1930 Casti Connubii


CASTI CONNUBII



31 décembre 1930






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Combien grande est la dignité de la chaste union conjugale, on le peut surtout reconnaître à ceci, Vénérables Frères, que le Christ, Notre-Seigneur, Fils du Père éternel, ayant pris la chair de l'homme déchu, ne s'est pas contenté d'inclure d'une façon particulière le mariage - principe et fondement de la société domestique et de la société humaine tout entière - dans le dessein d'amour qui lui a fait entreprendre l'universelle restauration du genre humain : après l'avoir amené à la pureté première de sa divine institution, il l'a élevé à la dignité d'un vrai et "grand"
Ep 5,32 sacrement de la loi nouvelle, et, en conséquence, il en a confié la discipline et toute la sollicitude à l'Eglise Son Epouse.

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Toutefois, pour que cette rénovation du mariage produise dans toutes les nations du monde et dans celles de tous les temps ses fruits désirés, il faut d'abord que les intelligences humaines soient éclairées sur la vraie doctrine du Christ concernant le mariage ; il faut ensuite que les époux chrétiens, fortifiés dans leur faiblesse par le secours intérieur de la grâce divine, fassent concorder toutes leurs façons de penser et d'agir avec cette très pure loi du Christ, par où ils s'assureront à eux-mêmes et à leur famille le vrai bonheur et la paix.

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Mais lorsque, de ce Siège Apostolique, comme d'un observatoire, Nos regards paternels embrassent l'univers entier, Nous constatons chez beaucoup d'hommes, avec l'oubli de cette restauration divine, l'ignorance totale d'une si haute sainteté du mariage. Vous le constatez aussi bien que Nous, Vénérables Frères, et vous le déplorez avec Nous. On la méconnaît, cette sainteté, on la nie impudemment, ou bien encore, s'appuyant sur les principes faux d'une morale nouvelle et absolument perverse, on foule cette sainteté aux pieds. Ces erreurs extrêmement pernicieuses et ces moeurs dépravées ont commencé à se répandre parmi les fidèles eux- mêmes, et peu à peu, de jour en jour, elles tendent à pénétrer plus avant chez eux : aussi, à raison de Notre office de Vicaire du Christ sur terre, de Notre Pastorat suprême et de Notre Magistère, Nous avons jugé qu'il appartenait à Notre mission apostolique d'élever la voix, afin de détourner des pâturages empoisonnés les brebis qui Nous ont été confiées, et, autant qu'il est en Nous, de les en préserver.

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Nous avons donc décidé de vous entretenir, Vénérables Frères, et, par vous, d'entretenir toute l'Eglise du Christ, et même le genre humain tout entier, de la nature du mariage chrétien, de sa dignité, des avantages et des bienfaits qui s'en répandent sur la famille et sur la société humaine elle- même, des très graves erreurs contraires à cette partie de la doctrine évangélique, des vices contraires à la vie conjugale, enfin des principaux remèdes auxquels il faut recourir. Nous Nous attacherons, ce faisant, aux pas de Léon XIII, Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire, dont Nous faisons Nôtre et dont Nous confirmons, par la présente encyclique, l'encyclique Arcanum sur le mariage chrétien, publiée par lui il y a cinquante ans : que si Nous Nous attachons davantage ici au point de vue des nécessités particulières de notre époque, Nous déclarons cependant que, bien loin d'être tombés en désuétude, les enseignements de Léon XIII gardent leur pleine vigueur.

INSTITUTION DIVINE DU MARIAGE

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Et pour prendre Notre point de départ dans cette encyclique même, qui est presque tout entière consacrée à prouver la divine institution du mariage, sa dignité de sacrement et son inébranlable perpétuité, rappelons d'abord ce fondement qui doit rester intact et inviolable : le mariage n'a pas été institué ni restauré par les hommes, mais par Dieu ; ce n'est point par les hommes, mais par l'auteur même de la nature et par le restaurateur de la nature, le Christ Notre-Seigneur, que le mariage a été muni de ses lois, confirmé, élevé ; par suite, ces lois ne sauraient dépendre en rien des volontés humaines, ni d'aucune convention contraire des époux eux- mêmes. Telle est la doctrine des Saintes Lettres
Gn 1,27-28 Gn 2,22-23 Mt 19,3-6 Ep 5,23-25, telle est la tradition constante de l'Eglise universelle, telle est la définition solennelle du concile de Trente, DS 1797 qui, en empruntant les termes mêmes de la Sainte Ecriture, enseigne et confirme que la perpétuelle indissolubilité du mariage, son unité et son immutabilité proviennent de Dieu son auteur.

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Mais bien que le mariage, à raison de sa nature même, soit d'institution divine, la volonté humaine y a cependant sa part, qui est très noble : car chaque mariage particulier, en tant qu'il constitue l'union conjugale entre un homme et une femme déterminés, n'a d'autre origine que le libre consentement de chacun des deux époux. Cet acte libre de volonté, par lequel chacune des deux parties livre et reçoit le droit propre du mariage, (
CIS 1081 par. 2) est si nécessaire pour réaliser un mariage véritable que "nulle puissance humaine n'y pourrait suppléer". CIS 1081 par. 1

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Cette liberté, toutefois, porte seulement sur un point, savoir si les contractants veulent effectivement entrer dans l'état de mariage, et s'ils le veulent avec telle personne. Mais la nature du mariage est absolument soustraite à la liberté de l'homme, en sorte que quiconque l'a une fois contracté se trouve du même coup soumis à ses lois divines et à ses exigences essentielles. Car le Docteur Angélique, dans ses considérations sur la fidélité conjugale et sur la procréation des enfants, remarque que" dans le mariage, ces choses sont impliquées par le consentement conjugal même, et, en conséquence, si dans le consentement qui fait le mariage, on formulait une condition qui leur fut contraire, il n'y aurait pas de mariage véritable ". (St Thomas - Sum. Th. Sup. 49, 3)

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L'union conjugale rapproche donc tout dans un accord intime, les âmes plus étroitement que les corps ; ce n'est point un attrait sensible ni une inclination passagère des coeurs qui la détermine, mais une décision délibérée et ferme des volontés et cette conjonction des esprits, en vertu du décret divin, produit un lien sacré et inviolable.
Cette nature propre et toute spéciale du contrat le rend irréductiblement différent des rapports qu'ont entre eux les animaux sous la seule impulsion d'un aveugle instinct naturel, où il n'y a ni raison ni volonté délibérée ; elle le rend totalement différent aussi de ces unions humaines instables, réalisées en dehors de tout lien véritable et honnête des volontés et qui n'engendrent aucun droit à vivre en commun.

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Il est donc manifeste que l'autorité légitime a le droit et qu'elle a même le devoir rigoureux d'interdire, d'empêcher, de punir les unions honteuses qui répugnent à la raison et à la nature ; mais comme il s'agit d'une chose qui résulte de la nature humaine elle-même, l'avertissement donné par Léon XIII,
CIS 1035 d'heureuse mémoire n'est pas d'une vérité moins évidente : "Dans le choix du genre de vie, il n est pas douteux que chacun a la liberté pleine et entière ou de suivre le conseil de Jésus Christ touchant la virginité, ou de s'engager dans les liens du mariage. Aucune loi humaine ne saurait ôter à l'homme le droit naturel et primordial du mariage ou limiter d une façon quelconque ce qui est la fin principale de 1 union conjugale, établie dès le commencement par l'autorité de Dieu : Crescite et multiplicamini". Gn 1,28

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Ainsi l'union sainte du mariage véritable est constituée tout ensemble par la volonté divine et par la volonté humaine : c'est de Dieu que viennent l'institution même du mariage, ses fins, ses lois, ses biens ; ce sont les hommes - moyennant le don généreux qu'une créature humaine fait à une autre de sa propre personne pour toute la durée de sa vie, avec l'aide et la coopération de Dieu - qui sont les auteurs des mariages particuliers, auxquels sont liés les devoirs et les biens établis par Dieu.



PREMIERE PARTIE


LES BIENS DU MARIAGE


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Au moment ou Nous Nous préparons à exposer quels sont ces biens du mariage véritable, biens donnés par Dieu, Nous Nous rappelons les paroles du glorieux Docteur de l'Eglise que Nous célébrions récemment dans notre encyclique Ad salutem, publiée à l'occasion du XVe centenaire de sa mort (20.5.1930) " Voilà tous les biens, dit saint Augustin, qui font que le mariage est bon les enfants, la foi conjugale, le sacrement "(De bono conjug. Ch. 24, n.32). Et l'on peut dire que la somme de toute la doctrine catholique sur le mariage chrétien est surabondamment contenue sous ces trois chefs : le saint Docteur le montre lui-même quand il dit : "Par la foi conjugale, on a en vue cette obligation qu'ont les époux de s'abstenir de tout rapport sexuel en dehors du lien conjugal ; dans les enfants, on a en vue le devoir, pour les époux, de les accueillir avec amour, de les nourrir avec sollicitude, de les élever religieusement ; dans le sacrement, enfin, on a en vue le devoir, qui s'impose aux époux, de ne pas rompre la vie commune, et l'interdiction, pour celui ou celle qui se sépare, de s'engager dans une autre union, fût-ce à raison des enfants. Telle est la loi du mariage où la fécondité de la nature trouve sa gloire, et le dévergondage de l'incontinence, son frein". (St Augustin De Gen ad litt. I, IX, ch. 7, n. 12)

Les enfants

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Parmi les biens du mariage, les enfants tiennent donc la première place. Et sans aucun doute, le Créateur même du genre humain, qui, dans sa bonté, a voulu se servir du ministère des hommes pour la propagation de la vie, nous a donné cet enseignement lorsque, en instituant le mariage dans le paradis terrestre, il a dit à nos premiers parents et, en même temps, à tous les époux à venir : "Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre"
Gn 1,28. C'est ce que saint Augustin a très bien fait ressortir des paroles de l'apôtre saint Paul à Timothée, 1Tm 5,14 en disant lui-même : "Que la procréation des enfants soit la raison du mariage, l'Apôtre en témoigne en ces termes : Je veux, déclare-t-il, que les jeunes filles se marient. Et comme pour répondre à cette question : Mais pourquoi ? il poursuit aussitôt qu'elles procréent des enfants, qu'elles soient mères de famille". (St Augustin, de bono conjug. Ch. 24, n.32)

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Pour apprécier la grandeur de ce bienfait de Dieu et l'excellence du mariage, il suffit de considérer la dignité de l'homme et la sublimité de sa fin. L'homme, en effet, dépasse toutes les autres créatures visibles, par la prééminence de sa nature raisonnable. Ajoutez-y que Si Dieu a voulu les générations des hommes ce n'est pas seulement pour qu'us existent et pour qu'ils remplissent la terre mais bien plus pour qu'ils l'honorent, Lui, pour qu'ils le connaissent, qu'ils l'aiment et qu'ils jouissent de lui éternellement dans les cieux ; par suite de l'admirable élévation de l'homme par Dieu à l'ordre surnaturel, cette fin dépasse tout ce que l'oeil a vu, ce que l'oreille a entendu, et ce que le coeur de l'homme a pu concevoir
1Co 2,9. Par où l'on voit facilement que les enfants, nés par l'action toute-puissante de Dieu, avec la coopération des époux, sont tout ensemble un don de la divine bonté et un précieux fruit du mariage.

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Les parents chrétiens doivent comprendre en outre qu'ils ne sont pas seulement appelés à propager et à conserver le genre humain sur la terre, qu'ils ne sont même pas destinés à former des adorateurs quelconques du vrai Dieu, mais à donner des fils à l'Eglise, à procréer des concitoyens des saints et des familiers de Dieu,
Ep 2,19 afin que le peuple attaché au culte de Dieu et de notre Sauveur grandisse de jour en jour. Sans doute les époux chrétiens, même s'ils sont sanctifiés eux-mêmes, ne sauraient transmettre leur sanctification à leurs enfants : la génération naturelle de la vie est devenue au contraire la voie de la mort, par laquelle le péché originel se communique aux enfants : ils gardent cependant quelque chose de la condition qui était celle du premier couple conjugal au paradis terrestre : il leur appartient, en effet, d'offrir leurs fils à l'Eglise afin que cette mère très féconde des enfants de Dieu les régénère par l'eau purificatrice du baptême à la justice surnaturelle, qu'elle en fasse des membres vivants du Christ, participants de la vie éternelle, des héritiers enfin de la gloire éternelle, à laquelle nous aspirons tous, du fond du coeur.

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Si une mère vraiment chrétienne considère ces choses, elle comprendra certainement que, dans un sens plus élevé et plein de consolations, ces paroles de notre Rédempteur s'adressent à elle: Lorsque la femme a engendré son enfant, elle cesse aussitôt de se rappeler ses souffrances, à cause de la joie qu'elle ressent, parce qu'un homme est né dans le monde"
Jn 16,21. Devenue supérieure à toutes les douleurs, à toutes les sollicitudes à toutes les charges inséparables de son rôle maternel, ce sera bien plus justement et plus saintement que la matrone romaine, mère des Gracques, qu'elle se glorifiera dans le Seigneur d'une florissante couronne d'enfants. D'ailleurs, ces enfants, reçus de la main de Dieu avec empressement et reconnaissance, les deux époux les regarderont comme un talent qui leur a été confié par Dieu, et qui ne doit pas être utilisé dans leur propre intérêt ni dans le seul intérêt terrestre de la société, mais qui devra au jour du jugement être restitué à Dieu avec le fruit qu'il aura dû produire.

l'éducation

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Le bien de l'enfant ne se termine pas, à coup sûr, au bienfait de la procréation ; il faut qu'il s'y en adjoigne un autre, contenu dans la bonne éducation de l'enfant. Dieu, malgré toute sa sagesse, aurait certes médiocrement pourvu au sort des enfants et du genre humain tout entier, si ceux qui ont reçu de lui le pouvoir et le droit d'engendrer n'en avaient pas reçu aussi le droit et la charge de l'éducation. Personne ne méconnaît, en effet, que l'enfant ne peut se suffire à lui-même dans les choses qui se rapportent à la vie naturelle : à plus forte raison ne le peut-il pas dans les choses qui se rapportent à la vie surnaturelle durant de nombreuses années, il aura besoin de l'aide d'autrui, d'instruction, d'éducation. Il est d'ailleurs évident, que, conformément aux exigences de la nature et à l'ordre divin, ce droit et cette tâche reviennent tout d'abord à ceux qui ont commencé par la génération l'oeuvre de la nature et auxquels il est absolument interdit de laisser inachevée l'oeuvre entreprise et d'exposer ainsi l'enfant à une perte certaine. Or, il a déjà été pourvu, de la meilleure manière possible, à cette si nécessaire éducation des enfants, par le mariage où, unis par un lien indissoluble, les parents sont toujours en état de s'y appliquer ensemble et se prêter un mutuel appui.

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Nous avons déjà traité ailleurs abondamment de l'éducation chrétienne de la jeunesse (Encycl. Divini illius Magistri 31.12.1929); les paroles de saint Augustin citées plus haut résumeront ce que Nous y avons dit : "Pour ce qui regarde les enfants, ils doivent être accueillis avec amour, élevés religieusement" (St Augustin De Gen ad litt. I. IX ch.7, n.12) ; ainsi parle aussi le Droit canon avec son habituelle précision :" La fin première du mariage, c'est la procréation des enfants et leur éducation".
CIS 1013 Par. 1

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Il ne faut enfin point passer sous silence que si cette double mission, si honorable et si importante, a été confiée aux parents pour le bien de l'enfant, tout usage honnête de la faculté, donnée par Dieu, de procréer de nouvelles vies est exclusivement le droit et la prérogative du mariage, conformément à l'ordre du Créateur lui-même et de la loi naturelle : cet usage doit absolument être contenu dans les limites saintes du mariage.

La foi conjugale

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Un autre bien du mariage, que nous avons relevé à la suite d'Augustin, est celui de la foi conjugale, c'est-à-dire la fidélité mutuelle des époux à observer le contrat de mariage, en vertu de laquelle ce qui, à raison du contrat sanctionné par la loi divine, revient uniquement au conjoint, ne lui sera point refusé ni ne sera accordé à une tierce personne ; et au conjoint lui-même il ne sera pas concédé ce qui, étant contraire aux lois et aux droits divins, et absolument inconciliable avec la fidélité matrimoniale, ne peut jamais être concédé.

l'unité

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C'est pourquoi cette fidélité requiert tout d'abord l'absolue unité conjugale, (
CIS 1013 Par. 2) dont le Créateur lui-même a formé le premier exemplaire dans le mariage de nos premiers parents, quand il a voulu que ce mariage ne fût qu'entre un seul homme et une seule femme. Et bien que, ensuite le suprême Législateur divin ait, pour un temps, relativement relâché la rigueur de cette loi primitive, il est absolument certain que la loi évangélique a restauré en son intégrité cette parfaite unité primitive et qu'elle a aboli toute dispense les paroles du Christ et l'enseignement constant de l'Eglise comme sa constante façon d'agir le montrent à l'évidence. C'est donc à bon droit que le saint concile de Trente a formulé cette solennelle déclaration : "Le Christ Notre-Seigneur a enseigné clairement que par ce lien deux personnes seulement sont unies et conjointes, quand il a dit: C'est pourquoi ils ne sont plus deux, mais une seule chair". DS 1798

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Notre-Seigneur n'a d'ailleurs pas seulement voulu condamner toute forme de polygamie et de polyandrie, successive ou simultanée, ou encore tout acte déshonnête extérieur ; mais, pour assurer complètement l'inviolabilité des frontières sacrées de l'union conjugale, il a prohibé aussi les pensées et les désirs volontaires concernant toutes ces choses : "Et moi je vous dis que quiconque arrête sur une femme des regards de concupiscence a déjà commis l'adultère dans son coeur".
Mt 5,28 Ces paroles de Notre-Seigneur ne peuvent être infirmées même par le consentement de l'autre conjoint ; elles promulguent, en effet, une loi divine et naturelle qu'aucune volonté humaine ne saurait enfreindre ou fléchir. (Decr. St Office 2.3.1679 propos 50 - "Copula cum conjugata, consentiente marito, non est adulterium")

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Bien plus, afin que le bien de la fidélité conjugale resplendisse de tout son état, les rapports intimes entre les époux eux-mêmes doivent porter l'empreinte de la chasteté, en sorte que les époux se comportent en tout suivant la règle de la loi divine et naturelle, et qu'ils s'appliquent toujours à suivre la volonté très sage et très sainte de leur Créateur avec un sentiment profond de respect pour l'oeuvre de Dieu.

la charité conjugale

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Cette foi de la chasteté, comme saint Augustin l'appelle très justement, s'épanouira plus aisément et avec plus d'attrait et de beauté morale, dans le rayonnement d'une autre influence des plus excellentes : celle de l'amour conjugal qui pénètre tous les devoirs de la vie conjugale et qui tient dans le mariage chrétien une sorte de primauté de noblesse : "Car la fidélité conjugale requiert que l'homme et la femme soient unis par un amour particulier, par un saint et pur amour ; ils ne doivent pas s'aimer à la façon des adultères, mais comme le Christ a aimé l'Eglise : c'est cette règle que l'Apôtre a prescrite quand il a dit : "Epoux, aimez vos épouses comme le Christ a aimé son Eglise"
Ep 5,25 Col 3,19; et le Christ a assurément enveloppé son Eglise d'une immense charité, non pour son avantage personnel, mais en se proposant uniquement l'utilité de son épouse" (Catech rom. II ch. 8, q. 24). Nous disons donc : "la charité", non pas fondée sur une inclination purement charnelle, et bien vite dissipée, ni bornée à des paroles affectueuses, mais résidant dans les sentiments intimes du coeur, et aussi - car l'amour se prouve par les oeuvres (S. Grégoire le grand Homil. 30 in Evang. n.1 Jn 14,21-23) - manifestée par l'action extérieure.

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Cette action, dans la société domestique ne comprend pas seulement l'appui mutuel elle doit viser plus haut - et ceci doit même être son objectif principal - elle doit viser à ce que les époux s'aident réciproquement à former et à perfectionner chaque jour davantage en eux l'homme intérieur : leurs rapports quotidiens les aideront ainsi à progresser jour après jour dans la pratique des vertus, à grandir surtout dans la vraie charité envers Dieu et envers le prochain, cette charité où se résume en définitive "toute la Loi et les Prophètes"
Mt 22,40. Car enfin, dans n'importe quelle condition et n'importe quel état de vie honnête, tous peuvent et tous doivent imiter l'exemplaire parfait de toute sainteté que Dieu a présenté aux hommes dans la personne de Notre- Seigneur, et, avec l'aide de Dieu, parvenir au faîte de la perfection chrétienne comme le prouve l'exemple de tant de Saints.

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Dans cette mutuelle formation intérieure des époux, et dans cette application assidue à travailler à leur perfection réciproque, on peut voir aussi, en toute vérité, comme l'enseigne le Catéchisme Romain, la cause et la raison première du mariage, si l'on ne considère pas strictement dans le mariage l'institution destinée à la procréation et à l'éducation des enfants, mais, dans un sens plus large, une mise en commun de toute la vie, une intimité habituelle, une société. (Catech Rom. II ch. 8, q. 13)
Cette même charité doit harmoniser tout le reste des droits et des devoirs des époux : et ainsi, ce n'est pas seulement la loi de justice, c'est la règle de la charité qu'il faut reconnaître dans ce mot de l'Apôtre : "Que le mari rende à la femme son du ; et pareillement, la femme à son mari"
1Co 7,3.

L'"Ordre de l'amour"

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Enfin, la société domestique ayant été bien affermie par le lien de cette charité, il est nécessaire d'y faire fleurir ce que saint Augustin appelle l'ordre de l'amour. Cet ordre implique et la primauté du mari sur sa femme et ses enfants, et la soumission empressée de la femme ainsi que son obéissance spontanée ce que l'Apôtre recommande en ces termes : "Que les femmes soient soumises à leurs maris comme au Seigneur parce que l'homme est le chef de la femme comme le Christ est le Chef de l'Eglise".
Ep 5,22-23

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Cette soumission, d'ailleurs, ne nie pas, elle n'abolit pas la liberté qui revient de plein droit à la femme, tant à raison de ses prérogatives comme personne humaine, qu'à raison de ses fonctions si nobles d'épouse, de mère et de compagne, elle ne lui commande pas de se plier à tous les désirs de son mari, quels qu'ils soient : même à ceux qui pourraient être peu conformes à la raison ou bien à la dignité de l'épouse ; elle n'enseigne pas que la femme doive être assimilée aux personnes que dans le langage du droit on appelle des "mineurs" et auxquelles à cause de leur jugement insuffisamment formé, ou de leur impéritie dans les choses humaines, on refuse d'ordinaire le libre exercice de leurs droits, mais elle interdit cette licence exagérée qui néglige le bien de la famille elle ne veut pas que dans le corps moral qu'est la famille le coeur soit séparé de la tête, au très grand détriment du corps entier et au péril - péril très proche - de la ruine. Si en effet le mari est la tête, la femme est le coeur et comme le premier possède la primauté du gouvernement, celle-ci peut et doit revendiquer comme sienne cette primauté de l'amour.

28
Au surplus, la soumission de la femme à son mari peut varier de degré, elle peut varier dans ses modalités ; suivant les conditions diverses des personnes, des lieux et des temps ; bien plus, si le mari manque à son devoir, il appartient à la femme de le suppléer dans la direction de la famille. Mais, pour ce qui regarde la structure même de la famille et sa loi fondamentale, établie et fixée par Dieu, il n'est jamais ni nulle part permis de les bouleverser ou d'y porter atteinte.

29
Sur cet ordre qui doit être observé entre la femme et son mari, Notre prédécesseur d'heureuse mémoire Léon XIII donne, dans l'encyclique sur le mariage chrétien, que Nous avons rappelée, ces très sages enseignements : "L'homme est le prince de la famille et le chef de la femme ; celle-ci, toutefois, parce qu'elle est, par rapport à lui, la chair de sa chair et l'os de ses os, sera soumise, elle obéira à son mari, non point à la façon d'une servante, mais comme une associée ; et ainsi, son obéissance ne manquera ni de beauté, ni de dignité. Dans celui qui commande et dans celle qui obéit - parce que le premier reproduit l'image du Christ, et la seconde l'image de l'Eglise - la charité divine ne devra jamais cesser d'être la régulatrice de leur devoir respectif" .

30
Le bien de la fidélité conjugale comprend donc l'unité, la chasteté, une digne et noble obéissance ; autant de vocables qui formulent les bienfaits de l'union conjugale, qui ont pour effet de garantir et de promouvoir la paix, la dignité et le bonheur du mariage. Aussi n'est-il pas étonnant que cette fidélité ait toujours été rangée parmi les biens excellents et propres du mariage.

Le sacrement

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Cependant, l'ensemble de tant de bienfaits se complète et se couronne par ce bien du mariage chrétien, que, citant saint Augustin, Nous avons appelé sacrement, par où sont indiquées et l'indissolubilité du lien conjugal et l'élévation que le Christ a faite du contrat - en le consacrant ainsi - au rang de signe efficace de la grâce.

l'indissolubilité

32
Et tout d'abord, pour ce qui regarde l'indissolubilité du contrat nuptial, le Christ lui-même y insiste quand il dit : "Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare point"
Mt 19,6 et "Tout homme qui renvoie sa femme et en prend une autre commet l'adultère : et celui qui prend la femme répudiée par un autre commet un adultère, lui aussi" Lc 16,18.
Dans cette indissolubilité, saint Augustin place en termes très clairs ce qu'il appelle le bien du sacrement "Dans le sacrement, on a en vue ceci : que l'union conjugale ne peut être rompue, et que le renvoi ne permet à aucun des deux époux une nouvelle union même pour avoir des enfants". (St Augustin De Gen. ad litt. l.9, ch. 7,n.12)

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Cette inviolable fermeté dans une mesure d'ailleurs inégale, et qui n'atteint pas toujours une aussi complète perfection, convient cependant à tous les vrais époux car la parole du Seigneur : "Ce que Dieu a uni que l'homme ne le sépare point"
Mt 19,6 a été dite du mariage de nos premiers parents c'est-à-dire du prototype de tout mariage à venir et elle s applique en conséquence à tous les vrais mariages. Sans doute, avant le Christ, cette sublimité et cette sévérité de la loi primitive fut tempérée à ce point que Moïse permit aux membres de son peuple, à cause de la dureté de leur coeur, de faire, pour certaines causes déterminées, l'acte de répudiation ; mais le Christ, en vertu de sa suprême puissance de législateur, a révoqué cette permission d'une plus grande licence, et il a restauré en son intégrité la loi primitive, par ces paroles qui ne devront jamais être oubliées : "Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare point".

34
C'est pourquoi Pie VI, d'heureuse mémoire, écrivait avec une grande Sagesse.. à l'évêque d'Eger : "Par où il est évident que même dans l'état de nature, et, en tout cas, bien avant d'être élevé à la dignité d'un Sacrement proprement dit, le mariage a été divinement institué de manière à impliquer un lien perpétuel et indissoluble, qu'aucune loi civile ne peut plus dénouer ensuite. C'est pourquoi, bien que le mariage puisse exister sans le sacrement - c'est le cas du mariage entre infidèles, - il doit même alors, puisqu'il est un mariage véritable, garder - et il garde, en effet ce caractère de lien perpétuel qui, depuis l'origine, est de droit divin, tellement inhérent au mariage qu'aucune puissance politique n'a de prise sur lui. Aussi bien, quel que soit le mariage que l'on dit contracté, ou bien ce mariage est contracté en effet de façon a être effectivement un mariage véritable, et alors il comportera ce lien perpétuel inhérent, de droit divin, à tout vrai mariage, ou bien on le suppose contracté sans ce lien perpétuel, et alors ce n'est pas un mariage, mais une union illicite incompatible comme telle avec la loi divine : union dans laquelle, en conséquence, on ne peut ni s'engager ni demeurer".

35
Que si cette indissolubilité semble être soumise à une exception, très rare d'ailleurs, comme dans les mariages naturels contractés entre seuls infidèles
CIS 1120, ou si cette exception se vérifie en des mariages consentis entre chrétiens ces derniers mariages consentis sans doute, mais non encore consommés CIS 1119, - cette exception ne dépend pas de la volonté des hommes ni d'aucun pouvoir purement humain mais du droit divin, dont seule l'Eglise du Christ est la gardienne et l'interprète. Aucune faculté de ce genre, toutefois, pour aucun motif, ne pourra jamais s'appliquer à un mariage chrétien contracté et consommé. Dans un mariage pareil, le pacte matrimonial a reçu son plein achèvement, et, du même coup, de par la volonté de Dieu la plus grande stabilité et la plus grande indissolubilité y resplendissent, et aucune autorité des hommes ne pourra y porter atteinte. CIS 1118

le mystère sacramentel

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Si nous voulons scruter avec respect la raison intime de cette divine volonté, nous la trouverons facilement, Vénérables Frères, dans la signification mystique du mariage chrétien, qui se vérifie pleinement et parfaitement dans le mariage consommé entre fidèles. Au témoignage, en effet, de l'Apôtre, dans son Epître aux Ephésiens
Ep 5,32 (que nous avons rappelée au début de cette encyclique), le mariage des chrétiens reproduit la très parfaite union qui règne entre le Christ et l'Eglise : "Ce sacrement est grand je vous le dis, dans le Christ et dans l'Eglise" Cette union aussi longtemps que le Christ vivra, que l'Eglise vivra par lui, ne pourra jamais être dissoute par aucune séparation. Enseignement que saint Augustin nous donne formellement en ces termes : "C'est ce qui se passe dans l'union du Christ avec son Eglise : éternellement vivants l'un et l'autre, aucun divorce ne pourra jamais les séparer. La considération de ce sacrement est si grande dans la Cité de notre Dieu, c'est-à-dire dans l'Eglise du Christ, que lorsque les fidèles ont contracté mariage dans le but d'avoir des enfants, il n'est plus permis de laisser la femme même stérile pour en épouser une autre féconde. Que si quelqu'un le fait, il ne sera pas condamné sans doute par la loi de ce siècle, où, moyennant la répudiation, il est concédé que, sans délit, on convole à de nouvelles noces, chose que le saint législateur Moïse avait, lui aussi, permise aux Israélites - au témoignage du Seigneur - à cause de la dureté de leurs coeurs ; mais, suivant la loi de l'Evangile, celui qui se comporte de la sorte est coupable d'adultère, comme sa femme le sera aussi si elle en épouse un autre" (St Augustin De nupt. Et concup. l. I, ch. X).

fruits de l'indissolubilité

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Combien nombreux et précieux, d'ailleurs, sont les biens qui découlent de l'indissolubilité matrimoniale, il suffit, pour s'en rendre compte, de considérer, même superficiellement, soit le bien des époux et de leurs enfants, soit le salut de la société humaine. Et premièrement, les époux ont, dans cette stabilité, le gage certain de la pérennité, que réclame au plus haut point, par leur nature même, l'acte généreux par lequel ils livrent leur propre personne, et l'intime association de leurs coeurs, puisque la vraie charité ne connaît pas de fin
1Co 13,8. Elle constitue en outre pour la chasteté un rempart contre les tentations d'infidélité, s'il s'en présente intérieurement ou extérieurement. La crainte anxieuse qu'au temps de l'adversité ou de la vieillesse, l'autre époux ne s'en aille, perd toute raison d'être, et c'est une paisible certitude qui la remplace. Il est pareillement pourvu ainsi d'une façon excellente à la sauvegarde de la dignité chez chacun des deux époux et à l'aide mutuelle qu'ils se doivent : le lien indissoluble qui dure toujours ne cesse de les avertir que ce n'est pas en vue de biens périssables, ni pour assouvir la cupidité, mais pour se procurer réciproquement des biens plus hauts et perpétuels qu'ils ont contracté cette union nuptiale que seule la mort pourra rompre. Il en va de même pour la tutelle et l'éducation des enfants, qui doit se prolonger durant de nombreuses années cette tâche comporte des charges lourdes et prolongées qu'il est plus facile aux parents de porter en unissant leurs forces.

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Il n'en résulte pas de moindres bienfaits pour toute la société humaine. L'expérience, en effet, nous enseigne que l'inébranlable indissolubilité conjugale est une source abondante d'honnêteté et de moralité ; là où cet ordre est conservé, la félicité et le salut de l'Etat sont en sécurité car la cité est ce que la font les familles et les hommes dont elle est formée, comme le corps est formé des membres. C'est donc rendre un précieux service, tant au bien privé des époux et de leurs enfants qu'au bien public de la société humaine, que de défendre énergiquement l'inviolable indissolubilité du mariage.


1930 Casti Connubii