Vie Ste Catherine de Sienne


VIE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE

par le Frère Raymond de Capoue




Partie I: Famille, enfance (100-112) ;
Partie II: Rapport de Sainte Catherine avec le monde (200-212) ;
Partie III: Mort de Sainte Catherine (300-306) ;
Eloge de Sainte Catherine (400) ;





VIE DU BIENHEUREUX RAYMOND DE CAPOUE


TRADUITE DES LEÇONS DU BREVIAIRE DOMINICAIN



Raymond, né à Capoue, de la noble famille Des Vignes, vers l'an du Seigneur 1330; se distingua, dès son enfance, par la candeur de ses moeurs, ses goûts religieux et sa tendre piété envers la Mère de Dieu. Attiré, dit-on, dans la Famille des Prêcheurs, par un appel merveilleux de notre bienheureux Père Dominique, il s'y instruisit si bien des règles de la vie divine dans les âmes qu'il put bientôt en donner en divers lieux un enseignement fort loué. Envoyé comme directeur aux saintes vierges de Montepulciano, il s'y montra, malgré sa jeunesse, maître parfait de sainteté. Rappelé à Borne, il fut élu pour Supérieur par les Soeurs qui habitaient près de Sainte-Marie-sur-Minerve. Peu de temps après, il se démit de cette charge, dans l'intention de se consacrer exclusivement à la direction des hommes.

A ce moment la bienheureuse Catherine, vierge de Sienne, jouissait déjà d'une renommée de sainteté extraordinaire. Avertie par la Reine du ciel, ainsi qu'elle nous l'atteste elle-même dans ses écrits, elle choisit Raymond comme arbitre de sa conscience et conseiller de ses actions. C'est avec son secours, qu'elle mena si souvent à bonne fin tant de négociations des plus ardues, acceptées pour l'avantage de l'Eglise et de la société. C'est avec ce même appui qu'elle rappela tant de pécheurs à une vie fructueuse pour le ciel et sut montrer à un grand nombre d'âmes la voie de la perfection.

Après la mort de Catherine, et conformément à ses prédictions, Raymond fut élu Maître de l'Ordre des Prêcheurs. Sans la moindre hésitation il s'appliqua de suite à ramener à son état premier la discipline religieuse bien affaiblie par suite des calamités de ce temps (La peste noire, les guerres continuelles, le grand schisme d'Occident.). Dans la plupart des provinces confiées à son gouvernement (L'Ordre eut à ce moment deux Maîtres généraux, et se trouva, comme l'Église, partagé en deux obédiences.), il établit un ou deux couvents qui observaient de point en point les institutions des Prêcheurs. Ces Maisons devaient donner aux autres monastères des maîtres de vie régulière et faire enfin refleurir dans l'Ordre entier l'observance primitive. A une si grande oeuvre, il mit tous ses efforts, ne se laissant abattre par aucune fatigue, ne s'effrayant ni des menaces, ni des calomnies. Il favorisa avec zèle tous les amis des lois religieuses, les protégea contre les vexations de leur persécuteurs et, soit par ses lettres, soit par ses visites, les fortifia dans leur sainte résolution.. Il plaida si bien la cause des statuts de son Ordre que désormais personne n'essaiera cette même défense sans en puiser les principaux arguments dans les commentaires de Raymond. Il a laissé à la postérité un récit des actes très saints de la bienheureuse Agnès de Montepulciano, et il a écrit sur l'admirable vie de la bienheureuse Catherine de Sienne un livre partout célèbre.

Mais Raymond n'a pas donné comme limites à l'action de sa charité les cloîtres où vivait sa famille religieuse; il l'a étendue à toute l'Église. C'est ainsi que le pape Grégoire XI et ses successeurs Urbain VI et Boniface IX n'ont pas eu d'auxiliaire plus fidèle. Bien cruelles étaient en ce temps-là les discordes qui s'étaient allumées autour du siège de Pierre. Pour les apaiser, l'homme de Dieu ne s'épargna nulle fatigue e t méprisa tout péril. On pouvait le voir souvent alors exilé loin des charmes de sa cellule, occupé à des légations fort difficiles pour le service du Pontife légitime. Bien que faible de santé, il entreprenait de longs et pénib1es voyages et s'exposait à la mort sur terre et sur mer, supportant courageusement toute peine; refusant très humblement tous les honneurs qui lui étaient offerts. Atteint enfin d'un mal mortel, à Nuremberg, où il défendait les droits de l'Église Romaine et travaillait à la restauration de son Ordre, il s'endormit très paisiblement dans le Seigneur, en l'an du salut 1399, le 5 octobre. Son corps, enseveli avec grand honneur dans l'église de son Ordre, fut ensuite transféré à Naples, à Saint-Dominique-le- Majeur.

Le culte rendu au bienheureux Raymond après sa mort ne fut, depuis, jamais interrompu, et ne fit que grandir et s'étendre. Le Souverain Pontife Léon XIII, après consultation de la Congrégation des Rites sacrés, a ratifié ce culte, alors que s'achevait le Ve siècle après la mort du saint religieux, et a accordé en outre, à l'Ordre des Prêcheurs et aux diocèses de Capoue et de Sienne, la permission de célébrer la messe et l'office du bienheureux.



PROLOGUE

David, le fils d'Isaïe, l'homme établi pour être l'oint du Dieu de Jacob, l'incomparable psalmiste d'Israël, comme l'appelle le livre des Rois (2R 23), David a dit au psaume (Ps 101,5-19), où il chante l'entrée au monde du premier-né de Dieu " Que ceci soit écrit pour les générations de l'avenir, et le peuple alors créé louera le Seigneur. " Et le saint homme Job, voulant prophétiser la sainte résurrection, s'écriait: " Qui donc me donnera d'écrire mes paroles? qui donc me donnera qu'elles soient tracées sur un livre, avec un stylet de fer, et sur une lame de plomb, ou sculptées avec un ciseau sur la pierre (Jb 29,34-24)? " La signification de ces paroles des saintes Ecritures est, pour toute intelligence, facile à saisir. Les choses qui sont à l'honneur et à la louange du Nom divin, à l'utilité vraie et commune de tous les hommes, ne doivent pas seulement être révélées et racontées aux lieux et aux temps qui en sont les témoins; mais, pour qu'elles soient connues de tous, dans le présent et dans l'avenir, on doit les confier à l'écriture. "Puisqu'à la génération qui passe, une autre génération succède () ", comme dit Salomon, ce serait chose indigne qu'une seule génération connût ce qui est le salut de toutes, et qu'un court espace de temps limitât la louange des oeuvres de la divine Sagesse, qui doivent être perpétuellement chantées. Voilà pourquoi Moïse a écrit les premières oeuvres de la création et les actions de ses pères des premiers comme des derniers jusqu'au temps où il vivait. Voilà pourquoi Samuel, Esdras et les autres prophètes ont écrit leurs histoires sacrées et confié soigneusement à l'écriture leurs prophéties. Voilà pourquoi les saints Evangélistes, eux aussi, les premiers en dignité parmi les historiens sacrés, ont non seulement prêché, mais ont mérité d'écrire l'Evangile. Voilà pourquoi une grande voix a dit à l'un d'entre eux (Ap 1,11): "Ce que tu vois, écris-le dans un livre. "

C'est pour cela que moi aussi, Frère Raymond de Capoue, appelé Des Vignes dans le siècle, humble maître et serviteur de l'Ordre des Frères Prêcheurs, au spectacle des merveilles que j'ai vues et entendues, j'ai dû raisonnablement et nécessairement céder au mouvement qui me pressait. J'ai dû consigner par écrit ce que j'ai prêché de vive voix, les actes de cette sainte vierge nommée Catherine, née dans la cité de Sienne, en Toscane. De cette façon, non seulement le siècle présent, mais aussi les siècles à venir, connaîtront les admirables prodiges que la grandeur inénarrable du Seigneur a opérés dans cette vierge alors si pleine de grâce, et aujourd'hui, sans aucun doute, si éclatante de gloire. Les fidèles loueront Dieu dans ses saints et ses merveilles, et ils le béniront selon la multitude de ses grandeurs (Ps 150,1-2). En même temps, enflammés d'une souveraine charité, ils iront à lui de toutes leurs forces, mettront à le servir exclusivement tout leur coeur, aussi bien que leur activité extérieure et persévéreront jusqu'à la fin dans ce service, avec une inébranlable constance.

Et maintenant, je le jure à quiconque me lira, et j'en prends à témoin Celui qui est la vérité même, qui ne trompe point et n'est point trompé, je n'ai inséré dans ce livre aucune fiction, aucune invention, aucune erreur substantielle, autant du moins que ma faiblesse a pu s'en rendre compte. Afin d'assurer plus de créance à mes affirmations, je dirai, dans chaque chapitre, où et comment j'ai appris ce que je raconte. Chacun pourra donc voir où' j'ai puisé le breuvage que, dans cet écrit, je sers aux âmes.

Pour tout faire au nom béni de la sainte Trinité, et rendre en même temps l'usage de ce livre plus facile, je l'ai partagé en trois parties. La première traitera de la naissance, de l'enfance et de l'adolescence de notre sainte, jusqu'au jour de ses fiançailles avec le Seigneur inclusivement; la seconde, de ses rapports avec les hommes, depuis ses fiançailles jusqu'à son trépas; la troisième parlera de sa mort, des quelques jours qui l'ont précédée et des miracles qui arrivèrent à ce moment et après son décès. J'en rapporterai quelques-uns seulement, non pas tous; autrement il me faudrait un trop gros volume pour un récit qui ne pourrait alors s'arrêter à notre temps. Je donnerai ensuite le livre de sa divine doctrine, c'est-à-dire de ses dialogues, puis vingt et une de ses oraisons. Ainsi, avec la grâce de Dieu, sera terminée toute cette oeuvre à la louange de la très sainte Trinité, à qui revient tout honneur et toute gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



PREMIÈRE PARTIE

FAMILLE, ENFANCE ET VIE CACHÉE DE CATHERINE




CHAPITRE PREMIER

PARENTS DE CATHERINE ET LEUR CONDITION


Il y avait, dans la cité de Sienne, en Toscane, un homme appelé Jacques. L'usage du pays avait donné à son père le surnom vulgaire de Benencasa. C'était un homme droit, n'admettant pas le dol et la fraude, craignant Dieu et évitant le mal. Ayant perdu ses parents, il prit dans sa ville une épouse nommée Lapa. Cette femme n'avait rien de la malice des hommes de notre temps, et cependant elle s'entendait assez bien à gouverner sa maison et sa famille. Ces époux, tout à fait unis dans la simplicité de leur coeur, étaient, bien que plébéiens, relativement à l'aise pour leur condition; et les familles du peuple, dont ils sortaient, jouissaient d'une certaine considération. Le Seigneur bénit Lapa, la rendit merveilleusement féconde, et en fit vraiment pour son mari cette vigne abondante, suspendue aux flancs de la maison de Jacob. Chaque année elle concevait et enfantait à ce nouveau Jacob (Ps. 127,3 - Le même mot latin Jacobu, signifie Jacques et Jacob.), un fils ou une fille et souvent des jumeaux.

Jacques a droit à des louanges spéciales, et ce serait, me semble-t-il une injustice de les passer sous silence, puisqu'il est déjà arrivé, comme on le croit pieusement, au port de l'éternelle félicité. Ainsi que me l'a rapporté Lapa, il était si égal de caractère et si modéré dans son langage que jamais une parole déplacée ne sortait de sa bouche, quelque occasion qu'il eût de trouble et d'ennui. Bien plus, quand il voyait les autres membres de la famille se laisser aller, dans leur mauvaise humeur, à des paroles amères, il se hâtait de les consoler avec un visage souriant et leur disait: " Allons, pour votre bien, du calme, point de ces paroles inconvenantes. " Une fois, un de ses concitoyens, m'a dit encore Lapa, voulait le forcer méchamment et contre toute justice à lui solder une somme considérable, absolument indue. Ce méchant homme, grâce à l'influence de ses amis et à ses calomnies, avait tellement circonvenu et tracassé notre honnête Jacques qu'il l'avait presque complètement ruiné. Cependant jamais Jacques ne put souffrir qu'en sa présence on parlât mal de son calomniateur, ou qu'on prononçât contre lui quelque malédiction. Quand Lapa se le permettait, il la reprenait et lui disait doucement: " Laisse cet homme, et tu t'en trouveras bien, laisse-le; Dieu lui montrera son erreur et sera notre défenseur. " Les événements justifièrent cette parole peu de temps après. La vérité se fit jour presque miraculeusement, et le châtiment apprit au persécuteur quelle était l'erreur de ses injustes poursuites.

Lapa, en me faisant ce récit, m'en a assuré l'absolue vérité, et j'accepte en toute confiance son témoignage. Tous ceux qui la connaissent savent Sa simplicité, simplicité telle que cette octogénaire ne saurait jamais, quand même elle le voudrait, inventer de pareilles suppositions. Au reste, tous ceux qui ont connu Jacques sont d'accord pour témoigner que c'était un homme simple, droit et évitant le mal.

Enfin la modestie du langage était telle dans ce père de famille que tous les siens, et, en particulier, les femmes élevées à son école ne pouvaient dire ou entendre quelque parole indécente et déshonnête. Une de ses filles, appelée Bonaventura, dont nous parlerons plus loin, avait épousé un jeune homme nommé Nicolas, de la même ville. Celui-ci, orphelin, fréquentait les jeunes gens de son âge; leur langue, sans retenue, proférait souvent des paroles déshonnêtes, et il parlait comme eux. Bonaventura en conçut une telle tristesse qu'elle fut prise d'une maladie de langueur. Chaque jour elle maigrissait et s'affaiblissait à vue d'oeil. Au bout de quelque temps, son mari lui demanda la cause de ce mal; elle lui répondit gravement: " Dans la maison de mon père, je n'ai pas été habituée à entendre des paroles comme celles que j'entends chaque jour; ce n'est pas ainsi que mes parents m'ont élevée. Soyez sûr que, si cette indécence de langage ne disparaît pas de votre maison, vous me verrez bientôt mourir. " Cette réponse remplit d'admiration Nicolas; il apprécia mieux encore la vertu des parents de Bonaventura et de leur fille son épouse, et il défendit à ses compagnons de tenir désormais devant elle de pareils propos. Cette défense fut observée. La modestie et l'honnêteté de la maison de Jacques corrigèrent ainsi l'immodestie et l'indécence de la maison de son gendre Nicolas.

Le métier de Jacques était de fondre et composer les couleurs avec lesquelles on teint le drap et la laine, de là le nom de teinturier que lui et ses fils portaient dans ce pays. N'est-il pas bien merveilleux que la fille d'un teinturier devint l'épouse du Seigneur, maître des cieux? Voilà pourtant ce qu'avec la grâce de ce même Seigneur le reste de cette histoire vous montrera.

Tout ce que j'ai rapporté dans ce chapitre est connu de presque toute la ville ou de sa plus grande partie. J'ai appris le reste soit de notre sainte vierge elle-même, soit de Lapa sa mère, soit de plusieurs religieux et séculiers, voisins, connaissances ou parents de Jacques.









CHAPITRE II

NAISSANCE ET ENFANCE DE LA SAINTE.

FAITS MERVEILLEUX DE SES PREMIERS ANNEES.



Ainsi que nous l'avons dit plus haut, Lapa eut de nombreux enfants, et, comme une abeille diligente, elle remplissait de sa fécondité la ruche de Jacques, son mari. Or, vers la fin de sa fécondité, elle reçut du ciel la grâce de donner le jour à deux enfants jumeaux éternellement prédestinés à arrêter les regards de Dieu. Elle enfanta donc deux filles; la faiblesse de leur sexe s'augmentait encore du peu de vigueur apparente de leur corps, et cependant elles étaient pleines de forces aux yeux de la souveraine Majesté. Leur mère, après les avoir mises au monde, les ayant contemplées quelque temps dans sa maternelle sollicitude, vit bien qu'elle ne pourrait suffire à les nourrir toutes deux de son lait Elle résolut d'en confier une à quelque nourrice étrangère et d'allaiter l'autre elle-même. Par une permission de Dieu, elle conserva auprès d'elle celle que le Seigneur s'était choisie de toute éternité pour épouse. Les deux enfants reçurent la grâce du baptême; toutes deux devaient être du nombre des élus; la préférée cependant reçut le nourrice Catherine, l'autre fut appelée Jeanne. Jeanne avait reçu, avec la grâce du baptême, un nom de grâce (Les noms Jean, Jeanne viennent de l'hébreu Iôna, qui signifie colombe, symbole de l'Esprit-Saint); elle s'envola dans cette grâce vers le ciel et fut bientôt enlevée à la terre. Catherine demeura auprès de sa mère, afin d'entraîner plus tard au ciel une chaîne d'âmes (Allusion à la comparaison établie entre les mots Catherine et chaîne, en latin Catharina, catena, exposée dans un premier prologue que nous donnons à la lin du volume.). Lapa nourrit sa fille avec d'autant plus de soin qu'elle voyait son enfant choisie lui rester seule après la mort de sa soeur; et elle l'aima, m'a-t-elle dit souvent, plus que tous ses autres enfants, fils ou filles. Elle racontait, qu'en raison de ses fréquentes conceptions, elle n'avait pu nourrir de son lait aucun de ses autres enfants. Elle put cependant élever complètement Catherine, car, avant que cet allaitement fût terminé, aucune conception nouvelle ne survint. C'est ainsi qu'elle apportait une trêve et une fin prochaine aux enfantements de sa mère, cette fille qui devait atteindre et posséder la perfection dans ses dernières limites, comme une oeuvre bien achevée. Habituellement, en effet, l'intention d'une oeuvre se pose avant sa mise à exécution. Après avoir donné le jour à notre sainte, Lapa m'enfanta donc plus qu'une autre Jeanne, qui remplaça la compagne défunte de Catherine. Elle n'eut plus alors d'autres enfants, elle en avait eu vingt-cinq.

Catherine, l'enfant vouée à Dieu, ayant grandi, quitta le lait de sa mère pour le pain de la famille et commença à marcher seule. A ce moment, elle était si charmante pour tous ceux qui la voyaient, et il y avait dans ses premières paroles une telle sagesse, que sa mère pouvait à peine la garder à la maison. Tous les parents et voisins se l'arrachaient et l'emmenaient chez eux pour entendre la sagesse précoce de ses paroles et jouir du commerce de sa gaieté enfantine, souverainement gracieuse. L'extraordinaire consolation qu'ils y trouvaient leur apportait tant de joie qu'ils enlevèrent à l'enfant son nom de Catherine et l'appelèrent Euphrosyne, sous quelle inspiration? je l'ignore. La sainte a pensé dans la suite, comme nous le verrons, que ce fait avait sa signification mystique et elle, se proposa d'imiter sainte Euphrosyne. Pour moi, je pense que, dans ses paroles enfantines, Catherine se servait quelquefois de certaines expressions, qui concordaient avec ce mot d'Euphrosyne ou s'en rapprochaient. Ceux qui l'entendaient, répétant ces premiers bégaiements, finirent par l'appeler de ce nom. Quoi qu'il en soit, ce nom indique que, dans cette petite enfant, germaient déjà les fruits que devait donner la jeune fille. Ni la langue, ni la plume ne pourraient dire facilement en effet la sagesse et la prudence de ses paroles. Ceux-là seuls le savent, qui l'ont expérimenté. Le trop-plein de mon coeur m'oblige à le dire ici, il y avait non seulement dans la parole vivante et actuelle de Catherine, mais encore dans la simple influence de sa compagnie, je ne sais quelle énergie qui entraînait l'esprit des hommes au bien, et les faisait se délecter en Dieu. Plus de tristesse dans le coeur de ceux qui conversaient avec elle, plus de dégoût dans leur esprit, plus d'angoisse dans leur souvenir, une paix si grande et si inaccoutumée descendait dans leur âme que, s'étonnant d'eux-mêmes, et tout remplis d'une joie jusque-là inconnue, ils s'écriaient en esprit " Il est bon pour nous d'être ici, dressons-y trois tentes pour y demeurer (Mt 17,4). " Ce n'est pas surprenant, car certainement, dans le coeur de son épouse, se cachait invisible Celui qui, transfiguré sur la montagne, arracha pareil cri de ravissement à Pierre.

Mais revenons au point d'où notre digression nous a éloigné. Cette petite enfant grandissait, se fortifiait, bientôt elle allait être remplie de l'Esprit-Saint et de la divine Sagesse. A l'âge de cinq ans ou à peu près, elle apprit la salutation de l'Ange à la Vierge glorieuse, et elle la répétait fréquemment. Sous l'inspiration du ciel, elle fléchissait le genou à chaque degré des escaliers qu'elle montait ou descendait, et saluait une fois la bienheureuse Vierge. C'est elle-même qui me l'a avoué, dans le secret de la confession, un jour où le sujet de ses accusations en donna l'occasion. Celle qui, tout à l'heure, adressait aux hommes de si aimables paroles commençait donc à exprimer fréquemment et dévotement à Dieu des paroles tout aussi aimables, et s'élevait à sa façon des choses visibles aux invisibles. Ces actes de dévotion ainsi commencés allaient se multipliant chaque jour. Le Seigneur de toute miséricorde voulut honorer les préludes de cette piété par une vision aussi gracieuse qu'admirable, qui devait exciter l'enfant à la poursuite de dons meilleurs, et montrer en même temps quel cèdre élevé cette petite plante deviendrait, arrosée dans sa croissance par l'Esprit-Saint. Un jour, vers la sixième année de son âge, notre petite s'en allait avec son frère Etienne, enfant à peine plus âgé qu'elle, à la maison de leur soeur Bonaventura, l'épouse de Nicolas, dont nous avons parlé plus haut. Lapa, leur mère, les avait sans doute envoyés faire quelque commission. C'est assez la coutume des mères de famille de visiter personnellement ou par d'autres leurs filles mariées et de s'enquérir si tout va bien chez elles. Leur commission faite, les enfants, revenant de la maison de leur soeur, passèrent pour rentrer chez eux par la descente qu'on appelle vulgairement " Valle Piata ". Notre sainte petite fille, ayant levé les yeux, aperçut en face d'elle, dans les airs, sur le chevet de l'Église des Frères Prêcheurs, un appartement magnifique, disposé et orné royalement. Le Sauveur du monde Notre-Seigneur Jésus-Christ, y siégeait sur un trône impérial, revêtu d'habits pontificaux, ayant sur la tête une tiare, c'est-à-dire une mitre royale et papale. Avec lui se trouvaient les princes des apôtres et le bienheureux Evangéliste Jean. A ce spectacle, l'enfant s'arrêta, les pieds cloués au sol; son regard ébloui fixait avec amour sur son Sauveur les yeux de son corps et de son âme. Alors ce même Sauveur, qui se manifestait si merveilleusement, pour attirer miséricordieusement à lui l'amour de sa servante, arrêta sur elle le regard de sa majesté, lui sourit très amoureusement, étendit sa main droite sur l'enfant, et, faisant le signe de la croix à la façon des prélats, lui accorda gracieusement le don de son éternelle bénédiction. La grâce de ce don fut si puissante que de suite l'esprit de Catherine fut ravi et transformé en Celui qu'elle regardait avec tant d'amour. Non seulement elle oublia son chemin, mais elle s'oublia totalement elle-même. Sur cette voie publique, où passaient et repassaient les hommes et les animaux, cette enfant, naturellement craintive, restait immobile, la tête et les yeux levés vers le ciel. Elle y fût restée sans aucun doute tant qu'eût duré la vision, si une main étrangère ne l'eût contrainte et entraînée. Mais, pendant que le Seigneur accomplissait ces merveilles, Étienne, le petit frère de Catherine et son compagnon, la laissant s'arrêter, continua de descendre seul quelque temps, pensant qu'elle le suivait. Au bout d'un moment, il s'aperçut qu'elle ne le suivait pas, quelle n'était plus près de lui. Il se retourne et voit de loin sa soeur, immobile, regardant dans les airs. Il l'appelle de ses cris redoublés; elle ne répond pas, ne fait pas attention à lui. Il revient, s'approche d'elle, continue ses cris, et, comme à crier ainsi il ne gagne rien, il l'entraîne par la main et lui dit " Que fais-tu ici? Pourquoi ne viens-tu pas. " Elle semble alors s'éveiller d'un profond sommeil et, abaissant ses yeux, elle lui répond: " Ah! si tu voyais ce que je vois, tu ne me secouerais certainement pas pour me priver d'une aussi douce vision. "A ces mots, elle reporte ses regards vers le ciel, mais déjà la vision disparaissant avait complètement cessé. Telle était la volonté de Celui qui avait daigné apparaître. Catherine ne put supporter cette privation sans une vive douleur; elle commença à pleurer et à s'en prendre à elle-même, se reprochant d'avoir baissé les yeux.

A partir de cette heure, notre petite enfant montra dans ses vertus et dans ses moeurs la maturité d'une personne avancée en âge, et une sagesse étonnante. Ses actes ne paraissaient plus être de l'enfance, pas même de la jeunesse, mais plutôt d'une vieillesse déjà vénérable. Le feu de l'amour divin s'était allumé dans son coeur, la vertu de cette flamme illuminait son intelligence, réchauffait sa volonté, fortifiait sa mémoire, et, passant dans ses actes extérieurs, mettait partout la règle de la loi divine. Ainsi qu'elle l'a avoué humblement dans le secret de la confession à mon indignité, Catherine, en ce temps-là, apprit et connut sans leçons, sans maître humain, sous le seul influx de l'Esprit-Saint, la vie et les moeurs des Pères du désert, et aussi les actes de quelques saints, en. particulier ceux du bienheureux Dominique. Un désir ardent d'imiter leur vie et leurs vertus lui était entré si profondément dans l'esprit qu'elle ne pouvait penser à autre chose. De là, dans cette sainte enfant, certaines manières d'agir tout à fait nouvelles, qui faisaient l'admiration de tous ceux qui en étaient témoins.

Elle cherchait les lieux retirés et flagellait en secret son petit corps avec une cordelette. Abandonnant complètement les jeux, elle s'appliquait assidûment à la prière et à la méditation. Contre la coutume des enfants, elle devenait de jour en jour plus silencieuse, et diminuait sa nourriture ordinaire. C'est précisément l'opposé qu'on voit se produire habituellement dans les enfants qui grandissent. Entraînées par son exemple, plusieurs petites filles de son âge se joignaient à elle, désireuses d'entendre ses salutaires paroles, et d'imiter selon leurs forces - ses saintes actions. - Toutes ces enfants se réunissaient secrètement avee elle dans quelque lieu retiré de la maison; elles se flagellaient ensemble, puis, autant de fois que le prescrivait Catherine, elles répétaient l'Oraison dominicale et la Salutation Angélique. Toutes ces choses étaient bien, comme on le verra, un prélude de l'avenir.

A ces actes de vertu, répondirent des grâces merveilleuses de Dieu. Lapa me l'a souvent raconté, et Catherine, interrogée en secret, n'a pu le nier: très fréquemment, même la plupart du temps, l'enfant, montant et descendant les escaliers, était soulevée visiblement en l'air, de sorte que ses pieds ne touchaient pas les degrés. Sa mère affirme qu'à la voir monter si rapidement elle a souvent craint que sa fille ne tombât. Cela arrivait surtout quand Catherine voulait fuir la compagnie des autres enfants et, en particulier, des petits garçons. Pour moi, c'est à l'ancienne habitude qu'elle avait de se complaire dans la récitation de la Salutation Angélique, à chaque degré de l'escalier, comme nous l'avons vu, que j'attribue le prodige qu'on a constaté depuis, lorsqu'elle montait ou descendait ces mêmes degrés.

Enfin, pour clore ce chapitre, parlons du désir que notre sainte avait d'employer toutes ses forces à imiter la vie et les actes des saints Pères du désert, vie qu'elle n'avait connue que par révélation, comme nous l'avons dit plus haut.

Ainsi qu'elle me l'a confessé, dans cet âge si tendre, elle souhaita ardemment le désert sans qu'il lui fût possible de voir de quelle façon ce désir pourrait. trouver satisfaction. Comme le Ciel n'avait pas décrété que notre sainte habiterait au désert, il l'abandonna sur ce point à la faiblesse de sa propre nature. Dès lors sa connaissance ne devait pas s'élever au-dessus de ce que peut inspirer l'industrie d'un enfant. Il s'ensuivit que son désir, luttant avec la fragilité de son âge, remporta la victoire, mais une victoire imparfaite.

Sous la violente impulsion de ce désir, elle songea, un beau matin, à chercher un désert, et, dans sa prévoyance enfantine, elle se pourvut seulement d'un pain. Elle s'en alla seule jusqu'à la maison de sa soeur mariée, qui était près de la porte de Saint-Ansanus; puis elle franchit cette porte, ce qu'elle n'eût jamais fait en d'autres circonstances, et, s'avançant dans la campagne, elle descendit la colline. Ne voyant, plus d'habitations groupées comme dans!a cité, elle se croyait déjà tout proche du désert. S'étant avancée un peu plus loin, elle trouva, sous un rocher, une grotte qui lui plut. Elle y entra joyeusement, pensant avoir trouvé le désert tant souhaité. Celui qu'elle avait vu depuis longtemps déjà lui sourire et la bénir, le Dieu qui agrée toujours les vrais désirs de ses saints, n'avait point choisi cette vie pour y guider son épouse, mais il ne laissa pas cependant passer cet acte, sans donner un signe de sa gracieuse acceptation. A peine l'enfant eut-elle commencé à prier avec ferveur, qu'elle fut soulevée peu à peu de terre et élevée aussi haut que la hauteur de la grotte le permit; elle resta ainsi jusqu'à l'heure de none (Trois heures du soir). Elle ne voyait alors dans ce prodige qu'une ruse de l'ennemi, qui voulait mettre obstacle à sa prière et à son désir de la solitude et elle s'efforçait en conséquence de prier avec plus de ferveur et de constance.

Enfin, vers l'heure où le Fils de Dieu, suspendu à la croix, consomma notre salut, Catherine redescendit à terre comme elle en était montée. Elle comprit alors, sous l'inspiration de Dieu, que le temps n'était pas encore arrivé, où il lui faudrait affliger son frêle corps pour le Seigneur, et que le Maître ne voulait pas qu'elle abandonnât de cette façon la maison paternelle. Le même Esprit, qui l'avait conduite dans cette grotte, la fit donc retourner sur ses pas. Mais quand, sortie de la grotte, elle se vit seule dans la campagne, quand elle eut considéré le chemin, bien trop long pour sa faiblesse, qui devait la conduire à la porte de la ville, elle craignit que ses parents ne ta crussent perdue; elle se mit à prier et à se recommander au Seigneur. Aussitôt, ainsi qu'elle l'a raconté elle-même à Lysa, une de ses parentes, le Seigneur la transporta en un instant à travers les airs, et la déposa sans aucun mal à la porte de la cité. En toute hâte, elle rentra chez elle ses parents crurent qu'elle revenait de la maison de sa soeur mariée, et tout ce qui était arrivé demeura ainsi caché, jusqu'au jour où, plus avancée en âge, elle le révéla à ses confesseurs. J'ai été de ce nombre sans l'avoir mérité, appelé le dernier de tous, le dernier de tous aussi pour le mérite.

C'est Lapa qui m'a appris la plus grande partie de tout ce que contient ce chapitre. Catherine m'en a dit quelque chose aussi, en particulier le dernier fait rapporté, qui m'a été confirmé par cette Lysa dont j'ai parlé. Tous ces faits, excepté le dernier, ont eu beaucoup de témoins, tout d'abord le premier confesseur de Catherine, nourri pendant son enfance dans la maison de la sainte, puis un grand nombre de femmes dignes de foi, voisines ou parentes de la famille de notre sainte vierge.




CHAPITRE III

CATHERINE FAIT VOEU DE VIRGINITE.

CE QUI LUI ARRIVA JUSQU'A L'AGE DE PUBERTE EXCLUSIVEMENT.




La vertu et l'influence de la vision, racontée au chapitre précédent, furent si grandes, comme je l'ai déjà quelque peu indiqué, que bientôt tout amour du monde fut radicalement, extirpé du coeur de la sainte enfant. Dans son âme s'implanta le saint et unique amour de l'unique fils de Dieu et de la glorieuse Vierge Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est pourquoi tout lui paraissait la plus vile des boues, pourvu qu'elle gagnât seulement le Sauveur lui-même (Ph 3,8). Elle commença à comprendre avec les seules leçons de l'Esprit-Saint qu'elle devait conserver à son Créateur toute sa pureté, pureté du coeur et du corps. Aussi soupirait-elle de tous les désirs de son âme après la pureté des vierges. Elle se prit à considérer, et, Dieu le lui révélant, elle connut avec certitude, que la très sainte Mère de Dieu avait été la première à découvrir ce chemin des vierges, et à vouer à Dieu sa virginité. Elle eut donc recours à Marie pour cette grâce. Dans sa septième année, agissant non pas comme une enfant de sept ans, mais comme une personne de soixante-dix ans, elle délibéra longtemps et avec maturité sur l'émission du voeu de virginité. Elle suppliait continuellement la Reine des vierges et des anges de l'aider miséricordieusement et de daigner lui obtenir du Seigneur cette parfaite direction d'esprit, qui lui permettrait de faire ce qu'il y avait de plus agréable à Dieu et de plus profitable au salut de son âme. Elle présentait continuellement à la Reine des vierges le désir qui lui faisait souhaiter anxieusement de pouvoir mener une vie angélique et virginale. Chaque jour, l'amour de l'éternel 1'Epoux devenait plus fervent dans le coeur de cette enfant déjà mûre, il stimulait ardemment son âme, et l'invitait sans cesse à une vie céleste. Tandis que cette très prudente enfant étudiait sagement sa résolution, l'Esprit lui accorda libéralement, par l'accroissement de son désir, ce qu'elle lui avait demandé. Ne voulant point éteindre ce fende l'Esprit, elle choisit, un certain jour, un lieu secret où elle put parler haut sans être entendue; elle prosterna et son corps et son âme, puis, très dévotement et très humblement, elle parla ainsi à la bienheureuse Vierge: " O bienheureuse et très sainte Vierge, vous avez été la première des femmes à consacrer votre virginité au Seigneur par un voeu perpétuel, et vous avez reçu de lui la grâce insigne d'être la Mère de son Fils unique. Je supplie votre ineffable piété de ne pas regarder mes mérites, de ne pas considérer ma petitesse, mais de m'accorder quand même la grande grâce de recevoir pour époux Celui qu'appellent toutes les fibres de mon coeur, votre Fils, la sainteté même, notre unique Seigneur Jésus-Christ. Je lui promets, ainsi qu'à vous, de n'accepter jamais d'autre époux, et de lui garder, dans la mesure de mes forces, ma virginité perpétuellement intacte. "

Voyez-vous, lecteur, comment la Sagesse, qui dispose tout avec force et suavité, réglait dans notre vierge l'ordre des dons et des oeuvres. A l'âge de six ans, la sainte voit des yeux du corps son Epoux qui l'honore de sa bénédiction. A sept ans, elle fait voeu de virginité. Le premier nombre l'emporte on perfection sur le second, mais le second est appelé par tous les théologiens le nombre de la totalité (Sept est un nombre sacré.- Les anciens attachaient une certaine valeur aux significations symboliques des nombres.). Que faut-il entendre par là, si ce n'est que cette vierge devait recevoir du Seigneur la perfection de toutes les vertus, et par conséquent la perfection d'une gloire souveraine. Le premier nombre dit perfection, le second totalité; réunis, ils signifient donc la totalité de la perfection. C'est par conséquent à bon droit, comme nous l'avons vu dans le prologue (Dans le premier prologue que nous donnons à fin du volume.), qu'on a donné à notre sainte le nom de Catherine, symbole d'universalité. Mais voyez aussi, je vous prie, comme son voeu est bien ordonné.

Tout d'abord elle demande pour époux Celui qui aimait son âme; ensuite elle renonce à tout autre époux promettant au premier une fidélité perpétuelle. Cette prière pouvait-elle être rejetée? Voyez qui elle invoque, ce qu'elle demande, et comment elle le demande. Elle invoque Celle dont l'acte propre est d'être libérale dans ces bienfaits; Celle qui, ne sachant pas refuser une grâce même aux pécheurs les plus ingrats, n'a jamais repoussé aucun suppliant; Celle qui, ne méprisant personne, s'est constituée la débitrice des insensés comme des sages; Celle qui ouvre sa main à l'indigent et ne cesse d'offrir ses dons à tous les pauvres (Pr 21,20) 3; Celle enfin qui se présente à tous comme une source inépuisable de biens. Comment n'entendrait-elle pas notre innocente et fervente enfant, Celle qui ne refuse pas sa bienveillance aux adultes coupables? Comment n'agréerait-elle pas une promesse de virginité, Celle qui, la première parmi les hommes, trouva cette route de la virginité? Comment refuserait-elle son Fils à une vierge qui la prie avec tant de coeur, Celle qui a fait descendre (En répondant à l'Ange: " qu'il me soit fait selon votre parole " Lc 1,38) ce même Fils du ciel sur la terre pour le donner à tous les croyants?

Vous avez vu à qui notre sainte confiait sa prière, voyez maintenant, s'il vous plaît, ce qu'elle demande. Elle demande précisément ce que Celui qu'elle prie lui a appris à demander. Elle cherche ce que nous devons tous chercher sur l'invitation de Celui-là même qui est l'objet de nos recherches. Une telle prière ne peut être repoussée, à moins que le mensonge ne soit dans la Vérité. Non! elle ne peut être vaine, la demande d'une chose promise avec tant de solennité, " Demandez et Vous recevrez, nous a dit la Vérité incarnée, cherchez et vous trouverez (Mt 7,7) ", et ailleurs: " Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice (Lc 12,31). " Cette enfant demande donc et cherche avec anxiété, en des années si précoces, le Fils de Dieu, qui est aussi lui-même le royaume de Dieu. Comment eût-il été possible qu'elle ne trouvât point ce qu'elle cherchait, et ne reçût pas ce qu'elle demandait!

Et si vous considérez attentivement le mode de sa prière, vous verrez clairement qu'en aucune façon cette prière ne pouvait redescendre sans résultat. Catherine en effet se dispose à recevoir ce qu'elle demande, elle éloigne tous les obstacles, non seulement pour le présent, mais encore pour l'avenir, et revêt pour toujours cette robe de pureté, si agréable à Celui qu'elle prie. Elle s'oblige et se lie devant Dieu par un voeu solennel, afin que ni le monde, ni Satan ne puissent plus mettre obstacle à cette disposition. Que manque-t-il alors aux conditions requises pour que la prière soit nécessairement exaucée (D'après saint Thomas on est toujours exaucé, quand on demande: 1. pour soi; 2. pieusement; 3. avec persévérance; 4. des choses nécessaires au salut (II ae II ae Quaest. 83, art. 15 ad 2um).)? Elle demande pour elle-même, elle demande une grâce de salut, bien plus, elle demande humblement ce salut lui-même et, pour offrir en un seul acte toute la persévérance de sa prière, elle émet un voeu perpétuel qui éloigne tout obstacle à sa demande. O bon lecteur, si vous connaissez les saintes Ecritures, ne pouvez-vous pas conclure de tout ceci, que, nécessairement, la loi éternelle demeurant ce qu'elle est, cette prière devait être exaucée par le Seigneur. Oui, concluez, concluez en toute sécurité, que notre sainte, conformément à sa demande, a reçu l'éternel Epoux des mains de sa très douce Mère, et que, par l'intermédiaire de cette même Mère du Seigneur, elle s'est liée à Lui par le voeu d'une virginité perpétuelle. Plus loin, avec l'aide de Dieu, vous en aurez la preuve manifeste dans un prodige éclatant, rapporté au dernier chapitre de cette première partie.

Vous allez constater maintenant, qu'après l'émission de ce voeu, cette sainte enfant devint chaque jour plus sainte. Si jeune engagée dans la milice du Christ, elle commença à lutter contre sa chair avant que celle-ci eût commencé à se révolter. Elle prit la résolution d'enlever à cette chair toute autre chair, autant du moins que cela lui serait possible. Quand donc on lui servait de la viande, elle la donnait à son frère Etienne cité plus haut, ou bien elle la jetait aux chats, morceau par morceau, de sorte que personne ne s'en aperçût. Elle continuait et multipliait les disciplines dont nous avons parlé, soit seule, soit avec ses compagnes. Puis, nouvelle merveille, dans le coeur de cette enfant, s'allumèrent les premiers feux du zèle des âmes. Elle aimait plus particulièrement les saints qui avaient travaillé à les sauver. Elle apprit du Seigneur, par révélation, que le bienheureux patriarche Dominique avait institué l'Ordre des Frères Prêcheurs pour la défense jalouse de la foi et le salut des âmes. Elle commença dès lors à révérer tellement cet Ordre que, voyant passer dans la rue, devant la porte de sa maison, les Frères Prêcheurs, elle remarquait les lieux où ils posaient le pied, puis, après leur passage, elle baisait avec humilité et dévotion les traces de leurs pas. De là, dans son âme, un grand désir, toujours croissant, d'entrer dans cet Ordre, afin qu'elle pût, avec les autres Frères, être utile aux âmes. Comme son sexe s'y opposait, elle pensa très souvent, ainsi qu'elle me l'a confessé, à imiter sainte Euphrosyne, dont, pendant son enfance, elle avait reçu par hasard le nom. Sainte Euphrosyne en effet, ayant dissimulé son sexe, était entrée dans un monastère de moines. Catherine voulait de même s'en aller dans un pays lointain, où elle fût inconnue, s'y faire passer pour un homme, et entrer dans l'Ordre des Prêcheurs, afin de venir au secours des âmes qui périssent. Le Dieu tout-puissant, qui avait eu d'autres intentions en mettant ce zèle dans l'âme de l'enfant, et voulait accomplir autrement ce désir, ne permit jamais que cette pensée se traduisît par des actes et fût mise à exécution, bien qu'elle fût demeurée longtemps dans l'esprit de la sainte.

Pendant ce temps, le corps de l'enfant croissait avec l'âge, mais bien plus rapide encore était le développement de son esprit. Son humilité grandissait, sa dévotion augmentait, sa foi apparaissait plus lumineuse, son espérance devenait de jour en jour plus forte, la ferveur de sa charité se multipliait. De tout cela résultait une maturité de moeurs qui imposait le respect à tous ceux qui voyaient ses actes. Ses parents en. Etaient dans l'étonnement, ses frères et soeurs dans l'admiration, toute la famille ne savait que penser au spectacle d'une science si grande dans un âge si tendre. Il est si doux de s'arrêter sur ce sujet que je veux raconter ici un fait, que sa mère m'a rapporté, en m'en assurant l'absolue vérité.

C'était entre la septième et la dixième année de l'enfant; sa mère, voulant faire célébrer une messe en l'honneur de saint Antoine, appela sa fille Catherine et lui dit: " Va à l'église paroissiale, demande au prêtre, notre curé, qu'il célèbre ou fasse célébrer une messe en l'honneur de saint Antoine, et offre sur l'autel tant de cierges et tant d'argent. A ces paroles, la pieuse fille, qui exécutait si volontiers ce qui était à l'honneur de Dieu, s'en va de bon coeur et bien vite à l'église. Elle aborde le curé et lui fait la commission de sa mère; mais, charmée d'entendre cette messe, elle y assiste jusqu'à la fin et ne rentre chez elle qu'après l'office divin terminé. Lapa, comptant que Catherine devait revenir aussitôt après l'offrande faite au prêtre, trouva qu'elle tardait beaucoup trop; aussi, quand elle vit l'enfant, voulant la faire rougir de ce retard, lui dit-elle ce qu'on dit habituellement dans le pays: " Maudites soient les mauvaises langues qui m'assuraient que tu ne reviendrais pas"; ainsi disent les gens du peuple à ceux qui sont par trop en retard. La sage jeune fille, entendant ces paroles, se tut d'abord un instant; puis, après quelque temps, elle prit sa mère à part, et, avec beaucoup de gravité, lui dit humblement: " O ma mère, quand j'accomplis insuffisamment ou quand j'excède vos ordres, frappez-moi, pour que je sois plus prudente une autre fois, cela est convenable et juste. Mais, je vous en supplie, ne laissez pas, à cause de mes défauts, votre langue maudire qui que ce soit, bons ou mauvais. Cela ne convient pas à votre âge, et m'est grande affliction de coeur. " Sa mère, l'entendant parler ainsi, admira plus qu'on ne pourrait croire, comment sa petite fille avait su lui donner sagement cette leçon. Elle était tout interdite au spectacle d'une sagesse si grande dans une enfant si frêle et si petite; mais, n'en voulant rien laisser paraître, elle lui demanda: " Pourquoi es-tu restée si longtemps? " Et Catherine de répondre: " J'ai entendu la messe, que vous m'aviez chargée de demander; quand elle a été dite, je suis revenue de suite et sans m'arrêter nulle part. " Plus édifiée encore, Lapa raconta tout à Jacques son mari, qui rentrait à la maison: " Voilà, lui dit-elle, comment ta fille m'a parlé. " Et Jacques, bénissant Dieu, considérait tout cela sans rien dire.

Ce seul fait, ô lecteur, quoiqu'il s'agisse de petits détails, peut vous montrer comment la grâce de Dieu s'était accrue dans l'âme de cette sainte fille, jusqu'aux années de puberté, dont le chapitre suivant va parler. En finissant celui-ci, je vous avertis que j'ai appris de Catherine elle-même la plupart des renseignements qu'il contient. Je tiens le reste de la mère de notre vierge et des personnes qui habitaient en Ces années-là dans sa maison.




Vie Ste Catherine de Sienne