Vie Ste Catherine de Sienne - CHAPITRE VIII

CHAPITRE IX

MIRACLES OPERES PAR CATHERINE POUR LA DÉLIVRANCE


DES POSSEDES DU DEMON




Les chapitres précédents ont dû vous faire comprendre, aimable lecteur, comment l'éternel Époux ne cessait pas de faire éclater au dehors la grâce, dont il comblait intérieurement son épouse. Nul ne peut tenir caché le feu qu'il porte dans son sein, et l'arbre planté au bord des eaux courantes ne peut manquer de produire du fruit en son temps (Ps 1,3). La vertu du Seigneur Jésus, ou plutôt le Seigneur Jésus lui-même, qui habitait caché dans le coeur de notre vierge, se manifestait donc chaque jour davantage et de diverses façons, non seulement en obtenant du Ciel la grâce divine pour toutes sortes de pécheurs, comme je l'ai dit au chapitre VII, non seulement en rendant vie et santé aux corps malades ou morts, comme vous l'avez vu au chapitre VIII, mais aussi en commandant aux esprits infernaux et en les chassant du corps des possédés. C'est ainsi qu'au nom du Seigneur Jésus habitant en son coeur, Catherine voyait s'incliner devant elle, toutes les puissances du ciel, de la terre et de l'enfer (Phil 2,10). Pour vous en assurer davantage, considérez attentivement ce qui suit.

Il y avait à Sienne un homme appelé dans le pays Ser Michel ou Ser Monaldo, et très entendu dans la pratique du notariat et des écritures publiques. Je l'ai vu cent fois, et c'est de sa bouche que j'ai appris ce que j'écris. Étant déjà avancé en âge, et ayant eu de son mariage deux filles, il résolut, avec le consentement de sa femme, de se donner tout entier au service de Dieu et de consacrer les vierges, ses filles, au Christ Seigneur. Il s'adressa donc à un monastère, fondé dans la ville sous le patronage de saint Jean-Baptiste, et confia ses filles aux religieuses, qui y vivaient cloîtrées, puis il s'établit lui-même, avec son épouse, tout près du couvent, dont il administra, pour l'amour de Dieu, les affaires temporelles. Il demeurait là depuis quelque temps, quand, par un juste mais incompréhensible jugement de Dieu, une de ses filles devint possédée du démon. Elle s'appelait Laurence et avait à peu près huit ans. L'antique ennemi la tourmentait souvent et cruellement, et jetait ainsi le trouble et l'effroi dans tout le monastère. Les Soeurs refusèrent alors de garder plus longtemps avec elles la jeune fille et obligèrent Ser Michel à la reprendre avec lui, en dehors du couvent. Quand elle fut sortie du monastère, on s'aperçut que l'esprit mauvais, qui la tourmentait, parlait fort bien latin, par la bouche de sa victime, qui cependant ignorait complètement cette langue. Il répondait aux questions les plus profondes et les plus difficiles, et révélait souvent les péchés et l'état secret des coeurs. D'ailleurs beaucoup d'autres signes encore montraient évidemment, que c'était bien un esprit démoniaque, qui, par la permission de Dieu et pour un motif ignoré des hommes, persécutait l'innocente enfant.

Les parents et les proches de Laurence en étaient bien et cherchaient partout quelque moyen de chasser l'esprit mauvais. Ils conduisirent la possédée aux reliques de plusieurs saints dont les mérites et l'intercession pouvaient mettre cri fuite le démon. Ils avaient surtout confiance en la vertu des reliques du bienheureux Ambroise, des Frères-Prêcheurs. Ce saint s'est illustré depuis plus de cent ans et s'illustre encore par de nombreux miracles; il a un pouvoir tout spécial pour chasser les esprits immondes, et sa chape et son scapulaire, encore intégralement conservés, font fuir habituellement les démons du corps des possédés, ainsi que je l'ai vu quelquefois, de mes propres yeux. Les parents de Laurence la conduisirent donc à l'église des Prêcheurs, la placèrent sur le sépulcre du bienheureux Ambroise, et lui imposèrent la chape et le scapulaire du saint, en suppliant le Très-Haut de venir au secours de l'innocente possédée. Mais, pour cette fois, il ne furent pas exaucés. Si la jeune fille était ainsi tourmentée, ce n'était, je crois, ni à cause de ses péchés, ni à cause des péchés de ses parents (Jn 9,3), dont j'ai connu la vie très recommandable; mais Dieu voulait se servir de cette possession pour glorifier notre sainte. Voilà pourquoi Ambroise, déjà arrivé au terme de la béatitude, laissa faire ce miracle à Catherine, qui était encore sur la terre. La puissance de notre sainte devait ainsi se manifester aux fidèles, avant sa mort. Que dire encore? Des personnes qui connaissaient Catherine conseillèrent aux malheureux parents de lui présenter Laurence. Ils accueillirent ce conseil avec empressement et se firent annoncer à la vierge, qui répondit au messager: " Hélas! je suis moi-même fort tourmentée chaque jour par les esprits mauvais, qu'ai-je besoin d'entrer encore en lutte avec ceux qui tourmentent les autres? " Sur cette réponse, au lieu de sortir par la porte où elle devait nécessairement rencontrer ses importuns visiteurs, elle monta sur une terrasse, et s'enfuit secrètement de la maison, si bien qu'il fut impossible de la trouver. Les suppliants n'obtinrent donc rien pour cette fois; mais l'humilité de la sainte, et sa crainte des louanges humaines, n'avaient fait qu'augmenter leur confiance en son pouvoir, et les rendre plus ardents à implorer son secours.

Ne pouvant plus arriver jusqu'à elle, puisqu'elle avait défendu à toutes ses compagnes qu'on lui parlât de cette affaire, ils eurent recours à Frère Thomas, son confesseur, sachant bien que la sainte lui obéirait en tout. Ils le supplièrent donc d'employer son autorité pour obliger Catherine à leur venir on aide dans leur malheur. Frère Thomas compatit de tout coeur à leur affliction; mais il savait bien n'avoir aucun pouvoir sur la vertu miraculeuse de sa pénitente, et comme d'autre part il craignait son humilité, il imagina l'expédient suivant. Il vint un soir à la maison de la sainte, alors que celle-ci s'était momentanément absentée, et introduisit avec lui la jeune possédée jusque dans l'oratoire de Catherine; il y rencontra une des compagnes de la sainte et lui dit: " Vous avertirez Catherine que je lui demande, au nom de l'obéissance, de laisser cette jeune fille passer la nuit ici, et de la garder jusqu'au matin. " Cela dit, il se retira en laissant là Laurence. Quelque temps après, Catherine rentra, trouva l'enfant dans sa chambre, et reconnut bien vite qu'elle était remplie de l'esprit du démon. Soupçonnant que c'était bien la possédée qu'elle fuyait, elle dit à sa compagne: " Qui donc a amené ici cette enfant? " Elle apprit alors quel était l'ordre de son confesseur et, ne pouvant y échapper, elle se réfugia comme d'habitude dans l'oraison et obligea la petite malade à s'agenouiller et à prier avec elle. Notre vierge passa toute cette nuit à veiller dans la prière, et à lutter avec l'ennemi. Mais pourquoi en dire davantage? Le jour ne brillait pas encore que déjà le démon, vaincu dans la lutte, avait été obligé par la vertu divine d'abandonner le corps de la jeune fille, sans lui causer aucun dommage. Alexia, la compagne de Catherine, ayant constaté cette guérison. courut annoncer, dès l'aurore à Frère Thomas, que la possédée était délivrée de toute obsession diabolique. Frère Thomas amena alors les parents de Laurence, qui, trouvant leur fille complètement guérie, remercièrent en pleurant la sainte et le Dieu tout-puissant. Ils voulaient emmener immédiatement leur enfant mais la vierge du Seigneur, sachant par révélation ce qui devait arriver, leur dit: " Laissez-la demeurer quelques jours avec nous; il le faut pour son parfait rétablissement. " Ils acceptèrent cette proposition avec beaucoup de reconnaissance et se retirèrent bien Joyeux.

Catherine donna alors à l'enfant de salutaires avis, lui apprit, par sa parole et son exemple, à prier souvent et dévotement, et lui défendit de sortir de la maison, pour aucun motif, avant le jour où ses parents devaient revenir la chercher. Laurence observa fidèlement ces avis, et se montrait de jour on jour mieux disposée. Or la maison où elle se trouvait était celle d'Alexia, assez voisine, il est vrai, de la maison de la sainte. Celle-ci, ayant voulu venir passer un jour dans sa propre demeure, y emmena avec elle Alexia, ne laissant avec Laurence qu'une domestique. Ce jour-là, après le coucher du soleil, alors qu'il faisait déjà sombre et que la nuit tombait, Catherine appela Alexia et lui ordonna de prendre en hâte son manteau, pour revenir avec elle à la maison où était restée l'enfant. Alexia objecta qu'il n'était pas convenable pour des femmes de voyager à travers la ville à cette heure. " Allons vite, lui répondit Catherine, car le loup infernal a de nouveau attaqué notre brebis, qui, une fois déjà, avait été arrachée à ses griffes. " Quand elles arrivèrent auprès de Laurence, elles lui trouvèrent le visage bien changé, tout rouge, avec un air furieux. " Ah! infernal dragon, s'écria la sainte, tu as osé t'emparer une seconde fois de cette innocente vierge! mais j'ai confiance au Seigneur Jésus, mon Sauveur et mon Époux; tu seras chassé, cette fois, de telle façon que tu ne reviendras plus. A ces mots, elle entraîna Laurence à l'oratoire, et, au bout de quelques minutes, la ramena complètement guérie, ordonnant qu'on la conduisît se coucher. Le matin venu, elle envoya chercher les parents et leur dit. " Emmenez maintenant, en toute sécurité, votre fille avec vous, elle n'aura plus jamais à souffrir de l'esprit mauvais. " Et cette prophétie s'est pleinement réalisée, car Laurence, rentrée dans son monastère, a continué d'y servir Dieu, sans avoir été tourmentée jusqu'à aujourd'hui, alors que plus de seize ans se sont écoulés depuis sa délivrance.

J'ai appris tous ces détails de Frère Thomas, puis d'Alexia, et enfin du notaire Ser Michel, père de Laurence. Cet homme a vénéré toute sa vie notre sainte, comme un ange de Dieu, et pouvait à peine contenir ses larmes quand il racontait ce prodige. Le récit de ces témoins me rendit curieux de connaître plus à fond la manière dont cette délivrance s'était accomplie, et je le demandai confidentiellement à Catherine. Je tenais surtout à savoir pourquoi ce démon avait reçu de Dieu si grande liberté d'action qu'il pût résister à la vertu des reliques et aux exorcismes. La vierge me répondit qu'il avait été très difficile à vaincre, et qu'elle avait dû poursuivre la lutte jusqu'à la quatrième heure de la nuit. Elle avait beau lui ordonner de sortir, au nom du Sauveur, il refusait avec une extrême insolence. Après avoir longtemps résisté, cet esprit mauvais, voyant qu'il allait être obligé de partir, dit à la sainte:

" Si je sors d'ici, j'entrerai en toi. " A quoi notre vierge répondit aussitôt: " Si telle est la volonté du Seigneur, sans la permission de qui je sais que tu ne peux rien faire, je me garderai bien d'y mettre obstacle et d'accepter le moindre désaccord avec cette sainte volonté. " Ce trait de véritable humilité abattit l'esprit superbe, et lui enleva tout le pouvoir qu'il avait pris sur l'enfant. Cependant il tenait encore sa victime à la gorge, qu'il soulevait convulsivement et faisait enfler. Catherine y porta la main et, y traçant avec grande foi le signe de la Croix, acheva d'en chasser le démon. Voilà, lecteur, ce que fut ce prodige, comment il s'accomplit et quels ont été ses témoins, témoins oculaires, qui m'ont eux-mêmes rapporté tous ces détails.

J'ai maintenant l'intention de vous raconter un autre fait, qui vous montrera plus clairement encore comment notre bonne sainte avait reçu du Seigneur plein pouvoir de chasser les démons. Je n'étais pas présent à ce miracle, car, à cette époque, Catherine m'avait envoyé auprès du Vicaire du Christ, le seigneur pape Grégoire XI, pour certaines affaires de la sainte Église. Mais je tiens mes renseignements de Frère Santo, l'anachorète dont nous avons dit plus haut la miraculeuse guérison. Alexia et d'autres personnes, alors compagnes de la sainte, m'ont aussi rapporté ce que je vais écrire. Catherine se trouvait chez la noble et vénérable dame Bianchina, veuve de Jean Angelino de Salimbeni, au château vulgairement appelé Rocca, où j'ai passé moi-même plusieurs semaines, avec notre vierge. Une femme du château fut saisie de l'esprit malin et si terriblement tourmentée que tout le personnel de la maison s'en aperçut bien vite. A cette nouvelle, dame Bianchina, compatissant au malheur de sa servante, désirait vivement prier la sainte de venir au secours de cette misère. Mais, sachant combien de pareilles demandes affligeaient son humilité, et sur l'avis des compagnes de Catherine, elle lui fit simplement présenter la possédée, espérant qu'en voyant cette malheureuse notre vierge aurait le coeur ému de compassion et se déciderait à la délivrer. Au moment où on lui conduisit la malade, Catherine était occupée à réconcilier deux ennemis et se disposait à se rendre dans un lieu tout voisin, pour achever cette oeuvre de paix. A la vue de la possédée qu'on lui amenait, et qu'il lui était impossible d'éviter, elle se tourna vers dame Bianchina et lui en exprima sa peine, en disant: " Que le Seigneur tout-puissant vous pardonne, Madame, qu'avez-vous fait? Ne savez-vous pas que je suis très souvent tourmentée par les démons; pourquoi me faites vous amener encore les autres personnes qu'ils font souffrir? " Elle ajouta cependant, en se tournant vers la démoniaque: " Pour que tu ne sois pas un obstacle au bien de la réconciliation commencée, mets ta tête, ô ennemi, sur le sein de cet homme, et attends mon retour. " A cette parole, la femme possédée vint docilement poser sa tête sur la poitrine de Frère Santo, l'anachorète dont nous avons parlé. Il assistait à cette scène, c'est lui que la sainte avait désigné à la possédée, et c'est de lui que je tiens ce récit. La vierge du Seigneur s'en alla ensuite terminer son oeuvre de paix. Pendant ce temps, le démon criait par la bouche de sa victime, " Pourquoi me retenez-vous ici? De grâce, laissez-moi partir, car je suis trop durement torturé. - Pourquoi ne sors-tu pas, répondaient les personnes présentes, voici que la porte est ouverte. " - Et l'esprit mauvais répliquait: " Je ne puis pas, car cette maudite me tient ici enchaîné. " Et comme on lui demandait quelle était cette maudite, il refusait absolument de la nommer, peut-être parce qu'il ne le pouvait pas; mais il disait: " C'est mon ennemie. - Est-ce donc une grande ennemie pour toi? interrogea Frère Santo. - C'est, dit le démon, la plus grande ennemie que j'aie dans le monde entier. " - Les assistants qui l'entendaient lui dirent alors pour l'empêcher de crier: " Tais-toi, voici Catherine qui revient. " - Une première fois, il répondit: " Elle ne vient pas encore, mais elle est à tel endroit ", désignant d'une façon tout à fait précise le lieu où elle se trouvait. On l'interrogea sur ce qu'elle faisait. " Ce qu'elle fait habituellement, répondit-il, une oeuvre qui m'est souverainement odieuse. " Après quoi, il criait plus fort: " O pourquoi suis-je retenu ici? Mais il ne déplaçait pas la tête de la pauvre femme du lieu où la vierge du Seigneur lui avait ordonné de la maintenir. Après quelque temps, il reprit: " Voici que cette fois la maudite revient." Et à cette question: "Où est-elle?" il répondit: " Elle n'est plus en cet endroit, mais en tel autre ", et peu après, il ajouta: " Elle se trouve maintenant en tel lieu ", décrivant successivement et exactement tout le chemin parcouru par la sainte. Il dit enfin: " La voici qui franchit le seuil de la maison. " Et en effet Catherine entrait au même moment. Quand elle pénétra dans la chambre, le démon se mit à crier plus fort: " Ah! pourquoi me retiens-tu ici? - Lève-toi misérable, lui dit notre vierge, sors bien vite, laisse en paix cette créature de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et désormais n'aie plus l'audace de l'affliger de tes vexations.

A ces paroles, l'esprit mauvais abandonna toutes les parties du corps de la possédée, sauf la gorge, qu'il agitait convulsivement et faisait horriblement enfler. La sainte posa sur cette gorge sa main virginale, y traça le signe de la Croix, en chassa complètement le démon, et acheva ainsi de guérir la pauvre femme, sous les yeux de tous ceux qui étaient là. Et comme la malade était encore abattue et toute brisée par suite de la possession qu'elle venait de souffrir, Catherine la soutint quelques instants dans ses bras, la pressa sur sa poitrine, puis elle ordonna qu'on apportât à la miraculée un peu de nourriture, afin qu'elle pût, ainsi réconfortée, rentrer chez elle. Cette femme, au premier moment de sa délivrance, avait ouvert les yeux après quelques minutes de repos. Quand elle se vit au milieu d'une telle foule dans les appartements et le château de sa dame, elle demanda à ceux des siens qui l'entouraient: " Qui donc m'a amenée ici et quand y suis-je venue?" Et, comme ses parents lui disaient qu'elle avait été tourmentée par le démon, elle répondit: " Je n'en ai nul souvenir, mais je me sens le corps absolument brisé, comme si on m'avait durement bâtonnée sur tous les membres. " Puis elle rendit d'humbles actions de grâces à sa libératrice, et rentra, sans le secours de personne, dans sa propre maison, d'où peu de temps avant on avait dû l'emporter.

Ce miracle a eu pour témoins oculaires non seulement dame Bianchina qui vit encore, mais Frère Santo déjà nommé, Alexia et Françoise compagnes de Catherine, Lysa sa parente encore vivante, et enfin plus de trente personnes, hommes et femmes, dont je n'ai pas recueilli les noms et que par conséquent je ne cite pas îcî. Le Seigneur Jésus s'est encore servi de la sainte, son épouse, pour opérer sur des possédés beaucoup d'autres délivrances miraculeuses qui ne sont pas consignées dans ce chapitre: mais celles que j'ai rapportées doivent suffire, lecteur, a vous donner une idée de la puissante grâce accordée par le Ciel à notre vierge pour chasser les démons. Pareil pouvoir convenait bien à celle qui, avec l'aide du Christ, avait remporté si pleine victoire dans ses luttes courageuses contre les ruses mauvaises de ces mêmes démons. Nous terminerons donc ici le présent chapitre.






CHAPITRE X

CATHERINE JOUIT DU DON DE PROPIIETIE ET

S'EN SERT POUR ARRACHER PLUSIEURS


PERSONNES AUX PERILS QUI MENAÇAIENT LEURS CORPS ET LEURS AMES.




Ce que j'ai l'intention de vous raconter maintenant, lecteur, vous paraîtra peut-être incroyable; mais la Vérité suprême, qui ne trompe pas et n'est point trompée, sait quelle expérience j'ai eu moi-même de ces faits; je pourrais les affirmer avec plus de certitude que mes actes personnels délibérés. L'esprit prophétique était en notre sainte à un état si parfait et si continuel qu'elle paraissait ne rien ignorer de ce qui la concernait et intéressait ceux qui vivaient avec elle, ou recouraient à elle pour le salut de leurs âmes. Il ne nous était pas possible, à nous qui demeurions en sa compagnie, de faire en son absence aucune action bonne ou mauvaise un peu importante, sans qu elle en eût connaissance. Nous l'avons expérimenté très souvent, à chaque instant, pour ainsi dire. Merveille plus étonnante encore, elle nous exposait si parfaitement nos pensées les plus intimes que ces pensées semblaient avoir été siennes et non pas nôtres. Voici des faits qui me sont personnels, et que je confesse devant toute l'Église militante du Christ. Souvent, lorsque Catherine me reprochait certaines pensées qui me troublaient l'esprit, j'essayais de trouver quelques excuses mensongères; je ne rougis pas d'avouer à la gloire de la sainte, qui me répondit: " Pourquoi me niez-vous ce que je vois plus clairement que vous-même, qui le pensez? " Elle ajoutait ensuite sur le sujet en question des enseignements très salutaires, qu'elle confirmait par son exemple. Cela m'est arrivé très souvent, je l'ai déjà dit et j'en prends à témoin Celui qui n'ignore rien. Entrons maintenant dans quelques détails, et, pour y mettre l'ordre qui convient, commençons par les prophéties relatives aux âmes.

Il y avait dans la ville de Sienne un chevalier très fort à la guerre, que tous appelaient seigneur Nicolas de Sarraceni. Il avait passé la plus grande partie de sa vie à guerroyer au service de différents partis. Rentré dans ses foyers, il s'occupait d'administrer ses biens, faisait de joyeux festins avec ses concitoyens, et croyait vivre encore longtemps. Mais l'éternelle et toute-puissante Bonté, qui ne veut la perte de personne, mit au coeur de l'épouse du chevalier et de quelques-unes de ses parentes la pensée d'exhorter Nicolas à confesser ses péchés passés. Elles le pressèrent donc de faire pénitence des fautes commises à la guerre et dans les combats qui avaient occupé une si grande part de sa vie. Le chevalier, tout entier plongé dans les jouissances de ce monde, et prisonnier de leurs chaînes, tournait en dérision tant de bons avis, faisait la sourde oreille à toutes ces exhortations, et se souciait fort peu de son salut. C'était le temps où notre sainte se signalait dans la ville de Sienne par ses nombreux miracles, et tout spécialement par son étonnante puissance pour la conversion des pécheurs endurcis. Il était reconnu que tous ceux qui lui parlaient en arrivaient le plus souvent à une conversion complète, ou, tout au moins, s'abstenaient ensuite d'un certain nombre de leurs péchés habituels. Connaissant cette vertu de la sainte, et voyant que leurs propres efforts n'obtenaient rien, les personnes qui s'intéressaient au salut du chevalier le pressaient d'accepter au moins un entretien avec Catherine. Mais il répondit avec plus d'ironie encore: " Qu'ai-je à faire à votre bonne femme? qu'ai-je à gagner avec elle, même en cent ans? " L'épouse de Nicolas, amie de notre vierge, vint alors la trouver, lui lit connaître l'endurcissement de son mari, et la supplia de vouloir bien intercéder pour lui auprès du Seigneur.

Que dire encore? Sur ces entrefaites, il arriva qu'une nuit, notre sainte apparut en songe au soldat et l'avertit que, pour éviter l'éternelle damnation, il devait suivre les avis de son épouse. Nicolas, en s'éveillant, dit alors à sa femme: " Cette nuit, j'ai vu réellement en songe cette Catherine, dont tu m'as parlé tant de fois. Oui, je veux l'entretenir et voir si elle est bien telle qu'elle m'est apparue." Toute joyeuse d'entendre ces paroles, la bonne épouse s'en vint trouver la sainte et lui demanda l'heure où son mari pourrait lui rendre visite et lui parler. Mais qu'est-il besoin de m'étendre davantage? Nicolas fit cette visite, s'entretint avec notre vierge, se convertit tout à fait au Seigneur, promit de confesser au plus tôt ses péchés à Frère Thomas, et, docile à la grâce qui lui avait été accordée, il accomplit cette promesse. Il venait de faire cette confession quand il me rencontra, un matin que je rentrais en ville et hâtais mes pas vers le couvent. Ce soldat, que je connaissais déjà, me demanda où il pourrait, à ce moment, trouver Catherine: " Je pense qu'elle est dans notre église, lui dis-je. Je vous an prie, me répondit-il, conduisez-moi vers elle et faites que je puisse en obtenir un entretien dont j'ai absolument besoin. " J'y consentis bien volontiers, et, entrant avec lui dans l'église, j'appelai une des compagnes de la sainte et lui demandai d'avertir Catherine du désir de ce chevalier. Elle le fit, et Catherine se levant aussitôt de l'endroit où elle priait, vint à la rencontre de Nicolas et le reçut fort gracieusement. De son côté, le soldat la salua d'une profonde révérence et lui dit: "Madame, j'ai exécuté vos ordres, j'ai confessé mes péchés à Frère Thomas, comme vous me l'aviez demandé, et il m'a donné une salutaire pénitence, que j'ai bien la résolution d'accomplir, telle qu'il me l'a imposée. ". "Vous avez parfaitement agi pour le salut de votre âme, lui dit la vierge, quittez maintenant vos anciennes habitudes et soyez à l'avenir un soldat de Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme vous avez été jusqu'à aujourd'hui un soldat du siècle. " Puis elle ajouta: Seigneur, avez-vous bien dit tout ce que vous avez fait?" Il répondit qu'il avait certainement confessé tout ce qui lui était revenu en mémoire; mais elle répliqua de nouveau: "Voyez encore si vous avez tout dit. " Il assura une seconde fois qu'il avait déclaré au confesseur tous les péchés dont il s'était souvenu. Catherine, l'ayant alors renvoyé, le laissa s'éloigner un peu, puis elle le fit bientôt rappeler par une de ses compagnes et lui dit: " Je vous en prie, examinez votre conscience, n'avez-vous pas oublié quelqu'un de vos péchés passés? " et comme le soldat affirmait toujours qu'il avait tout avoué, elle le prit à part et lui remit en mémoire une faute qu'il avait commise très secrètement pendant une campagne en Apulie. Le chevalier fut tout stupéfait de cette révélation, en reconnut la vérité, assura qu'il avait oublié de bonne foi ce péché, et, s'en allant trouver son confesseur, lui en fit l'aveu sacramentel. Mais il ne put taire le prodige qu'il venait de constater. Il le racontait à qui voulait l'entendre et en faisait une sorte de prédication, disant comme la femme de Samarie: " Venez et voyez une vierge, qui m'a dit tous les péchés que j'ai commis en pays lointain. N'est-ce pas une sainte et une prophétesse? Oui, certainement, c'en est une, car la faute qu'elle m'a rappelée ne fut jamais connue d'aucun homme, si ce n est de moi seul. " Depuis ce moment, il obéit toujours à la sainte comme un disciple à son maître, et j'ai été moi-même témoin de cette docilité. Sa mort, arrivée peu de temps après, montra combien cette conversion était nécessaire. Il tomba malade la même année, et termina le cours de sa vie temporelle, en s'en allant à Dieu dans d'excellentes dispositions. En ce qui précède, vous venez de voir, lecteur, une apparition miraculeuse, la révélation prophétique d'un crime, et la conversion d'un pécheur endurci, finalement sauvé par le Seigneur, qui annonce et accorde cette grâce à notre sainte; mais continuez-moi votre attention, et vous verrez comment, dans une autre circonstance, Catherine a, tout à la fois, joui des lumières prophétiques et obtenu du Ciel un secours miraculeux.

C'était il y a déjà bien des années, je n'avais pas encore mérité de connaître particulièrement la sainte, elles brigands et j'habitais une petite place forte qu'on appelle Monte Pulciano. J'y ai dirigé pendant à peu près quatre ans un monastère de religieuses de mon Ordre, dont on m'avait confié le soin. Comme on n'avait pas bâti de couvent de Frères Prêcheurs dans cette ville, je n'avais pour compagnons qu'un seul religieux. Aussi c'était toujours avec plaisir que je recevais la visite de mes Frères des couvents voisins, surtout de ceux que je connaissais plus familièrement. Pour me donner cette joie et goûter avec moi les consolations d'un entretien spirituel, Frère Thomas, confesseur de Catherine et Frère George Naddi, aujourd'hui Maître en sacrée théologie, voulurent un jour venir me voir depuis le couvent de Sienne. Afin d'être plus tôt de retour vers la sainte, qui avait toujours besoin de Frère Thomas, ils empruntèrent des chevaux à des Siennois de leurs amis. Au cours du chemin, ils firent halte à six milles de Monte Pulciano pour se reposer et reposer leurs bêtes. Ce fut une imprudence. Il y avait en cet endroit des brigands qui, sans faire profession d'être voleurs de grands chemins, se permettaient volontiers d'arrêter les voyageurs qu'ils trouvaient isolés et sans défiance. Ils les conduisaient en des lieux solitaires, les y dépouillaient et quelquefois même leur ôtaient la vie, afin de mieux cacher leur brigandage à la justice publique. Ces voleurs, ayant donc vu que les Frères n'étaient pas accompagnés, se réunirent au nombre de dix ou de douze, pendant que les religieux se reposaient dans une auberge. Ils prirent les devants par des chemins de traverse à eux connus, et allèrent s'embusquer dans un défilé fort sombre. Nos voyageurs ne se doutaient de rien. Quand ils arrivèrent au défilé, ils furent brusquement attaqués par les voleurs, qui, formidablement armés comme toujours de lances et d'épées, les tirèrent à bas de leurs chevaux et les conduisirent, en les maltraitant, en des lieux couverts de bois épais, où les malheureux furent dépouillés et presque mis à nu. Les religieux virent ensuite les brigands se réunir plusieurs fois à l'écart pour tenir conseil, et ils comprirent très bien que ces malfaiteurs voulaient les tuer et cacher soigneusement leurs cadavres pour empêcher que ce crime fût jamais divulgué. Frère Thomas, en particulier, surprit, à n'en pas douter, des signes manifestes de celte intention. Les prières, les supplications, les promesses de silence absolu semblaient être inutiles. Chaque jour on les conduisait plus avant dans la forêt. Privé de tout secours humain, Frère Thomas s'adressa intérieurement au Seigneur. Sachant combien sa fille spirituelle était en faveur auprès de Dieu, il dit en lui-même: " O ma très douce fille, Catherine, vierge toute dévouée à Dieu, secourez-nous en ce cruel péril." A peine avait-il achevé mentalement cette prière que le voleur qui était le plus près de lui et lui paraissait devoir être son bourreau, s'écria tout aussitôt: " Pourquoi voulons-nous tuer ces bons Frères, qui ne nous ont jamais fait de mal? Ce serait vraiment un grand crime. Laissons-les aller, au nom du Seigneur, ce sont de braves gens, qui ne nous trahiront pas. " Tous les autres accèdent à cette proposition avec tant d'unanimité et de bonne volonté que non seulement ils laissent aux religieux la vie sauve, mais leur rendent d'abord tous leurs effets, puis aussi leurs chevaux et tout ce qu'ils leur avaient pris, sauf une modique somme d'argent. Remis en liberté, Frère Thomas et son compagnon m'arrivèrent le même jour et me racontèrent tout ce que je viens d'écrire. Voici maintenant ce que Frère Thomas apprit à son retour à Sienne; notez-le bien, lecteur; il a consigné par écrit ces détails, et, de plus, il me les a lui-même racontés de vive voix. A l'heure, à l'instant même où il invoquait en son âme le secours de Catherine, celle-ci dit à la compagne présente alors auprès d'elle: " Mon Père m'appelle, et je sais qu'il est en grand péril. " Ce disant, elle se leva et se rendit à son oratoire. Or je ne doute pas qu'en prononçant ces paroles elle n'ait intérieurement prié pour secourir celui qui l'invoquait. C'est la vertu de cette prière qui a si merveilleusement changé les dispositions des brigands; aussi la vierge n'a-t-elle pas cessé son oraison, avant qu'ils n'eussent rendu aux Frères, avec la liberté, tout ce qu'ils leur avaient enlevé. Comprenez-vous cette fois, lecteur, à quel degré de perfection notre sainte possédait en son âme l'esprit de prophétie? On l'invoque à une distance de vingt-quatre milles, par une prière tout intérieure; elle en a immédiatement, connaissance, et, avec autant de hâte que de succès, elle arrache au péril celui qui l'appelle. Voyez-vous aussi combien il est utile de vivre en union avec de pareilles âmes. Douées d'une perspicacité tout angélique, elles veillent de loin sur nous, et, disposant de la Puissance divine, elles préviennent tous les malheurs qui nous menacent, et nous aident dans nos besoins. Enfin, tout ceci pourra vous permettre d'imaginer ce que doivent être, dans les cieux, la vision et la puissance de notre vierge qui déjà, sur la terre, avait tant de lumières et tant de pouvoir.

Voici maintenant un autre fait dont j'ai été moi-même témoin avec Frère Pierre de Velletri de mon Ordre, actuellement pénitencier à Saint-Jean-de-Latran. Tout lecteur intelligent y verra facilement comment l'esprit de prophétie éclatait merveilleusement en notre sainte. C'était en l'année 1375, époque où la méchanceté de beaucoup d'Italiens avaient soulevé contre le Pontife romain, Grégoire XI, presque toutes les cités et tous les pays sur lesquels l'Église romaine avait cependant des droits incontestables. La sainte se trouvait alors à Pise et j'y étais avec elle; nous habitions un hospice nouvellement fondé, près de ces petites maisons qu'on voit encore sur la place qui entoure le couvent et l'église des Frères Prêcheurs en cette ville. On nous annonça la révolte de la ville de Pérouse. Cette nouvelle remplit mon âme d'une grande amertume; car je voyais bien que, parmi les chrétiens, on ne trouvait plus de crainte de Dieu, plus de respect pour sa sainte Église, et par conséquent nul souci des sentences d'excommunication, nul scrupule de violer les droits d'autrui, que dis-je, les droits de l'Épouse du Christ. Le coeur tout pénétré de douleur, je m'en allai donc triste et chagrin en compagnie de Frère Pierre de Velletri à l'hospice où se trouvait notre vierge et je lui annonçai cette nouvelle rébellion, avec des larmes qui disaient assez ma désolation intérieure. Après m' avoir entendu, elle s'associa tout d'abord à ma douleur et manifesta sa compassion pour la ruine des âmes et le grand scandale qui affligeait l'Église de Dieu. Mais, voyant que j'accordais trop à mes pleurs et voulant y mettre un terme, elle ajouta: " Ne commencez pas sitôt à pleurer, car vous auriez trop de larmes à verser. Ce que vous voyez maintenant est lait et miel, en comparaison de ce qui suivra. A l'entendre parler ainsi, je cessai de pleurer, non que je fusse consolé, mais en raison même de l'excès de mon affliction et de mon étonnement, et je lui demandai: " Pouvons-nous donc, ma Mère, assister à de plus grands malheurs, puisque nous voyons que les chrétiens ont perdu toute dévotion, tout respect envers la sainte Église, dont ils ne craignent plus les sentences, comme si, en pratique, ils l'avaient déjà publiquement et tout à fait reniée. Il ne leur reste plus. maintenant qu'à renier complètement la foi au Christ lui-même. - O Père, me dit-elle alors, ce sont aujourd'hui les laïcs qui agissent ainsi, mais vous verrez bientôt combien les clercs feront pire. De plus en plus stupéfait, je lui dis: " Quel malheur! les clercs se révolteraient-ils donc contre le Pontife romain? - Vous le verrez bien, me répondit-elle, quand le Pontife voudra réformer leurs moeurs, ils susciteront dans toute la sainte Église de Dieu un scandale universel, qui la divisera et la troublera comme le ferait la peste de l'hérésie. " - Ne me possédant plus d'étonnement, j'ajoutai: "Nous aurons donc une hérésie, ma Mère, de nouveaux hérétiques? Ce ne sera pas, me dit-elle, une hérésie proprement dite, mais quelque chose qui ressemble à une hérésie, une division de l'Église et de toute la chrétienté. Préparez-vous donc à la patience, vous verrez ces malheurs. "

A ces paroles, je gardai le silence; tout attentif à celle qui me parlait, je vis bien qu'elle était disposée à en dire davantage, mais elle se tutelle aussi pour ne pas augmenter mon angoisse. J'avoue ne pas l'avoir comprise à ce moment, à cause du peu de lumières de mon intelligence, car je crus que tout cela devait arriver au temps du Souverain Pontife Grégoire XI, alors régnant. Le seigneur pape Urbain VI lui ayant succédé, j'avais oublié déjà cette prophétie, quand je vis commencer dans l'Église le schisme actuel, c'est alors que mes yeux se sont ouverts et que j'ai pu voir se vérifier tout ce que Catherine m'avait prédit. Me reprochant à moi-même mon peu d'intelligence, je désirais rencontrer encore la sainte pour l'entretenir à nouveau de ce sujet. Le Seigneur m'a accordé cette faveur, quand, sur l'ordre d'Urbain VI, au commencement du schisme, Catherine est venue à Rome. Je lui rappelai alors ce qu'elle m'avait dit à Pise, quelques années auparavant. Elle s'en souvint parfaitement et ajouta: Je vous avais dit que les malheurs de cette époque étaient lait et miel, eh bien, je vous affirme que ce que vous voyez aujourd'hui n'est que jeu d'enfant, en comparaison de ce qui doit arriver, surtout dans les pays qui nous entourent." Elle me désignait par là le royaume de Sicile, l'État romain et les pays adjacents. Cette prophétie s'est dans la suite complètement réalisée. La reine Jeanne vivait alors; mais depuis, que de malheurs se sont abattus sur cette reine, sur son royaume, sur son successeur et sur tons ceux qui sont venus dc régions lointaines pour envahir ce pays! Que de terres ont été ravagées! Personne ne l'ignore, parmi ceux qui connaissent l'Italie. A moins d'être complètement dépourvu d'intelligence, vous voilà donc obligé, lecteur, de reconnaître à notre sainte des lumières prophétiques si abondantes qu'elle n'ignorait presque rien de ce qui devait avoir dans l'avenir quelque importance et quelque retentissement.

Et ne dites pas, nouvel Achab, ce que celui-ci disait de Michée((3?)2eR 22,18): Ses prophéties n'annoncent jamais le bien, mais toujours le mal. " Après vous avoir rapporté ce qui est amer, je vous servirai ce qui est doux, et, du trésor très pur de notre vierge, je tirerai pour vous des enseignements nouveaux et anciens (Mt 13,52). Apprenez donc qu'après avoir entendu Catherine me faire la dernière prédiction que je viens d'écrire, je devins curieux d'en savoir davantage, et lui fis cette question " Mère bien-aimée, dites-moi, je vous prie, après tous ces malheurs, qu'en arrivera-t-il de la sainte Église de Dieu? - Quand ces tribulations et ces angoisses seront passées, me dit-elle, Dieu saura, par des moyens invisibles aux hommes, purifier sa sainte Église, il donnera une nouvelle vie à l'esprit de ses élus, il s'ensuivra une si grande réforme dans l'Église de Dieu, et un tel renouveau de sainteté parmi ses pasteurs, qu'à cette seule pensée, mon esprit exulte dans le Seigneur. Comme je vous l'ai déjà souvent répété, l'Épouse du Christ, aujourd'hui défigurée et vêtue de loques, sera alors toute belle, ornée de précieux joyaux et couronnée du diadème de toutes les vertus. Les peuples fidèles se réjouiront de la gloire que leur apporteront d'aussi saints pasteurs, et les infidèles, attirés par la bonne odeur de Jésus-Christ, rentreront au bercail du catholicisme et reviendront au vrai Pasteur, à l'Évêque de leurs âmes. Rendez donc grâces au Seigneur, car après cette tempête il accordera un grand calme à son Église (Cette prophétie ne trouve-t-elle pas sa réalisation dans l'heureuse réforme de la hiérarchie catholique commencée par le concile de Trente et continuée par les saints prêtres et les saints pontifes, suscitée de Dieu cette époque pour diriger ce grand mouvement de régénération du corps pastoral. Si le calme accordé à l'Église n'a jamais été que relatif, ne voyons-nous pas de nos jours toutes les âmes chrétiennes qui se trouvent encore dans les Eglises séparées désirer le retour a l'union catholique?). Cela dit, elle se tut; et moi qui sais combien le Dieu tout-puissant nous sert plus volontiers le doux que l'amer, j'espère très fermement que les malheurs prédits par la sainte étant arrivés seront infailliblement suivis de jours heureux; et ainsi tout Israël., depuis Dan jusqu'à Bersabée (Expression souvent employée dans la Bible pour désigner l'ensemble du peuple fidèle), saura que la vierge Catherine de Sienne a été la véridique interprète des fidèles oracles du Seigneur.

Mais il ne suffit pas d'affirmer la vérité, il faut la défendre contre ceux qui la calomnient; et puisque je parle des véridiques prophéties de Catherine, je crois utile de confondre l'ignorance perfide de ceux qui, ne comprenant même pas ce qu'ils disent, osent attaquer la vérité de ses prédictions et imaginer contre sa sainteté les plus fausses accusations. Pour colorer leurs allégations mensongères, ils se servent ordinairement de l'argument suivant: Catherine a annoncé une croisade de toute la chrétienté contre les musulmans d'outre-mer; elle avait même dit qu'elle-même y prendrait part avec ses disciples. Or bien des années déjà se sont écoulées depuis la mort de la sainte, beaucoup de ses disciples, hommes et femmes, sont morts eux aussi et l'ont rejointe au ciel, comme on le croit pieusement, tous ceux-là assurément ne feront pas la croisade. On prétend en conclure qu'il ne faut pas prendre les paroles de Catherine pour des prophéties, mais les mépriser comme rêves de femme. Les plus méchants de ses détracteurs vont encore plus loin: ils attaquent non seulement les paroles, mais les actes de notre vierge et refusent de leur accorder grande estime et de les compter parmi les actes des saints. Je suis donc obligé de répondre à de si énormes calomnies. Je montrerai tout d'abord la fausseté de la raison fondamentale sur laquelle s'appuient toutes ces accusations; puis, dans la mesure où le Seigneur m'en fera la grâce, je dénouerai quelques-unes des difficultés, qui empêchent de comprendre les prophéties de Catherine, et j'espère que cette double réponse soulèvera le voile dont se couvraient la parole de péché et la langue de mensonge.

Oui, je l'avoue, il est bien vrai que la sainte a toujours désiré la croisade et travaillé beaucoup à la réalisation de ce désir. C'est en quelque sorte le motif principal pour lequel elle est allée trouver à Avignon le seigneur pape Grégoire XI; elle voulait le presser d'organiser une croisade, et, j'en suis témoin, elle s'est servie en ma présence de tous les arguments possibles. Je me souviens en particulier de ce qui arriva un jour, où elle insistait beaucoup sur ce sujet, auprès du Souverain Pontife. J'assistais à l'entretien et j'ai tout entendu puisque je servais d'interprète entre le Pape, qui parlait latin, et notre vierge, qui s'exprimait en dialecte toscan. Le Pontife lui avait répondu: " Il nous faudrait d'abord faire la paix et nous organiserions ensuite la croisades. " Elle répliqua: "Très saint Père, vous ne trouverez jamais, pour mettre la paix entre les chrétiens, meilleur moyen que la croisade. Tous ces gens d'armes, qui entretiennent la guerre entre les fidèles, iront volontiers guerroyer au service de Dieu. Peu d'hommes, en effet, sont assez mauvais pour ne pas consentir de bon coeur à donner à Dieu un service qui, tout en leur plaisant, leur permet de racheter leurs péchés. Une fois le foyer de discordes éteint, il ne pourrait plus y avoir d'incendie. C'est ainsi, très saint Père, que vous obtiendrez d'un seul coup plusieurs excellents résultats. Vous donnerez la paix aux chrétiens qui la demandent; vous sauverez en les perdant ces gens de guerre tout emprisonnés dans les filets de leurs péchés; s'ils remportent quelque victoire, vous interviendrez avec les autres princes chrétiens pour en affermir le succès, et s'ils succombent dans la lutte, vous aurez gagné à Jésus-Christ leurs âmes, qui semblent aujourd'hui presque vouées à la perdition. De cette croisade sortiront donc trois biens: la paix de la chrétienté, la pénitence de ces gens de guerre, et le salut de beaucoup de Sarrazins. " Je vous ai rapporté tout ceci, pieux lecteur, pour que vous compreniez avec quel zèle notre sainte employait tous ses efforts à poursuivre l'organisation d'une croisade.

Cela dit, je puis répondre aux hommes de mensonge que je ne me souviens pas avoir jamais entendu ni dans l'intimité, ni en public, Catherine déterminer l'époque d'aucun des événements qu'elle annonçait. Je l'ai même trouvée si réservée à ce sujet que mes interrogations, sur le temps où se réaliseraient certaines de ses prédictions, n'ont jamais pu obtenir de réponse précise; elle abandonnait le tout à la Providence divine. Il est vrai cependant qu'elle parlait souvent de la croisade, qu'elle excitait et encourageait tous ceux qu'elle pouvait à y prendre part. Elle exprimait l'espoir que le Seigneur, jetant un regard de miséricorde sur son peuple, sauverait par ce moyen beaucoup d'âmes, tant de fidèles que d'infidèles. Mais personne ne peut affirmer avec vérité qu'elle ait indiqué l'époque de cette croisade, ou assuré qu'elle y prendrait part avec ses disciples. Il en est, à la vérité, qui ont conclu de ses paroles, que la croisade serait bientôt organisée; mais il faut attribuer cette affirmation, aussi bien que d'autres propositions du même genre, au défaut d'intelligence de ceux qui écoutaient, et non pas à la langue de celle qui parlait. C'est de là cependant qu'on prend occasion de se scandaliser, parce qu'il s'est écoulé déjà beaucoup de temps sans que les préparatifs de l'expédition aient été commencés. Maintenant que nous avons fait justice de l'allégation mensongère sur la quelle reposent toutes les accusations de ceux qui poursuivent la sainte, de leurs aboiements, réfléchissez à tour ce que je vous ai déjà raconté. Vous verrez clairement, ô bon lecteur, que notre vierge pourrait dire ce qu'au témoignage de saint Matthieu le Sauveur disait aux disciples de Jean-Baptiste, en leur rappelant les miracles accomplis sous leurs yeux: " Bienheureux celui pour qui je ne serai pas une cause de scandale (Mt 11,6) " Pourquoi Notre-Seigneur parle-t-il en même temps de miracles et de scandale, si ce n'est parce que les méchants sont condamnés, par leur propre malice, à se scandaliser même de la bonté de Dieu et de ses merveilles? Voilà comment ceux dont nous parlons, ne comprenant ni les paroles, ni les oeuvres de notre bonne sainte, se scandalisent de ce qui devrait les édifier. Mais admettons encore que Catherine ait annoncé la croisade comme prochaine; peut-on vraiment l'accuser d'erreur? L'Évangéliste Jean rapporte dans l'Apocalypse que le Seigneur lui a dit: " Voici que je vais bientôt venir (Ap 3,11) " Or il en est qui entendent cette prophétie du second avènement du Seigneur, au dernier jour, sans contester cependant que cette parole soit toute vérité. Ecoutez, je vous en prie, Augustin commentant le psaume "Noli aemulari in malignantibus,... ne jalousez pas les méchants. ". " Ce qui vous semble tardif, dit-il, est tout proche pour Dieu, ne faites qu'un avec Dieu, et ce sera tout proche pour vous aussi. " C'est ainsi qu'un autre prophète a encore écrit: " Si le Seigneur vous fait attendre, attendez-le, car il viendra sûrement et ne tardera pas. " Notre pauvre intelligence peut donc trouver que Dieu nous fait attendre, alors qu'en réalité il ne peut pas tarder. Considérez encore avec quel empressement les Prophètes annonçaient la venue du Sauveur et l'annonçaient comme prochaine. L'un d'eux, Isaïe, allait même jusqu'à dire: " Tout proche est le tempe de sa venue, ses jours ne sont pas éloignés (Is 14,1). " Et cependant plusieurs siècles se sont écoulés entre cette prophétie et son accomplissement. Pourquoi donc nos adversaires murmurent-ils contre Catherine, pour un retard de dix ou douze années, alors qu'ils voient les Prophètes de l'Ancien et du Nouveau Testament, annoncer comme très prochains de si profonds mystères, dont ils sont séparés par des centaines d'années. Si un retard de douze années leur suffit pour juger fausses les prédictions de la sainte, ils seront bien obligés de traiter de même des prophéties, dont l'accomplissement s'est fait attendre plusieurs siècles.

Et qu'auraient dit ces mauvaises langues, je vous le demande, si Catherine avait annoncé à un roi ou à un Pape malades qu'ils mourraient de leur maladie, comme on lit qu'Isaïe le prédit à Ézéchias alors que ce roi s'est ensuite rétabli (IVe L. des Rois, ch.20)! et si elle avait prophétisé la ruine complète d'une cité, sans que cela fût arrivé, comme Jonas le fit pour Ninive (Jon 3)? C'est alors qu'on lui aurait rappelé, avec force railleries, ses prédictions. Et cependant il n'y a rien de faux dans les oracles des saints Prophètes que nous venons de citer; et leurs auteurs ne les ont prononcés que sous l'inspiration de la souveraine et infaillible Vérité. Les maîtres de la science sacrée nous expliquent comment une prophétie, tout en étant vraie, peut annoncer un événement qu'on ne voit pas ensuite se réaliser. Ils disent qu'il suffit à la vérité de la prophétie qu'elle exprime avec fidélité l'enchaînement des causes secondes, tel que Dieu le révèle au Prophète, pour le lui faire prédire. L'histoire du roi Ézéchias nous en donne un exemple fort clair. Sa maladie était certainement mortelle, et toutes les forces vives de son corps étaient mortellement atteintes, bien qu'il espérait peut-être encore trouver sa guérison dans quelque remède naturel. Le prophète lui annonça donc qu'aucun secours naturel ne pouvait lui éviter la mort; mais cela n'empêchait pas que la Puissance divine ne pût miraculeusement guérir le malade, comme elle le fit après qu'il eut pleuré et dévotement prié. Isaïe a donc dit la vérité, en affirmant que, selon l'ordre des causes naturelles, Ézéchias devant infailliblement mourir, et son affirmation n'est pas contredite par ce fait, que le roi a été surnaturellement arraché à la mort. De même, le prophète Jonas, annonçant la ruine de Ninive et en fixant le terme à quarante jours, n'a fait qu'exprimer, dans cette prédiction, la gravité des fautes des Ninivites, et la sentence ou jugement que ces fautes leur méritaient. Mais l'Esprit-Saint n'a pas voulu dire par là que, s'ils renonçaient à leurs péchés, ce jugement serait maintenu. D'où vous pouvez manifestement conclure qu'il faut toujours recevoir avec un grand respect et entendre avec discrétion les paroles des Prophètes, surtout de ceux dont l'union avec Dieu est attestée par d'autres oeuvres saintes; et l'application de ce principe s'impose, je crois, dans le cas qui nous occupe.

Qui sait, en effet, si notre sainte n'a pas prévu que la croisade n'aurait lieu que plusieurs années après sa mort? Cela n'empêche pas qu'elle puisse y concourir par ses mérites et ses prières, plus efficaces aujourd'hui au ciel qu'autrefois sur la terre. Qui sait encore si, absente corporellement, elle ne sera pas envoyée par Dieu pour être présente en esprit, soutenir et fortifier les croisés, au temps de l'expédition, ou obtenir soulagement et consolation à ceux qui travaillent à cette oeuvre? Ce ne sont pas là voies nouvelles et extraordinaires pour l'éternelle Bonté, qui, pouvant tout faire par elle-même, veut cependant, pour se communiquer davantage à des créatures de son choix, nous gouverner et nous régir par leur ministère, et nous conduire ainsi, par des moyens créés, au Bien sans limite qui est notre fin. Mais en voilà assez, lecteur, pour répondre aux calomnies mentionnées plus haut; nous allons passer maintenant à d'autres récits se rattachant à ce même sujet des prophéties de Catherine.

Nous l'avons déjà dit, en parlant des miracles, la supériorité de l'esprit sur le corps entraîne la supériorité des miracles qui sauvent l'âme sur ceux qui apportent la santé au corps. Il en est de même des prophéties, qui méritent surtout d'être notées, quand elles ont rapport au salut des âmes. En voici donc encore une, que raconte chaque jour, à qui veut l'entendre, celui qui en a été l'objet et à qui elle a été faite. Il y avait à Sienne, au temps où j'ai mérité de connaître notre sainte, un jeune homme de noble naissance, mais de moeurs méprisables, qu'on appelait et qu'on appelle encore aujourd'hui François de Malavolti. Orphelin dès son jeune âge, il avait abusé de la trop grande liberté qui lui avait été laissée pour s'abandonner à une foule de vices bien dégradants. Bien que son mariage avec une jeune femme eût dû mettre un frein à de tels désordres, il ne sut pas renoncer à ses mauvaises habitudes. C'est alors qu'un de ses amis, disciple de notre sainte, eut compassion de l'âme de ce malheureux; il l'invitait à venir entendre les avis de Catherine et l'y amenait quelquefois. A la suite de ces entretiens, François se repentait de ses fautes, cessait pendant quelque temps de se livrer à ses vices habituels, mais n'y renonçait jamais complètement. Je l'ai vu souvent ainsi partager notre compagnie, prendre goût aux pâturages qu'offraient à son âme les salutaires enseignements et les vivifiants exemples de la vierge, y trouver même pendant quelque temps sa Joie; mais il revenait ensuite à ses mauvaises habitudes, surtout au jeu de dés qu'il aimait passionnément.

La sainte, qui demandait fréquemment à Dieu le salut de cet homme, l'ayant vu tant de fois retomber, lui dit un jour, dans un mouvement de spirituelle ferveur: " Tu viens souvent à moi; puis tu t'envoles comme un oiseau effarouché, et tu retournes à tes vices habituels; mais va, vole où tu voudras, un jour viendra où, par la permission du Seigneur, je t'attacherai au cou un lien si fort que tu ne pourras plus t'envoler. " François et tous ceux qui étaient présents retinrent cette prédiction. Elle n'était pas encore accomplie quand la vierge s'en alla de ce monde. François, retombé dans ses crimes ordinaires, semblait bien avoir perdu, cette fois, le secours qui l'aidait habituellement à se relever. Mais Catherine fit plus pour lui dans les cieux qu'elle n'avait fait, par ses avertissements, sur la terre. Après la sainte, François vit mourir sa propre femme, sa belle-mère et quelques-uns de ceux qui étaient un obstacle à son salut. Il rentra tout à fait en lui-même, dit un adieu définitif au monde et prit très dévotement l'habit religieux dans l'Ordre des Olivétains, où il a persévéré jusqu'à aujourd'hui, par la grâce de Dieu et les mérites de Catherine. Il reconnaît toujours qu'il doit cette faveur aux prières de la sainte; il rend hommage à la voix prophétique qui lui a prédit sa conversion et parle de cette prédiction à tous ceux qui veulent l'entendre. C'est ainsi qu'il me l'a racontée bien des fois, en rendant grâces à Dieu et à notre vierge.

Enfin, pour grouper ensemble les merveilles d'ordre spirituel, je vais en raconter une, que le Seigneur a fait éclater en ma présence. Il est cependant quelqu'un, comme on le verra, qui a pu mieux l'apprécier que moi; c'est dom Barthélemy de Ravenne, religieux d'une piété et d'une prudence consommées, alors comme aujourd'hui Prieur de la Chartreuse de l'île de Gorgone, à trente milles du port de Pise (Livourne). Par ses admirables enseignements et ses miracles, Catherine s'était complètement gagné l'affection de ce religieux, dont elle avait souvent encouragé les saints projets. Il la supplia donc à plusieurs reprises, et même très fréquemment, de vouloir bien se rendre à l'île de Gorgone. Il voulait pouvoir lui présenter ses Frères et leur faire entendre la parole si édifiante de notre vierge. Il me supplia d'appuyer sa demande de toute mon influence auprès de Catherine. Celle-ci, l'ayant enfin agréée, nous nous rendîmes avec elle à l'île de Gorgone, au nombre d'environ vingt personnes, hommes et femmes. Pour la nuit de notre arrivée, le Prieur avait logé la vierge et ses compagnes à un mille du monastère, et il nous avait reçus, moi et mes compagnons, dans le monastère même. Le matin venu, il voulut enfin satisfaire son désir, et conduisît tous ses religieux à Catherine, en lui demandant pour eux quelques paroles d'édification. Catherine refusa d'abord et s'excusa sur son incapacité, son ignorance et son sexe, disant qu'il lui siérait beaucoup mieux d'écouter l'enseignement des serviteurs de Dieu que de parler en leur présence. Mais, vaincue par les très instantes prières du Père et des Fils, elle prit enfin la parole et leur dit ce que l'Esprit-Saint lui inspirait. Elle traita des multiples et diverses tentations et illusions que l'ennemi envoie habituellement aux solitaires, et des moyens d'éviter ces pièges pour arriver à une victoire définitive. Il y avait dans son discours un si bel ordre que nous tous qui l'entendions nous en étions stupéfaits. Quand elle eut fini de parler, le Prieur se tourna vers moi et, rempli d'admiration, il me dit: " Mon très cher Frère Raymond, vous savez que, d'après la coutume de mon Ordre, je suis le seul confesseur de tous mes religieux. Je sais donc ce en quoi chacun d'eux manque ou progresse. Eh bien, je vous l'affirme à ce moment, si la sainte avait entendu comme moi toutes ces confessions, elle n'aurait pas pu tenir un langage mieux approprié aux besoins de chacun de mes Fils. Elle n'a oublié aucun de leurs besoins et n'a rien dit qui leur fût inutile; d'où je vois clairement qu'elle est remplie du don de prophétie et que le Saint-Esprit parle par sa bouche. "

Je sais aussi, et de science certaine, que Catherine a fait à mon sujet plusieurs prédictions, que j'ignorais tout d'abord, mais qui se sont aujourd'hui manifestement réalisées. Je n'en parlerai pas cependant en détail, car mn langue et ma plume paraîtraient trop odieuses à ceux qui me liraient. Je laisse donc ce soin aux autres enfants spirituels de la sainte. Elle a annoncé aussi de graves châtiments à certains persécuteurs de la sainte Église; je n'en dirai rien non plus, pour ne pas exciter davantage contre la glorieuse mémoire de notre vierge le venin de ses détracteurs. Je finis donc ici ce chapitre pour passer à un autre sujet.




Vie Ste Catherine de Sienne - CHAPITRE VIII