Catéchisme France 150

Jésus a Dieu seul pour Père: la conception virginale

150 Matthieu et Luc, dans les évangiles de l'enfance, nous parlent de l'enfance de Jésus avant de nous présenter son ministère. Leurs récits apportent une double réponse à la question de l'origine de Jésus: Jésus a une origine humaine: il est né de Marie; il est descendant de David. Il a une origine divine: son Père est Dieu lui-même.

Ce mystère est au coeur des récits par lesquels Matthieu et Luc rapportent l'annonce de la naissance de Jésus.

Matthieu commence par donner la généalogie de "Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham" (
Mt 1,1). La succession, de génération en génération, des ancêtres de Jésus manifeste son enracinement dans l'histoire de l'humanité et du peuple de Dieu. Cette généalogie aboutit à Joseph, car c'est par lui, l'époux de Marie, que Jésus est légalement le descendant de David. Mais Matthieu raconte ensuite ce que fut "l'origine de Jésus Christ": avant que Joseph et Marie "aient habité ensemble, elle fut enceinte par l'action de l'Esprit Saint" (Mt 1,18). Joseph reçoit de "l'ange du Seigneur" la mission de "donner" à l'enfant "le nom de Jésus (c'est-à-dire: le Seigneur sauve), car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés" (Mt 1,21). Et Matthieu souligne l'accomplissement des paroles du prophète Isaïe: "Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils, auquel on donnera le nom d'Emmanuel, qui se traduit: Dieu-avec-nous" (Mt 1,23 cf. Is 7,14).

151 Cette perspective de l'accomplissement des prophéties est également présente dans le récit de l'annonciation à Marie, selon Luc (cf. Lc 1,26-38). La salutation de l'ange Gabriel à la Vierge exprime déjà la joie du salut qui vient. Puis l'ange annonce à Marie qu'elle va concevoir un fils qui sera le Messie d'Israël et en qui s'accompliront les promesses messianiques. A la question de Marie "Comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge?", l'ange répond que cet enfant, conçu par l'action de l'Esprit Saint, sera le Fils de Dieu.

Cette affirmation de la conception virginale concerne d'abord Jésus, dont elle dit l'origine divine. Elle ne rejaillira que dans un second temps sur Marie. Ce signe donné de la divinité de Jésus est inséparable de l'attestation de la Résurrection. La foi s'appuie en premier lieu sur le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus. Le signe de la naissance virginale souligne que Jésus n'a pas été adopté comme Fils par le Père, mais qu'il est déjà le Fils quand il vient parmi nous.

152 Dans la conception virginale le rôle de l'Esprit n'est pas procréateur, mais créateur. De même que l'Esprit planait sur les eaux à l'aube de la Création (cf. Gn 1,2), de même il intervient en Marie à l'aurore du salut. Nous ne devons donc pas essayer de nous représenter, plus ou moins scientifiquement, la conception virginale, mais y croire comme nous croyons à l'action absolument transcendante de Dieu dans la Création.

Périodiquement, certains essaient de sauvegarder le sens de la conception virginale en déniant à celle-ci toute réalité. Une telle interprétation contredit manifestement l'intention des récits évangéliques, qui évitent soigneusement tout ce qui ressemblerait aux histoires mythologiques païennes, où un dieu s'unit à une femme pour engendrer un "héros" (ou demi-dieu). La foi de l'Église primitive a d'ailleurs inscrit la conception virginale dans les toutes premières expressions de son Symbole de foi. Il y va du réalisme de notre salut, qui passe par le réalisme de l'Incarnation comme par celui de la Résurrection. La conception virginale ne serait qu'un discours sans contenu si elle ne renvoyait pas à un événement réel. L'incarnation du Verbe de Dieu ne peut pas se réaliser en faisant abstraction de son corps.


Noël et les "mystères" de la vie cachée du Sauveur

153 Les évangiles de l'enfance ne se contentent pas de mettre en valeur l'origine divine et humaine de Jésus, en parlant de sa conception dans le sein de la Vierge Marie. Saint Luc raconte sa naissance, au cours d'un voyage occasionné par le recensement qu'avait ordonné l'empereur César Auguste et qui avait amené Marie et Joseph à se rendre de Nazareth à Bethléem. Cette naissance a lieu dans l'obscurité d'une étable. Mais l'événement est chanté par les anges, annoncé par eux à quelques bergers, contemplé par Marie.

C'est ensuite l'enfance de Jésus qui est évoquée. Elle est semblable à celle de tout enfant juif de cette époque. Jésus, le huitième jour après sa naissance, est circoncis et reçoit son nom. Il est présenté au Temple. A douze ans, il accompagne ses parents à Jérusalem.

154 Mais cette enfance se déroule aussi sous le signe de l'accomplissement des Écritures. Ainsi, chez Saint Matthieu, la présence de ces énigmatiques visiteurs que sont les Mages suggère que cet enfant est, dès sa venue au monde la lumière qui se lève à l'Orient et vers laquelle montent les nations.

Jésus, dans le récit des Mages (cf.
Mt 2,1-12), est présenté comme le véritable roi des nations, celui auquel les païens viennent rendre hommage, comme cela avait été entrevu par l'Écriture (cf Ps 71). La fête de l'Épiphanie est, par excellence, une fête missionnaire, qui rappelle que le salut est destiné à tous.

Saint Luc, lui, nous présente quelques épisodes dans lesquels se laisse entrevoir, à la lumière des prophéties, la véritable identité de l'enfant. Syméon voit en lui le salut "préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations" (Lc 2,31-32). Surtout, à Jérusalem, dans le Temple, Jésus, âgé de douze ans, déclare à ses parents qu'il lui faut être "chez son Père" (cf. Lc 2,49).

A Nazareth, pourtant, où continue la vie cachée, Jésus n'est guère connu que de sa parenté et de ses voisins.

155 Les "mystères" de la vie cachée du Sauveur n'ont cessé d'être médités dans la piété chrétienne. Ils donnent un contenu concret au thème de l'Emmanuel, c'est-à-dire de "Dieu-avec-nous". Ils soutiennent jour après jour la vie de foi et de prière.

Ce nom de "mystère" est attribué aux scènes évangéliques de la vie de Jésus, dans lesquelles se livrent, sous d'humbles détails, d'inépuisables profondeurs. Ces "mystères" ont été longtemps représentés devant le porche des églises et des cathédrales, pour l'instruction et l'édification du peuple chrétien. Ils constituent aussi, avec la vie des Saints, les principaux motifs de la sculpture et des vitraux des églises.

Dans la vie de foi et de piété de l'Église, le mystère de Noël de l'Épiphanie constitue, à l'intérieur du cycle de l'année liturgique, comme le commencement de l'oeuvre de notre salut, qui a son point culminant à Pâques et à la Pentecôte. La célébration de ce mystère d'incarnation charge en quelque sorte la célébration de la que de tout le poids d'humanité présent dans Celui qui traverse victorieusement la mort.

Les évangiles de l'enfance sont chargés d'un important contenu théologique. Ils ne sont pas à lire comme on lirait un reportage de faits divers. Mais le contraste est grand entre leur sobriété et le caractère "merveilleux", "fantastique", de certains évangiles "apocryphes", que l'Église n'a jamais voulu introduire dans le Canon des Écritures.


La vie publique de Jésus

156 Les faits et gestes de Jésus s'offrent à la vérification des historiens. Personne aujourd'hui ne peut prétendre sérieusement au nom de l'histoire que Jésus n'a pas existé. Les recherches les plus récentes montrent la valeur des données évangéliques sur le cadre historique et géographique de la vie, du ministère et de la mort de Jésus. Si l'histoire ne peut pas (ce n'est pas son rôle) rejoindre tout ce que la foi nous apprend de Jésus, elle ne contredit en rien cette foi. Les évangiles sont avant tout des témoignages de foi. Mais, s'ils ne sont pas des biographies au sens moderne du mot, ils annoncent une Bonne Nouvelle sous la forme d'un récit historique. Ils annoncent en racontant et racontent en annonçant. La prédication primitive de l'Église, dont les Evangiles portent la marque, est une voie d'approche solide et fiable pour atteindre ce que Jésus a effectivement vécu parmi les hommes. Les évangiles nous transmettent fidèlement cette vie d'homme en laquelle Jésus s'est fait connaître pour celui qu'il était: le Fils de Dieu, Dieu lui-même, Un avec le Père.


"N'est-il pas le fils du charpentier?"

157 Au milieu de son peuple Jésus a vécu comme un homme, soumis à toutes les lois de la condition humaine. Ses disciples peuvent le constater quotidiennement: il dort, il a faim et soif, il se fatigue, il est joyeux ou triste, il est capable d'amitié et d'affection.

Il est pleinement homme et assume totalement et librement sa condition humaine. Il vit en un temps et un lieu don nés, dans la Palestine du premier siècle de notre ère. Il parle la langue, partage les coutumes, la culture et la tradition religieuse de son peuple.

"Jésus était juif et l'est toujours resté; son ministère a été volontairement limité aux brebis perdues de la maison d'Israël (
Mt 15,24). Jésus était pleinement un homme de son temps et de son milieu juif palestinien du premier siècle, dont il a partagé les angoisses et les espérances" (notes de la Commission pontificale pour les relations avec le judaïsme, juin 1985, 111,12).

158 Son amour du Père et sa soif du salut des hommes, le témoignage à rendre à la Vérité tout entière sur Dieu et sur l'homme sont le sens de sa vie (cf. Jn 18,37). Enfin, sa mort, qu'il affronte en homme qui accomplit sa destinée personnelle, donne un ultime témoignage de sa condition humaine: rien de feint dans l'angoisse de l'agonie, rien de fictif dans les souffrances. Il est vraiment homme, broyé par la souffrance et la mort (cf. Is 53). La lettre aux Hébreux pourra dire: Il "n'est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses; en toutes choses, il a connu l'épreuve comme nous, et il n'a pas péché" (He 4,15).

Quand on dit que Jésus a vécu comme un homme, cela ne signifie -pas qu'il était simplement un homme parmi d'autres. Son comportement, ses relations, le rayonnement de sa personnalité manifestaient qu'il était homme d'une manière unique. Alors même que les témoins ne pouvaient encore saisir le mystère personnel de Jésus, la rencontre avec lui suscitait l'interrogation: "N'est-il pas le fils du charpentier?" (Mt 13,55).

Le nom d'homme a été donné à Jésus dans les évangiles (cf. Mc 14,71 Mc 15,39 etc.). Pilate le présentera à la foule en disant simplement: "Voici l'homme" Jn 19,5) et Saint Jean y verra l'homme par excellence, celui qui représente et récapitule toute l'humanité.


Le baptême de Jésus

159 Les évangiles font commencer la vie publique de Jésus au moment où la prédication de Jean Baptiste annonce la prédication de celui dont il est le précurseur. "L'an quinze du règne de l'empereur Tibre, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Erode, prince de Galilée, (...) la Parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, fils de Zacharie. Il parcourut toute la région du Jourdain. Il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés" (Lc 3,1-3). Au terme de la lignée des prophètes, Jean Baptiste prépare la venue de Jésus en ouvrant les coeurs.

Lors du baptême demandé à Jean par Jésus, est révélée la mission messianique que le Père donne à son Fils. La scène du baptême de Jésus rappelle la vision inaugurale qui, dans l'Ancien Testament, constituait l'envoi en mission du prophète. Comme dans les manifestations divines de l'Ancien Testament, Dieu parle, authentifiant la mission de son Fils, attestant l'autorité de sa Parole, dévoilant son identité. Ce que Jésus était depuis sa conception est maintenant révélé au monde. Dans cette parole de révélation, le mystère trinitaire de Dieu, Père, Fils et Esprit est présent. Dans cet épisode, c'est la totalité de l'Evangile qui retentit. Les disciples ne cessent ensuite d'en découvrir la vérité profonde.

160 Jésus est venu "accomplir parfaitement ce qui est juste" (Mt 3,15). En recevant un baptême qui était un geste de pénitence, lui qui était sans péché s'est rangé aux côtés des pécheurs dans un acte prophétique qui indique déjà tout le sens de sa mission: appeler et sauver les pécheurs. L'Église, par la suite, a compris que Jésus était venu sanctifier le rite du baptême et lui donner, grâce a son baptême de sang (cf. Mc 10,38 Lc 12,50), c'est-à-dire sa passion et sa mort, et grâce à sa résurrection, sa valeur de salut pour l'humanité. La présence de l'Esprit Saint au baptême de Jésus doit être soulignée. Tout le ministère de Jésus se trouve, en effet, placé sous le signe de cette présence. Jésus lui-même, à la synagogue de Nazareth, se référera à l'Esprit qui s'est manifesté à son baptême quand il s'appliquera la prophétie d'Isaïe: "L'Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres" (Lc 4,18). L'Évangile selon Saint Jean rapporte de son côté les paroles de Jean Baptiste: "J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer en lui. je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit: L'homme sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est celui-là qui baptise dans l'Esprit Saint" (Jn 1,32-33).


Les tentations de Jésus au désert

161 Après son baptême, Jésus est conduit au désert par l'Esprit (cf. Lc 4,1). Il y connaîtra la tentation. Cette tentation a directement rapport à la mission qu'il a reçue et qui a été révélée au bord du Jourdain. Selon Matthieu et Luc, Jésus passe dans le désert quarante jours, qui symbolisent les quarante années que le peuple d'Israël a passées dans le désert du Sinaï.

La triple tentation de Jésus rappelle les tentations du peuple de Dieu pendant l'Exode et à l'entrée de la Terre promise. Récapitulant en lui l'histoire de son peuple, Jésus fait siennes les tentations qu'Israël a connues et qui sont fondamentalement celles de tout homme. Obéissant à la volonté du Père et s'appuyant sur l'Écriture, Jésus résiste sans faiblesse.

162 La tentation de Jésus est par excellence celle dont parle la Genèse: être "comme des dieux" (Gn 3,5); tentation de l'orgueil radical qui se fait jalousie de Dieu, désir de tout rapporter à soi, de ne pas dépendre de Dieu. Jésus, lui, étant Dieu, "n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu" (Ph 2,6). Ces rapprochements sont significatifs: Jésus vient guérir en nous la faiblesse qui succombe à la tentation, et l'orgueil, lèpre de notre liberté.

Le récit évangélique présente comme en condensé les choix que Jésus a dû faire pendant son ministère entre le chemin d'amour, de service, de pardon voulu par le Père et celui du pouvoir et du prestige. Ainsi Jésus résistera aux sollicitations des foules qui veulent le faire roi (cf. Jn 6,15) et repoussera l'apôtre Pierre qui veut écarter de lui les souffrances de la passion (cf. Mt 16,22-23).

Ces choix conduisent Jésus à la passion où il sera de nouveau affronté à la "domination des ténèbres" (Lc 22,53) et nous fera entrer dans sa victoire sur le mal.

163 Ces scènes de la tentation de Jésus peuvent nous étonner. Nous avons l'expérience que la tentation s'infiltre en nous par le biais d'une certaine complicité. Nous savons que nos meilleures actions peuvent être grevées d'un retour ambigu sur nous-mêmes. Qu'en a-t-il été pour Jésus? Il échappe au péché originel dont la séquelle en nous est le désordre intérieur ou le dérèglement du désir. Dans la perfection humaine de sa volonté libre, le Verbe fait chair ne peut pas pécher.

Jésus est, en effet, vraiment Dieu et vraiment homme. En lui, c'est le Fils de Dieu qui est homme. Puisque les actes de Jésus sont les actes humains du Verbe incarné, ils ne peuvent être marqués par le péché.

Jésus a vécu avec les hommes sans se laisser gagner par aucune complicité avec le péché qui ne cesse de proliférer parmi eux.

"Qui d'entre vous peut m'accuser de péché?" demande Jésus (
Jn 8,46). "Fils bien-aimé" du Père (cf. Mt 3,17), il accomplit parfaitement les deux grands commandements dans leur solidarité: "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit. (...) Tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Mt 22,37-39 cf. Mc 12,30-31).


L'annonce du règne de Dieu

164 Quand Jésus entre publiquement en scène, en Galilée, il dit: "Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle" (Mc 1,15).

Le même mot grec peut, en français, se traduire par Royaume. Règne évoque quelque chose de plus actif, souligne davantage l'exercice continué du pouvoir divin. C'est ce terme qui convient, par exemple, à la traduction du Notre Père: "Que ton Règne vienne!" Royaume évoque plutôt la situation effectivement créée par la venue du règne de Dieu, le régime ainsi institué. C'est le contexte qui recommande de choisir tantôt l'un, tantôt l'autre mot, ainsi que nous l'avons fait.


La réalisation du règne de Dieu

165 Cette prédication de Jésus est une invitation adressée à tous ceux qui l'écoutent. Le règne de Dieu annoncé par les prophètes (cf. par exemple Is 52,7 So 3,15 etc.) se présente comme l'instauration "d'un monde nouveau", parfaitement réconcilié, qui serait pénétré de l'amour et de la présence de Dieu, et où les hommes vivraient en frères. Ce monde nouveau se trouve d'abord donné en germe. Ce don est une réalité effective et de portée définitive, même si sa manifestation plénière est encore attendue. Le règne de Dieu est proche, parce que déjà mystérieusement présent du fait que Jésus est là, qu'il le proclame et le fait advenir.

L'appel à accueillir le règne de Dieu s'adresse à tous. Il se manifeste de manière exemplaire aux personnes que Jésus invite à entrer dans le groupe de ceux qui le suivent: "Il les appela. Aussitôt, laissant leur barque et leur père, ils le suivirent" (Mt 4,22). Tel est, pour les disciples, le choc de la rencontre qui suscite en eux une liberté et une vie nouvelles.


Le discours sur la montagne

166 Le "discours sur la montagne", dans l'évangile selon Saint Matthieu, commence par les "béatitudes" (cf. Mt 5,1-12) que Saint Luc rapporte en un autre contexte (cf. Lc 6,20-26) et de manière un peu différente. A travers ces formules de type sémitique exprimant un bonheur qui vient de Dieu, Jésus a proclamé le sens de sa venue. Avec lui vient le règne de Dieu, ami et défenseur des pauvres. Les béatitudes nous ont été transmises par les évangélistes comme l'expression de la compassion de Dieu envers les disciples de Jésus qui connaissent l'épreuve; aussi comme un appel à accueillir le règne de Dieu dans la liberté du coeur, comme une invitation à dépasser les égoïsmes avides et à nous ouvrir à une juste hiérarchie des valeurs.

La suite du discours sur la montagne (cf. Mt 5,13-7,29) exprime l'essentiel de ce que doit être une vie déterminée par la venue du règne de Dieu. Les grandes prescriptions de la loi ancienne sont portées à un degré nouveau d'exigence, qui entend supprimer toute distance entre l'attitude du coeur et les comportements pratiques, et rendre à l'homme son unité. Les grandes hères de l'existence humaine sont concernées: vie sociale, économique et politique; vie affective, conjugale et familiale; vie religieuse. En tous ces domaines, Jésus propose un ordre de justice et 'de charité. Telle est bien, telle devrait être la vérité de l'homme, pour le bonheur de chacun dans un monde réconcilié.

Comment faire découvrir aux hommes cette vérité qui tendrait sens à leur vie?

D'abord par la prière, expression de la foi. Car la relation à Dieu habite ces grandes sphères de l'existence humaine selon la présentation qu'en fait Jésus. C'est pourquoi Matthieu inscrit dans ce discours l'enseignement du Notre Père, prière filiale qui reconnaît que le Règne ne peut être qu'un don de Dieu.

167 Tout cela, pourtant, pourrait paraître utopie, rêve irréalisable. De fait, ce sont les pécheurs que Jésus appelle au Royaume, en sa phase terrestre: "Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades" (Mt 9,12). Mais le discours sur la montagne est déjà vécu, ici et maintenant, par Jésus lui-même. Car l'homme des béatitudes, c'est lui, "doux et humble de coeur" (Mt 11,29), pauvre par excellence, zélé pour accomplir toute justice, miséricordieux avec les pécheurs, persécuté enfin pour la justice jusqu'à la mort. Le règne de Dieu est déjà là, parce que Jésus vit ainsi.

Il est dès lors important de prêter attention à la manière dont Jésus a vécu, à ce qu'il a fait pendant son ministère. Il a pu heurter ses contemporains, mais cela était inévitable, dans la mesure où les exigences du règne de Dieu sont incompatibles avec l'esprit d'un monde pécheur.

Pour témoigner du Royaume, Jésus a constitué un groupe de disciples, venus d'horizons très divers, et qu'il a ouvert à des femmes. Parce qu'il est venu sauver ce qui était perdu, il est entré en relation avec des publicains, il est allé manger chez Zachée, publicain lui-même, il a pardonné à la femme adultère et au malfaiteur sur la croix.


Les paraboles

168 Les paraboles constituent l'autre volet de l'enseignement de Jésus, qui choisit cette pédagogie parce qu'elle respecte la liberté de l'auditeur, tout en faisant appel à ce qu'il y a de plus profond en l'homme (cf. Mt 13,10-17 Mc 4,10-12 Lc 8,9-10).

Ne pas entendre la parabole, c'est ne pas vouloir la lumière; la comprendre, c'est déjà se convertir au monde nouveau du règne de Dieu. Entrer à fond dans le jeu de la parabole, c'est accepter sur son existence la lumière miséricordieuse de la vérité, c'est s'engager avec Jésus à faire la vérité en soi.

Mais les paraboles annoncent aussi la vérité de l'événement de Jésus. Elles disent: attention! Voici ce qui est en train de se passer! Voici l'initiative inouïe de Dieu pour le salut des hommes! C'est le moment où tout va se jouer! Le semeur de la parabole, c'est Jésus (cf. Mt 13,38); il a vis-à-vis des pécheurs l'attitude même de son Père, évoquée dans la parabole du fils perdu et retrouvé (cf. Lc 15,11-32). La parabole des vignerons homicides laisse transparaître le drame qui est en train de se nouer entre Jésus et son peuple (cf. Mt 21,33-46). Non seulement Jésus raconte des paraboles, mais toute son existence est comme une grande parabole du règne de Dieu présent en lui.


Les signes du Royaume: les miracles

169 Du règne de Dieu dont il annonce la venue Jésus multiplie les signes, qui authentifient et illustrent sa parole, tandis que celle-ci en développe le sens.

Les récits de miracles constituent une part importante des évangiles. Sans eux les évangiles ne seraient plus ce qu'ils sont, car sans eux on ne connaîtrait plus l'oeuvre de Jésus et donc, non plus, dans toute sa réalité, Jésus lui-même.

Les miracles sont des oeuvres étonnantes, accomplies par Jésus, attestant son pouvoir divin et, indissociablement, le sens de son oeuvre.

Devant ces miracles, les foules, racontent les évangiles, s'étonnent et s'émerveillent (cf.
Mt 8,27 Mt 9,33 etc.); elles sont saisies d'effroi, comme devant la manifestation de ce qui dépasse l'homme (cf. Mt 9,8 Lc 5,9 etc.).

170 Cependant, les miracles accomplis par Jésus ne sont pas destinés seulement à étonner, mais aussi et d'abord à instruire. Ils sont inséparables de sa parole. Jésus sait qu'il n'est pas le seul à accomplir de l'extraordinaire. Il existe de faux "signes" et de faux "prodige", comme il y a, et comme il y aura toujours, de "faux prophètes" (cf. Mc 13,22). Aussi Jésus préfère que certains de ses miracles ne soient pas divulgués, dans la crainte de les voir recevoir une fausse interprétation (cf. Mc 1,34 Mc 1,44 Mc 5,43 etc.).

Les miracles de Jésus sont vraiment compris comme des signes (cf. Jn 2,11 Jn 3,2 Jn 6,29-30) de sa divinité, si l'on perçoit le lien et la cohérence entre les actes étonnants qu'ils constituent et l'ensemble de la vie et de l'enseignement de celui qui les accomplit.

Ainsi Pascal peut-il écrire que "les miracles discernent la doctrine, et la doctrine discerne les miracles".

C'est à cette cohérence que Jésus renvoie quand il ramène tous les signes qu'il a pu donner au seul signe décisif: celui de Jonas, c'est-à-dire celui de sa propre personne dans sa résurrection (cf. Mt 12,38-42).

En accomplissant ses différents miracles, Jésus se révèle comme le Serviteur annoncé par les prophètes. Exorcismes et guérisons sont réalisés pour que s'accomplisse "la parole prononcée par le prophète Isaïe: Il a pris nos souffrances, il a porté nos maladies" (Mt 8,17).

Les récits évangéliques de miracles sont ainsi radicalement différents de ceux que l'on trouve dans les évangiles apocryphes, où le merveilleux a libre cours, détaché du message et de l'ensemble du sens que Jésus a donné à sa vie parmi les hommes. Les évangiles répondent à tout autre chose qu'au pur "merveilleux", en quête duquel beaucoup continuent de se mettre aujourd'hui, au sein même d'une civilisation hyperrationalisée.


Le salut des corps

171 Aux disciples de Jean Baptiste, venus lui demander s'il était bien "Celui qui doit venir", Jésus répond en évoquant les signes messianiques annoncés par les prophètes (cf. Is 35,5-6) et qu'il réalise lui-même: "Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent..." Mais il lie immédiatement cette énumération à son message: "... et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres" (Mt 11,2-6).

Cependant, si les gestes sont indissociables du message, celui-ci, inversement, trouve tout son poids dans les gestes qui l'accompagnent et qui en dévoilent le réalisme et l'ampleur. A cet égard, les guérisons, le salut des corps, font partie intégrante de l'Évangile. Dans les évangiles, la maladie est souvent le signe mystérieux du péché, la guérison corporelle est le signe du pardon. Mais cela ne supprime pas l'importance donnée au salut des corps. Les guérisons indiquent que le salut intéresse tout l'homme.

172 Le salut des corps apporté par Jésus est signifié jusque dans la mort. Les trois résurrections rapportées par l'Évangile (de la fille de Jaïre, du fils de la veuve de Naïm et de Lazare) sont un retour à la vie terrestre; elles nous annoncent que le salut de l'homme consiste en sa totale et définitive résurrection, qui le fera vivre, au-delà de la vie terrestre, avec le Christ ressuscité.

Par son attention portée aux corps, Jésus ne se manifeste pas seulement comme un prophète porteur d'un message pour les seuls esprits. Sa personne, et notamment son corps, ne fait qu'un avec son message. Le salut qu'il apporte se réalise dans son corps, et ce salut rejoint le corps malade des hommes.


Jésus, maître de la Création

173 D'autres récits de miracles, moins nombreux que les récits de guérisons, montrent Jésus agissant sur la nature environnante. Il marche sur les eaux pour rejoindre et rassurer les siens en proie aux dangers d'une mer déchaînée (cf Mc 6,45-52). Il apaise la tempête qui menace la vie des disciples terrorisés. "Qui est-il donc, s'exclament-ils, pour que même le vent et la mer lui obéissent?" (Mc 4,41).

En ces miracles, Jésus se manifeste comme le maître de la Création, et anticipe la réconciliation définitive de l'homme avec le cosmos. C'est, en effet, au bénéfice de l'homme que Jésus accomplit de tels signes, montrant que le Père sait ce dont l'homme a besoin (cf. Mt 6,32). Ainsi la multiplication des pains est-elle un don extraordinaire, qui révèle la bonté inépuisable de Dieu quand il répand ses bienfaits sur son peuple. Ainsi le miracle de la tempête apaisée réveille-t-il, alors même qu'ils se croient abandonnés, la foi des disciples.


Les exorcismes

174 Les désordres du monde, de la nature et de l'humanité, sont étroitement liés au péché. Non pas qu'il faille établir à chaque fois un rapport direct entre le péché et les différentes formes de malheur. Jésus lui-même s'y oppose dans la scène de la guérison de aveugle-né (cf. Jn 9,2-3). Il serait néanmoins erroné de faire du mal et de la souffrance quelque chose de simplement "naturel". Le monde et les hommes sont aussi sous l'emprise d'esprits mauvais qui s'enchaînent, brouillent leurs relations, les déchirent intérieurement et jusque dans leur corps.

Un des signes de la venue du règne de Dieu est la libération, opérée par Jésus, de ces esprits dévastateurs. "Si c'est par le doigt de Dieu que j'expulse les démons, déclare-t-il, c'est que le règne de Dieu est survenu pour vous" (Lc 11,20).

Qu'il s'agisse du démoniaque de la synagogue de Capharnaüm (cf. Mc 1,23-27), du possédé de Gérasa (cf. Mc 5,1-20), de la fille de la Syro-Phénicienne (cf. Mc 7,25-30), de l'enfant épileptique (cf. Mc 9,14-29), ou du démoniaque muet (cf. Mt 12,22) et toujours le rétablissement de l'homme dans son intégrité, dans sa liberté et dans sa dignité, exprime la venue du règne de Dieu.


La multiplication des pains

175 Jésus vient s'asseoir à la table des hommes (cf. Mc 1,31 Jn 2,2). Le partage des repas avec les pécheurs, en particulier, est un signe de la venue du Règne (cf. Mt 9,10). En agissant ainsi, Jésus fait lui-même ce qu'il enseigne: il vit la béatitude des miséricordieux.

Le partage du pain entre Jésus et les pécheurs prend une dimension nouvelle quand il les invite à sa propre table. Les multiplications des pains constituent un des sommets de la prédication de Jésus en Galilée, si l'on est attentif à la place qu'elles tiennent chez les quatre évangélistes et à leur lien avec l'annonce de la Parole.

Dans l'évangile selon Saint Jean, la multiplication des pains est immédiatement suivie du discours de Jésus sur le Pain de Vie: Jésus y souligne que sa Parole est "esprit et vie" (Jn 6,63) et que sa chair "est la vraie nourriture" (Jn 6,55) des hommes. Parole de Dieu, Jésus fait de son corps, dans l'eucharistie, le Pain de Vie de l'humanité.


Les signes du Royaume: l'accomplissement des prophéties

176 A côté des miracles, l'accomplissement des prophéties représente un des grands signes de la venue du règne de Dieu.

Non pas que Jésus se soit contenté de réaliser servilement un programme clairement tracé d'avance par la voix ou la plume des prophètes de l'Ancien Testament. Personne n'est plus libre que lui. Aucune action n'est porteuse d'une nouveauté égale à la sienne. Sans doute, les évangiles, et Jésus le premier, peuvent relever un certain nombre de paroles prononcées par les prophètes qui trouvent en lui, ou dans tel ou tel de ses gestes, leur accomplissement (cf.
Mt 8,17 Mt 12,17-18 etc.). Mais c'est surtout la totalité de l'Ancien Testament qui l'annonce et qui trouve dans sa personne, dans sa parole, dans son action, et tout particulièrement dans sa passion et sa résurrection, son parfait accomplissement. Telle est la leçon que, ressuscité, Jésus donne lui-même aux pèlerins d'Emmaüs: "Vous n'avez donc pas compris! Comme votre coeur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes! Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire?" Il se fait lui-même, comme il est en réalité dans tout son être, l'interprète de ces Écritures qu'il est venu accomplir: "Et, en partant de Moïse et de tous les prophètes, il leur expliqua, dans toute l'Écriture, ce qui le concernait" (Lc 24,25-27).

177 En accomplissant les prophéties, Jésus réalise en perfection la volonté du Père. Mais, ce faisant, il réalise aussi parfaitement sa propre volonté, car le Père et lui ne font qu'un (cf Jn 10,30). La réalisation de la volonté du Père est sa "nourriture" (cf Jn 4,34), le principe de sa vie, et donc aussi celui de sa liberté, souveraine.

Jésus fait si parfaitement un avec le Père et son dessein de salut qu'il peut lui-même annoncer prophétiquement l'accomplissement de ce dessein. La nécessité, manifestée dans les nombreux "il faut" ou "il fallait" des évangiles (cf. Lc 2,49 Lc 9,22 Jn 9,4 etc.) va alors, paradoxalement, de pair avec la plus personnelle des décisions. "Ma vie, déclare Jésus, (...) j'ai le pouvoir de la donner, et le pouvoir de la reprendre: voilà le commandement que j'ai reçu de mon Père" (Jn 10,17-18).

L'accomplissement fidèle des Écritures prophétiques est de fait, un accomplissement éminemment créateur. En accomplissant les prophéties, Jésus leur donne proprement leur sens. Et c'est toujours en lui qu'on devra le retrouver.

A côté des miracles, en lien avec eux, et dans les mêmes perspectives, l'accomplissement des prophéties par et en Jésus est ainsi l'un des plus puissants motifs de crédibilité de la foi chrétienne (concile Vatican I, cf. DS 3009 FC 91).



Catéchisme France 150