Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 231, A UNE SOEUR

Lettre n. 232, A MESSIRE LAURENT DU PIN

CCXXXII (1224).- A MESSIRE LAURENT DU PIN, de Bologne, docteur en décrétales.- De la vérité éternelle que nous a manifestée Jésus-Christ en nous rachetant de nos péchés. - De la différence qu'il y a entre celui qui hait la vérité et celui qui l'aime.

(Laurent du Pin fut un jurisconsulte célèbre, qui enseigna dans l'université de Bologne, depuis 1365 jusqu'en 1391. Il fut un des Anciens du gouvernement en 1367, et fit partie du conseil des Quatre-Cents, en 1370. L'année suivante il fut des quatre députés chargés de faire la paix avec Grégoire XI, et ce fut lui qui répondit, en 1380, aux ambassadeurs de l'antipape, qui cherchèrent inutilement à détacher la ville de Bologne du parti d'Urbain VI. Il a laissé des écrits très savants sur les décrétales.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir aimer et suivre la vérité, et méprise le mensonge. Mais cette vérité, on ne peut l'avoir et l'aimer, si on ne la connaît pas. Qui est la vérité? Dieu est l'éternelle et suprême [11235] Vérité. En qui la connaîtrons-nous? Dans le Christ, le doux Jésus. C'est avec son sang qu'il nous a manifesté la vérité du Père. Sa vérité à notre égard, c'est qu'il nous a créés à son image et ressemblance, pour nous donner la vie éternelle et nous faire participer à sa félicité parfaite. Mais, par la faute de l'homme. cette vérité ne s'accomplit point en lui; et c'est pourquoi Dieu nous a donné le Verbe, son Fils, et lui a imposé la tâche de rétablir l'homme dans la grâce en souffrant beaucoup, en expiant le péché sur lui-même, et en lui manifestant sa vérité dans son sang. Ainsi, par l'amour ineffable que Dieu lui a montré au moyen du sang de Jésus-Christ, l'homme connaît qu'il ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. C'est pour cette fin que Dieu nous a créés; et tout ce qu'il donne et ce qu'il permet dans cette vie, c'est pour que nous soyons sanctifiés en lui. Celui qui connaît cette vérité ne l'oublie pas, mais il la suit toujours et l'aime, marchant sur les traces de Jésus crucifié, Et, comme ce doux et tendre Verbe, pour nous enseigner et nous donner l'exemple, a méprisé le monde et ses délices, et a voulu souffrir la faim, la soif, les opprobres, les affronts, jusqu'à la mort honteuse de la Croix, pour honorer son Père et nous sauver, ainsi fait celui qui aime la vérité, qu'il a connue à la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière, il ne pourrait la connaître, mais avec elle il la connaît; en la connaissant il l'aime, et il aime aussi ce que Dieu aime, et déteste ce que Dieu déteste.

2. Il y a une grande différence entre celui qui aime la vérité et celui qui la déteste. Celui qui déteste la [1236] vérité est celui qui est plongé dans les ténèbres du péché mortel; il déteste ce que Dieu aime, et il aime ce que Dieu déteste. Dieu déteste le péché, les jouissances coupables et les plaisirs du monde; et lui, les aime et s'en repaît au milieu des misères du monde; il se corrompt dans tous les états. S'il a une charge qui l'oblige à servir son prochain, il ne le sert qu'autant qu'il y trouve son avantage, car il n'aime que lui-même. Le Christ béni a donné sa vie pour nous, et il ne voudra pas donner une seule parole utile au prochain, à moins qu'il ne soit payé, et bien payé. Si c'est un pauvre qui ne peut pas le payer, il le fera attendre avant de lui dire la vérité, et souvent même il ne la lui dira pas, mais il se moquera de lui, tandis qu'il devrait être compatissant et le père des pauvres. Il est cruel envers son âme, car il offense les pauvres. Il ne voit pas, le malheureux, que le souverain Juge ne lui rendra pas autre chose que ce qu'il reçoit de lui. Car, par sa justice, tout péché est puni, et toute vertu récompensée. Le Christ a embrassé la pauvreté volontaire et a aimé la pureté; et cet homme misérable, qui aime et suit le mensonge, fait tout le contraire. Non seulement il n'est pas content de ce qu'il a, et il ne s'en détache pas par amour de la vertu, mais il vole son prochain. Non seulement il ne se contente pas de l'état du mariage, dont il peut observer les lois sans blesser sa conscience, mais, semblable à l'animal sans raison, il se plonge dans toutes sortes de misères, et, comme le pourceau se roule dans la fange, il se roule dans la fange de l'impureté. Mais, direz-vous, que ferai-je, puisque j'ai des richesses et que je suis dans l'état du mariage [1237], si ces choses doivent causer la perte de mon âme?

3. O mon très cher Frère, dans tout état l'homme peut sauver, son âme et recevoir on lui la vie de la grâce, pourvu qu'il évite le péché mortel. Tout état est agréable à Dieu qui ne s'arrête pas à la condition des personnes, mais à leurs saints désirs. Aussi pouvons-nous tout posséder, pourvu que ce soit avec une volonté droite. Tout ce que Dieu a fait est bon et parfait; il n'y a que le péché qu'il n'a pas fuit, et qui n'est pas digne d'amour. Les richesses et les honneurs du monde, si l'homme veut les posséder, il le peut sans offenser Dieu et son âme, mais s'il les abandonne, il sera plus parfait; car il y a plus de perfection à les abandonner qu'à les garder. Mais s'il ne veut pas les abandonner réellement, il doit les laisser et les mépriser par un saint désir, et ne pas les prendre pour l'objet principal de son affection, qui doit être Dieu seul; il doit les garder pour ses besoins et pour ceux de sa famille, et comme une chose prêtée qui ne lui appartient pas. En agissant ainsi. aucune chose créée ne lui causera de la peine, car ce qu'on possède sans amour se perd toujours sans peine. Nous voyons que les serviteurs du monde, les partisans du mensonge, vivent dans des afflictions continuelles et sont cruellement tourmentés jusqu'à la fin. Quelle on est la cause? l'amour déréglé que l'homme pour lui-même et pour les choses créées qu'il aime on dehors de Dieu; car la Bonté divine a permis que tout amour déréglé soit insupportable à lui-même. Celui-là croit toujours le mensonge, parce qu'il n'a pas en lui la connaissance de la vérité [1238]; il croit posséder le monde, conserver ses richesses, et faire un dieu de son corps et de toutes les choses qu'il aime d'une manière déréglée; et il faut s'en séparer.

4. Nous voyons qu'il les laisse on mourant, ou que Dieu permet qu'il les perde avant; c'est ce qui arrive tous les jours. Un homme est riche, tout à coup il est pauvre; aujourd'hui il est au sommet des honneurs, et demain il en sera précipité; il se portait bien, et il tombe malade. Ainsi tout passe; ce que nous croyons tenir nous échappe, ou nous en sommes séparés par la mort. Puisque vous voyez que toutes les choses du monde passent, l'homme doit les posséder comme le veut la lumière de la raison, les aimant comme il doit les aimer; et on les possédant de la sorte, il les possédera sans péché, mais selon la grâce, avec générosité de coeur et sans avarice, avec compassion pour les pauvres et sans cruauté, avec humilité et sans orgueil, avec reconnaissance et sans ingratitude. Il reconnaîtra qu'elles viennent de son Créateur, et non de lui; et avec cet amour bien ordonné il aimera ses enfants, ses amis, ses parents et toute créature raisonnable. Il observera l'état du mariage, mais comme un sacrement; et il respectera les jours réservés par l'Eglise. Il sera et vivra comme un homme, et non comme un animal; il sera chaste même dans le mariage, et restera toujours maître de sa volonté. Il sera un arbre fertile qui produira des fruits de vertu; il répandra la bonne odeur, et, même au milieu de la corruption, il sortira de lui des parfums et des semences de vertus. Vous voyez que, dans tous les états, vous pouvez posséder [1239] Dieu. Ce n'est pas l'état qui l'éloigne, mais la seule mauvaise volonté; lorsqu'elle s'égare dans l'amour du mensonge, elle corrompt alors toutes les oeuvres. Mais celui qui aime la vérité suit les traces de la vérité, il hait ce que hait la vérité, et il aime ce qu'aime la vérité; et alors toutes ses oeuvres sont bonnes et parfaites. Il ne lui serait pas possible autrement de participer à la vie de la grâce, et aucune de ses oeuvres ne donnerait des fruits de vie.

5. Comme je ne connais pas d'autre voie, je vous ai dit que je désirais vous voir aimer et suivre la vérité, et mépriser le mensonge. Laissez donc le démon, père du mensonge, et la sensualité, qui obéit à ce père. Aimez Jésus crucifié, qui est la voie, la vérité, la vie; car celui qui marche avec lui arrive à la lumière, et revêt le brillant vêtement de la charité, sur laquelle sont fondées toutes les vertus. Cette charité, cet amour ineffable une fois dans l'âme, fait qu'elle n'est plus contente de l'état commun, mais qu'elle désire aller plus loin. Elle veut, de la pauvreté spirituelle passer à la pauvreté réelle, et de l'amour de la continence à la pratique, afin d'observer à la fois les commandements et les conseils de Jésus-Christ. Elle commence à se dégoûter de la corruption du monde; et, comme il lui semble bien difficile de rester dans la fange sans se salir, elle désire ardemment àe séparer du monde autant qu'il lui est possible, et si elle ne peut pas le faire complètement, elle s'applique à acquérir la perfection dans son état, et elle en a au moins le désir.

6. Ainsi donc, très cher Frère, ne dormons plus [1240]; mais secouons le sommeil. Ouvrez l'oeil de l'intelligence à la lumière de la Foi, pour voir, aimer et suivre cette vérité que vous connaîtrez dans le sang de l'humble et tendre Agneau. Ce sang, vous le connaîtrez par la connaissance de vous-même, car c'est lui qui purifie la face de l'âme; ce sang est à nous, et personne ne peut nous l'enlever, si nous ne le voulons pas. Ne soyez donc pas négligent, mais remplissez-vous comme un vase, du sang de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 233, A MESSIRE FRANÇOIS DE MONTALCINO

CCXXXIII (225). - A MESSIRE FRANÇOIS DE MONTALCINO, docteur en droit .- De la patience et de l'impatience. - Il faut renoncer à ma volonté pour avoir la paix en ce monde et en l'autre.

(François de Montalcino fut un professeur célèbre de l'université de Sienne. Sainte Catherine parle de sa femme, Moranda, dans la lettre CXII.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir affermi dans une vraie et sainte patience. Car je vois que sans la patience nous ne pourrons plaire à Dieu, et que nous [1241] aurons dès cette vie un avant-goût de l'enfer. Oui, par l'impatience, nous commençons à goûter les tourments de l'enfer en ce monde.

2. Oh! que l'homme serait insensé, s'il voulait goûter l'enfer lorsqu'il peut jouir de la vie éternelle! car la vie éternelle n'est pas autre chose qu'une volonté en paix, en harmonie avec la volonté de Dieu, une volonté soumise qui ne peut désirer et vouloir que ce que Dieu veut; et tout le bonheur de ceux qui en jouissent est fondé sur cette volonté pacifiée. Mais au contraire ceux qui sont dans l'enfer sont brûlés et dévorés par leur volonté perverse, cette volonté qui les torture par l'impatience, la haine et la colère qui les rongent et les accablent; et tout cela est mérité par l'ignorance et l'aveuglement de l'homme. S'il avait été sage en cette vie; lorsqu'il pouvait la recevoir, s'il avait voulu, il eût évité cette ignorance et cet aveuglement.. O très cher Frère! imitez ces sages qui, dès cette vie, commencent à goûter Dieu en ne faisant qu'une volonté avec lui; car toutes nos peines viennent de ce que nous voulons ce que nous ne pouvons avoir. Si la volonté aime les honneurs, les richesses, les plaisirs, la puissance ou la santé du corps, si elle les veut et les désire avec un amour déréglé, elle ne peut les avoir, et souvent même elle perd ce qu'elle a; elle en éprouve alors une grande peine, parce qu'elle aime d'une manière déréglée. Puisque c'est la volonté qui cause la peine, en détruisant la volonté propre on détruira toute peine.

3. Comment pourrons-nous la détruire? en nous dépouillant du vieil homme, c'est-à-dire de nous-mêmes [1242], et en nous revêtant de l'homme nouveau, c'est-à-dire de l'éternelle volonté du Verbe, de l'Homme-Dieu, Et si vous cherchez ce que veut cette douce Volonté, demandez à Paul, qui vous assure qu'elle ne veut autre chose que notre sanctification (1 Thess 4,3). Tout ce que Dieu donne et permet, même la peine et la maladie, il le donne et le permet providentielle. ment pour notre sanctification et pour les besoins de notre salut.

4. Nous ne devons donc pas être impatients de ce qui est notre bien; mais nous devons en être très reconnaissants, nous jugeant indignes de souffrir pour Jésus crucifié et indignes de la récompense qui suit la peine, nous préparant à la peine par le mépris et la haine de nous-mêmes et de cette partie sensuelle qui se révolte et qui outrage le Créateur. Et si nous disons que cette sensualité ne semble pas vouloir accepter les souffrances, il faut la soumettre par la douce et sainte pensée de Jésus crucifié, il faut la flatter et la menacer en lui disant Souffre aujourd'hui, mon âme, peut-être que demain ta vie sera terminée; pense que tu dois mourir, et tu ne sais pas quand. Considérons bien que la peine ne peut être plus grande que le temps, et que Je temps pour l'homme est étroit comme la pointe d'une aiguille. Comment donc dire qu'une peine est grande? Il ne faut pas dire ce qui n'est pas; et si cette passion sensuelle veut lever la tête, il faut lui opposer la crainte et l'amour en lui disant Songe que le fruit de l'impatience est la peine éternelle, et qu'au [1243] dernier jour du jugement, nous aurons à souffrir ensemble. Il vaut mieux vouloir ce que Dieu veut, aimer ce qu'il aime, que de vouloir ce que tu veux, et de t'aimer toi-même d'un amour sensuel. Je veux que tu souffres courageusement en pensant qu'il n'y a aucun rapport entre les souffrances de cette vie et la gloire future que Dieu prépare à ceux qui le craignent, et qui se revêtent de sa douce volonté (Rm 7, 18).

5. Et puis, mon doux Frère et Père, songez que quand l'âme écoute si bien la raison, elle ouvre l'oeil de l'intelligence et voit son néant, car l'être qu'elle a vient de Dieu. Elle trouve son ineffable charité, qui, par amour et non par devoir, l'a créée à son image et ressemblance pour qu'elle jouisse et qu'elle possède la souveraine, l'éternelle beauté de Dieu, qui ne l'a pas créée pour un autre but. La Vérité suprême nous a montré qu'elle n'avait pas créé l'homme pour un autre but, quand Notre-Seigneur est mort sur le bois de la très sainte Croix pour nous rendre la fin que nous avions perdue. il s'immola et livra son corps, d'où s'échappèrent de toute part des flots de sang, avec une telle ardeur d'amour, que toute dureté de coeur devrait s'amollir, que toute impatience devrait disparaître et se changer en une parfaite patience; il n'y a rien d'amer qui ne devienne doux dans le sang de l'Agneau, ni rien de lourd qui ne devienne léger. Ne dormons donc plus; mais employons courageusement le peu de temps qui nous est laissé, nous attachant à l'étendard de la très sainte Croix par une bonne et sainte [1244] patience. Considérons que le temps est court, et que la peine n'est presque rien, tandis que la récompense que nous en recevrons est immense. Je ne veux pas que vous sacrifiiez à un peu de peine un si grand bien. Se plaindre et se lamenter n'ôtent pas la peine, mais l'augmentent, au contraire, en excitant la volonté à vouloir ce qu'elle ne peut avoir.

6. Revêtez-vous, revêtez-vous du Christ, le doux Jésus; ce vêtement est si fort, que ni les démons ni les créatures ne peuvent le déchirer, si vous n'y consentez pas. Le Christ est l'éternelle et souveraine douceur qui détruit toute amertume; c'est en lui que l'âme goûte toute douceur. Elle s'y nourrit, s'y rassasie tellement, que tout ce qui est étranger à Dieu, elle le regarde comme du fumier, de la fange; elle se réjouit dans les opprobres, les mauvais traitements, les outrages, et elle ne veut autre chose que devenir semblable à Jésus crucifié. C'est là qu'elle met tout son bonheur et tout son zèle. Plus elle souffre, plus elle est heureuse, parce qu'elle sait que c'est la voie droite et le meilleur moyen de ressembler à Jésus crucifié. Je veux que vous soyez un chevalier généreux, et que, pour Jésus crucifié, vous ne craigniez pas les coups de la maladie.

7. Pensez que C'est la grâce de Dieu qui nous envoie la maladie pour empêcher les fautes nombreuses que nous ferions si nous avions la santé. Elle expie et purifie nos péchés, qui mériteraient une peine infinie, et Dieu dans sa miséricorde se contente d'une peine finie. Ainsi donc, pour l'amour de Jésus crucifié; attachez-vous à la Croix avec Jésus crucifié; réjouissez-vous dans les plaies de Jésus [1245] crucifié. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 234, A MAITRE JACOMO

CCXXXIV (226). - A MAITRE JACOMO médecin à Ascanio .- Le persévérance ne peut s'acquérir avec l'amour déréglé des créatures- Il ne faut pas compter sur l'avenir.

(Le titre de " très révérend " que sainte Catherine donne à ce médecin, peut faire croire qu'il était prêtre. Elle lui dit aussi; Voi, che sette eletto sempre a lodare Dio)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE DE LA DOUCE MARIE


1. Très révérend et très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un vrai chevalier de Dieu, suivant toujours le chemin de la vertu, ne tournant jamais la tête en arrière pour regarder la charrue, mais regardant toujours ce que vous avez à faire. Car celui qui regarde en arrière, montre qu'il est fatigué; et nous, très cher Frère, nous ne devons jamais nous fatiguer des saintes et bonnes oeuvres. Vous savez bien que celui qui commence et ne persévère pas n'est pas digne de la couronne; car notre doux Sauveur a dit que les persévérants et les violents, c'est-à-dire ceux qui combattent fortement [1246] leurs penchants mauvais, obtiennent le royaume du ciel (Mt 11,12).

2. Je vous dis donc, mon Frère et mon cher Fils, que vous ne pourrez avoir cette persévérance dans la vertu ni posséder Dieu dans votre âme, si vous fréquentez les démons visibles et incarnés, les créatures qui veulent vous détourner de vos saintes et bonnes résolutions en vous faisant sortir de vous-même. Sachez que le démon veut vous faire sortir de vous-même, parce que l'âme, une fois retirée d'elle-même, abandonne tous ses exercices, et tombe dans le vice de l'orgueil; elle ne peut se supporter et supporter aucune créature avec patience, parce qu'elle n'a pas cette douce vertu de la véritable humilité. Celui qui n'est pas humble ne peut pas être obéissant à Dieu. Ne serait-il pas déplorable que vous, qui êtes choisi pour louer Dieu sans cesse, vous suiviez la volonté coupable des hommes, que vous aimiez les hommes plutôt que Dieu? Hélas! ne serait-ce pas devenir un membre du démon?

3. Je vous prie donc pour l'amour de Jésus crucifié de n'être pas cruel, mais compatissant pour votre âme. Vous montrerez la compassion que vous avez pour elle en la purifiant de la corruption du péché mortel, et en y plantant les vraies et solides vertus, comme doit le faire un homme généreux. Ne faisons donc pas comme l'animal, qui suit ses instincts sans aucune raison, mais comme un homme généreux. Suivez la voie de la vertu, et ne vous trompez pas en disant Je le ferai demain, car vous n'êtes pas certain [1247] d'avoir le temps. Notre doux Sauveur disait " Ne pensez pas au lendemain à chaque jour sa tâche. " Oh! combien court nous apparaît le temps que l'homme possède; et, malheureux que nous sommes, avec toutes nos inquiétudes et nos désirs, nous dépensons ce temps, le trésor le plus précieux que nous ayons, en choses inutiles. Secouons donc aujourd'hui notre sommeil, ne dormons plus; il ne faut plus dormir, il faut sortir du sommeil de la négligence et de l'erreur.

4. J'ai appris que, vous et messire Pozzo, vous vouliez aller au saint Sépulcre. Cette nouvelle me cause une grande joie; mais je vous prie d'une chose pour l'amour de Jésus crucifié c'est que vous et messire Pozzo, vous vous disposiez d'abord à ce saint voyage, et que vous vous y prépariez avant tout par une sainte confession. Purifiez vos consciences avec soin, comme si vous étiez à l'article de la mort; n'attendez pas le moment où vous serez en route. Si vous ne le faisiez pas, il vaudrait mieux ne pas partir. Je vous prie, mes Pères et mes Frères, de ne pas vous laisser tromper par la faiblesse humaine et par la lèpre. de l'avarice; car vos biens et les créatures ne répondront pas pour vous, mais les vertus solides et la bonne conscience. Je n'en dis pas davantage. Ayez toujours Dieu devant les yeux. Je m'offre pour vous par une continuelle prière. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1248].






Lettre n. 235, A MAITRE FRANÇOIS

CCXXXV (227).- A MAITRE FRANÇOIS, fils de maître Barthélemi, médecin de Sienne d'une grande réputation.- Du péché mortel.- Combien la lumière est nécessaire pour en connaître la gravité, et pour obtenir la grâce de Dieu.

(Maître François, de la famille des Casini, de Sienne, eut comme médecin une grande réputation dans toute l'Italie. Il était à la cour d'Avignon, à l'époque du voyage de sainte Catherine, et il devint le médecin d'Urbain VI, qui l'employa dans quelques négociations. Après la mort d'Urbain VI, il retourna dans sa patrie, et fit partie du gouvernement de la république, en 1390, date de sa mort.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir mépriser le péché mortel, car vous ne pourrez autrement avoir la grâce de Dieu dans votre âme; et cette grâce, je ne vois pas que vous ni aucun autre puissiez la posséder sans cette lumière qui fait voir et connaître la gravité du péché et l'avantage de la vertu. La chose que l'on ne connaît pas, on ne peut l'aimer, si elle est digne d'amour, ou la détester si elle digne de haine. On ne peut rien connaître sans la lumière. Nous avons donc besoin de la lumière, afin qu'elle éclaire l'oeil de notre intelligence par la prunelle de la très sainte [1249] Foi, quand le nuage de l'amour-propre ne l'a pas obscurcie.

2. Si cet amour-propre existe, nous devons le dissiper, pour qu'il ne soit pas un obstacle à notre vue. Nous devons, par le saint amour, chasser l'amour coupable de la sensualité, car l'amour-propre consume et détruit la grâce divine dans l'âme, et corrompt toutes ses oeuvres. Comme un mauvais arbre dont tous les fruits sont corrompus, l'homme qui s'adonne à l'amour sensitif ne produit rien de bon et plie sous le poids du péché mortel. Toutes ses oeuvres sont corrompues, parce qu'il a perdu la lumière et qu'il est dans les ténèbres, tellement qu'il ne connaît et ne discerne plus la vérité; son goût et les désirs de son âme sont viciés; toutes les choses bonnes lui paraissent mauvaises, et les choses mauvaises lui paraissent bonnes. Il méprise les vraies vertus, il s'éloigne de l'amour de Dieu et du prochain, et iL met tout son bonheur dans les délices et les plaisirs du monde. S'il aime son prochain, il ne l'aime pas pour Dieu, mais pour son seul intérêt. Celui, au contraire, qui est vraiment libre de tout amour sensitif, aime son Créateur par-dessus toute chose et son prochain comme lui-même. Il ne peut avoir cet amour, si d'abord, à la lumière de l'intelligence, il ne reconnaît pas qu'il n'est rien, qu'il a reçu de Dieu l'être et toutes les grâces qui sont ajoutées. Alors, quand il se connaît bien lui-même, avec ses défauts et la bonté de Dieu à son égard, il déteste ses défauts, et l'amour-propre qui en est cause. Il aime la vertu, et, par amour de la vertu qu'il aime, par amour de son Créateur, il est prêt à souffrir toutes sortes de peines plutôt que d'offenser [1250] Dieu et d'outrager la vertu. Toutes ses oeuvres spirituelles ou temporelles sont dirigées vers Dieu, et dans quelque condition qu'il se trouve, il aime et craint toujours son Créateur. S'il a des richesses, des honneurs dans le monde, des enfants, des parents, des amis, il possède tout comme des choses prêtées qui ne lui appartiennent pas, et il en use avec mesure, et non pas sans mesure. S'il est dans l'état du mariage, il y vit en respectant les lois de ce sacrement, et en observant les jours prescrits par l'Eglise. S'il doit être en rapport avec les créatures et les servir, il le fait avec zèle, non pas avec un coeur faux, mais librement et en ne pensant qu'à Dieu.

3. Il règle toutes les puissances de son âme et tous les mouvements de son corps. Sa mémoire s'applique à retenir les bienfaits de Dieu, son intelligence à comprendre sa volonté, qui ne veut que notre sanctification, et sa volonté est décidée à aimer par-dessus tout son Créateur. Dès que les puissances de son âme sont réglées, les mouvements de son corps le sont aussi. Je vous prie donc, très cher Frère, de régler votre vie de cette manière. Ouvrez l'oeil de votre intelligence pour connaître la gravité du péché et la grandeur de la bonté de Dieu. En agissant ainsi dans toutes les conditions où vous serez, vous serez agréable à Dieu, et vous serez un arbre fertile; vous produirez des fruits de vie, c'est-à-dire de vraies et saintes vertus, et dans cette vie, vous aurez un avant-goût de la vie éternelle. Mais je considère que nous ne pouvons jamais recevoir la paix, le repos, la grâce, sans connaître, à la lumière de la très sainte Foi, sans connaître la gravité du péché mortel, la bonté de [1251] Dieu et le prix de la vertu. Je vous ai dit que je désirais vous voir mépriser le péché mortel, et je vous conjure de le faire. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 236, A MESSIRE RISTORO DE CANIGIANI

CCXXXVI (228).- A MESSIRE RISTORO DE CANIGIANI, à Florence.- Des moyens de plaire à Dieu et de persévérer dans la vertu.

(La famille Canigiani était une des plus nobles de Florence et beaucoup de ses membres périrent à la bataille de Montaperto. Ristoro était avocat, et très attaché à sainte Catherine, ainsi que son père Piétro et son frère Barducio, le secrétaire bien-aimé de notre Sainte. (Voir Vie de sainte Catherine. II" p., ch. 1.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu; car ce n'est pas celui qui commence qui est couronné, mais celui qui persévère. La persévérance est la reine qui est couronnée; elle est accompagnée de la force et de la vraie patience, mais c'est elle seule qui reçoit la couronne de gloire. Aussi, mon très doux Frère, je veux que vous soyez constant [1252] et persévérant dans la vertu, afin que vous receviez la récompense de toutes vos peines. J'espère de la bonté de Dieu qu'il vous fortifiera tellement, que ni le démon ni les créatures ne pourront vous faire retourner à votre premier vomissement.

2. Il me semble, d'après ce que vous m'écrivez, que vous avez bien commencé, etje m'en réjouis beaucoup pour votre salut, en voyant vos saints désirs. Vous me dites d'abord que vous pardonnez à tous ceux qui vous ont offensé, ou qui ont voulu vous offenser: c'est là une chose absolument nécessaire, si vous voulez avoir la grâce de Dieu dans votre âme, et même être tranquille selon le monde. Celui qui reste dans la haine est privé de Dieu et dans un état de damnation; dès cette vie même il goûte l'enfer; il nourrit sans cesse en lui-même le désir de la vengeance. Il vit toujours dans la crainte, et, en croyant tuer son ennemi, il se tue lui-même, car il tue son âme avec le poignard de la haine. Oui, ceux qui croient tuer leur ennemi se tuent eux-mêmes, tandis que celui qui pardonne véritablement pour l'amour de Jésus crucifié, celui-là trouve la paix, le repos, et ne ressent aucun trouble, parce que la colère, qui trouble, est détruite dans son âme, et Dieu, qui récompense tout bien, lui rend la grâce, et lui donne après la mort, la vie éternelle. Le bonheur, la joie, la paix de conscience que l'âme reçoit alors, la langue est incapable de l'exprimer; et même, selon le monde, c'est une grande gloire de ne pas vouloir se venger de son ennemi, par amour de la vertu et par générosité. Je vous y invite et je vous encourage à persévérer dans votre sainte résolution [1253].

3. Quant à demander et à poursuivre ce qui vous appartient justement, vous pouvez le faire en toute sûreté de conscience, si vous le voulez; car personne n'est obligé d'abandonner son bien s'il ne le veut pas; mais celui qui le veut sera plus parfait.

4. Quant à ne pas aller à l'évêché ni au palais, cela est bien et très bien. Il vaut mieux rester tranquille chez vous; car nous sommes faibles au milieu de l'agitation; notre âme souvent s'agite elle-même et fait des choses injustes et déraisonnables, celui-ci pour montrer qu'il en sait plus qu'un autre, celui-là par désir de gagner de l'argent. Il est bien de fuir ces occasions.

5. Je fais cependant une exception. S'il s'agit des pauvres qui ont évidemment raison, et qui n'ont personne pour les soutenir et prouver leurs droits, parce qu'ils n'ont pas d'argent, vous honorerez beaucoup Dieu en vous fatiguant pour eux avec charité, comme saint Yves, qui fut dans son temps l'avocat des pauvres (Saint Yves, une des gloires de la Bretagne, est le patron des hommes de loi.). Pensez que le service rendu aux pauvres en les assistant avec le talent que vous avez reçu du Ciel, sera très agréable à Dieu et très profitable au salut de votre âme. Saint Grégoire dit qu'il est impossible qu'un homme compatissant périsse de la mauvaise mort, c'est-à-dire de la mort éternelle. Aussi je me réjouirais beaucoup de vous le voir faire, et je vous le demande.

6. Dans toutes vos actions, ayez Dieu devant les yeux, en vous disant à vous-même, lorsque les désirs [1254] déréglés se révoltent contre votre sainte résolution Pense, mon âme, que le regard de Dieu est sur toi, qu'il pénètre le secret de ton coeur; pense que tu dois mourir, que tu ne sais pas quand, et qu'il faudra rendre compte au souverain Juge de toutes tes actions; ce Juge punit le mal et récompense le bien. Si vous vous contenez ainsi, vous ne vous éloignerez jamais de la volonté de Dieu.

7. Travaillez au bonheur de votre âme; c'est le premier devoir que vous ayez à remplir; soulagez votre conscience de ce qui pourrait la charger, soit en réparant les torts matériels que vous avez faits aux autres, soit en demandant pardon des offenses que vous avez pu leur faire, afin que vous demeuriez toujours dans la charité du prochain. Vendez aussi ce que vous avez d'inutile, et les vêtements somptueux, qui sont bien nuisibles, mon très cher Frère, car ils enflent le coeur et nourrissent l'orgueil, en nous faisant paraître plus grands que les autres, et glorifier de ce qui ne le mérite pas. C'est une grande honte pour nous, lâches chrétiens, de voir notre chef souffrir, et de rechercher les délices. Aussi, selon saint Bernard, il n'est pas convenable de voir des membres délicats sous un chef couronné d'épines. Je dis que vous faites très bien si vous employez le remède. Mais revêtez-vous honnêtement et sans dépense extraordinaire, vous serez très agréable à Dieu; et, autant que vous le pourrez, faites de même pour votre femme et vos enfants; soyez leur règle et leur modèle, comme doit l'être un père, obligé d'élever ses enfants selon la raison et dans la pratique de la vertu.

8. J'ajouterai une chose: conservez la crainte de [1255] Dieu dans l'état du mariage, respectez-le comme un sacrement; ne suivez pas les désirs déréglés, et observez les jours prescrits par l'Eglise, comme un homme raisonnable, et non pas comme un animal grossier. Alors, vous et les autres, vous serez de bons arbres, et vous produirez de bons fruits.

9. Vous ferez bien de refuser les emplois, car il est bien difficile de ne pas y commettre quelque faute, et le souvenir de ceux que vous avez eus doit vous être pénible. Laissez les morts ensevelir leurs morts (Mt 8,22), et appliquez-vous seulement, dans toute la liberté de votre coeur, à plaire à Dieu, l'aimant par-dessus toutes choses, par désir de la vertu, aimant le prochain comme vous-même. Fuyez le monde et ses délices; renoncez au péché, à la sensualité, et rappelez-vous sans cesse les bienfaits de Dieu, et surtout le bienfait du sang qui a été répandu pour nous avec un si ardent amour.

10. Il faut encore, pour conserver la grâce et faire des progrès dans la vertu, recourir souvent avec joie à la sainte confession, pour laver la face de votre âme dans le sang de Jésus-Christ. Nous souillons notre âme tous les jours. Confessez-vous une lois par mois; plus sera mieux, mais il me semble que vous ne devez pas faire moins. Aimez à entendre la parole de Dieu; et, quand nous serons réconciliés avec le Saint-Père, communiez aux fêtes solennelles, ou au moins une fois l'an. Aimez les offices et entendez la messe tous les matins; si vous ne le pouvez pas tous les jours, faites-le au moins les jours prescrits par [1256] l'Eglise; nous y sommes obligés; vous ne devez, pas y manquer, si vous le pouvez.

11. Il ne faut pas négliger la prière; et même, à certaines heures, tâchez de vous recueillir un peu pour vous connaître, pour connaître les offenses que vous avez commises contre Dieu et la grandeur de sa bonté à votre égard. Ouvrez l'oeil de l'intelligence à la lumière de la très sainte Foi, pour voir combien Dieu vous aime d'un amour ineffable; il vous l'a montré par le moyen de son Fils unique. Je vous prie, si vous ne le faites pas déjà, de dire tous les jours l'office de la Vierge, afin qu'elle soit votre refuge et votre avocate devant Dieu (L'office de la Vierge est très ancien dans l'Eglise, et remonte au delà du XIe siècle. La récitation en était prescrite aux religieux du Mont-Cassin, en 752. On le récitait dans les églises pour obtenir le succès de la première croisade, en 1095.). Réglez ainsi votre vie, et jeûnez, en l'honneur de Marie, les samedis et les jours prescrits par la sainte Eglise, sans jamais y manquer, si ce n'est par nécessité. Fuyez les festins déréglés, et vivez simplement, comme un homme qui ne veut pas faire un dieu de son ventre. Prenez la nourriture nécessaire, mais non pas avec un grossier plaisir; car il est impossible que celui qui n'est pas réglé dans sa nourriture se conserve dans la pureté. Je suis persuadée que la bonté de Dieu, pour cela et pour le reste, vous fera observer tout ce qui est nécessaire à votre salut. Je prierai et je ferai prier pour qu'il vous donne la persévérance parfaite jusqu'à la mort, et qu'il vous éclaire sur tout ce que vous aurez à faire pour votre salut. Je termine [1257]. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus. Jésus amour.







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 231, A UNE SOEUR