Catéchisme France 233

Le mystère pascal, sommet de la révélation trinitaire

233 Toute la vie et la mission de Jésus, depuis sa conception par le Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie, se déroulent à l'intérieur de sa relation au Père dans l'Esprit. Mais c'est dans le mystère de sa mort et de sa résurrection, et dans le don de l'Esprit Saint à la Pentecôte, que les relations qui unissent les trois personnes divines, en même temps que leurs relations avec les hommes, se révèlent et s'expriment de manière définitive.

Dans sa passion Jésus se révèle plus que jamais le Fils. Sa nourriture, on pourrait dire sa vie elle-même, a toujours été de faire la volonté de celui qui l'a envoyé (cf.
Jn 4,34). Sa prière est la respiration de sa vie. Dans sa passion et jusqu'à la mort en croix inclusivement il donne tout au Père, il se remet totalement à lui: il lui remet son "esprit" (Lc 23,46 Jn 19,30).

A la résurrection, le Père se manifeste comme celui qui donne la vie au Fils. Il est celui qui déjà lui disait: "C'est toi mon Fils. Moi aujourd'hui, je t'ai engendré" (Lc 3,22 cf. Ps 2,7).

234 Entre le Père et le Fils il y a donc un échange total d'amour donné et rendu. L'un comme l'autre peuvent dire: "Tout ce qui est à moi est à toi" (Jn 17,10). De l'unité entre le Père et le Fils, le fruit éternel c'est l'Esprit, l'Esprit que le Père donne éternellement à son Fils, et qui repose sur Jésus, Verbe incarné, depuis sa conception et son baptême jusqu'à sa résurrection pour qu'il le répande sur nous (cf Ac 2,33). Ce même Esprit, le Fils le retourne au Père dans un mouvement incessant, en même temps qu'il nous le donne. Déjà au soir de sa résurrection, Jésus répand son souffle sur les disciples et leur dit: "Recevez l'Esprit Saint" (Jn 20,22). Le jour de la Pentecôte, la communauté des disciples rassemblés au cénacle reçoit l'effusion de l'Esprit de manière spectaculaire. Il en sera de même pour les païens (cf Ac 10,44-48). Enfin, ceux qui reçoivent le baptême au nom de Jésus pour le pardon de leurs péchés reçoivent aussi le don du Saint-Esprit (cf. Ac 2,38).


Un seul Dieu, mais trois personnes divines

235 La révélation chrétienne de Dieu comporte un paradoxe. Il n'y a qu'un seul Dieu et le monothéisme de l'Ancien Testament est fidèlement maintenu. Ce Dieu se manifeste comme le Père qui a un Fils, avec lequel il est en relation dans l'unité d'un même Esprit. Non pas trois dieux, mais un seul Dieu en trois personnes, auxquelles l'Écriture donne trois noms divins, en les distinguant avec précision: Père, Fils et Saint-Esprit, qui accomplissent, dans cette communion divine, un même salut pour les hommes.

Déjà la première annonce faite par Pierre le jour de la Pentecôte est marquée par cette présence trinitaire: Dieu (le Père) a accrédité Jésus qui a répandu l'Esprit (cf.
Ac 2,22-36). De même Saint Paul unit les trois personnes divines en les distinguant de tout l'univers créé. "Les dons de la grâce sont variés, mais c'est toujours le même Esprit. Les fonctions dans l'Église sont variées, mais c'est toujours le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c'est toujours le même Dieu qui agit en tous" (1Co 12,4-7). Ou encore: "Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il n'y a qu'un seul Corps et un seul Esprit. Il n'y a qu'un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui règne au-dessus de tous, par tous, et en tous" (Ep 4,4-6).

L'invocation du nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit qui conclut l'évangile de Matthieu (cf. Mt 28,19) comporte un ordre: car tout vient du Père, tout arrive par le Fils et s'achève dans l'Esprit. Réciproquement, recevant le don de l'Esprit, nous sommes associés au Fils qui nous fait monter vers le Père. Mais cet ordre ne signifie pas que le Fils et l'Esprit soient inférieurs au Père.


La Trinité à l'oeuvre pour notre salut révèle la Trinité éternelle

236 Pour entrer en vérité dans le mystère de la Trinité, il faut toujours partir de la révélation biblique, qui nous la montre à l'oeuvre dans l'histoire pour notre salut. Mais l'Église a toujours compris que Dieu se révèle à nous tel qu'il est en lui-même. A quoi bon parler d'une action du Père, du Fils et de l'Esprit si, par là, rien ne nous est révélé du mystère même de Dieu? La révélation trinitaire ne serait alors qu'un faux-semblant. Déjà l'évangile selon Saint Jean emploie des expressions sur les relations intimes du Père et du Fils, qui dépassent ce qui concerne notre salut. Le Fils est le Verbe qui était au commencement auprès de Dieu (cf. Jn 1,1). De même Jésus affirme qu'il est dans le Père et que le Père est en lui (cf. Jn 14,11). Ou encore, l'Esprit recevra du Fils ce qu'il communique aux hommes (cf. Jn 16,14).

Ainsi, selon l'Ecriture, les relations qui unissent le Père, le Fils et l'Esprit dans la réalisation de notre salut révèlent les relations qui les unissent dans leur vie éternelle. Le Père est Père depuis toujours et n'est que Père; le Fils est éternellement engendré par le Père et de même nature que lui ("consubstantiel"), comme le définissent les conciles de Nicée en 325 et de Constantinople en 381, et comme le dit encore aujourd'hui le Credo.

237 De même l'Esprit n'est pas une créature du Fils: "Il est Seigneur et il donne la vie: avec le Père et le Fils il reçoit même adoration et même gloire, il procède du Père": telle est la séquence du 3e article du Symbole de Nicée-Constantinople, définie en 381, contre ceux qui faisaient de l'Esprit une créature.

Plus tard, l'Église latine ajoutera à cette séquence l'affirmation que l'Esprit procède du Père "et du Fils", afin de souligner la relation propre de l'Esprit à l'unité d'amour du Père et du Fils. Cet ajout se fera sans l'accord de l'Église d'Orient et deviendra malheureusement une pierre d'achoppement entre les deux "poumons de l'Église" (Jean-Paul II): l'Orient disant que l'Esprit procède "du Père par le Fils" et l'Occident qu'il procède "du Père et du Fils". Il n'y a pas ici divergence dans la foi, mais différence dans la manière de rendre compte d'un mystère qui reste mystère.

Enfin, pour désigner pareillement le Père, le Fils et l'Esprit qui ne font pas trois dieux, la Tradition de l'Église a élaboré le terme de personne en le distinguant de celui de nature. Chacune des personnes est constituée par la relation spécifique qui l'unit aux autres. Mais les personnes s'inscrivent dans l'unité de la même nature divine et ne la multiplient pas. Simplement, chaque personne a une place et un rôle originaux dans l'éternel mouvement d'échange, de don et de retour qui habite la même nature. Le dogme de la Trinité se résume donc dans la formule: trois personnes égales et distinctes en une seule nature.


Les hommes appelés à participer au mystère trinitaire

238 Le Dieu Trinité se révèle pour se communiquer. Dieu nous introduit dans sa propre vie de communion. L'amour est la raison essentielle et l'accomplissement total de nos existences d'hommes. Tel est le salut. Dieu le Père engendre son Fils qui, en prenant chair de la Vierge Marie, lui permet de se donner des fils; il envoie aussi l'Esprit d'amour pour nous faire vivre de sa propre vie. Par le baptême, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, nous devenons fils adoptifs du Père (cf. Rm 8,15), frères du Fils (cf. Rm 8,29) et temples de l'Esprit (cf. 1Co 6,19). Ce qui vaut de chacun d'entre nous vaut pour l'Église tout entière, "peuple qui tire son unité de l'unité du Père, et du Fils et de l'Esprit Saint" (LG 4, citant Saint Cyprien). C'est pourquoi la liturgie fait remonter sa prière dans l'Esprit, par le Fils, vers le Père.



Le mystère de Jésus dans la Tradition de l'Eglise

239 "A la suite des Saints Pères, nous enseignons donc tous unanimement à confesser un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ, le même parfait en divinité et parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme, composé d'une âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel à nous selon l'humanité, en tout semblable à nous sauf en péché" (He 4,15). Avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et né en ces derniers jours, né pour nous et pour notre salut, de Marie, la Vierge, mère de Dieu, selon l'humanité. Un seul et même Christ Seigneur, Fils unique, que nous devons reconnaître deux natures, sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation. La différence des natures n'est nullement supprimée par leur union, mais plutôt les propriétés de chacune sont sauvegardées et réunies en une seule personne et une seule hypostase. Il n'est ni partagé ni divisé en deux personnes, mais il est un seul et même Fils unique, Dieu Verbe, Seigneur Jésus Christ, comme autrefois les prophètes nous l'ont enseigné de lui, comme lui-même Jésus Christ nous l'a enseigne, comme le Symbole des apôtres nous l'a fait connaître" (concile de Chalcédoine, DS 301-313).

240 C'est en 451, au concile oecuménique de Chalcédoine qu'a été ainsi ex rimée la foi de l'Église sur Jésus, Fils de Dieu fait homme. En même temps, en effet, qu'elle continuait à sonder les profondeurs du mystère intime de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, l'Église était amenée à préciser toujours davantage l'identité du Christ, son Seigneur.

Elle y était provoquée aussi par le passage d'un christianisme exprimé dans des mots venant de la tradition juive à un christianisme qui se vivait désormais dans un monde culturel grec. Ce passage allait poser des questions de traduction et d'interprétation des affirmations fondamentales. En même temps, la raison des hommes, devant le paradoxe d'un Dieu fait homme, allait multiplier les objections en essayant de rendre plus facilement compréhensible ce mystère, mais en courant le risque de trahir la véritable identité du Christ et de son oeuvre de salut.


Vrai homme

241 Pour les disciples, nous l'avons vu, l'humanité de Jésus est une évidence. Il n'en va plus de même par la suite: des chrétiens, habitués à contempler le Christ dans sa gloire ou subissant des influences philosophiques qui développent le mépris du corps, éprouvent de la répugnance à admettre que la divinité ait pu s'unir un corps.

Ces tendances peuvent se retrouver aujourd'hui dans certaines formes de spiritualisation de la foi qui ne donnent pas au corporel et donc à l'Incarnation toute son importance.

Dès les premiers siècles, on en est venu, ici ou là, à penser que le Christ n'avait pris qu'une apparence d'humanité et qu'il n'avait pas pu souffrir en croix. Contre cette hérésie, l'Église a réagi avec fermeté, soulignant de manière très réaliste la condition charnelle de Jésus. Si Jésus n'est pas un homme comme chacun d'entre nous, alors ce n'est pas nous qu'il peut sauver, ce n'est pas notre souffrance qu'il partage, ce n'est pas de notre péché qu'il peut nous libérer. Et tous les sacrements, en particulier l'eucharistie, sont alors vides de contenu.

La réaction de la foi ecclésiale a été la même quand, plus tard, au quatrième siècle, un certain Apollinaire en est venu à nier l'existence en Jésus d'une âme vraiment humaine, capable d'exercer humainement sa liberté. Comment, en effet, celui qui n'aurait pas assumé une liberté vraiment humaine pourrait-il libérer notre liberté?


Vrai Dieu

242 La contestation se retourne alors du côté de la divinité de Jésus. Si Dieu est unique, comment peut-on concevoir que Jésus est Dieu?.

Arius, au quatrième siècle, résout le problème en disant qu'un Dieu-Fils ne peut être qu'un Dieu engendré à un certain moment, donc un Dieu qui n'est pas co-éternel au Père, un Dieu en fait créé et, de par sa nature, inférieur au Père. D'ailleurs est-il tolérable de penser qu'un vrai Dieu ait pu souffrir les humiliations de la passion?

Cette fois encore l'Église réagit avec une extrême vigueur, nom de l'Écriture qui a toujours refusé d'imposer une limite à l'affirmation de la divinité du Christ. Comment, en effet, celui qui serait pas lui-même vrai Dieu serait-il capable de nous communiquer la vie même de Dieu? C'est pourquoi le concile de Nicée, ayant établi que le Fils est consubstantiel au Père, permet d'affirmer que Jésus est Dieu. Le premier concile de Constantinople (en 381) précisera "vrai Dieu, né du vrai Dieu", expression que l'on retrouve dans le Credo.


L'unité du Christ

243 Maintenant qu'il a été clairement formulé que Jésus est homme et vrai Dieu, la contestation se porte sur le mode d'unité qui existe entre la divinité et l'humanité du Christ. Pour dépasser le de la raison devant le paradoxe de l'Incarnation, on a cherché à mettre une certaine distance entre la divinité du Verbe et son humanité. Le Verbe habiterait l'homme Jésus comme un dieu habite son temple.

Nestorius (vers 428) ne veut pas que les événements arrivés à Jésus selon son humanité soient attribués au Verbe de Dieu. Mais si Nestorius avait raison, il ne serait plus vrai de dire, avec l'évangile selon Saint Jean, que "le Verbe s'est fait chair" (
Jn 1,14) et, avec Paul, que "le Seigneur de gloire" (1Co 2,8) a été crucifié.

Aussi le concile d'Éphèse (431) proclame que l'union de la divinité et de l'humanité dans le Christ se fait à l'intérieur de l'unique personne du Verbe (union dite "hypostatique" en vocabulaire technique). C'est pourquoi Marie, mère du Christ, peut être réellement dite Mère de Dieu.

244 De nouveaux débats ayant été soulevés concernant alors le maintien de la pleine humanité du Christ dans l'unité de la personne, le concile de Chalcédoine (451) promulgue une célèbre formule que l'on peut résumer en ces termes: c'est le même Christ, Verbe, Fils de Dieu, qui est à la fois vrai Dieu et vrai homme; les deux natures, la nature humaine et la nature divine, se rencontrent dans l'unique personne divine de Jésus. L'expression peut paraître abstraite, mais son sens est réel et fondamental: il vient préciser comment cet unique Jésus Christ, qui a accompli notre salut, est à la fois vraiment Dieu et vraiment homme.

Comme pour les autres éléments de la réalité de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, la question de la conscience de Jésus doit être abordée dans les perspectives tracées par le pape Saint Léon dans sa lettre à Flavien (449), lettre dont les arguments sont repris par le III concile de Constantinople (681): "La génération singulièrement admirable et admirablement singulière (du Fils de Marie) n'est pas à comprendre comme si la nouveauté de cette création avait fait disparaître les conditions de notre race" (
DS 292 FC 308)

245 Le Nouveau Testament ne laisse planer aucun doute sur la conscience qu'a toujours eue Jésus de se recevoir tout entier de Dieu son Père, de ne faire qu'un avec lui et donc d'être le Fils unique de Dieu, et en ce sens, d'être lui-même Dieu.

De la même façon, il connaissait le but de sa mission, avec ce qu'elle comportait, son sacrifice "pour que les hommes aient la vie" (
Jn 10,10).

Mais Jésus avait une conscience humaine de sa divinité et de ce qu'elle impliquait pour sa mission. Dans sa traduction réfléchie, cette conscience participait des conditionnements de toute conscience humaine: elle passait par les mots disponibles de la langue et prenait appui sur les choses, les situations ou les événements rencontrés. Ainsi a-t-elle pu connaître, sur ce plan, un développement, conformément à ce que Saint Luc déclare de la croissance de Jésus, non seulement en taille, mais aussi "en sagesse" et "en grâce" (Lc 2,52). L'expérience devait donc aussi, pour l'homme qu'il était, jouer le rôle qui lui revient dans la connaissance des choses qui relèvent précisément de l'expérience.


Jésus Christ sauveur

246 En traitant de l'identité du Christ, vrai Dieu et vrai homme, en rappelant sa vie et son oeuvre parmi les hommes, en recevant le témoignage des apôtres sur sa mort et sa résurrection, nous parlions déjà du salut. Non seulement, en effet l'itinéraire de Jésus est ordonné à notre salut, mais Jésus lui-même est, dans sa personne, notre Sauveur et notre Salut. Il convient cependant de s'arrêter davantage sur cette donnée centrale de notre foi, d'autant plus qu'elle est loin aujourd'hui d'être toujours entendue et comprise.


Dieu qui sauve, un homme en attente de salut

247 Le Dieu d'Israël est un Dieu sauveur. Le Dieu qui créa l'univers, c'est lui qui se présente à Moïse: "La clameur des fils est parvenue jusqu'à moi et j'ai vu l'oppression que leur font subir les Égyptiens. Tu feras sortir d'Égypte mon peuple" (Ex 3,9-10). C'est de ce même Dieu que parle le prophète Isaïe "Ton Époux, c'est ton Créateur (...). Ton Rédempteur, c'est le Dieu Saint d'Israël. (...) Dans mon amour éternel j'ai pitié de toi, dit Seigneur, ton Rédempteur" (Is 54,5-8).

Quand, au seuil de l'Évangile, est annoncée la venue du Messie attendu, il reçoit le nom de Jésus, dont l'étymologie est "Yahvé sauve." En effet, "son nom, donné aux hommes, est le seul qui puisse nous sauver" (Ac 4,12). Ainsi, tout au long de l'Écriture, pour faire alliance avec l'homme, Dieu le sauve, le délivre, le rachète.

248 L'homme a-t-il donc besoin d'être sauvé? L'homme d'aujourd'hui en a-t-il encore besoin? Sauvé de quoi? Se pose-t-il encore de telles questions?

Pourtant nous sommes habités, bon gré mal gré, par le désir du bonheur, par celui de donner un sens à notre existence et de la réussir. C'est le désir de vivre, pleinement et toujours, dans une "qualité de vie", qui comporte la joie d'aimer et d'être aimé. Ce désir est absolu et il est la marque en "creux" de notre vocation. Car nous avons été créés à l'image et à la ressemblance de Dieu, dans le dessein de le voir et de communier éternellement à sa propre vie, dans une vie de ressuscités avec le Christ. Qu'il en ait ou non conscience, l'homme a faim de Dieu pour se réaliser pleinement lui-même.


L'incapacité de l'homme à réaliser son salut

249 Les hommes sont contredits dans leur désir, non seulement parce que Dieu, qui seul pourrait combler leurs désirs, demeure inaccessible à leurs propres forces, mais aussi parce qu'ils rencontrent toujours l'échéance de la mort et le risque constant de la maladie et de la souffrance. De même, ils font l'expérience de la division qui existe entre eux et la nature (travail comportant de la "peine", désastres écologiques...). De plus, la division règne entre eux, qu'il s'agisse de la famille, des structures économiques et sociales ou de la vie politique et internationale. Enfin, chacun se trouve divisé en lui-même: "Ce qui est à ma portée, écrivait Saint Paul à propos de l'homme dont la foi n'a pas transformé la vie, c'est d'avoir envie de faire le bien, mais pas de l'accomplir. je ne réalise pas le bien que je voudrais, mais je fais le mal que je ne voudrais pas" (Rm 7,18-19). Chacun découvre en soi une inclination au mal qui le fait trop souvent tomber dans le péché. De cette situation fondamentale, l'humanité ne peut sortir par ses seules forces.


Le salut, délivrance et plénitude de vie

250 Pour faire entendre à ce propos son message, la Bible se sert de deux images. La première est celle du retour à la santé de l'homme malade, menacé et vivant l'angoisse de la mort. Le salut, c'est alors la santé, la plénitude de la vie. C'est ainsi que Jésus, quand il guérit les malades les "sauve": le retour à la santé physique est le signe du salut total de la personne. La seconde image est celle de la libération de la servitude, soit celle de l'esclave, soit celle du peuple injustement condamné à un esclavage collectif. Ainsi la libération d'Égypte du peuple d'Israël, à travers le passage de la mer Rouge, est la figure permanente de la libération de tout mal, et l'entrée dans la Terre promise est déjà la préfiguration de l'entrée dans le royaume de Dieu pour une vie pleinement heureuse.

L'oeuvre salvifique de Jésus se situe directement dans ces perspectives. Dans la scène de la Transfiguration il parle de "l'exode qu'il va accomplir à Jérusalem" (cf
Lc 9,31). Il sera le véritable Agneau pascal dont, conformément au rituel, "aucun de ses os ne sera brisé" (Jn 19,36).

251 Ainsi le salut chrétien comporte dans son unité concrète deux aspects. C'est la délivrance de tout mal, du mal et de la souffrance qui nous atteignent de l'extérieur et auxquels nous ne pouvons rien, ou si peu, comme du mal qui vient de nous, le péché, avec sa conséquence dernière, la privation éternelle de Dieu. C'est, plus encore, le don de la vie, d'une vie éternelle qui a les traits du Royaume que Jésus est venu instaurer, d'une vie dans l'amour, la justice et la paix. Une telle vie ne peut venir que de Dieu. Elle est le fait de notre adoption filiale (cf. Rm 8,15-23 Ga 4,5) et nous fait participer à la nature divine" (cf. 2P 1,4) et à l'échange d'amour entre le Père et le Fils dans l'Esprit. Elle est déjà secrètement sente et donnée ici bas. Elle se manif estera pleinement et définitivement dans la gloire de Dieu.

Le salut est annoncé à toutes les pages du Nouveau Testament. C'est la Bonne Nouvelle, l'Evangile. Mais ce salut s'exprime en des formules multiples et variées qu'on ne résumerait pas sans risque.


Jésus Christ, l'unique médiateur

252 Pour rendre compte de la doctrine du salut, il existe cependant une perspective centrale. C'est la personne de Jésus, considéré dans son rôle de médiateur: "Il n'y a qu'un seul Dieu, il n'y a qu'un seul médiateur entre Dieu et les hommes: un homme, le Christ Jésus, qui s'est donné lui-même en rançon pour tous les hommes" (1Tm 2,5-6)

Le titre de médiateur précise, en effet, le rôle propre du Sauveur. Un médiateur est celui qui, par sa solidarité avec les deux parties en cause, est capable de leur permettre de "faire alliance", de se réconcilier et de vivre en communion. Ainsi Jésus est-il porteur de l'Alliance, proposée aux hommes par le Père, accueillie par eux dans la foi, célébrée dans l'eucharistie. Il est "le médiateur d'une Alliance nouvelle" (He 12,24).

Qui dit médiation dit échange et donc double mouvement: le mouvement de don qui va de Dieu à l'homme et le mouvement de réponse et d'offrande qui va de l'homme à Dieu. Le premier mouvement peut être dit "descendant" et le second "ascendant". Le propre du médiateur est, en effet, d'assumer en sa propre personne les deux côtés de l'échange. Jésus est d'abord du côté de Dieu qui se donne aux hommes, mais il est aussi du côté des hommes qui se donnent à Dieu. Selon ce premier mouvement on peut dire qu'en Jésus Dieu aime l'homme à en mourir; selon le second, en Jésus l'homme aime Dieu à en mourir. Les grandes expressions du mystère du salut attestées dans l'Écriture et la Tradition peuvent s'éclairer selon ces deux perspectives unies de manière parfaite dans l'oeuvre sacrificielle du Fils bien-aimé.

253 Le point de départ de l'affirmation du salut dans le Nouveau Testament se situe dans les expressions "pour nous", "pour vous", "pour la multitude". Jésus a vécu "pour nous"; il a institué l'eucharistie "pour nous" et il est mort "pour nous" (Rm 5,8 Ep 5,2 etc.); il "s'est donné lui-même en rançon pour tous les hommes" (1Tm 2,6).

Ce "pour nous" a un triple sens. D'abord il veut dire en notre faveur, car il s'agit d'une initiative bienveillante de l'amour de Dieu et de Jésus pour notre bien. Mais ce sens dominant implique aussi celui de à cause de c'est en raison de notre situation de pécheurs que le Christ a dû souffrir pour nous. Enfin, le "pour nous" signifie également que Jésus, solidaire des hommes pécheurs, sans l'être de leur péché, s'est offert à leur place, prenant sur lui la mort introduite dans le monde par le péché.

Ce "pour nous" se développe spontanément en un "pour nos péchés" (Ga 1,4 1Co 15,3 etc.), c'est-à-dire en raison de (cf. Rm 4,25), mais aussi pour nous libérer de nos péchés. Il s'explicite également en un "pour notre salut". C'est donc à bon droit que le Symbole de Nicée-Constantinople a commenté le "pour nous" de l'Écriture en lui ajoutant "et pour notre salut". Située au coeur du Credo, cette formule en résume toute l'intention.



Dans le Christ, Dieu s'approche des hommes pour les sauver

Le Christ vainqueur et rédempteur

254 Dans la Tradition de l'Église, l'oeuvre du Christ est dite de rédemption. Le mot ne fait guère partie du vocabulaire commun des hommes d'aujourd'hui. Dans celui de la Bible il renvoie à une pratique connue: celle de la rançon payée pour libérer un esclave, en le "rachetant". Le terme sert alors à caractériser plusieurs interventions décisives de Dieu en faveur des hommes, notamment la délivrance de l'esclavage d'Égypte, qui prélude à l'Alliance que ce même Dieu entendait conclure avec Israël.

Le terme est bien propre à désigner l'oeuvre du Christ, avec tout ensemble: ce qui lui en a "coûté", le sacrifice de sa vie; et ce qui en est résulté, la libération d'une humanité établie sous l'empire du péché et de la mort; la constitution, à partir de là, d'une "race choisie", d'un "sacerdoce royal", d'une "nation Sainte", d'un "peuple qui appartient à Dieu" (d'un peuple qu'il s'est "acquis") - l'Église, la communauté de la Nouvelle Alliance (cf.
1P 2,9).

La victoire de la croix a été onéreuse: elle a coûté le sang du Christ. "Ce qui vous a libérés de la vie sans but que vous meniez à la suite de vos pères, ce n'est pas l'or et l'argent, car ils seront détruits; c'est le sang précieux du Christ, l'Agneau sans défaut et sans tache" (1P 1,18-19). Dans l'Écriture, le sang c'est la vie même (cf Lv 17,11.14). C'est son sang que le Christ a versé pour que nous soyons sauvés. Notre vie, il la paie de la sienne quand il se livre aux hommes pécheurs et s'offre au Père par amour.


Le Christ libérateur

255 Saint Paul lie le thème du salut à celui de la liberté. Lui, l'observant rigoureux de la Loi, a été libéré par la grâce de Jésus Christ: "Ne suis-je pas libre? Ne suis-je pas apôtre? N'ai-je pas vu Jésus, notre Seigneur?" (1Co 9,1). C'est pourquoi il rappelle aux Galates: "Si le Christ nous a libérés, c'est pour que nous soyons vraiment libres. Alors tenez bon, et ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage. Vous avez été appelés à la liberté" (Ga 5,1 Ga 5,13).

Irénée, évêque de Lyon (deuxième siècle), aimera montrer que le salut des hommes passe par la conversion de leur liberté.

Dans son commentaire de la scène de la tentation de Jésus, il explique que, par sa résistance à l'adversaire, Jésus a détruit l'effet d'asservissement de la chute originelle. Le nouvel acte de liberté du Christ annule en quelque sorte le résultat de l'acte ancien de la liberté de l'homme. En donnant une issue contraire à la tentation, il renverse la situation et rend l'homme à sa liberté première.

Plus tard, Saint Augustin (354-430) fera l'expérience de cette libération intérieure de son être pécheur par la grâce du Christ et il deviendra le grand docteur de la grâce qui libère notre libre arbitre.

256 Le Christ libère "homme tout entier, corps et âme. L'homme n'est pas seulement un individu isolé. Il vit en société, dans l'histoire. Si le salut s'adresse à lui de manière personnelle, il ne s'adresse pas à lui de manière purement individuelle. Le salut concerne l'homme dans sa vie sociale: dans sa famille, mais aussi dans la cité, jusqu'au sein de la communauté nationale et internationale. Le salut chrétien se doit donc de donner des signes historiques et sociaux de sa réalité. Le croyant peut légitimement discerner dans les progrès de la justice et de la liberté parmi les hommes un signe et une ébauche du Royaume qui vient (cf. GS 39).

"Éclairée par l'Esprit du Seigneur, l'Église du Christ peut discerner dans les signes des temps ceux qui sont prometteurs de libération et ceux qui sont trompeurs et illusoires. Elle appelle l'homme et les sociétés à vaincre les situations de péché et d'injustice, et à établir les conditions d'une vraie liberté" (Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction sur la liberté chrétienne et la libération, 1986, no. 60).


Le Christ divinisateur

257 Par l'oeuvre de salut réalisée par le Christ, nous sommes mis en communion avec Dieu en devenant ses fils adoptifs. Le baptême, par excellence sacrement du salut, nous plonge dans la mort du Christ pour que, ensevelis avec lui pour mourir au péché, nous renaissions avec lui à une vie nouvelle pour Dieu (cf. Rm 6,4-8). Cette vie nouvelle n'est autre que l'entrée dans les relations d'amour des personnes divines.

"Il y a une certaine ressemblance entre l'union des personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l'amour" (GS 24).

C'est en étant, par la grâce de Dieu, élevé à participer à sa propre vie, que l'homme atteint la perfection de son humanité. En se communiquant lui-même à l'homme, Dieu le hausse au-delà de sa condition naturelle. "Telle est la raison pour laquelle le Verbe s'est fait homme et le Fils de Dieu, Fils de l'homme: c'est pour que l'homme, en se mélangeant au Verbe et en recevant ainsi la filiation adoptive, devienne fils de Dieu" (Saint Irénée, Contre les hérésies, III, 19, 1).


Le Christ "justice" de Dieu

258 Jésus a accompli toute justice en " s'ajustant " parfaitement, pourrait-on dire, à la volonté de Dieu son Père (cf. Mt 3,15).

Le mot biblique de "justice", qui indique la totale conformité aux vues de Dieu, ne doit pas être réduit au sens qu'il a dans son emploi courant.

Il a été persécuté pour la justice et reconnu comme un juste par le centurion au pied de la croix (cf. Lc 23,47). Mais sa justice personnelle était aussi une "justice pour nous", une justice qui condamne le péché, mais qui "justifie", c'est-à-dire qui rend juste le pécheur, en le rétablissant dans sa vraie relation à Dieu.

Saint Paul est le grand docteur de la justification du pécheur par la grâce du Christ, moyennant la foi en lui. Il a fait l'expérience personnelle de son incapacité à réaliser sa propre justice par les oeuvres de la Loi. Il a compris que nul ne peut dire de lui-même: "je suis juste", et que Dieu seul peut nous dire: "Tu es juste". "A cause de lui, j'ai tout perdu; je considère tout comme des balayures, en vue d'un seul avantage, le Christ, en qui Dieu me reconnaîtra comme juste. Cette justice ne vient pas de moi-même, c'est-à-dire de mon obéissance à la loi de Moïse, mais de la foi au Christ: c'est la justice qui vient de Dieu et qui est fondée sur la foi" (Ph 3,8-9).

L'expérience de Saint Augustin est analogue, à bien des égards, à celle de Saint Paul et se transforme, comme chez l'Apôtre, en doctrine de la souveraineté de la grâce justifiante du Christ. Tout notre salut vient de la grâce de Dieu et notre réponse de foi est elle-même un don de la grâce.

259 Justifiés par la grâce venue du Christ, nous n'en sommes pas moins sauvés librement. La grâce vient libérer notre liberté, pour lui permettre de répondre aux prévenances divines.

Ainsi l'amour des parents, qui guide leur action éducative, bien loin d'entraver la liberté de leurs enfants, les aide à se constituer progressivement en personnes libres, capables à leur tour d'aimer en vérité.

La grâce de Dieu, dans laquelle s'exprime son amour pour nous, libère l'homme des servitudes engendrées par le péché. Elle guérit notre liberté blessée. Elle la rend à elle-même pour nous permettre d'aimer Dieu et nos frères en vérité. Dans ce jeu intérieur de la grâce et de la liberté, tout vient de Dieu, mais s'opère réellement au coeur de l'homme.

La question de la grâce et de la liberté fut au premier plan des débats doctrinaux au temps de la Réforme. Le concile de Trente (1545-1563) clarifie les choses. Il souligne la priorité absolue de la grâce, mais montre que la réponse de la liberté de l'homme est exigée, tout simplement parce qu'elle est donnée. La coopération de l'homme à son salut, tout en étant un don de la grâce, demeure un acte de sa liberté. L'homme consent au salut dans l'amour qu'il professe et vit. "Celui qui t'a créé sans toi ne te sauvera pas sans toi" (Saint Augustin).


Catéchisme France 233