Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 338, A MADAME NELLA

Lettre n. 339, A MADAME NELLA

CCCXXXIX.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise.- Le souvenir du sang de Jésus-Christ fait acquérir la charité, et par son moyen la patience.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignée par le saint désir, dans le sang de Jésus crucifié. Dans ce sang, l'âme se purifie de toute tache du péché, et elle y trouve l'ardeur de la divine charité, en voyant qu'il a été [1623] répandu par amour. L'âme alors s'enivre d'amour, elle sent le parfum de la patience, et, à cause de l'amour qu'elle a trouvé dans le sang, elle se dépouille de tout amour d'elle-même, et elle supporte avec douceur toutes les adversités et les tribulations du monde, elle les traverse avec patience. Les prospérités, les délices du monde, les honneurs, l'affection de ses enfants ne la troublent pas; elle les possède avec une vraie et sainte crainte, elle les aime comme des choses prêtées, et non comme des choses qui lui appartiennent. C'est ce que doit faire toute créature raisonnable. En le faisant elle n'offense pas Dieu, et elle goûte dès cette vie les arrhes du bonheur céleste dans la charité fraternelle pour son prochain. L'âme trouve tout cela dans le souvenir du Sang. C'est la vérité; car tant que nous penserons avec un ardent désir au bienfait du Sang, nous serons reconnaissants, et nous nous acquitterons envers lui par l'ardeur de la charité et, par des vraies et solides vertus. En faisant autrement, la créature se rend coupable, non seulement parce qu'elle oublie le Sang et qu'elle est ingrate, mais parce qu'elle ne cherche pas à acquérir la vertu. Ainsi donc, très chère Mère, puisque le souvenir de ce sang précieux est si nécessaire, attachez-vous à l'humble Agneau sans tache, et baignez-vous dans son très doux sang. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1624].





Lettre n. 340, A MADAME NELLA

CCCXL.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise, et à madame Catherine, femme de Gérard, fils de Nicolas.- De l'union dans la charité.- Jésus-Christ nous a enseigné cette vertu et nous la demande. - De l'emploi du temps.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Mère Nella, et très chère Catherine, ma Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage et je vous bénis dans son précieux Bang, avec le désir de vous voir unies et liées par le lien de la charité qui a attaché et cloué le Fils de Dieu sur la Croix. O ineffable et très douce charité! combien est fort ce lien qui a retenu l'Homme-Dieu, blessé et déchiré sur l'arbre de la Croix! C'est là qu'il a porté le poids de nos iniquités; et comme l'enclume est frappée par le marteau, l'âme du Christ, dans sa Passion, a été travaillée par le feu de sa charité. O union douce et parfaite, que Dieu a contractée avec l'homme! Je veux donc que vous vous embrasiez d'un saint zèle, et que vous contractiez une union que ni le démon ni les créatures ne puissent rompre; et cette union est le Commandement que Dieu nous a laissé, parce qu'il n'avait rien de plus précieux à nous donner. Pourquoi n'y a-t-il rien de plus précieux que d'avoir Dieu et d'être dans la parfaite union de la charité de Dieu? Parce que Dieu [1625] est la charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui, comme l'a dit la Vérité suprême: " Celui qui observera ma parole, je serai en lui, et lui en moi, et je me manifesterai moi-même à lui ( Jn 4,14). " O très doux Amour! qui sommes-nous, pour vous manifester à l'homme? quelle est cette manifestation que vous faites dans l'âme? Rien qu'une ineffable charité; la charité est une mère qui conçoit le parfum des vertus; et comme une mère nourrit ses enfants sur son sein, la charité nourrit les vertus, ses enfants, et produit des fruits pour la vie éternelle.

2. Il faut donc vous lever avec un saint zèle, ma très douce Mère et ma Fille, pour suivre les vertus et vous reposer sur ce glorieux sein de la charité. Si vous me dites: Où pourrons-nous trouver cette glorieuse mère? je vous dirai: Sur l'arbre de l'adorable et très sainte Croix, où a été greffé le Verbe incarné, le Fils de Dieu, immolé avec tant d'amour. En fixant le regard de votre intelligence sur la Charité divine, qui se repose sans cesse sur vous, votre coeur ne pourra s'empêcher d'aimer en se voyant tant aimé; et cet amour produira la haine, le mépris de vous-mêmes et le dégoût du monde. Alors vous mépriserez ses délices, ses honneurs, et vous embrasserez les injures, les outrages, et vous les supporterez avec joie, en considérant les injures de votre Créateur. Oh! combien est ignorant et vil le coeur qui veut suivre une autre voie que celle de son Maître! Car celui qui veut la vie éternelle doit suivre ses traces. il a dit: " Je suis la voie, la [1626] vérité, la vie; celui qui marche avec moi ne marche pas dans les ténèbres, mais il arrive à la lumière. " Et dans un autre endroit il dit: " Personne ne peut aller à mon Père, si ce n'est par moi. " Puisque nous voyons tant d'amour en notre âme, il faut nécessairement retirer notre affection et nos désirs du siècle, qui est plein de ténèbres et d'amertume; il est sans sûreté, sans stabilité, sans ressemblance avec Jésus crucifié: le Christ est la vie, et lui la mort.

3. Levez-vous donc généreusement, très chère Mère et très chère Fille; abandonnez la pompe et la vanité du siècle; regrettez maintenant le temps perdu, et tâchez de le réparer avec le temps que vous avez; pensez qu'il vous faudra en rendre compte au moment suprême de la mort. Oh! quelle confusion pour celui qui aura employé son temps d'une manière négligente et coupable! Je ne veux pas que nous nous exposions à cette confusion, mais que nous vivions si bien, qu'après cette vie nous nous trouvions avec le feu des vertus, avec la douce charité, leur mère, dans cette vraie cité de Jérusalem, où nous nous reposerons dans cette vision de la paix où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Oh! Combien est bon et doux notre Dieu, qui, pour avoir abandonné les choses finies, nous donne des choses infinies! Oui, plus de négligence et d'ingratitude; mais suivons les traces de Jésus crucifié. Aimez-vous, aimez-vous mutuellement, ma bien-aimée Mère et ma Soeur. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Loué soit notre Seigneur Jésus-Christ. Doux Jésus, Jésus amour [1627].






Lettre n. 341, A MADAME LAUDOMIA

CCCXLI.- A MADAME LAUDOMIA, femme de Charles Strozzi, de Florence.- On ne peut servir en même temps Dieu et le monde. - De la manière d'aimer les créatures, et du prix de la grâce divine.

(Cette dame était femme de Charles Strozzi, un des citoyens les plus illustres de Florence; c'est lui qui conclut, en 1369 la paix avec la république de Pise, et qui fut envoyé en 1374, à Sienne, pour terminer les différends de la ville avec la famille des Salimbeni.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante de Jésus crucifié. Le servir n'est pas servir, c'est régner; car il affranchit l'âme en la retirant de la servitude du péché; il nous ôte notre aveuglement, et nous donne la parfaite lumière; il nous ôte la mort, et nous donne la vie, la paix, le repos, en éloignant toute guerre. Il nous revêt du vêtement de la charité, et nous rassasie en nous donnant pour nourriture l'Agneau qui a été préparé sur le bois de la très sainte Croix, au feu de l'amour de l'honneur de son Père et de notre salut; il rassasie l'homme et lui ôte toute crainte servile. C'est donc un doux et ineffable honneur que de servir Dieu [1628].

2. Oui, nous devons le servir avec un grand zèle, de tout notre coeur, de toute notre âme. Remarquez que Notre-Seigneur ne veut pas de partage; il ne veut pas être servi à moitié, mais complètement. Car il est impossible de servir à la fois Dieu et le monde. Le Christ béni a dit: " Nul ne peut servir deux maîtres, car, en servant l'un, il méprisera l'autre, parce qu'ils n'ont aucun rapport ensemble. " Le monde donne tout le contraire de ce que nous avons dit; car à celui qui le sert dans la sensualité, les délices, les honneurs, les richesses, les plaisirs des sens, dans ses enfants, son mari, ou n'importe quelle créature qu'il aime en dehors de Dieu d'un amour sensuel. il donne la mort, l'aveuglement, la nudité; il le prive du vêtement de la charité, et lui donne la honte en lui faisant perdre sa dignité. Il a vendu son libre arbitre au monde et au démon, et il est enchaîné dans l'esclavage du péché, parce qu'il a mis son affection et son amour dans ce qui est moins que lui, et il a offensé Dieu, car toutes les choses créées ont été faites pour nous servir, et nous pour servir Dieu. En les servant hors de Dieu, je l'offense; je deviens le serviteur, l'esclave du péché, qui est un néant, et je deviens néant parce que je suis privé de Dieu, qui est Celui qui est.

3. Il faut donc renoncer entièrement au monde, et servir Dieu. Mais pourquoi le monde est-il si opposé à Dieu? Parce que le Christ béni nous invite et nous enseigne à le servir dans la pauvreté volontaire. Si l'homme possède les richesses actuellement, il ne doit pas les posséder mentalement, c'est-à-dire par le désir, mais il doit se dépouiller de tout attachement [1629] aux choses de la terre. Le monde aime l'orgueil, et Dieu l'humilité; et cette vertu lui plaît tant, que nous voyons Dieu s'humilier jusqu'à nous, et son Fils courir pour nous dans l'humilité et la patience jusqu'à la mort honteuse de la Croix. Il nous invite et nous engage à être patients avec l'espérance et la foi vive; patients à souffrir tout ce que Dieu envoie, et à pardonner, pour son amour, à tous ceux qui nous offensent. Le monde veut tout le contraire: il veut se venger et rester dans la haine et la colère envers le prochain. L'espérance et la foi doivent être mises en Dieu, qui seul est immuable, et non pas dans les créatures; il faut se confier et être fidèle à Jésus crucifié, et ne pas espérer dans la sensualité. La foi vive, alors, enfantera des vertus et de saintes et bonnes oeuvres.

4. Dieu aussi aime la justice, et le monde l'injustice. Faisons donc, faisons une sainte justice de nous-mêmes. Quand nos sens veulent se révolter contre leur Créateur, levons-nous avec l'amour du coeur et la lumière de la conscience, et dénonçons-les au maître, c'est-à-dire au libre arbitre, qui enchaînera l'ennemi avec les liens de la haine, et le tuera avec le glaive de l'amour divin. Faisons cela, très chère Soeur, parce qu'en le faisant nous serons des serviteurs fidèles, et en étant serviteurs, nous deviendrons maîtres. Vous avez vu quel honneur et quel profit procure à l'âme ce service; et sans lui nous ne pouvons atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Nous avons vu aussi dans quel danger, quel abaissement, quelle misère tombe l'âme qui sert le monde, ses joies et ses plaisirs. Nous avons vu aussi pourquoi [1630] Dieu et le monde n'ont pas de rapport ensemble, pourquoi ils sont si éloignés l'un de l'autre. Le Christ aime la vertu et déteste le péché, et il aime et déteste tant, que, pour nous revêtir, il s'est dépouillé de la vie et a expié nos iniquités sur son corps, au milieu des fouets, des peines, des outrages, des injures, et enfin dans la mort honteuse de la Croix. Puisque le péché lui déplaît tant, nous devons le fuir et le haïr jusqu'à la mort; car l'âme n'offense Dieu qu'en aimant ce qu'il déteste, et en détestant ce qu'il aime.

5. Excitons-nous donc à un saint désir, et servons Dieu avec un ardent amour, dépouillant notre coeur de toute vanité et de toute affection déréglée pour un mari, des enfants, des richesses; possédez-les et aimez-les comme des choses qui nous sont prêtées; car toute chose nous est donnée comme prêt et comme usage, et elle ne dure qu'autant qu'il plaît à Dieu, qui nous l'a donnée. Il ne convient pas de posséder comme nous appartenant ce qui ne nous appartient pas. Mais la grâce divine est à nous, et nous devons la conserver comme à nous; elle est si bien à nous, que ni le démon ni les créatures ne peuvent nous l'enlever, si nous ne le voulons pas; et il est bien ignorant, celui qui se prive lui-même d'un si grand trésor: nous devons bien l'estimer, puisqu'il est si précieux. Et pour que vous puissiez mieux l'avoir, le posséder, cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié, et baignez-vous dans son précieux sang. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1631].






Lettre n. 342, A MADAME JEANNE PAZZI

CCCXLII.- A MADAME JEANNE PAZZI.- De l'amour que Jésus-Christ nous a montré dans Sa passion.- Du moyen d'acquérir la patience.

(Jeanne Pazzi fut une des compagnes de sainte Catherine; elle appartenait à une des plus illustres familles de Florence.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine. la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir bien souffrir ce que notre doux Sauveur permet. C'est à cela que la Vérité éternelle reconnaîtra que vous l'aimez; car nous ne pouvons lui donner une autre preuve de notre amour, si ce n'est d'aimer avec charité toute créature raisonnable, et de souffrir avec une vraie et inaltérable patience jusqu'à la mort. ne choisissant jamais le lieu et la manière. mais nous en rapportant à Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Ne serait-ce pas folie à nous, pauvres malades; de demander à notre médecin, le Christ, une médecine selon notre bon plaisir, et non selon sa volonté, puisqu'il voit et connaît ce dont nous avons besoin. Je veux que vous sachiez bien, ma Fille, que tout ce que Dieu donne ,et permet en cette vie, il le fait ou pour notre salut, ou pour notre perfection [1632]. Nous devons alors souffrir humblement et avec patience, et recevoir tout avec respect, en fixant le regard de notre intelligence sur la charité, l'ardent amour avec lequel il donne; et en voyant qu'il donne par amour, non par haine, nous recevrons avec amour. Cette vertu de la patience est si nécessaire, qu'il faut sans cesse la poursuivre pour ne pas perdre le fruit de nos peines; nous devons secouer toute négligence, et aller avec zèle là où elle se trouve.

2. Où se trouve-t-elle? en Jésus crucifié. Sa patience fut si grande, qu'on ne l'entendit jamais se plaindre. Les Juifs criaient: " Crucifiez-le! " Et lui disait: " Père, pardonnez à ceux qui me crucifient, car ils ne savent ce qu'ils font. " O patience qui nous donnes la vie! En supportant nos iniquités avec patience, vous les avez crucifiées avec votre corps! Il a lavé avec son sang la face de notre âme; et dans ce sang répandu avec un si ardent amour et une si parfaite patience, il nous a fait renaître à la grâce. Ce sang a recouvert notre nudité et nous a revêtus de la grâce; la chaleur a détruit la glace et réchauffé la tiédeur de l'homme; il a dissipé les ténèbres et donné la lumière. Dans ce sang, se consume l'amour-propre, c'est-à-dire que l'âme qui se voit ainsi aimée dans ce sang, se décide à quitter le misérable amour d'elle-même et à aimer son Rédempteur, qui a donné sa vie avec tant d'amour, et qui a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix. Il a fait de son sang un breuvage, et de sa chair une nourriture pour tous ceux qui le veulent. Il n'y a pas d'autre moyen de rassasier l'homme: il n'apaise la faim et la soif que dans ce sang [1633].

3. L'homme posséderait le monde entier, qu'il ne pourrait être rassasié, parce que les choses du monde sont moindres que lui. Tout ce qui est moindre ne saurait lui suffire; mais il peut se rassasier dans le Sang, parce que le sang est uni et mêlé à la Divinité, à la nature infinie, Il est plus grand que l'homme, et l'homme peut satisfaire son désir dans le feu de la divine Charité, parce qu'il a été répandu par amour; il nous a été donné en abondance. Huit jours après sa naissance, son corps en répandit un peu dans la Circoncision: ce n'était pas assez pour désaltérer la créature; mais sur la Croix, la lance perça son coté, et Longin lui ouvrit le coeur (Voir Legenda Aurea - Acta Sanctorum, 15 mars). Des flots de vie s'échappèrent, lorsque l'âme fut séparée du corps, et le Sang fut donné à pleines mains, et annoncé avec éclat par la miséricorde. L'Esprit-Saint criait: " Que celui qui veut du Sang accoure. " Et où? à la source même, à Jésus crucifié, en suivant sa doctrine et sa voie. Quelle est sa doctrine? aimer l'honneur de Dieu et le salut des âmes, et acquérir la vérité, en souffrant et en faisant violence à la sensualité.

4. Quelle voie doit tenir celui qui veut arriver à la doctrine pour avoir le Sang? quel vase et quelle lumière faut-il avoir? la lumière de la très sainte Foi. La Foi est la prunelle de l'oeil de l'intelligence; et si l'âme n'avait pas cette glorieuse lumière, elle perdrait la voie, comme le font les hommes du monde, qui ont obscurci l'oeil de leur intelligence avec le nuage de l'amour-propre et de la tendresse pour eux-mêmes, et qui vont par les ténèbres comme des aveugles: [1634] non seulement ils ne profitent pas du Sang, mais ils le méprisent et le foulent aux pieds. Il faut donc avoir la lumière, comme nous l'avons dit, et suivre la voie de la vraie connaissance de nous-mêmes et de la bonté de Dieu à notre égard; avec la haine du vice et l'amour de la vertu. C'est là une voie et une demeure où l'âme connaît et apprend la doctrine de Jésus crucifié. Dans cette demeure de la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, nous trouvons le Sang, où est purifiée notre âme. Quel vase faut-il porter? le vase de notre coeur, afin que, mettant comme une éponge, son amour dans le Sang, il attire à lui le Sang et l'ardeur de la charité avec laquelle il a été répandu.

5. Alors l'âme s'enivre, parce qu'elle a eu la lumière; elle est allée par la voie en suivant la doctrine de Jésus crucifié elle est arrivée au lieu, elle a rempli le vase, et elle goûte la nourriture de la patience, le parfum de la vertu et le désir de la souffrance, tellement qu'il lui semble ne pas pouvoir se rassasier de porter la Croix pour Jésus crucifié. Elle fait comme l'homme ivre, plus il boit, plus il voudrait boire: de même plus l'âme souffre, plus elle voudrait souffrir; sa seule consolation sont les peines; les larmes que lui cause le souvenir du Sang deviennent son breuvage, et les gémissements sa nourriture. C'est donc la voie et la manière de pouvoir arriver à la grâce et acquérir la royale patience. C'est ce qui me faisait, dire que je désirais vous voir souffrir tout ce que la Bonté divine vous envoie avec une vraie et sainte patience. Ainsi, très chère Fille, ne dormons plus du sommeil de la négligence, mais entrons dans la plaie ouverte du côté de Jésus crucifié, où nous [1635] trouverons ce sang, avec une vive et profonde douleur de l'outrage fait à Dieu. Il n'y a vraiment pas d'autre lieu pour reposer sa tête, si ce n'est le Sang et la tête couronnée d'épines de Jésus crucifié. Lancez donc là les flèches d'un ardent désir, d'une humble et continuelle prière pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 343, A MADAME CONSTANCE

CCCXLIII.- A MADAME CONSTANCE, femme de Nicolas Soderini, de Florence.- Du mépris du monde, et du désir de la mort qu'ont les saints, et de la manière de s'y préparer, en mourant de la volonté propre.

(Voir les lettres LII , LIII , LIV , et la vie de sainte Catherine, IIIe p., ch. 6.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1.Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de voir votre coeur dépouillé de l'amour misérable du monde, si bien que toute chose l'ennuie et lui déplaise tant, que vous disiez avec le doux apôtre saint Paul: " Je désire être délivré de mon corps pour être avec le Christ (Ph 1,23). " Saint Paul savait [1636] que la vie du corps était un grand obstacle entre Dieu et lui, de deux manières La première, parce que le corps se révolte toujours contre l'esprit, et en se révoltant contre l'esprit, il se révolte contre son Créateur. La seconde, parce que la vie du corps l'empêche de voir et de jouir de la vision de Dieu jusqu'au moment où l'âme est affranchie de cette chaîne. Aussi saint Paul et les autres serviteurs de Dieu désirent la mort et supportent seulement la vie avec patience. Mais songez qu'il faut mourir deux fois avant d'arriver à la vie. Il faut d'abord que l'homme meure à toute volonté propre, coupable et sensuelle, car cette volonté sensuelle conduit celui qui ne la tue pas, à la mort éternelle. Il faut donc que l'homme se lève et la frappe avec le glaive de la haine et de l'amour, c'est-à-dire avec la haine du péché et l'amour de la vertu, Et de cette manière, l'âme attendra la seconde mort, c'est-à-dire la mort corporelle, comme un sommeil qui est la fin de toute peine, qui dissipe les ténèbres, et fait arriver l'âme à la lumière de la vision de son Dieu.

2. Mais pensez, ma Fille, que si l'homme n'a pas vécu en tuant sa volonté, comme nous l'avons dit, sa mort corporelle ne sera pas si glorieuse, elle sera même bien pénible. Je veux donc que vous suiviez les vraies et solides vertus, fuyant le monde et ses délices, et vous rapprochant toujours de Dieu. Vous recevrez la joie parfaite et une paix inaltérable, vous perdrez toute crainte servile; vous concevrez une foi vive avec laquelle vous regarderez la divine miséricorde; et dans cette foi, vous trouverez que Dieu ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification [1637]. C'est pour que nous soyons sanctifiés en lui qu'il nous a donné le Verbe, son Fils unique, et qu'il a voulu qu'il mourût de la mort honteuse de la Croix. Il y a là tant de miséricorde, que la langue et le coeur de l'homme sont incapables de le dire et de l'imaginer; et dans cette miséricorde disparaissent toute crainte et toute peine. Quelquefois l'âme qui s'aime encore elle-même souffre beaucoup de la crainte de la mort, et c'est une illusion du démon. Le démon lui dit: Tu vois bien que tu mourras sans avoir fait aucun bien: et sais-tu où tu iras? tes oeuvres ne méritent autre chose que l'enfer. D'un autre côté, il lui inspire de la tendresse pour elle-même en lui disant: Ne sais-tu pas que ton corps, qui jouit des biens et des délices du monde, sera bientôt mort, et plus laid que celui d'un autre animal? La malice du démon met ainsi ces pensées dans le coeur pour jeter l'âme dans le trouble et le désespoir, en lui faisant voir ses défauts et ses péchés, et en lui cachant la miséricorde divine.

3. Il faut donc que l'âme combattre cette malice du démon, et réponde intérieurement, en regardant son Créateur, à ces pensées qui le troublent: Je confesse que je suis mortelle, et c'est là une grande grâce; car par la mort j'arriverai à ma fin, à Dieu, qui est ma vie. Je confesse aussi que ma vie avec les oeuvres que j'ai faites ne méritent autre chose que l'enfer; mais j'ai foi et espérance dans mon Créateur, dans le sang de l'Agneau immolé pour moi. Il me pardonnera mes péchés, et me donnera sa grâce. Je m'appliquerai à me corriger pendant le temps qui me reste; et si la mort vient avant que je puisse y parvenir, avant que je puisse faire pénitence de mes péchés, je me confie [1638] en Jésus-Christ, mon Seigneur, parce que je vois qu'il n'y a aucune comparaison entre la miséricorde divine et mes péchés. Si tous les péchés qu'on peut commettre étaient réunis en une créature, ce serait comme une goutte de vinaigre au milieu de la mer, si on les comparaît à la miséricorde divine, pourvu que l'âme veuille la recevoir avec une vraie et sainte disposition, avec le regret de la faute commise. Ce regret lui fait perdre toute faiblesse pour son corps et pour les choses créées. De cette manière, l'âme se ranime; elle augmente l'amour qu'elle a pour sa fin, et perd la crainte servile qui la trouble; elle jouit avec délices de son bien-aimé Jésus crucifié, et elle attend avec joie et calme l'heure de la mort. Non seulement elle l'attend, mais elle désire quitter le monde, et être avec le Christ.

4. Ainsi donc, ma douce Fille, plus de crainte; mais passez dans la joie cet instant de la vie, avec le désir de la vertu, avec la vraie patience, supportant toutes les peines temporelles et spirituelles que Dieu vous accordera par la maladie ou par quelque autre moyen. C'est qu'il veut pouvoir vous récompenser quand vous sortirez des tempêtes de cette vie ténébreuse pour aller dans le lieu de repos, dans la vraie cité de Jérusalem, la vision de la paix, où tout bien est récompensé, c'est-à-dire toute patience et toute bonne oeuvre que nous accomplissons en cette vie. Oh! combien serait fou et insensé le marchand auquel on confierait un trésor pour le faire profiter, et qui, par crainte de la peine, l'enfouirait dans la terre! Ne serait-il pas digne d'être condamné et de perdre la vie? Nous sommes aussi des marchands auxquels est [1639] confié le trésor du temps, avec le libre arbitre, la volonté que Dieu nous a donnée pour le faire profiter pendant toute notre vie; nous pouvons perdre ou gagner selon notre volonté. Nous serions bien insensés si, par crainte de la peine, nous enfouissions le temps qui nous est donné pour gagner la vie éternelle par la pratique de la vertu, et si nous achetions l'enfer par notre vie coupable. Car notre vie est coupable lorsque nous enfouissons notre temps et notre volonté dans la terre, c'est-à-dire lorsque nous désirons, et que nous aimons les choses de la terre avec un amour déréglé, en dehors de Dieu. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais voir votre coeur dépouillé de tout amour et de tout attachement pour le monde et de toute crainte servile; je veux que vous soyez toute revêtue de Jésus crucifié, que vous mettiez là votre foi, votre espérance, afin que le démon, avec toutes ses ruses, ne puisse pas vous tromper par une peur déréglée de la mort, mais que vous désiriez au contraire retourner à votre fin. Je ne vous dis pas autre chose. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Bénissez la jeune fille dans le Christ, le doux Jésus. Saluez de ma part Mme Néra et Nicolas. Dites leur de bien estimer le temps, et de l'employer avec un vrai et saint désir pendant qu'ils l'ont. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1640].






Lettre n. 344, A MADAME RABES

CCCXLIV.- A MADAME RABES, femme de François Tholomei.- Les vertus, et surtout la charité, s'acquièrent par l'union avec Jésus crucifié. - Des différents degrés de cette union.

(Le bienheureux Raymond fait l'éloge de cette dame, en racontant la conversion de ses deux filles et de son fils Jacques. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. 7 )



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ. je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir morte à la sensualité: autrement vous ne pourrez participer à la vie de la grâce. Oui, je voudrais vous voir vous appliquer avec un ardent désir à quitter les choses fragiles du monde, car il n'est pas convenable que nous, qui sommes faits pour goûter le bonheur du ciel en nous nourrissant de la nourriture des vertus, nous goûtions la terre, et nous nous nourrissions de l'amour sensitif, d'où procèdent tous les vices. Il faut nous lever et monter les hauteurs de la vertu en fixant le regard de notre intelligence sur le bois de la Croix, où nous trouverons l'Agneau et l'arbre de vie, qui de son corps, nous a fait des degrés.

2. Le premier degré où il nous enseigne à monter sont les pieds, c'est-à-dire l'affection. Comme les pieds[1641] portent le corps, l'affection porte l'âme. En montant ce degré, c'est-à-dire ses pieds percés et cloués sur la Croix, vous trouverez l'affection dépouillée de tout amour déréglé. En arrivant au second, c'est-à-dire au côté ouvert de Jésus crucifié, vous verrez le secret de son coeur, avec quel amour ineffable il nous a fait un bain de son sang. Au premier degré, on se dépouille de toute affection; et au second, on goûte l'amour qu'on trouve dans le coeur ouvert de Jésus-Christ. Par le troisième degré, on arrive à la bouche du Fils de Dieu; on s'y nourrit dans la paix, parce que l'âme qui a revêtu l'amour de Jésus crucifié, et qui s'est dépouillée de l'amour sensitif qui lui faisait la guerre, a trouvé la patience. et toute amertume lui parait douce (, ). Elle se réjouit même des persécutions et des tribulations du monde, de quelque côté que Dieu les lui envoie, parce qu'elle a trouvé la paix de la bouche. Celui qui donne la paix s'unit à celui à qui il la donne: ainsi l'âme revêtue de vertus par l'amour goûte Dieu par la bouche du saint désir dans le désir de Dieu; et dans ce désir de Dieu, elle s'unit à lui avec paix et quiétude. Vous voyez que Jésus crucifié nous a fait une échelle de son corps, afin que nous atteignions les hauteurs du ciel, de la vie éternelle, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût et la faim sans peine, car, comme dit saint Augustin, le dégoût de la satiété et le tourment de la faim y sont inconnus; les bienheureux sont rassasiés de ce dont ils ont faim et désir dans l'éternelle vision de Dieu. Elle est bien ignorante et [1642] bien malheureuse l'âme qui, par sa faute, perd un si grand bien, et se rend digne d'un si grand mal. Courage donc, très chère Fille, et ne comptez pas sur le temps que vous n'avez pas; mais quittez par la force de l'amour, la perversité de votre amour sensitif, qui vous ôte la lumière de la raison, et vous fait aimer le monde et vos enfants outre mesure: autrement vous ne pourrez pas atteindre la fin pour laquelle vous avez été créée.

3. Je vous ai dit que je désirais vous voir vivre morte à la volonté propre et à l'amour de vous-même, parce qu'il me semble que vous êtes encore bien vivante, et j'ai vu par la lettre que vous m'avez écrite que l'amour aveugle vous faisait sortir de l'ordre que Dieu veut. Vous me dites que Françoise est très mal (Françoise était une des filles de Mme Rabès; elle était entrée dans le Tiers Ordre. Matthieu, son fils, avait revêtu l'habit de Saint-Dominique, et la règle défendait qu'il sortit sans être accompagné d'un autre religieux.), et que vous voulez que Frère Matthieu vienne sur-le-champ, malgré tout obstacle, et que, s'il ne vient pas, vous lui donnerez votre malédiction; s'il ne peut faire autrement, il doit prendre un paysan pour l'accompagner. Je vous dis que vous ne pouvez excuser votre folle impatience. Jugeons, non pas seulement d'après la religion, mais d'après le simple bon sens que la nature donne; si vous l'aviez eu, vous n'auriez pas agi de la sorte. S'il fallait, pour contenter votre désir ou celui de votre fille, que frère Matthieu vint, vous deviez demander deux Frères: l'un serait venu avec lui, l'autre serait resté, car vous savez bien que ni l'un ni l'autre ne peut venir ou rester seul; [1643] mais la passion vous égarait, et vous aviez les oreilles pleines de murmures. Tout cela vient de ce que vous n'avez pas levé les yeux de la terre, ni monté le premier degré dont nous avons parlé. Si vous l'aviez monté, vous désireriez uniquement voir votre fils chercher l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Avec ce désir, vous et les autres, vous auriez bouché vos oreilles, et retenu votre langue pour ne pas entendre les paroles qui ont été dites, et pour ne pas les dire. Qu'il n'en soit plus ainsi. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et quittez la société des morts pour celle des vivants, des vraies et solides vertus. Je ne vous en dis pas davantage. Encouragez Françoise, et demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 338, A MADAME NELLA