1998 Catéchisme 1890

En bref

1890 Il existe une certaine ressemblance entre l'union des personnes divines et la fraternité que les hommes doivent instaurer entre eux.

1891 Pour se développer en conformité avec sa nature, la personne humaine a besoin de la vie sociale. Certaines sociétés, comme la famille et la cité, correspondent plus immédiatement à la nature de l'homme.

1892 "La personne humaine est, et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions sociales" (GS 25).

1893 Il faut encourager une large participation à des associations et des institutions d'élection.

1894 Selon le principe de subsidiarité, ni l'Etat ni aucune société plus vaste ne doivent se substituer à l'initiative et à la responsabilité des personnes et des corps intermédiaires.

1895 La société doit favoriser l'exercice des vertus, non y faire obstacle. Une juste hiérarchie des valeurs doit l'inspirer.

1896 Là où le péché pervertit le climat social, il faut faire appel à la conversion des coeurs et à la grâce de Dieu. La charité pousse à de justes réformes. Il n'y a pas de solution à la question sociale en dehors de l'Evangile (cf. CA 3).



Article 2 La participation à la vie sociale

I L'autorité

1897 "A la vie en société manqueraient l'ordre et la fécondité sans la présence d'hommes légitimement investis de l'autorité et qui assurent la sauvegarde des institutions et pourvoient, dans une mesure suffisante, au bien commun" (PT 46).

On appelle "autorité" la qualité en vertu de laquelle des personnes ou des institutions donnent des lois et des ordres à des hommes, et attendent une obéissance de leur part.

1898 Toute communauté humaine a besoin d'une autorité qui la régisse (cf. Léon XIII, enc. "Immortale Dei"; enc. "Diuturnum illud"). Celle-ci trouve son fondement dans la nature humaine. Elle est nécessaire à l'unité de la Cité. Son rôle consiste à assurer autant que possible le bien commun de la société.

1899 L'autorité exigée par l'ordre moral émane de Dieu: "Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n'y a d'autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui. Ainsi, celui qui s'oppose à l'autorité se rebelle contre l'ordre voulu par Dieu, et les rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes" (Rm 13,1-2 cf. ).

1900 Le devoir d'obéissance impose à tous de rendre à l'autorité les honneurs qui lui sont dus, et d'entourer de respect et, selon leur mérite, de gratitude et de bienveillance les personnes qui en exercent la charge.

On trouve sous la plume du pape S. Clément de Rome la plus ancienne prière de l'Eglise pour l'autorité politique (cf. déjà
1Tm 2,1-2):

"Accorde-leur, Seigneur, la santé, la paix, la concorde, la stabilité, pour qu'ils exercent sans heurt la souveraineté que tu leur as remise. C'est toi, Maître, céleste roi des siècles, qui donne aux fils des hommes gloire, honneur et pouvoir sur les choses de la terre. Dirige, Seigneur, leur conseil, suivant ce qui est bien, suivant ce qui est agréable à tes yeux, afin qu'en exerçant avec piété, dans la paix et la mansuétude, le pouvoir que tu leur as donné, ils te trouvent propice" (Cor. 61,1-2).

1901 Si l'autorité renvoie à un ordre fixé par Dieu, "la détermination des régimes politiques, comme la détermination de leurs dirigeants, doivent être laissées à la libre volonté des citoyens" (GS 74).

La diversité des régimes politiques est moralement admissible, pourvu qu'ils concourent au bien légitime de la communauté qui les adopte. Les régimes dont la nature est contraire à la loi naturelle, à l'ordre public et aux droits fondamentaux des personnes, ne peuvent réaliser le bien commun des nations auxquelles ils se sont imposés.

1902 L'autorité ne tire pas d'elle-même sa légitimité morale. Elle ne doit pas se comporter de manière despotique, mais agir pour le bien commun comme une "force morale fondée sur la liberté et le sens de la responsabilité" (GS 74):

La législation humaine ne revêt le caractère de loi qu'autant qu'elle se conforme à la juste raison; d'où il apparaît qu'elle tient sa vigueur de la loi éternelle. Dans la mesure où elle s'écarterait de la raison, il faudrait la déclarer injuste, car elle ne vérifierait pas la notion de loi; elle serait plutôt une forme de violence (S. Thomas d'A., I-II 93,3, ad 2).

1903 L'autorité ne s'exerce légitimement que si elle recherche le bien commun du groupe considéré et si, pour l'atteindre, elle emploie des moyens moralement licites. S'il arrive aux dirigeants d'édicter des lois injustes ou de prendre des mesures contraires à l'ordre moral, ces dispositions ne sauraient obliger les consciences. "En pareil cas, l'autorité cesse d'être elle-même et dégénère en oppression" (PT 51).

1904 "Il est préférable que tout pouvoir soit équilibré par d'autres pouvoirs et par d'autres compétences qui le maintiennent dans de justes limites. C'est là le principe de 'l'Etat de droit' dans lequel la souveraineté appartient à la loi et non pas aux volontés arbitraires des hommes" (CA 44).



II Le Bien Commun

1905 Conformément à la nature sociale de l'homme, le bien de chacun est nécessairement en rapport avec le bien commun. Celui-ci ne peut être défini qu'en référence à la personne humaine:

Ne vivez point isolés, retirés en vous-mêmes, comme si vous étiez déjà justifiés, mais rassemblez vous pour rechercher ensemble ce qui est de l'interêt commun (Barnabé, ep. 4,10).

1906 Par bien commun, il faut entendre "l'ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu'à chacun de leurs membres d'atteindre leur perfection, d'une façon plus totale et plus aisée" (GS 26 cf. GS 74). Le bien commun intéresse la vie de tous. Il réclame la prudence de la part de chacun, et plus encore de la part de ceux qui exercent la charge de l'autorité. Il comporte trois éléments essentiels:

1907 Il suppose, en premier lieu, le respect de la personne en tant que telle. Au nom du bien commun, les pouvoirs publics se tenus de respecter les droits fondamentaux et inaliénables de la personne humaine. La société se doit de permettre à chacun de ses membres de réaliser sa vocation. En particulier, le bien commun réside dans les conditions d'exercice des libertés naturelles qui sont indispensables à l'épanouissement de la vocation humaine: "ainsi: droit d'agir selon la droite règle de sa conscience, droit à la sauvegarde de la vie privée et à la juste liberté, y compris en matière religieuse" (GS 26).

1908 En second lieu, le bien commun demande le bien-être social et le développement du groupe lui-même. Le développement est le résumé de tous les devoirs sociaux. Certes, il revient à l'autorité d'arbitrer, au nom du bien commun, entre les divers interêts particuliers. Mais elle doit rendre accessible à chacun ce dont il a besoin pour mener une vie vraiment humaine: nourriture, vêtement, santé, travail, éducation et culture, information convenable, droit de fonder une famille, etc. (cf. GS 26).

1909 Le bien commun implique enfin la paix, c'est-à-dire la durée et la sécurité d'un ordre juste. Il suppose donc que l'autorité assure, par des moyens honnêtes, la sécurité de la société et celle de ses membres. Il fonde le droit à la légitime défense personnelle et collective.

1910 Si chaque communauté humaine possède un bien commun qui lui permet de se reconnaître en tant que telle, c'est dans la communauté politique qu'on trouve sa réalisation la plus complète. Il revient à l'Etat de défendre et de promouvoir le bien commun de la société civile, des citoyens et des corps intermédiaires.

1911 Les dépendances humaines s'intensifient. Ils s'étendent peu à peu à la terre entière. L'unité de la famille humaine, rassemblant des êtres jouissant d'une dignité naturelle égale, implique un bien commun universel. Celui-ci appelle une organisation de la communauté des nations capable de "pourvoir aux divers besoins des hommes, aussi bien dans le domaine de la vie sociale (alimentation, santé, éducation ...), que pour faire face à maintes circonstances particulières qui peuvent surgir ici ou là (par exemple: l'accueil des réfugiés, l'assistance aux migrants et à leurs familles ...)" (GS 84).

1912 Le bien commun est toujours orienté vers le progrès des personnes: "L'ordre des choses doit être subordonné à l'ordre des personnes, et non l'imverse" (GS 27). Cet ordre a pour base la vérité, il s'édifie dans la justice, il est vivifié par l'amour.



III Responsabilité et Participation

1913 La participation est l'engagement volontaire et généreux de la personne dans les échanges sociaux. Il est nécessaire que tous participent, chacun selon la place qu'il occupe et le rôle qu'il joue, à promouvoir le bien commun. Ce devoir est inhérent à la dignité de la personne humaine.

1914 La participation se réalise d'abord dans la prise en charge des domaines dont on assume la responsabilité personnelle: par le soin apporté à l'éducation de sa famille, par la conscience dans son travail, l'homme participe au bien d'autrui et de la société (cf. CA 43).

1915 Les citoyens doivent autant que possible prendre une part active à la vie publique. Les modalités de cette participation peuvent varier d'un pays ou d'une culture à l'autre. "Il faut louer la façon d'agir des nations où, dans une liberté authentique, le plus grand nombre possible de citoyens participe aux affaires publiques" (GS 31).

1916 La participation de tous à la mise en oeuvre du bien commun implique, comme tout devoir éthique, une conversion sans cesse renouvelée des partenaires sociaux. La fraude et autres subterfuges par lesquels certains échappent aux contraintes de la loi et aux prescriptions du devoir social doivent être fermement condamnées, parce qu'incompatibles avec les exigences de la justice. Il faut s'occuper de l'essor des institutions qui améliorent les conditions de la vie humaine (cf. GS 30).

1917 Il revient à ceux qui exercent la charge de l'autorité d'affermir les valeurs qui attirent la confiance des membres du groupe et les incitent à se mettre au service de leurs semblables. La participation commence par l'éducation et la culture. "On peut légitimement penser que l'avenir est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d'espérer" (GS 31).



En bref

1918 "Il n'y a d'autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui" (Rm 13,1).

1919 Toute communauté humaine a besoin d'une autorité pour se maintenir et se développer.

1920 "La communauté politique et l'autorité publique trouvent leur fondement dans la nature humaine et relèvent par là d'un ordre fixé par Dieu" (GS 74)

1921 L'autorité s'exerce d'une manière légitime si elle s'attache à la poursuite du bien commun de la société. Pour l'atteindre, elle doit employer des moyens moralemnt recevables.

1922 La diversité des régimes politiques est légitime, pourvu qu'ils concourent au bien de la communauté.

1923 L'autorité politique doit se déployer dans les limites de l'ordre moral et garantir les conditions d'exercice de la liberté.

1924 Le bien commun comprend "l'ensemble des conditions sociales qui permettent aux groupes et aux personnes d'atteindre leur perfection, de manière plus totale et plus aisée" (GS 26).

1925 Le bien commun comporte trois éléments essentiels: le respect et la promotion des droits fondamentaux de la personne; la prospérité ou le développement des biens spirituels et temporels de la société; la paix et la sécurité du groupe et de ses membres.

1926 La dignité de la personne humaine implique la recherche du bien commun. Chacun doit se préoccuper de susciter et de soutenir des institutions qui améliorent les conditions de la vie humaine.

1927 Il revient à l'Etat de défendre et de promouvoir le bien commun de la société civile. Le bien commun de la famille humaine tout entière appelle une organisation de la société internationale.



Article 3 La Justice Sociale

1928 La société assure la justice sociale lorsqu'elle réalise les conditions permettant aux associations et à chacun d'obtenir ce qui leur est dû selon leur nature et leur vocation. La justice sociale est en lien avec le bien commun et avec l'exercice de l'autorité.



I Le respect de la personne humaine

1929 La justice sociale ne peut être obtenue que dans le respect de la dignité transcendante de l'homme. La personne représente le but ultime de la société, qui lui est ordonnée:

La défense et la promotion de la dignité humaine nous ont été confiées par le Créateur. Dans toutes les circonstances de l'histoire les hommes et les femmes en sont rigoureusement responsables et débiteurs (SRS 47).

1930 Le respect de la personne humaine implique celui des droits qui découlent de sa dignité de créature. Ces droits sont antérieurs à la société et s'imposent à elle. Ils fondent la légitimité morale de toute autorité: en les bafouant, ou en refusant de les reconnaître dans sa législation positive, une société mine sa propre légitimité morale (cf. PT 65). Sans un tel respect, une autorité ne peut que s'appuyer sur la force ou la violence pour obtenir l'obéissance de ses sujets. Il revient à l'Eglise de rappeler ces droits à la mémoire des hommes de bonne volonté, et de les distinguer des revendications abusives ou fausses.

1931 Le respect de la personne humaine passe par le respect du principe: "Que chacun considère son prochain, sans aucune exception, comme 'un autre lui-même'. Qu'il tienne compte avant tout de son existence et des moyens qui lui sont nécessaires pour vivre dignement" (). Aucune législation ne saurait par elle-même faire disparaître les craintes, les préjugés, les attitudes d'orgueil et d'égoïsme qui font obstacle à l'établissement de sociétés vraiment fraternelles. Ces comportements ne cessent qu'avec la charité qui trouve en chaque homme un "prochain", un frère.

1932 Le devoir de se faire le prochain d'autrui et de le servir activement se fait plus pressant encore lorsque celui-ci est plus démuni, en quelque domaine que ce soit. "Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" (Mt 25,40).

1933 Ce même devoir s'étend à ceux qui pensent ou agissent différemment de nous. L'enseignement du Christ va jusqu'à requérir le pardon des offenses. Il étend le commandement de l'amour, qui est celui de la loi nouvelle, à tous les ennemis (cf. Mt 5,43-44). La libération dans l'esprit de l'Evangile est incompatible avec la haine de l'ennemi en tant que personne mais non avec la haine du mal qu'il fait en tant qu'ennemi.



II Egalité et Différencés entre les hommes

1934 Créés à l'image du Dieu unique, dotés d'une même âme raisonnable, tous les hommes ont même nature et même origine. Rachetés par le sacrifice du Christ, tous sont appelés à participer à la même béatitude divine: tous jouissent donc d'une égale dignité.

1935 L'égalité entre les hommes porte essentiellement sur leur dignité personnelle et les droits qui en découlent:

Toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu'elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée, comme contraire au dessein de Dieu (
GS 29).

1936 En venant au monde, l'homme ne dispose pas de tout ce qui est nécessaire au développement de sa vie, corporelle et spirituelle. Il a besoin des autres. Des différences apparaissent liées à l'âge, aux capacités physiques, aux aptitudes intellectuelles ou morales, aux échanges dont chacun a pu bénéficier, à la distribution des richesses (cf. GS 29). Les "talents" ne sont pas distribués également (cf. Mt 25,14-30 Lc 19,11-27).

1937 Ces différences appartiennent au plan de Dieu, qui veut que chacun reçoive d'autrui ce dont il a besoin, et que ceux qui disposent de "talents" particuliers en communiquent les bienfaits à ceux qui en ont besoin. Les différences encouragent et souvent obligent les personnes à la magnanimité, à la bienveillance et au partage; elles incitent les cultures à s'enrichir les unes les autres:

Je ne donne pas toutes les vertus également à chacun ... Il en est plusieurs que je distribue de telle manière, tantôt à l'un, tantôt à l'autre ... A l'un, c'est la charité; à l'autre, la justice; à celui-ci l'humilité; à celui-là, une foi vive ... Quant aux biens temporels, pour les choses nécessaires à la vie humaine, je les ai distribués avec la plus grande inégalité, et je n'ai pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire pour que les hommes aient ainsi l'occasion, par nécessité, de pratiquer la charité les uns envers les autres ... J'ai voulu qu'ils eussent besoin les uns des autres et qu'ils fussent mes ministres pour la distribution des grâces et des libéralités qu'ils ont reçues de moi (S. Catherine de Sienne, dial. 1,6).

1938 Il existe aussi des inégalités iniques qui frappent des millions d'hommes et de femmes. Elles sont en contradiction ouverte avec l'Evangile:

L'égale dignité des personnes exige que l'on parvienne à des conditions de vie plus justes et plus humaines. Les inégalités économiques et sociales excessives entre les membres ou entre les peuples d'une seule famille humaine font scandale. Elles font obstacle à la justice sociale, à l'équité, à la dignité de la personne humaine, ainsi qu'à la paix sociale et internationale (
GS 29).



III La Solidarité humaine

1939 Le principe de solidarité, énoncé encore sous le nom d'"amitié" ou de "charité sociale", est une exigence directe de la fraternité humaine et chrétienne (cf. SRS 38-40 CA 10):

Une erreur, "aujourd'hui largement répandue, est l'oubli de cette loi de solidarité humaine et de charité, dictée et imposée aussi bien par la communauté d'origine et par l'égalité de la nature raisonnable chez tous les hommes, à quelque peuple qu'ils appartiennent, que par le sacrifice de rédemption offert par Jésus-Christ sur l'autel de la Croix à son Père céleste, en faveur de l'humanité pécheresse" (Pie XII, enc. "Summi pontificatus").

1940 La solidarité se manifeste en premier lieu dans la répartition des biens et la rémunération du travail. Elle suppose aussi l'effort en faveur d'un ordre social plus juste dans lequel les tensions pourront être mieux résorbées, et où les conflits trouveront plus facilement leur issue négociée.

1941 Les problèmes socio-économiques ne peuvent être résolus qu'avec l'aide de toutes les formes de solidarité: solidarité des pauvres entre eux, des riches et des pauvres, des travailleurs entre eux, des employeurs et des employés dans l'entreprise, solidarité entre les nations et entre les peuples. La solidarité internationale est une exigence d'ordre moral. La paix du monde en dépend pour une part.

1942 La vertu de solidarité va au delà des biens matériels. En répendant les biens spirituels de la foi, l'Eglise a, de surcroît, favorisé le développement des biens temporels auquel elle a souvent ouvert des voies nouvelles. Ainsi s'est vérifiée, tout au long des siècles, la parole du Seigneur: "Cherchez d'abord le Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît" (Mt 6,33):

Depuis deux mille ans, vit et persévère dans l'âme de l'Eglise ce sentiment qui a poussé et pousse encore les âmes jusqu'à l'héroïsme charitable des moines agriculteurs, des libérateurs d'esclaves, des guérisseurs de malades, des messagers de foi, de civilisation, de science à toutes les générations et à tous les peuples en vue de créer des conditions sociales capables de rendre à tous possible une vie digne de l'homme et du chrétien (Pie XII, discours 1er juin 1941).



En bref

1943 La société assure la justice sociale en réalisant les conditions permettant aux associations et à chacun d'obtenir ce qui leur est dû.

1944 Le respect de la personne humaine considère autrui comme un "autre soi-même". Il suppose le respect des droits fondamentaux qui découlent de la dignité intrinsèque de la personne.

1945 L'égalité entre les hommes porte sur leur dignité personnelle et sur les droits qui en découlent.

1946 Les différences entre les personnes appartiennent au dessein de Dieu qui veut que nous ayons besoin les uns des autres. Elles doivent encourager la charité.

1947 L'égale dignité des personnes humaines demande l'effort pour réduire les inégalités sociales et économiques excessives. Elle pousse à la disparition des inégalités iniques.

1948 La solidarité est une vertu éminemment chrétienne. Elle pratique le partage des biens spirituels plus encore que matériels.






Chapitre troisième

Le Salut de Dieu: la loi et la grâce


1949 Appelé à la béatitude, mais blessé par le péché, l'homme a besoin du salut de Dieu. Le secours divin lui parvient dans le Christ par la loi qui le dirige et dans la grâce qui le soutient:

Travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut: aussi bien, Dieu est là qui opère en vous à la fois le vouloir et l'opération même, au profit de ses bienveillants desseins (
Ph 2,12-13).



Article 1 La loi morale


1950 La loi morale est l'oeuvre de la Sagesse divine. On peut la définir, au sens biblique, comme une instruction paternelle, une pédagogie de Dieu. Elle prescrit à l'homme les voies, les règles de conduite qui mènent vers la béatitude promise; elle proscrit les chemins du mal qui détournent de Dieu et de son amour. Elle est à la fois ferme dans ses préceptes et aimable dans ses promesses.

1951 La loi est une règle de conduite édictée par l'autorité compétente en vue du bien commun. La loi morale suppose l'ordre rationnel établi entre les créatures, pour leur bien et en vue de leur fin, par la puissance, la sagesse et la bonté du Créateur. Toute loi trouve dans la loi éternelle sa vérité première et ultime. La loi est déclarée et établie par la raison comme une participation à la providence du Dieu vivant Créateur et Rédempteur de tous. "Cette ordination de la raison, voilà ce qu'on appelle la loi" (Léon XIII, enc. "Libertas præstantissimum"; citant Thomas d'A., I-II 90,1):

Seul parmi tous les êtres animés, l'homme peut se glorifier d'avoir été digne de recevoir de Dieu une loi: animal doué de raison, capable de comprendre et de discerner, il réglera sa conduite en disposant de sa liberté et de sa raison, dans la soumission à Celui qui lui a tout remis (Tertullien,
Mc 2,4).

1952 Les expressions de la loi morale sont diverses, et elles sont toutes coordonnées entre elles: la loi éternelle, source en Dieu de toutes les lois; la loi naturelle; la loi révélée comprenant la Loi ancienne et la Loi nouvelle ou évangélique; enfin les lois civiles et ecclésiastiques.

1953 La loi morale trouve dans le Christ sa plénitude et son unité. Jésus Christ est en personne le chemin de la perfection. Il est la fin de la Loi, car lui seul enseigne et donne la justice de Dieu: "Car la fin de la Loi, c'est le Christ pour la justification de tout croyant" (Rm 10,4).



I La loi morale naturelle

1954 L'homme participe à la sagesse et à la bonté du Créateur qui lui confère la maîtrise de ses actes et la capacité de se gouverner en vue de la vérité et du bien. La loi naturelle exprime le sens moral originel qui permet à l'homme de discerner par la raison ce que sont le bien et le mal, la vérité et le mensonge:

La loi naturelle est écrite et gravée dans l'âme de tous et de chacun des hommes parce qu'elle est la raison humaine ordonnant de bien faire et interdisant de pécher ... Mais cette prescription de la raison humaine ne saurait avoir force de loi, si elle n'était la voix et l'interprète d'une raison plus haute à laquelle notre esprit et notre liberté doivent être soumises (Léon XIII, enc. "Libertas præstantissimum").

1955 La loi "divine et naturelle" (GS 89) montre à l'homme la voie à suivre pour pratiquer le bien et atteindre sa fin. La loi naturelle énonce les préceptes premiers et essentiels qui régissent la vie morale. Elle a pour pivot l'aspiration et la soumission à Dieu, source et juge de tout bien, ainsi que le sens d'autrui comme égal à soi-même. Elle est exposée en ses principaux préceptes dans le Décalogue. Cette loi est dite naturelle non pas en référence à la nature des êtres irrationnels, mais parce que la raison qui l'édicte appartient en propre à la nature humaine:

Où donc ces règles sont-elles inscrites, sinon dans le livre de cette lumière qu'on appelle la Vérité? C'est là qu'est écrite toute loi juste, c'est de là qu'elle passe dans le coeur de l'homme qui accomplit la justice, non qu'elle émigre en lui, mais elle y pose son empreinte, à la manière d'un sceau qui d'une bague passe à la cire, mais sans quitter la bague (S. Augustin, Trin. 14,15,21).

La loi naturelle n'est rien d'autre que la lumière de l'intelligence mise en nous par Dieu; par elle, nous connaissons ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter. Cette lumière ou cette loi, Dieu l'a donnée à la création (S. Thomas d'A., dec. præc. 1).

1956 Présente dans le coeur de chaque homme et établie par la raison, la loi naturelle est universelle en ses préceptes et son autorité s'étend à tous les hommes. Elle exprime la dignité de la personne et détermine la base de ses droits et de ses devoirs fondamentaux:

Il existe certes une vraie loi, c'est la droite raison; elle est conforme à la nature, répandue chez tous les hommes; elle est immuable et éternelle; ses ordres appellent au devoir; ses interdictions détournent de la faute ... C'est un sacrilège que de la remplacer par une loi contraire; il est interdit de n'en pas appliquer une seule disposition; quant à l'abroger entièrement, personne n'en a la possibilité (Cicéron, rép. 3,22, 33).

1957 L'application de la loi naturelle varie beaucoup; elle peut requérir une réflexion adaptée à la multiplicité des conditions de vie, selon les lieux, les époques, et les circonstances. Néanmoins, dans la diversité des cultures, la loi naturelle demeure comme une règle reliant entre eux les hommes et leur imposant, au-delà des différences inévitables, des principes communs.

1958 La loi naturelle est immuable (cf. GS 10) et permanente à travers les variations de l'histoire; elle subsiste sous le flux des idées et des moeurs et en soutient le progrès. Les règles qui l'expriment demeurent substantiellement valables. Même si on renie jusqu'à ses principes, on ne peut pas la détruire ni l'enlever du coeur de l'homme. Toujours elle ressurgit dans la vie des individus et des sociétés:

Le vol est assurément puni par ta loi, Seigneur, et par la loi qui est écrite dans le coeur de l'homme et que l'iniquité elle-même n'efface pas (S. Augustin, conf. 2,4,9).

1959 Ouvre très bonne du Créateur, la loi naturelle fournit les fondements solides sur lesquels l'homme peut construire l'édifice des règles morales qui guideront ses choix. Elle pose aussi la base morale indispensable pour l'édification de la communauté des hommes. Elle procure enfin la base nécessaire à la loi civile qui se rattache à elle, soit par une réflexion qui tire les conclusions de ses principes, soit par des additions de nature positive et juridique.

1960 Les préceptes de la loi naturelle ne sont pas perçus par tous d'une manière claire et immédiate. Dans la situation actuelle, la grâce et la révélation nous sont nécessaires à l'homme pécheur pour que les vérités religieuses et morales puissent être connues "de tous et sans difficulté, avec une ferme certitude et sans mélange d'erreur" (Pie XII, enc. "Humani generis": DS 3876). La loi naturelle procure à la Loi révélée et à la grâce une assise préparée par Dieu et accordée à l'oeuvre de l'Esprit.



II La loi ancienne

1961 Dieu, notre Créateur et notre Rédempteur, s'est choisi Israël comme son peuple et lui a révélé sa Loi, préparant ainsi la venue du Christ. La Loi de Moïse exprime plusieurs vérités naturellement accessibles à la raison. Celles-ci se trouvent déclarées et authentifiées à l'intérieur de l'Alliance du Salut.

1962 La Loi ancienne est le premier état de la Loi révélée. Ses prescriptions morales sont résumées dans les Dix commandements. Les préceptes du Décalogue posent les fondements de la vocation de l'homme, façonné à l'image de Dieu; ils interdisent ce qui est contraire à l'amour de Dieu et du prochain, et prescrivent ce qui lui est essentiel. Le Décalogue est une lumière offerte à la conscience de tout homme pour lui manifester l'appel et les voies de Dieu, et le protéger contre le mal:

Dieu a écrit sur les tables de la Loi ce que les hommes ne lisaient pas dans leurs coeurs (S. Augustin, Psal. 57,1).

1963 Selon la tradition chrétienne, la Loi sainte (cf. Rm 7,12), spirituelle (cf. Rm 7,14) et bonne (cf. Rm 7,16) est encore imparfaite. Comme un pédagogue (cf. Ga 3,24) elle montre ce qu'il faut faire, mais ne donne pas de soi la force, la grâce de l'Esprit pour l'accomplir. A cause du péché qu'elle ne peut enlever, elle reste une loi de servitude. Selon S. Paul, elle a notamment pour fonction de dénoncer et de manifester le péché qui forme une "loi de concupiscence" (Rm 7,20) dans le coeur de l'homme. Cependant la Loi demeure la première étape sur le chemin du Royaume. Elle prépare et dispose le peuple élu et chaque chrétien à la conversion et à la foi dans le Dieu Sauveur. Elle procure un enseignement qui subsiste pour toujours, comme la Parole de Dieu.

1964 La Loi ancienne est une préparation à l'Evangile. "La loi est prophétie et pédagogie des réalités à venir" (S. Irénée, hær. 4, 15, 1). Elle prophétise et présage l'oeuvre de la libération du péché qui s'accomplira avec le Christ, elle fournit au Nouveau Testament les images, les "types", les symboles, pour exprimer la vie selon l'Esprit. La Loi se complète enfin par l'enseignement des livres sapientiaux et des prophètes qui l'orientent vers la Nouvelle Alliance et le Royaume des cieux.

Il y eut ..., sous le régime de l'ancienne alliance, des gens qui possédaient la charité et la grâce de l'Esprit Saint et aspiraient avant tout aux promesses spirituelles et éternelles, en quoi ils se rattachaient à la loi nouvelle. Inversement, il existe sous la nouvelle alliance des hommes charnels, encore éloignés de la perfection de la loi nouvelle: pour les inciter aux oeuvres vertueuses, la crainte du châtiment et certaines promesses temporelles ont été nécessaires, jusque sous la nouvelle alliance. En tout cas, même si la loi ancienne prescrivait la charité, elle ne donnait pas l'Esprit Saint par qui 'la charité est répandue dans nos coeurs' (
Rm 5,5) (S. Thomas d'A., I-II 107,1, ad 2).



III La Loi nouvelle ou Loi évangélique

1965 La Loi nouvelle ou Loi évangélique est la perfection ici-bas de la loi divine, naturelle et révélée. Elle est l'oeuvre du Christ et s'exprime particulièrement dans le Sermon sur la montagne. Elle est aussi l'oeuvre de l'Esprit Saint et, par lui, elle devient la loi intérieure de la charité: "Je conclurai avec la maison d'Israël une alliance nouvelle ... Je mettrai mes lois dans leur pensée, je les graverai dans leur coeur, et je serai leur Dieu et ils seront mon peuple" (He 8,8-10 cf. Jr 31,31-34).

1966 La Loi nouvelle est la grâce du Saint-Esprit donnée aux fidèles par la foi au Christ. Elle opère par la charité, elle use du Sermon du Seigneur pour nous enseigner ce qu'il faut faire, et des sacrements pour nous communiquer la grâce de le faire:

Celui qui voudra méditer avec piété et perspicacité le Sermon que notre Seigneur a prononcé sur la montagne, tel que nous le lisons dans l'Evangile de Saint Matthieu, y trouvera, sans aucun doute, la charte parfaite de la vie chrétienne ... Ce Sermon contient tous les préceptes propres à guider la vie chrétienne (S. Augustin, serm. Dom. 1,1).

1967 La Loi évangélique "accomplit" (cf. Mt 5,17-19), affine, dépasse et mène à sa perfection la Loi ancienne. Dans les "Béatitudes", elle accomplit les promesses divines en les élevant et les ordonnant au "Royaume des cieux". Elle s'adresse à ceux qui sont disposés à accueillir avec foi cette espérance nouvelle: les pauvres, les humbles, les affligés, les coeurs purs, les persécutés à cause du Christ, traçant ainsi les voies surprenantes du Royaume.

1968 La Loi évangélique accomplit les commandements de la Loi. Le Sermon du Seigneur, loin d'abolir ou de dévaluer les prescriptions morales de la Loi ancienne, en dégage les virtualités cachées et en fait surgir de nouvelles exigences: il en révèle toute la vérité divine et humaine. Il n'ajoute pas de préceptes extérieurs nouveaux, mais il va jusqu'à réformer la racine des actes, le coeur, là où l'homme choisit entre le pur et l'impur (cf. Mt 15,18-19), où se forment la foi, l'espérance et la charité, et avec elles, les autres vertus. L'Evangile conduit ainsi la loi à sa plénitude par l'imitation de la perfection du Père céleste (cf. Mt 5,48), par le pardon des ennemis et la prière pour les persécuteurs, à l'instar de la générosité divine (cf. Mt 5,44).

1969 La Loi nouvelle pratique les actes de la religion: l'aumône, la prière et le jeûne, en les ordonnant au "Père qui voit dans le secret", à l'encontre du désir "d'être vu des hommes" (cf. Mt 6,1-6 Mt 16-18). Sa prière est le "Notre Père" (Mt 6,9-13).

1970 La Loi évangélique comporte le choix décisif entre "les deux voies" (cf. Mt 7,13-14) et la mise en pratique des paroles du Seigneur (cf. Mt 7,21-27); elle se résume dans la règle d'or: "Ainsi, tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux: voilà la Loi et les Prophètes" (Mt 7,12 cf. Lc 6,31).

Toute la Loi évangélique tient dans le "commandement nouveau" de Jésus (Jn 13,34), de nous aimer les uns les autres comme Il nous a aimés (cf. Jn 15,12).

1971 Au Sermon du Seigneur il convient de joindre la catéchèse morale des enseignements apostoliques, comme Rm 12,1 à Rm 15,33 1Co 12-13 Col 3-4 Ep 4-5 etc. Cette doctrine transmet l'enseignement du Seigneur avec l'autorité des apôtres, notamment par l'exposé des vertus qui découlent de la foi au Christ et qu'anime la charité, le principal don de l'Esprit Saint. "Que votre charité soit sans feinte ... Que l'amour fraternel vous lie d'affection ... avec la joie de l'espérance, constants dans la tribulation, assidus à la prière, prenant part aux besoins des saints, avides de donner l'hospitalité" (Rm 12,9-12). Cette catéchèse nous apprend aussi à traiter les cas de conscience à la lumière de notre relation au Christ et à l'Eglise (cf. Rm 14 1Co 5-10).

1972 La Loi nouvelle est appelée une loi d'amour parce qu'elle fait agir par l'amour qu'infuse l'Esprit Saint plutôt que par la crainte; une loi de grâce, parce qu'elle confère la force de la grâce pour agir par le moyen de la foi et des sacrements; une loi de liberté (cf. Jc 1,25 Jc 2,12) parce qu'elle nous libère des observances rituelles et juridiques de la Loi ancienne, nous incline à agir spontanément sous l'impulsion de la charité, et nous fait enfin passer de la condition du serviteur "qui ignore ce que fait son Maître" à celle d'ami du Christ, "car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître" (Jn 15,15), ou encore à la condition de fils héritier (cf. Ga 4,1-7 Ga 4,21-31 Rm 8,15).

1973 Outre ses préceptes, la Loi nouvelle comporte aussi les conseils évangéliques. La distinction traditionelle entre les commandements de Dieu et les conseils évangéliques s'établit par rapport à la charité, perfection de la vie chrétienne. Les préceptes sont destinés à écarter ce qui est incompatible avec la charité. Les conseils ont pour but d'écarter ce qui, même sans lui être contraire, peut constituer un empêchement au développement de la charité (cf. S. Thomas d'A., II-II 184,3).

1974 Les conseils évangéliques manifestent la plénitude vivante de la charité jamais satisfaite de ne pas donner davantage. Ils attestent son élan et sollicitent notre promptitude spirituelle. La perfection de la Loi nouvelle consiste essentiellement dans les préceptes de l'amour de Dieu et du prochain. Les conseils indiquent des voies plus directes, des moyens plus aisés, et sont à pratiquer suivant la vocation de chacun:

(Dieu) ne veut pas qu'un chacun observe tous les conseils, mais seulement ceux qui sont convenables selon la diversité des personnes, des temps, des occasions et des forces, ainsi que la charité le requiert; car c'est elle qui, comme reine de toutes les vertus, de tous les commandements, de tous les conseils, et en somme de toutes les lois et de toutes les actions chrétiennes, leur donne à tous et à toutes le rang, l'ordre, le temps et la valeur (S. François de Sales, amour 8,6).




1998 Catéchisme 1890