul [1214], lorsque votre volonté sera morte: " Seigneur, que voulez-vous que je fasse? " Dites-moi ce que vous voulez que je fasse, et je le ferai. O mes Filles bien-aimées, je vous promets que si vous faites sincèrement cette réponse à notre Créateur, vous vous trouverez monter avec saint Paul au troisième ciel, par le moyen de la sainte Trinité, c'est-à-dire que votre mémoire se remplira des bienfaits de Dieu, et que vous participerez à la puissance du Père, qui vous rendra fortes et patientes contre le démon, contre votre faiblesse et contre les persécutions du monde; et en supportant ces attaques avec patience, vous en triompherez. Votre intelligence goûtera et verra son objet, c'est-à-dire la sagesse du Fils de Dieu, et vous recevrez de cette sagesse la lumière surnaturelle; votre volonté sera liée dans les liens du Saint-Esprit, abîme de charité, et par cette charité, vous concevrez un tendre et ardent désir pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes.

2. Et en étant ainsi doucement élevées par le moyen de la Trinité, en participant à la puissance du Père, à la sagesse du Fils, à la clémence du Saint-Esprit, comme nous l'avons dit, vous pleurerez avec un amour et une douleur immenses sur le Fils de l'humanité, qui est mort, sur le corps mystique de la sainte Eglise et sur moi, votre ignorante et misérable mère. Oui, mes chères Filles, ayez compassion de mes iniquités, qui sont cause de tout le mal qui se fait dans le monde, et surtout de l'outrage commis contre la douce Epouse du Christ. Dieu pourvoira à tant de maux. Je suis certaine, et c'est ce qui me soutient, que la Providence ne nous manquera pas, et il me semble [1215] qu'elle se manifeste déjà. Aussi, mes très chères Filles, je vous conjure et je vous ordonne de vous plonger et de vous anéantir dans le sang de l'Agneau sans tache; offrez en sa présence d'humbles et continuelles prières. Je ne vous dis pas autre chose, si ce n'est que Dieu vous donne son éternelle bénédiction; et moi, de sa part, je vous donne la mienne.

3. Aimez-vous, aimez-vous les unes les autres; et toi, Alessia, ma Fille bien-aimée, je te dis de t'enivrer, toi et les autres, de ce sang, et de ne te nourrir que de ce sang. Je prie la souveraine et éternelle Vérité, la douce Bonté divine, de répandre en toi et dans les autres, une telle abondance de sa grâce, qu'en tout et pour tout je voie ta volonté morte et anéantie, afin que je puisse me glorifier de toi et des autres en présence de Dieu, et rendre gloire et honneur à son nom. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 227, A LA MEME SOEUR ALESSIA

CCXXVII (181).- A LA MEME SOEUR ALESSIA, lorsque la sainte était à Florence.- Les épouses du Christ doivent prier pour la sainte Eglise, et faire prier aussi les autres.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux [1216] sang, avec le désir de te voir, toi et les autres épouses et servantes fidèles de Jésus crucifié, renouveler sans cesse vos gémissements pour l'honneur de Dieu, le salut des âmes et la réforme de la sainte Eglise. C'est maintenant le temps de vous renfermer dans la connaissance de vous-mêmes, dans les veilles et la prière, car le soleil va bientôt se lever, puisque l'aurore commence à paraître. L'aurore est venue, puisque les ténèbres des péchés mortels de ceux qui disaient et entendaient publiquement l'Office se dissipent, et que l'interdit est observé malgré ceux qui voulaient l'empêcher. Grâces, grâces en soient rendues à notre doux Sauveur, qui ne méprise pas les humbles prières, les larmes et les ardents désirs de ses serviteurs. Puisque non seulement il ne les méprise pas, mais qu'il les écoute, je vous invite à prier et à faire prier la Bonté divine de nous donner bientôt la paix, afin que Dieu soit glorifié, que tout le mal cesse, et que nous nous trouvions ensemble pour raconter les oeuvres admirables de Dieu.

2. Courage donc, et ne dormez plus: secouez k sommeil de la négligence; faites faire des prières spéciales dans les monastères, et dites à notre Prieure qu'elle fasse prier toutes ses filles pour la paix, afin que Dieu nous fasse miséricorde, et que je ne revienne pas avant. Qu'elle prie pour moi, sa misérable fille, pour que Dieu me fasse la grâce d'aimer, d'annoncer toujours la vérité, de mourir pour la vérité. Je ne t'en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1217].






Lettre n. 228, A SOEUR AGNES DONNA

CXXVIII (182). - A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- La charité s'acquiert par la connaissance de soi-même, et se montre par la charité à l'égard du prochain.

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir liée par les liens de la divine charité. Ce sont ces liens qui ont attaché et cloué l'Homme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix, car les clous n'auraient pas pu le retenir, si l'amour ne l'avait pas attaché. Ce sont aussi ces doux liens qui lient l'âme à Dieu et la rendent une même chose avec lui dans l'union de l'amour. O doux et tendre amour, qui purifie l'âme et dissipe les nuages de la passion sensitive, pour éclairer l'oeil de l'intelligence et lui faire contempler l'éternelle Vérité! Il remplit la mémoire des grâces et des dons que l'âme reçoit de son Créateur, et l'âme devient reconnaissante des bienfaits qu'elle a reçus, et se rassasie de ses doux et tendres désirs. Aussi le saint Prophète disait: " Mes soupirs sont une nourriture, et mes larmes un breuvage. " Qui le faisait gémir et pleurer? L'amour, ce lien si suave et si doux. Oui, ma très chère Fille, puisqu'il est si doux, si agréable et si nécessaire, il ne faut plus dormir; il faut se lever [1218] avec un vrai et saint désir, avec zèle, il faut le chercher avec courage.

2. Et si vous me demandez, Où pourrai-je le trouver? Je vous répondrai dans la cellule de la connaissance de vous-même, où vous trouverez l'amour ineffable que Dieu vous porte; car c'est par amour que Dieu vous a créée à son image et ressemblance; c'est par amour qu'il vous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique. Lorsque vous aurez trouvé et connu l'amour que vous avez en vous-même, vous ne pourrez vous empêcher de l'aimer; et la preuve que vous aurez trouvé et conçu est amour, c'est que vous serez liée par les liens de la charité à votre prochain, que vous aimerez et servirez avec ardeur; car le bien et les services que nous ne pouvons rendre à Dieu, nous devons les rendre à notre prochain, supportant avec une vraie patience toutes les peines que nous recevons de lui: c'est le signe que nous aimons Véritablement notre Créateur, et que nous sommes liés du doux lien dont je vous parle. Nous ne pourrons participer autrement à la grâce, ni atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Aussi je disais que je désire vous voir liée des liens de la charité divine. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1219].






Lettre n. 229, A SOEUR AGNES DONNA

CCXXIX (183). - A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- Des vertus de Marie-Madeleine et de sainte Agnès, qu'il faut imiter.



QUE SOIT LOUE NOTRE DOUX SAUVEUR

1. C'est à vous, bien chère et bien-aimée Fille Agnès, et à mes autres Filles, que moi, Catherine, la servante inutile de Jésus-Christ, j'écris avec amour et désir, me rappelant la parole du Maître. J'ai désiré avec désir vous voir unies et transformées dans cet ardent et parfait amour, comme l'a fait Madeleine, qui eut le zèle d'un apôtre, et dont l'amour fut si grand, qu'elle ne s'occupa plus d'aucune chose créée. O mes bien-aimées Filles, apprenez de sainte Agnès cette vraie et sainte humilité; elle voulait toujours s'abaisser elle-même, en se soumettant à toute créature pour Dieu, et en reconnaissant que toutes les grâces et les vertus lui venaient de Dieu. C'est ainsi qu'elle conservait en elle la vertu d'humilité. Je dis qu'elle brûla encore de la vertu de charité, recherchant toujours l'honneur de Dieu et le salut des âmes, se donnant toujours elle-même dans la prière, avec une charité tendre et généreuse, pour toute créature, et elle montrait ainsi l'amour qu'elle avait pour son Créateur. Elle eut aussi un zèle continuel et persévérant, et jamais les démons et les créatures ne lui firent abandonner sa vie sainte [1220].

2. O très douce vierge, comme vous vous accordiez bien avec Madeleine, cet ardent disciple de Jésus-Christ! Car remarquez-le, mes Filles bien-aimées, Madeleine s'humilia et se connut elle-même; elle se reposa avec tant d'amour aux pieds de notre doux Sauveur! Et si nous disons qu'elle lui montra beaucoup d'amour, nous le voyons bien à la sainte Croix du Calvaire; car elle ne redoute pas les Juifs, elle ne craint rien pour elle-même; mais, dans son transport, elle court, elle embrasse la Croix, et il n'est pas douteux que pour voir son Maître, elle fut tout inondée de sang. Madeleine s'enivra d'amour, et montra combien elle était passionnée pour son Maître; elle le montra à ses créatures par ce qu'elle fit après la Résurrection, lorsqu'elle prêcha dans la ville de Marseille (Voir l'excellent ouvrage de M. l'abbé Faillon: Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence.). Je vous dis aussi qu'elle eut la vertu de persévérance, et elle le montra, cette douce Madeleine, lorsqu'elle chercha son doux Maître, et qu'elle ne le trouva pas dans son lieu ou on l'avait placé. O Madeleine! vous étiez folle d'amour, vous n'aviez plus votre coeur, car il était enseveli avec votre doux Maître, avec notre doux Sauveur; mais vous avez pris le bon moyen pour trouver le doux Jésus; vous persévérez et vous n'apaisez pas votre immense douleur. Oh! que vous faites bien, car vous voyez que c'est la persévérance qui vous a fait trouver votre Maître.

3. Vous voyez, mes très chères Soeurs, comment [1221] ces deux bien-aimées Mères et Soeurs s'accordent ensemble. Aussi je vous conjure et je vous commande d'entrer dans cette sainte voie; en vous y maintenant, de quelque côté que vous tourniez, vous trouverez la vertu, et vous serez alors tellement liées, que vous ne pourrez plus fuir. Je vous commande particulièrement, à vous, soeur Agnès, ma Fille, de vous unir à cette sainte vierge Agnès. Encouragez et bénissez, de la part de Jésus et de la mienne, soeur Raniera et mes autres Filles; bénissez et encouragez Catherine Gheto mille fois de ma part, de celle de soeur Alessia et de toutes les autres. Savez-vous que l'envie me prend de dire: Faisons ici trois tentes, car il me semble que c'est un paradis d'être avec ces saintes religieuses. Elles nous aiment tant, qu'elles ne veulent pas nous laisser partir, et qu'elles se lamentent toujours de notre départ. Nous avons reçu votre lettre. Bénissez ma fille Catherine, et dites-lui qu'elle prie Dieu de la remplir de vertus, pour la rendre digne d'être au nombre de ces saintes femmes. Encouragez-vous toutes de la part de Jésus crucifié et de sa nouvelle épouse. Voilà Cecca presque religieuse, car elle commence à bien chanter l'office avec les servantes de Jésus-Christ [1222].






Lettre n. 230, A SOEUR AGNES DONNA

CCXXX (184).- A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- De la vertu de patience, et de deux sortes d'impatience.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie patience; car je considère que sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu. Si l'impatience plaît beaucoup aux démons et à la sensualité, si elle se livre à la colère lorsqu'elle n'a pas ce qu'elle désire, elle déplaît, au contraire, beaucoup à Dieu. C'est parce que la colère et l'impatience sont la moelle de l'orgueil, qu'elles plaisent tant au démon. L'impatience perd le fruit de ses peines; elle prive l'âme de Dieu, elle lui fait goûter les arrhes de l'enfer, et la conduit enfin à la damnation éternelle. Dans l'enfer, la volonté perverse brûle avec la colère, la haine et l'impatience elle brûle et ne se consume pas, mais elle se renouvelle sans cesse et ne diminue jamais aussi je dis qu'elle ne se consume pas. La grâce est bien consumée et détruite dans l'âme, mais son être n'est pas consumé, et sa peine dure éternellement. Les saints disent que les damnés demandent la mort, et ne peuvent l'obtenir, car l'âme ne meurt jamais elle meurt bien à la grâce par le péché mortel, mais elle ne meurt pas à l'existence [1223].

2. Il n'y a aucun vice et aucun péché qui, dans cette vie, fassent goûter les arrhes de l'enfer comme la colère et l'impatience. L'âme qu'elles possèdent éprouve la haine de Dieu ét l'horreur du prochain; elle ne veut pas et ne sait pas supporter les défauts des autres; tout ce qu'on lui dit ou ce qu'on lui fait la met hors d'elle-même, et elle se laisse emporter par la colère et l'impatience comme la feuille par le vent. Elle devient insupportable à elle-même, parce que la volonté mauvaise la ronge toujours et lui fait désirer ce qu'elle ne peut avoir; elle oublie la volonté de Dieu et la raison. Tout cela est produit par l'arbre de l'orgueil, dont la moelle est la colère et l'impatience. L'homme devient un démon incarné, et il est plus terrible d'avoir à combattre les démons visibles que les démons invisibles: toute créature raisonnable doit les éviter.

3. Mais remarquez qu'il y a deux sortes d'impatience. La première est une impatience générale qu'éprouvent les hommes du monde, et qui leur vient de l'amour déréglé qu'ils ont pour eux-mêmes et pour les choses temporelles qu'ils aiment en dehors de Dieu; et pour les avoir, ils ne craignent pas de perdre leur âme et de la livrer' entre les mains du démon. Ce mal est sans remède, si celui qui a offensé Dieu, ne le reconnaît pas et ne coupe pas cet arbre avec le glaive d'une humilité sincère. Cette hum lité nourrit la charité dans l'âme; et la charité est un arbre d'amour dont la moelle est la patience et la bienveillance pour le prochain. Car, comme l'impatience montre plus qu'aucun autre vice que l'âme est privée de Dieu, parce qu'elle est [1224] la moelle de l'arbre de l'orgueil, de même la patience montre mieux et plus parfaitement qu'aucune autre vertu que Dieu est par sa grâce dans l'âme. Je parle de la patience produite par l'arbre de la charité; de la patience qui, par amour pour son Créateur, méprise le monde et l'injure, de quelque côté qu'elle vienne. Je disais que la colère et l'impatience étaient de deux sortes, générale ou particulière.

4. Nous avons vu l'impatience générale; je vais maintenant parler de l'impatience particulière, de l'impatience de ceux qui ont méprisé le monde, mais qui veulent être serviteurs de Jésus crucifié à leur manière, c'est-à-dire à cause du plaisir et de la consolation qu'ils trouvent en lui. Il en est ainsi perce que la volonté propre spirituelle n'est pas morte en eux, et ils demandent à Dieu qu'il leur distribue les consolations et les tribulations à leur manière, et non à la sienne; et ils deviennent ainsi Impatients quand ils éprouvent le contraire de ce que veut la volonté propre spirituelle. C'est là un rejeton d'orgueil qui sort du véritable orgueil, comme un arbre pousse un sauvageon qui en paraît séparé, mais qui tire cependant sa substance du même arbre. Il en est ainsi de la volonté propre de l'âme qui veut servir Dieu à sa manière, et qui, ne le pouvant pas, en conçoit de la peine; et cette peine la conduit à l'impatience; elle devient insupportable à elle-même, et ne se plaît plus au service de Dieu et du prochain. Si quelqu'un vient pour lui demander conseil ou protection, elle ne lui fait que des reproches, et ne sait pas compatir à ses besoins [1225]. Tout cela vient de la volonté sensitive spirituelle, qui sort de l'arbre de l'orgueil. Cet arbre a été taillé, mais non pas arraché il est taillé, lorsqu'on éloigne son désir du monde et qu'on le place en Dieu; mais on le place imparfaitement, et il reste la racine, qui donne un sauvageon.

5. On le voit dans les choses spirituelles. Si la consolation divine manque, si l'esprit dévient sec et stérile, l'âme se trouble et s'afflige sous des apparences de vertu - Il lui semble qu'elle est privée de Dieu; elle murmure contre lui et voudrait lui donner des lois, tandis que si elle avait été sincèrement humble, avec la haine véritable et la connaissance d'elle-même, elle se serait jugée indigne de la visite intérieure de Dieu, et elle se serait trouvée digne de la peine qu'elle souffre quand elle se voit privée de la consolation de Dieu, mais non pas de sa grâce. Elle souffre alors, parce qu'il aurait fallu couper, trancher, pour que la volonté spirituelle ne souffrit pas sous prétexte de craindre d'offenser Dieu, mais à cause de sa sensualité. Au contraire, l'âme humble qui a généreusement arraché la racine de l'orgueil par l'amour, anéantit sa volonté, et ne cherche toujours que l'honneur de Dieu et le salut des âmes; elle ne s'inquiète pas des peines, et reçoit avec plus de reconnaissance dans son esprit le trouble que le repos. Elle reçoit avec un saint respect ce que Dieu lui donne et lui envoie pour son bien, afin de la retirer de l'imperfection et de la conduire à la perfection. C'est la voie pour l'y conduire, car c'est ce qui lui fait mieux connaître ses défauts et la grâce de Dieu, qu'elle trouve en elle-même par la bonne volonté [1226] que Dieu lui a donnée en lui inspirant l'horreur du péché. La vue de ses faiblesses et de ses fautes passées et présentes lui fait concevoir la haine contre elle-même, et l'amour de l'éternelle volonté de Dieu. Elle souffre avec respect, et elle est contente de souffrir au dedans et au dehors, comme Dieu le veut, afin d'accomplir et de revêtir la douce volonté de Dieu. Elle se réjouit de tout, et plus elle se voit privée de ce qu'elle aime, de la consolation de Dieu ou des créatures, plus elle est heureuse.

6. Il arrive souvent que l'âme a des affections spirituelles, et si elle ne trouve pas auprès des personnes qu'elle aime la consolation et le plaisir qu'elle voudrait, ou s'il lui semble que ces personnes aiment plus et fréquentent plus les autres, elle tombe dans la peine et l'ennui. Elle murmure contre le prochain, elle juge mal les pensées et les intentions des serviteurs de Dieu, surtout celles des personnes qui lui causent de la peine. Elle devient impatiente, elle pense ce qu'elle ne devrait pas penser; elle dit ce qu'elle ne devrait pas dire, et elle veut user à leur égard d'une fausse humilité qui a l'apparence de la véritable, mais qui est fille de l'orgueil, qui en est le rejeton Elle se dit à elle-même: Je ne veux pas faire de bruit et me fâcher contre eux; je resterai bien calme, et je ne veux causer de peine ni à eux ni à moi. Elle tombe ainsi dans un coupable dédain, et ce dédain nourrit les faux jugements de son coeur et les murmures de sa langue. Elle ne devrait pas faire ainsi; car jamais, par ce moyen, elle

n'arrachera la racine, elle ne détruira le rejeton qui [1227] empêche l'âme d'arriver à la perfection qu'elle désirait atteindre; mais elle doit, avec un coeur libre, avec une sainte haine d'elle-même, avec un ardent désir de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, et avec l'amour de la vertu, s'asseoir à la table de la très sainte Croix pour y prendre la divine nourriture. Elle doit, avec peine et sueur, chercher à acquérir la vertu, et non les consolations de Dieu et des créatures. Elle doit suivre les traces et la doctrine de Jésus crucifié, en se disant avec reproche Tu ne dois pas, mon âme, puisque tu es un membre de Jésus-Christ, passer par une autre voie que ton chef. Il n'est pas convenable de voir des membres délicats sous un chef couronné d'épines.

7. Si par sa propre fragilité ou par les artifices du démon, les orages du coeur s'élèvent, comme nous l'avons dit, ou d'une autre manière, l'âme doit alors monter sur le tribunal de sa conscience et juger avec justice, sans laisser passer rien d'impuni, par la haine et le mépris d'elle-même. C'est ainsi qu'elle arrachera la racine de l'orgueil; elle chassera avec le mépris d'elle-même le mépris du prochain, s'affligeant plus des pensées et des mouvements déréglés de son coeur que de la peine que lui ont causée les créatures, ou des injures et des désagréments qu'elle en a reçus. C'est là le doux et saint moyen que prennent ceux qui sont tout embrasés de Jésus-Christ, parce que c'est ainsi qu'ils arrachent la racine de l'orgueil et qu'ils détruisent la moelle de l'impatience, qui plaît tant, comme nous l'avons vu, au démon, car c'est le principe et la cause de tout péché; et par contre, ce qui plaît beaucoup au démon [1128] déplaît beaucoup à Dieu. Dieu a en horreur l'orgueil, et il aime l'humilité.

8. Il aima tant l'humilité de Marie, qu'il fut forcé par sa bonté à lui donner le Verbe son Fils unique, et ce fut cette douce Mère qui nous le donna. Vous savez bien que jusqu'au moment ou Marie montra son humilité et sa volonté en disant Ecce ancilla Domini: Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole, le Fils de Dieu ne s incarna pas; mais, dès qu'elle eut parlé, elle reçut et conçut en elle le doux Agneau sans tache. La douce Vérité suprême a voulu nous montrer ainsi combien est excellente cette petite vertu, et combien reçoit l'âme qui offre et donne avec humilité sa volonté au Créateur. C'est ainsi qu'il faut recevoir, dans le temps des épreuves et des persécutions, les injures, les outrages et les mauvais traitements; il faut les recevoir du prochain, ainsi que les combats intérieurs et la perte des consolations spirituelles et temporelles du Créateur et des créatures. Le Créateur nous en ôte la douceur lorsqu'il en retire le sentiment de l'esprit, et qu'il semble que Dieu n'est plus dans l'âme, tant elle éprouve de combats et de peines. Les créatures nous en privent dans leurs rapports et leurs conversations, lorsqu'il semble que nous les aimons plus que nous n'en sommes aimés. Dans toutes les circonstances, l'âme parfaite doit dire avec humilité Seigneur, voici votre servante, qu'il me soit fait selon votre volonté, et non selon ce que ma sensualité demande. Elle répand ainsi le parfum de la patience dans ses rapports avec le Créateur, avec les créatures et avec elle-même; elle [1229] goûte la paix et le repos d'esprit. Dans la guerre elle a trouvé la paix et le repos d'esprit, parce qu'elle a détruit en elle la volonté propre fondée sur l'orgueil. Elle a conçu dans son âme la grâce divine; elle porte au fond de son coeur Jésus crucifié, elle se réjouit dans les plaies de Jésus crucifié, elle ne cherche à savoir autre chose. que Jésus crucifié, et son lit est la Croix de Jésus crucifié. C'est là qu'elle anéantit sa volonté, et qu'elle devient humble et patiente.

9. Il n'y a pas d'obéissance sans humilité, et il n'y a pas d'humilité sans charité. Tout cela se trouve dans le Verbe; car c'est l'obéissance à son Père et l'humilité qui l'ont fait courir et la mort honteuse de la Croix; il s'y est attaché avec les clous et les liens de la charité, en souffrant avec une si grande patience, qu'on n'entendit jamais sortir de sa bouche le moindre murmure. Les clous étaient insuffisants pour soutenir et fixer sur la Croix l'Homme-Dieu, si l'amour ne l'y avait retenu. L'âme le comprend bien, et elle ne se plaît qu'avec Jésus crucifié. S'il lui était possible d'acquérir la vertu, de fuir l'enfer et d'avoir la vie éternelle sans peine, en goûtant ici-bas toutes les consolations spirituelles et temporelles, elle ne le voudrait pas, mais elle aimerait mieux mériter le ciel en souffrant jusqu'à la mort pour pouvoir ressembler à Jésus crucifié, et se revêtir de ses opprobres et de ses peines; et c'est ce qu'elle a trouvé à la table de l'Agneau sans tache. O glorieuse vertu! qui ne voudrait donner mille fois sa vie et souffrir toutes sortes de tourments pour t'acquérir? Tu es une reine qui possède le monde [1230] entier; tu habites dans le ciel, car l'âme qui est revêtue de toi sur cette terre, tu la fais vivre par l'amour avec les bienheureux. Puisque cette vertu est si excellente, si agréable à Dieu, si utile à nous-mêmes et au salut du prochain, secouez donc, ma chère Fille, le sommeil de la négligence et de l'ignorance; bannissez la faiblesse de votre coeur; n'éprouvez de peine et d'impatience dans aucune chose que Dieu permet. Nous ne tomberons, par ce moyen, ni dans l'impatience générale, ni dans l'impatience particulière dont je vous ai parlé; mais nous servirons notre doux Sauveur généreusement, avec liberté de coeur, avec une parfaite et sincère patience. Si nous faisons autrement, nous perdrons la grâce dans la première impatience; la seconde empêchera notre perfection, et vous n'arriverez pas où Dieu vous appelle.

10. Il me semble que Dieu vous appelle à une grande perfection; et je le crois, parce qu'il vous ôte tous les liens qui pouvaient vous arrêter. J'ai appris qu'il avait appelé à lui votre fille; c'était votre dernier lien extérieur. Je m'en réjouis avec une sainte compassion. Dieu vous a dégagée, en la délivrant elle-même des peines de la vie. Je veux donc maintenant que vous détruisiez entièrement la volonté propre, pour ne vous attacher qu'à Jésus crucifié. De cette manière, vous accomplirez ma volonté et mon désir; et c'est pour cela que, ne connaissant pas d'autre voie pour le faire, je vous ai dit que je désirais vous voir fondée dans la vraie et sainte patience, car sans elle nous ne pourrons pas atteindre notre douce fin. Je termine [1231]. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 231, A UNE SOEUR

CCXXXI (185). - A UNE SOEUR du Tiers-Ordre de Saint-Dominique, appelée Catherine de Scetto.- Les vertus s'acquièrent par l'amour de Dieu, et se montrent par la charité envers le prochain.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir véritablement la servante et l'épouse de Jésus crucifié. Nous devons être ses. servantes, car nous avons été rachetées par son sang. Je ne vois pas en quoi nous pourrions lui être utiles, mais nous devons être utiles à notre prochain; c'est le moyen de pratiquer et d'acquérir la vertu. Tu sais que toute vertu reçoit la vie de l'amour. Et l'amour s'acquiert dans l'amour, c'est-à-dire en élevant le regard de notre intelligence, et en regardant combien nous sommes aimés de Dieu. En nous voyant aimés, nous ne pourrons nous empêcher d'aimer; et en l'aimant, nous embrasserons les vertus par amour, et nous fuirons le vice avec haine. Tu vois que nous concevons les vertus en Dieu, et que nous, nous les enfantons dans le prochain. Tu sais bien que des besoins de ton prochain [1232] tu fais naître la charité qui est dans ton âme; tu reçois de lui la patience dans l'injure, et tu pries particulièrement pour ceux qui t'outragent.

2. Nous devons agir de la sorte. Si les autres nous sont infidèles, nous devons leur être fidèles, et nous devons chercher avec zèle leur salut; il faut les aimer gratuitement, et non par réciprocité. Oui, prends garde d'aimer ton prochain par intérêt; ce ne serait pas là un amour fidèle, et cet amour ne répondrait pas à l'amour que Dieu te porte. Dieu t'a aimée gratuitement, et il veut que cet amour que tu ne peux lui rendre, tu le rendes à ton prochain, en l'aimant d'un amour gratuit et non pas intéressé. S'il t'injurie, ou bien si tu vois diminuer l'affection qu'il te portait ou le plaisir et le profit que tu en retirais, tu ne dois pas moins l'aimer par charité en supportant ses défauts: tu dois surtout aimer avec respect et joie les serviteurs de Dieu. Prends garde de faire comme ces insensés qui prétendent examiner et juger la conduite et les actes des serviteurs de Dieu. Celui qui fait cela mérite un châtiment sévère. C'est comme si nous voulions donner une règle et des lois à l'Esprit-Saint, en voulant conduire les serviteurs de Dieu d'après nos idées; cela ne peut jamais se faire. Pense que l'âme qui tombe dans de pareils jugements n'a pas encore arraché la racine de l'orgueil, et ne possède pas en elle pour le prochain la véritable charité, qui consiste à l'aimer d'un amour gratuit et désintéressé. Aimons donc, et ne jugeons pas les serviteurs de Dieu. Il faut aimer généralement aussi toutes les créatures raisonnables. Ceux qui sont privés de la grâce, nous [1233] devons les aimer avec douleur et regret de leurs fautes, car ils offensent Dieu et leur âme. Tu ressembleras ainsi à l'ardent apôtre saint Paul, qui pleurait avec ceux qui pleuraient, et qui se réjouissait avec ceux qui se réjouissaient. Tu pleureras avec ceux qui sont dans un état déplorable, par désir de l'honneur de Dieu et de leur salut, et tu te réjouiras avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent et goûtent Dieu par amour.

3. Tu vois donc que dans la charité nous concevons les vertus, et que dans la charité du prochain nous les enfantons. Si tu aimes ainsi ton prochain généreusement, sans aucun amour trompeur, sans aucun intérêt spirituel ou temporel, tu seras une vraie servante de Dieu, et tu répondras par le moyen de ton prochain à l'amour que te porte ton Créateur. Tu seras une épouse fidèle et non pas infidèle; l'épouse manque à la foi de son époux quand elle donne à une autre créature l'amour qu'elle devrait lui donner. Tu es l'épouse; tu vois bien que le Fils de Dieu nous a tous épousés dans la Circoncision; il nous a donné sa chair comme un anneau pour montrer qu'il voulait épouser- l'humanité. Et toi, en voyant cet amour ineffable, tu dois aimer aussitôt ce qui est hors de Dieu; tu dois te faire la servante de ton prochain, et le servir en toute chose autant que tu le pourras. Si tu es l'épouse du Christ, tu dois être la servante du prochain; c'est le moyen d'être épouse fidèle, car l'amour que nous portons à Dieu ne peut lui servir et lui être utile, et nous devons servir alors notre prochain avec un sincère et tendre amour. Nous ne pouvons servir Dieu d'une [1234] autre manière et dans une autre forme. C'est pourquoi je t'ai dit que je désirais te voir la vraie servante et l'épouse de Jésus crucifié. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 224, A SOEUR ALESSIA