Histoire des Conciles - douzième concile oecuménique


Concile de Lyon I - 1245 -

treizième concile oecuménique

(tome I, colonnes 1185 à 1194)


LYON (Ier Concile général de), l'an 1245. En se rendant en France, ce n'était pas seulement un abri contre Frédéric que le pape Innocent IV avait désiré trouver dans le royaume de saint Louis; c'était aussi un lieu commode pour la célébration d'un concile, selon les vues qu'avait eues Grégoire IX quand il l'avait convoqué à Rome et indiqué à la fête de Pâques de l'année 1240. Innocent IV suivit son projet, résolu de l'exécuter à Lyon le plus promptement et le plus solennellement qu'il pourrait.

Nous avons quelques-unes de ses lettres écrites à ce sujet au mois de janvier 1245, et adressées, l'une à l'archevêque de Sens pour lui et ses suffragants, l'autre au chapitre de la même église, une troisième au roi saint Louis, et quelques autres à des cardinaux. Dans toutes ces lettres, le pape représentait l'Église animée de la sagesse et de la puissance de son divin fondateur, comme singulièrement destinée à faire régner la justice dans le monde, et, par la justice, à étouffer parmi les hommes les divisions et les guerres qui les empêchent de jouir d'une sainte tranquillité. Sur ces principes, pénétré des obligations attachées au ministère dont la Providence l'avait chargé, il cherchait, disait-il, dans le conseil et le secours des fidèles, les moyens de dissiper cette horrible tempête qui mettait l'Église et la religion en péril. Mais sans toucher bien particulièrement le détail des maux qui demandaient du remède, il proposait en général ce qu'il fallait tenter pour repousser les infidèles et pour concilier les différents intérêts qui le tenaient lui, vicaire de Jésus-Christ, et l'empereur Frédéric, dans une division si funeste. C'était là principalement le double motif qui l'engageait à convoquer en une assemblée ce que l'Église et le monde chrétien avaient de plus éminent. " Sachez, poursuivait-il, que nous y avons cité l'empereur, afin qu'il y comparaisse et que par lui-même ou par ceux qu'il enverra en sa place, il nous réponde, et nous satisfasse à nous et aux autres qui ont par rapport à lui quelques sujets de mécontentement à alléguer. " Le temps indiqué pour l'ouverture était la fête de saint Jean-Baptiste.

L'empereur fit si peu de cas de l'indication du concile, qu'étant le maître en Italie, il continua d'envahir à son ordinaire tout ce qui excitait sa convoitise. Comme en cela quelques parents du pape ne furent pas plus épargnés que les autres ecclésiastiques, on ne manqua pas d'appeler vengeance le procédé d'Innocent.

Le temps du concile étant arrivé, il se trouva, en fait de prélats, avec le pape et les cardinaux, les deux patriarches latins de Constantinople et d'Antioche, le patriarche d'Aquilée, et environ cent quarante archevêques ou évêques d'Italie, de France, d'Espagne et des îles Britanniques. On en aurait inutilement attendu d'autres des Églises de Grèce et de Syrie, ou de celles de Hongrie et du Nord, dans l'état de désolation où elles étaient. Il n'y parut de toutes ces contrées que l'évêque de Béryte en Palestine, échappé aux ravages des Corasmins. Après les évêques, on y compta beaucoup d'abbés, de supérieurs conventuels, et les généraux des deux ordres de saint Dominique et de saint François. On y vit aussi des princes séculiers, ou de leurs députés: Baudouin, empereur de Constantinople; Bérenger, comte de Provence; Raimond, comte de Toulouse; les ambassadeurs de l'empereur Frédéric, ceux du roi de France et ceux du roi d'Angleterre.

Frédéric, depuis la convocation, avait marqué plus d'indifférence pour le concile que d'inquiétude et de soin à empêcher qu'il ne s'y passât rien contre lui. Toutefois, ne pouvant se dissimuler combien il avait à se reprocher de faits qui le mettaient dans une nécessité évidente de s'y ménager des suffrages, il envoya quelques seigneurs ou ministres de sa cour, chargés de procurations de sa part, et entre autres Thadée de Suessa, chef du conseil impérial, homme intelligent et éloquent, à qui l'on donne la qualité de chevalier docteur dans l'étude des lois.

Thadée de Suessa sentit d'abord combien il serait dangereux de laisser les Pères du concile s'affermir dans les impressions désavantageuses qu'ils avaient conçues de son maître. A peine le pape eut-il assemblé pour la première fois les prélats dans une conférence préliminaire, le lundi 26 juin, que l'adroit ministre éblouit tout le monde par la magnificence de ses offres. Il ne tint pas à lui que, sur l'assurance qu'il donna de la bonne volonté de Frédéric, il ne fit déjà goûter la douceur de voir par son moyen la Grèce schismatique réunie ou soumise aux Latins, les Corasmins chassés de la Palestine, les Sarrasins domptés, les Tartares dissipés; et ce qui était le plus difficile à persuader, lui-même, revenu de ses prétentions contre l'Église romaine, réparer tous les dommages et satisfaire à toutes les injures dont elle se plaignait. Le pape admira la hardiesse de l'orateur, et ne lui répondit que par une exclamation: " Oh! les belles et grandes promesses! s'écria-t-il. Mais ce ne sont malheureusement que celles qu'on m'a déjà faites, et dont je n'attends pas plus d'effets à l'avenir. Il est manifeste que l'empereur n'y revient aujourd'hui que pour détourner la cognée qui est déjà à la racine de l'arbre, et pour se jouer du concile quand il ne le craindra plus. Je ne lui demande que d'observer la paix aux mêmes conditions qu'il vient de la jurer sur le salut de son âme; qu'il les remplisse, et je suis content. Dois-je me livrer à son inconstance et courir encore le risque d'une nouvelle infidélité? Que j'accepte à l'heure qu'il est la parole qu'il me donne, qui en aurai-je pour caution, et en état de le contraindre, s'il la viole? " " Les rois de France et d'Angleterre, " répondit Thadée sans hésiter. " Nous n'en voulons point, répliqua le pape, de peur qu'en cas que l'empereur vînt à manquer de parole, comme il l'a fait jusqu'à présent, nous ne soyons obligés de nous rejeter sur ses garants; ce qui serait susciter à l'Église trois ennemis pour un, et les plus redoutables parmi les princes. "

De quelques pouvoirs que Thadée fût revêtu pour le concile, il n'en avait point pour le traité juré à Rome l'année dernière, qui était celui auquel le pape rappelait l'empereur; et il prit le parti du silence.

Ire Session. Le concile ne fut solennellement ouvert que le mercredi 28 juin, et ce fut dans l'église cathédrale de Saint-Jean. Le pape, qui présidait, prit pour texte de son sermon ces paroles de David: Vous avez proportionné la grandeur de vos consolations à la multitude de mes douleurs; ou, selon Matthieu Paris, celles-ci de Jérémie: Ô vous tous, qui passez par le chemin, considérez et voyez s'il y a une douleur comme la mienne. Il faisait l'application des douleurs de Jésus-Christ et des cinq plaies qu'il reçut sur la croix, aux différentes plaies qui affligeaient l'Église, savoir: le progrès des hérésies, l'arrogance des Sarrasins, le schisme des Grecs, la cruauté des Tartares et la persécution de Frédéric.

Si le dernier mal n'était pas le plus grand qu'il eût à déplorer, il croyait du moins le concile plus en état d'y remédier qu'à tous les autres. Il en fit donc son objet capital; touché, en parlant de cette malheureuse affaire, jusqu'à verser des torrents de larmes, et à entrecouper son discours de sanglots.

L'empereur avait dans Thadée de Suessa un ministre actif et intrépide, qui ne put écouter longtemps les chefs d'accusation qu'alléguait le pape sans se récrier et entrer en justification. On reconnut là combien le pape s'était assuré de tous les faits qu'il avait produits. Car il souffrait patiemment Thadée, non seulement le contredire et tâcher de le réfuter, mais l'entreprendre personnellement, lui opposer ses propres lettres, subtiliser même et chicaner avec lui, ce que le respect et la bonne foi toute seule ne permettaient pas. Thadée avait beau appuyer sur les récriminations: il en sentait la faiblesse, dit encore Mathieu Paris; les lettres du pape, rapprochées de celles de l'empereur, n'en mettaient ce prince que plus évidemment dans son tort. Car la comparaison ne présentait de sa part que des promesses absolues, et de conditionnelles de la part du pape. Ainsi, les conditions n'étant point remplies par l'empereur, le pape demeurait toujours libre, et l'empereur toujours obligé de satisfaire à sa parole. Il parut notoirement convaincu de l'avoir enfreinte autant de fois qu'il l'avait donnée sans la dégager, c'est-à-dire, autant de fois que, par ses lettres ou par ses agents, il en était venu à quelque traité d'accommodement.

Thadée, homme d'esprit et de ressources, tout battu qu'il était, n'en répondit pas moins par des détours, et s'épuisait en subterfuges pour la justification de son maître. Il n'alléguait que des lueurs sans apparence, continue l'annaliste anglais. Il ne le tira pas plus heureusement de l'accusation d'hérésie, ou plutôt il coula légèrement sur cet article, content de faire observer que ni lui ni personne n'en pouvait parler avec une connaissance suffisante, excepté l'empereur même, puisque les griefs dont le pape le chargeait à ce sujet étaient purement intérieurs. " Du moins, ajouta-t-il, l'empereur ne tolère point d'usuriers. " Ce qui fut pris pour un mot malignement lancé contre les officiers du pape, mais qui n'était bon qu'à détourner les esprits de ce côté-là, et n'aboutissait à rien pour le fond de l'affaire en question.

Les reproches qui concernaient les liaisons de Frédéric avec le soudan de Babylone, les grâces qu'il accordait aux Sarrasins établis en Sicile, et les mauvais bruits auxquels les femmes de cette nation qui étaient à la cour donnaient lieu, ne furent pas moins repoussés de son apologiste que celui des promesses faussées.

Lorsque Thadée crut en avoir assez dit pour amortir la première indignation du pape, et l'empêcher d'entraîner tout à coup l'assemblée, il changea de ton. La hauteur ne lui convenait plus dans la situation où il apercevait les évêques, et même les laïques. Il prit un air humble et radouci; il demanda quelques jours de délai, afin d'informer l'empereur de ce qu'il avait sous les yeux, et de l'engager par les représentations les plus fortes, ou à venir en personne au concile qui l'attendait, ou à lui envoyer une procuration plus étendue, qui pût lui servir au besoin. " Dieu me préserve d'accepter votre proposition, répliqua le pape; je sais de quoi l'empereur est capable, et ce qu'il m'en a coûté pour échapper à ses embûches. On ne peut trouver mauvais que je les redoute encore: s'il se rendait ici, j'en sortirais. Mon courage ne va point jusqu'à désirer de mourir martyr, ou à braver les rigueurs d'une prison. "

Le pape, en pressant le plus qu'il pouvait la condamnation de l'empereur, croyait découvrir dans l'assemblée des intentions si conformes aux siennes, qu'il ne temporisait qu'avec peine. Il se prêta néanmoins aux instances des ambassadeurs de France et d'Angleterre, qui secondèrent la prière du ministre impérial, et il consentit à lui accorder environ deux semaines de délai, à leur sollicitation.

Cependant l'empereur vint à Vérone avec son fils Conrad et quelques seigneurs allemands, et y tint une diète où se trouvèrent les seigneurs de son parti; puis, feignant de vouloir se rendre au concile, il s'avança jusqu'à Turin. Mais quand il eut appris ce qui s'était passé à Lyon, il dit avec beaucoup de chagrin: " Le pape me montre clairement qu'il ne cherche qu'à me couvrir de confusion. Outré de ce que j'ai fait emprisonner les Génois, ses parents, il excite aujourd'hui tout ce fracas contre moi. Mais je suis empereur, et la majesté de l'empire souffrirait trop de ma soumission, si je me rabaissais jusqu'à subir les jugements d'un concile, surtout lorsque ce concile m'est contraire. "

Il s'en tint à ce raisonnement, pour s'autoriser à ne pas venir plus avant; et ce fut toute sa réponse à l'invitation de Thadée de Suessa. Il dédaigna même de lui envoyer de nouveaux pouvoirs. On ne put l'y résoudre, quoique en même temps il fît partir trois nouveaux agents: l'évêque de Frisingue, le grand-maître de l'ordre Teutonique, et le célèbre Pierre des Vignes, le plus employé et le plus accrédité de ceux qui avaient la qualité de ses secrétaires. De quelque commission qu'il les eût chargés, ils ne firent rien de particulier pour lui dans le concile. Selon les apparences, ils ne prétendirent arriver qu'après la troisième session, qui devait être la session décisive, et qui, par égard pour Frédéric, était différée jusqu'au 17 juillet.

IIe Session. La seconde session, qui se tint le 5 du même mois, et les conférences particulières dans les intervalles, furent exposées à de rudes altercations, surtout quand les Pères eurent appris la détermination de l'empereur, et le mépris qu'il témoignait du concile. Tous le traitèrent de contumace et de rebelle à l'autorité de l'Église; et il fallait, suivant l'expression de l'historien, que les quatre parties de la terre fussent liguées (1) contre lui pour multiplier les accusateurs. L'accusation qu'on y poursuivait unanimement avec le plus de chaleur regardait les cruautés exercées par son ordre contre les prélats qui allaient à Rome sous le pontificat de Grégoire IX. Thadée de Suessa reprit quelque temps sa première intrépidité à le défendre, par la facilité qu'il eut de se jeter à l'écart sur plusieurs prélats dont Frédéric avait réellement à se plaindre; mais pour embarrasser l'ambassadeur à son tour, on n'eut pas besoin d'examiner bien profondément la manière dont Frédéric avait sévi généralement contre tous les évêques appelés à Rome par le feu pape. Thadée passa condamnation sur cet article, et le pape, profitant de son avantage, dit nettement pour la première fois qu'il y avait là bien des titres qui demandaient la déposition. Ce mot frappa les ambassadeurs anglais, que l'affinité contractée entre Frédéric et le roi d'Angleterre rendait plus attentifs. Ils se récrièrent; mais désespérant d'arrêter le coup, et contraints d'abandonner Frédéric à son malheur, ils se bornèrent à intercéder pour le prince Conrad, son fils, afin qu'il ne fût point enveloppé dans la même sentence.

(1) Quelles que soient ici les intentions de Mathieu Paris, ce nom de ligue n'est pas le mot propre. Il n'y avait pas ligue, mais simplement accord entre les Pères de ce concile oecuménique, assemblé des quatre parties de la terre.

IIIe Session, 17 juillet. Thadée de Suessa, plus alarmé que personne de ces dispositions, n'en fut cependant point encore déconcerté. Il parut dans la troisième session prêt à faire face à toutes les attaques, et à vendre au moins chèrement sa défaite. Il regardait l'appel comme un dernier retranchement juridique. Mais à qui appeler d'un concile général qu'on ne distinguait point du corps même de l'Église? Comme il s'en fallait bien que celui-ci fût aussi rempli, qu'il pouvait être, Thadée formula son appel à un concile plus général. A cette fin de non recevoir, le pape répondit que le concile tel qu'il était n'exigeait rien de plus pour avoir la prérogative d'une généralité complète, et qu'il l'avait suffisamment par l'assistance des patriarches, des archevêques, des évêques, des princes, des seigneurs et des agents de plusieurs grands princes, tous réunis de divers pays du monde chrétien. " Ce n'a pas été sans qu'il leur en coûte, ajoute-t-il, qu'ils ont attendu de votre maître un acte de soumission; et ils l'ont attendu vainement. Ceux qui sont absents ont manqué de s'y joindre par des obstacles qu'on ne saurait imputer qu'à ses artifices. Serait-il juste d'en faire un motif de différer la sentence de déposition qu'il mérite, et de permettre qu'il recueille de sa fraude même le fruit qu'il veut en retirer? "

Le pape, faisant trêve à cette discussion, voulut d'abord satisfaire la dévotion particulière que lui et les autres cardinaux avaient eue pour la sainte Vierge au temps du conclave qui l'avait élevé sur le siège pontifical après Célestin IV. Les cardinaux, vexés par Frédéric et embarrassés dans les chicanes qu'il leur suscitait, avaient eu recours à la Mère de Dieu, dont on célébrait déjà la nativité dans l'Église depuis plusieurs siècles. Ils avaient fait voeu de s'employer tous à augmenter la solennité de cette fête, aussitôt qu'ils auraient un pape. L'objet du voeu était l'établissement d'une octave, qu'Innocent même, selon quelques-uns, accorda l'année même de son élection, en 1243, mais que nous ne trouvons cependant publiquement décernée par un acte de son autorité que deux ans après, à ce premier concile général de Lyon, et avec l'approbation du concile.

Il ajouta quelques autres règlements touchant les contestations et les formalités judiciaires. Désespérant de retrancher les principes de cupidité qui entretenaient le désordre dans l'administration de la justice, le concile ne crut pas au-dessous de lui d'en corriger les procédures, et de les ramener par ses statuts à la régularité. C'est l'objet des douze premiers articles, nommés institutions ou capitules. Les cinq derniers offrent des sujets plus intéressants.

Le 13e, intitulé Des usures, traite beaucoup moins des usures mêmes que des dettes imprudemment contractées par les églises, et du danger où elles les jetaient pour le temporel. " Il se fait, y est-il dit, entre les bénéfices une succession de gens qui s'obèrent par leur facilité à charger leurs bénéfices. Évêque, abbé ou autre titulaire, chacun se pique par vaine gloire de laisser un monument qu'il puisse regarder comme propre et personnel dans les lieux de sa dépendance. " On donne là-dessus des remèdes pour le passé, et des préservatifs pour l'avenir; ce qui forme un statut fort étendu.

La présence au concile de Baudouin, empereur de Constantinople, rendait encore plus sensible la peinture qu'on y avait faite du dernier malheur qui le menaçait. On imagina un moyen de le secourir abondamment, sans que l'Église employât des levées qui la grevassent dans le service nécessaire ou dans les rétributions légitimement dues à ceux qui la servaient. C'est le 14e règlement. On destina pour cet objet la moitié, pendant trois années, du revenu des bénéfices où les titulaires ne résidaient point; mais on fit mention en même temps des exceptions fondées en raison sur plusieurs sortes d'excuses, telles que les emplois qui allaient notoirement à l'utilité des diocèses, les études et les places qui dispensaient de droit de la résidence. Si pourtant les bénéficiers dispensés de droit jouissaient d'un revenu qui excédât cent marcs, ils étaient obligés d'en donner le tiers; et l'on dénonçait excommunié quiconque userait de fraude pour se décharger. Le pape montrait d'autant plus de zèle en imposant cette obligation, qu'il s'imposait à lui-même et aux cardinaux de payer, lui et eux, la dixième partie de leurs revenus.

Il tint la même conduite à l'égard de la terre sainte: c'est l'objet du 15e et du 17e article. Le concile de Lyon décerna de la secourir par une croisade; mais le pape ne se contenta pas de renouveler les principaux règlements qui avaient été dressés pour les croisades précédentes; lui et sa cour se condamnèrent à un second dixième, pendant que le concile se bornait au vingtième pour tous les ecclésiastiques.

Quelque terreur qu'inspirassent les Tartares, leur manière de faire la guerre ne permettait pas de prendre contre eux aucune mesure fixe, pour s'opposer régulièrement à leurs incursions. Le concile, dans le 16e règlement, ne décerna donc, par rapport à eux, que d'observer leurs mouvements autant qu'il serait possible, et de n'épargner, pour les arrêter, ni les travaux de mains, ni tout ce qu'on prévoirait de plus propre à conjurer en partie cet épouvantable fléau, si l'on ne pouvait se proposer l'universalité des moyens nécessaires pour s'en délivrer tout à fait.

Après ces délibérations et ces conclusions, le pape avait conçu un projet bien avantageux à l'Église de Rome, s'il avait pu le consommer: c'était de répandre dans l'assemblée des copies de tous les privilèges que les empereurs et les autres souverains lui avaient jamais accordés. Il les avait fait mettre sous la forme la plus exacte, afin, disait-il, qu'elles tinssent lieu des originaux mêmes. Mais, quoi qu'il en fût de leur autorité comme de leur authenticité, les ambassadeurs anglais en prirent occasion de revenir, au nom de la nation, contre les libéralités de leurs rois, et tombèrent en particulier, avec beaucoup de chaleur, sur ce qu'ils appelaient les contributions immenses qui étaient fournies par le royaume à titre de gratifications et de subsides. Ils ne visaient, selon quelques-uns, qu'à occuper la session, pour écarter le jugement de Frédéric. Mais on connaissait peu le pape, si l'on prétendait l'amuser. Il prêta patiemment l'oreille aux plaintes et aux invectives des Anglais; puis, sans se montrer ni aigri, ni touché de leurs réclamations, il leur laissa même le loisir de lire un mémoire très diffus, qui traitait de la collation des bénéfices d'Angleterre en faveur des Italiens, et répondit simplement que cela méritait d'être examiné.

Tout le monde demeura dans le silence. Le pape, ou de lui-même, ou excité par une parole que dit Thadée de Suessa, toujours alerte à remplir les vides, recommença, avec un air de tranquillité qu'il ne quittait point, à porter le discours sur Frédéric. Il exposa combien il l'avait toujours aimé; quels ménagements il avait eus pour lui, quel respect il lui avait toujours témoigné dans le cours de leurs divisions, jusque-là que, depuis le commencement du concile, plusieurs avaient douté s'il pourrait enfin se résoudre à prononcer contre lui; qu'il s'y était cependant déterminé à l'extrémité par les considérations les plus puissantes, et à la suite des réflexions les plus attentivement balancées. Ces considérations et ces réflexions, avec le détail des engagements jurés par l'empereur et notoirement violés, servent en effet de dispositif au corps de la sentence. Il résultait, selon l'énoncé, que ce prince avait particulièrement mérité les peines de l'Église les plus rigoureuses par quatre sortes de crimes, le parjure, le sacrilège, l'hérésie, et le défaut de fidélité au saint-siège, en qualité de feudataire. Mais on doit remarquer que, pour l'hérésie, le pape insistait moins sur des allégués qui en fussent une démonstration formelle, que sur des indices, des probabilités et des présomptions. Conséquemment à ces griefs, Innocent concluait qu'après en avoir soigneusement délibéré avec les cardinaux et le sacré concile, en qualité de vicaire de Jésus-Christ sur la terre, et en vertu du pouvoir de lier et de délier qu'il avait reçu dans la personne de saint Pierre, il déclarait le dit prince rendu par ses péchés indigne du royaume et de l'empire, rejeté de Dieu, et déchu de tout honneur et de toute dignité. Il déchargeait pour toujours ses sujets du serment de fidélité, et il soumettait au lien de l'excommunication, encourue par le seul fait, quiconque à l'avenir lui obéirait, et lui donnerait conseil ou secours, sous quelque sorte de titre, ou sous quelque couleur de dépendance que ce fût. Pour ce qui était du fait d'élire un autre empereur, il le laissait avec une pleine liberté à ceux qui en avaient le droit, et se réservait à lui-même et aux cardinaux celui de pourvoir au royaume de Sicile. L'acte est signé du jour de la troisième session, XVI kal. Augusti, ou 17 juillet.

Thadée de Suessa avait tout tenté en zélé ministre de Frédéric, pour parer ce coup. Gautier d'Ocra, son collègue, et tous les gens de leur suite tombèrent dans le plus grand accablement, comme s'ils eussent vu la foudre éclater sur leur maître. Malgré leur dévouement aux intérêts de l'empereur, un sentiment de religion ne leur permit pas de le voir chargé d'anathèmes, avec l'appareil qui accompagnait cette solennité, sans se frapper la poitrine et jeter des cris lamentables, dans l'horreur qu'ils conçurent à ce spectacle. Ce fut pour eux, disent les historiens, une image du jugement même de Dieu à la fin des siècles; et Thadée l'avait si présent, qu'il s'écria tout consterné, suivant le mot que l'on récite à l'office des morts: Dies irae, dies illa; Le voici ce jour de courroux, de calamité et de misère. Ensuite, ne pouvant plus soutenir la vue du pontife et de tous les prélats du concile qui répétaient l'anathème le cierge en main, et d'une voix terrible (a), Thadée et ses collègues d'ambassade se retirèrent, avec la douleur de n'avoir pu conjurer l'orage qui menaçait leur maître depuis si longtemps.

(a) In dictum Fridericum, qui jam imparetor non est nominandus, terribiliter fulgurarunt, dit Mathieu Paris.

Ainsi finit le premier concile général de Lyon, dont les actes ne nous présentent rien de plus frappant que la sentence de déposition portée contre l'empereur Frédéric II.

" On voit, dit fort à propos M. Rohrbacher, que les ambassadeurs mêmes de Frédéric reconnaissaient à l'Église le pouvoir de le déposer, puisqu'ils n'appelèrent qu'à un concile plus général; que ce fut contre le gré d'un grand nombre de prélats qu'ils obtinrent un délai de douze jours; que tous les Pères fulminèrent la déposition avec le pape. " Nous supprimons les développements donnés par l'historien à cette proposition, et qu'on peut voir dans son ouvrage même: la vérité du fait que soutient notre nouveau controversiste contre Bossuet, y est démontrée de la manière la plus évidente. Hist. univ. de l'Egl. cath., liv. LXXIII; Hist. de l'Egl. Gall., liv. XXXII; Labb. XI.



Concile de Lyon II - 1274 -

quatorzième concile oecuménique

(tome I, colonnes 1194 à 1202)


LYON (IIe Concile général de), 14e oecuménique, l'an 1274. Le second concile général de Lyon est la plus nombreuse assemblée qui ait été vue dans l'Église. Il s'y trouva, dit un auteur, quinze cent soixante-dix personnes titrées, dont il y avait cinq cents ou même plus qui étaient évêques, et les autres abbés ou prélats inférieurs, sans compter les cardinaux, deux patriarches latins, un roi (c'était Jacques d'Aragon), et les députés de quantité de têtes couronnées, entre autres ceux de Michel Paléologue, qui vinrent après le commencement du concile, et ceux de Philippe, roi de France. Deux docteurs de l'Église y étaient invités, Thomas d'Aquin et Bonaventure. Celui-ci accompagna le pape dans le voyage, après sa promotion au cardinalat; pour saint Thomas, il mourut en route, à Fossa-Nuova, monastère de cisterciens, dans la terre de Labour, où la maladie l'avait forcé de s'arrêter.

Ie Session. Après trois jours de jeûne, le lundi des Rogations, 7 du mois de mai, le concile s'ouvrit à Lyon, dans l'église de Saint-Jean. Dès la première session, l'assemblée, toute nombreuse qu'elle était, s'étant formée sans tumulte et sans distinction de rang pour les évêques, les prélats inférieurs et les députés, le pape Grégoire X, ayant à côté de lui le roi d'Aragon, fit les prières et les cérémonies accoutumées; après quoi, il exposa trois motifs qui l'avaient porté à convoquer ce grand concile. Le premier était d'envoyer des secours aux chrétiens de la terre sainte; le second, de réunir l'Église grecque à l'Église romaine, et le troisième, de réformer les moeurs et la discipline, et de fixer un terme pour les élections de papes, dont le délai était toujours funeste: c'est qu'il venait d'en être le témoin et l'exemple. Il finit en indiquant la seconde session au lundi suivant, ou 14 (a) du même mois. Dans cet intervalle qui s'écoula entre les deux, il manda à part les archevêques de toutes les provinces, chacun avec un évêque et un abbé, et il leur demanda et obtint d'eux une décime, à prendre pendant six années consécutives sur tous les revenus ecclésiastiques, pour la défense de la terre sainte. Il reçut en même temps (b) des lettres qui lui annonçaient comme prochaine l'arrivée des Grecs. Il les fit lire aux prélats assemblés, après un discours de saint Bonaventure sur ce sujet.

(a) Les historiens de l'Église gallicane disent ici que la seconde session fut indiquée au 18 mai; c'est qu'ils ont confondu le jour auquel elle fut indiquée avec celui où elle se tint effectivement. Voy. Coleti, t. XIV, p. 502.

(b) M. Rohrbacher s'est mépris à son tour, en plaçant l'arrivée de ces lettres après la seconde session: c'est après la première et avant la seconde qu'il devait dire. Coleti, ubi supra.

IIe Session. La seconde session, qui se tint le 18, ou quatre jours après le jour marqué, fut bien moins nombreuse que la première. On n'introduisit dans l'assemblée ni les députés des chapitres, ni les abbés non mitrés, ni les prieurs; il y fut question de publier quelques constitutions touchant la foi.

IIIe Session. Cette nouvelle session se tint le 7 juin; elle s'ouvrit par un sermon de Pierre de Tarantaise, alors cardinal-évêque d'Ostie, et depuis pape sous le nom d'Innocent V. Après le discours, le pape fit promulguer douze constitutions, sur les élections et les provisions aux bénéfices, l'âge et la résidence des pourvus, l'immunité des églises, les vacances en régale, et d'autres articles qui concernent la discipline et les moeurs. On régla enfin qu'on attendrait l'arrivée des Grecs pour la session suivante.

Ils arrivèrent le 24 juin en assez bon nombre. La députation était composée de personnes d'autorité: savoir de deux prélats, Germain qui avait été patriarche de Constantinople, et Théophane, métropolitain de Nicée; de plusieurs sénateurs, entre autres de Georges Acropolite, grand logothète et historiographe de l'empire, de Panarète, grand officier de l'empereur, de l'interprète de Bérée, et d'une suite considérable, malgré le naufrage de l'une des deux galères, dont tout l'équipage, hors un seul homme, avait péri. Tout ce qu'il y avait de plus distingué dans le concile alla ou envoya au devant des ambassadeurs grecs. Ils furent conduits avec honneur jusqu'au palais du pape, qui les reçut debout, environné de tous les cardinaux et de plusieurs évêques. Après le baiser de paix, ils présentèrent les lettres de l'empereur, scellées du sceau d'or, et celles des prélats, au nombre de trente-huit, qui avaient consenti à la réunion. Ils dirent au pape qu'ils venaient rendre à l'Église romaine l'obéissance qui lui est due, professer la foi qu'elle professe, et reconnaître les trois points qui faisaient le plus de difficulté parmi les évêques grecs; savoir, la primauté du pape, l'énoncé de son nom dans les prières, et les appels au saint-siège. Tous ces points étaient détaillés dans la lettre de l'empereur Michel, qui, en reconnaissant que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, priait pourtant le pape de condescendre à l'infirmité de plusieurs Grecs, en permettant qu'on récitât le Symbole dans leurs églises comme avant le schisme dont on faisait l'abjuration, et qu'on y conservât les rites non contraires à la foi romaine et aux décrets des conciles généraux. La lettre était inscrite en cette forme: " Au très saint et heureux, premier et souverain pontife du siège apostolique, pape universel, Père commun de tous les chrétiens, Père vénérable de notre empire, le seigneur Grégoire; Michel, fidèle empereur en Jésus-Christ, et modérateur de ses peuples, Ange Comnène Paléologue, fils spirituel de votre Sainteté. "

Le jour de la fête des apôtres saint Pierre et saint Paul, 29 juin, le pape célébra solennellement la messe dans la grande église, en présence des Grecs et de tout le concile. On lut l'Épître en latin et en grec, ainsi que l'Évangile; après quoi saint Bonaventure ayant prêché, on entonna et chanta le Symbole, d'abord en latin, avec l'addition Filioque. Le patriarche Germain le chanta ensuite en grec, avec les archevêques grecs de Calabre et deux religieux, l'un dominicain et l'autre franciscain, qui savaient la langue. Tous répétèrent trois fois l'article relatif au Saint-Esprit, en exprimant sa procession des deux autres personnes. Le Symbole fini, les ambassadeurs et les autres Grecs chantèrent dans leur langue en l'honneur du pape, et se tinrent debout près de l'autel jusqu'à la fin de la messe. Cette fête fut pour l'Église un triomphe qui méritait d'être de plus longue durée.

Le pape, en indiquant le concile, avait donné ordre aux évêques de préparer et d'envoyer des mémoires sur les abus qu'ils trouveraient à réformer dans les diocèses. Il en vint de différents pays, qui marquaient trop le déplorable état de l'Église, surtout en Allemagne et à Liège. On avait fait des plaintes terribles, et malheureusement trop bien fondées, sur les scandales que causait Henri de Gueldre, évêque de Liège, accusé de simonie et d'incontinence publique avec des personnes consacrées à Dieu, dont il avait des enfants qu'il mariait aux dépens de son évêché. Ce sont les reproches de Grégoire, qui l'exhorta à la pénitence, et le fit comparaître au concile. Il y avait plus de preuves qu'il n'en fallait pour le déposer juridiquement. Le pape lui donna le choix de renoncer lui-même à l'évêché, ou d'attendre la sentence de déposition. Henri crut que sa soumission gagnerait le pape en sa faveur. Il lui rendit son anneau que Grégoire garda, en le contraignant ainsi de se déposer lui-même pour faire place à un plus digne pasteur.

IVe Session. La quatrième session, qui se tint le 6 de juillet, roule principalement sur la réunion des Grecs au saint-siège. On y lut trois lettres grecques traduites en latin; savoir une lettre de l'empereur Michel, une autre de son fils aîné Andronic, et celle des prélats grecs. La première contenait la profession de foi envoyée à Michel par le pape Clément IV, sept ans auparavant. Puis l'empereur disait: " Nous reconnaissons cette foi pour vraie, catholique et orthodoxe; nous la confessons de coeur et de bouche, et nous promettons de la garder inviolablement. " La lecture des trois lettres étant finie, George Acropolite, grand logothète, c'est-à-dire grand chancelier, représentant l'empereur, prononça en son nom le serment en ces termes: " J'abjure le schisme pour mon maître et pour moi; je crois de coeur, et je professe de bouche la foi catholique, orthodoxe et romaine qu'on vient de lire: je promets de la suivre toujours, sans m'en écarter jamais. Je reconnais la primauté de l'Église de Rome et l'obéissance qui lui est due; je confirme le tout par mon serment, sur l'âme de mon seigneur et la mienne. " On chanta aussitôt le Te Deum et le Symbole en latin. Germain, ancien, patriarche de Constantinople, et Théophane, métropolitain de Nicée le chantèrent ensuite en grec, et répétèrent deux fois l'article du Saint-Esprit procédant du Père et du Fils. Le pape fit lire la lettre du kan des Tartares, qui avait envoyé seize ambassadeurs au concile, pour faire un traité d'alliance avec les chrétiens contre les musulmans, et indiqua la session suivante au lundi 9 juillet.

Ve Session. La cinquième session, qu'on avait différée au 16 de juillet, fut précédée du baptême solennel de l'un des ambassadeurs du kan des Tartares, qui s'était converti avec deux autres. On y lut quatorze constitutions, dont nous donnerons bientôt le précis, ainsi que des autres qui furent faites dans le concile. Après la lecture, le pape ordonna à tous les prêtres du monde chrétien de célébrer une messe pour le repos de l'âme du frère Bonaventure, qui était mort la veille de cette session, 15 juillet, et qui avait été enterré le même jour dans l'église des cordeliers de Lyon. Le pape indiqua ensuite la sixième et dernière session au 17 juillet.

VIe Session. Le pape commença par faire lire deux constitutions, l'une qui restreint le nombre excessif des religions non approuvées, l'autre qui commence par cum sacrosancta, et qui n'est point dans le recueil. Ensuite, rappelant les trois motifs qui l'avaient porté à tenir le concile, il raconta comment l'affaire de la terre sainte et celle du schisme des Grecs étaient finies avec succès, et il entama la troisième, savoir la réforme des moeurs. Il finit en promettant de suppléer à ce qu'on n'avait pu traiter dans le concile, et en faisant les prières accoutumées. Telle fut la conclusion du concile: en voici les décrets au nombre de trente et un, qui furent publiés le 1er novembre 1274, et qui ont été insérés dans le texte des Décrétales.

Le 1er est sous le titre: De la Trinité et de la foi catholique; on y déclare que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, comme d'un seul principe et par une seule spiration; et l'on y condamne ceux qui nient que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, et ceux qui osent avancer qu'il procède du Père et du Fils comme de deux principes.

Les décrets suivants, jusqu'au quinzième, sont sous le titre: De l'élection et du pouvoir de l'élu.

Le second est la constitution même du pape Grégoire X, touchant l'élection des papes, conçue en ces termes: " Les cardinaux qui se trouveront dans la ville où le pape mourra, attendront durant huit jours seulement les absents. Eux arrivés ou non, les présents s'assembleront dans le palais du pontife, n'ayant chacun pour les servir qu'un clerc ou un laïque, et tout au plus deux, dans le cas d'une évidente nécessité. Ils habiteront tous en commun dans la même salle, sans séparation de murs ni d'autre espèce, excepté pour la garde-robe. L'appartement sera tellement fermé qu'on ne puisse ni entrer ni sortir. Nul ne pourra voir les cardinaux, ni leur parler en secret. Les personnes qu'on appellerait, ne seront admises que pour l'affaire de l'élection et du consentement de tous. Défense d'envoyer des courriers ou des lettres à tous ou à quelqu'un d'eux, sous peine d'excommunication aux contrevenants. On ne laissera au conclave qu'une simple ouverture, pour y faire passer sans y entrer soi-même les aliments nécessaires. Si, au bout de trois jours après l'entrée au conclave, l'Église n'est pas pourvue d'un pasteur, on ne servira qu'un mets les cinq jours suivants tant le matin que le soir, aux cardinaux, au delà de ce terme, rien autre chose que du pain, du vin et de l'eau, jusqu'à l'élection faite. Durant le conclave, les cardinaux ne recevront rien de la chambre apostolique; ils ne traiteront d'aucune autre affaire sans un besoin très pressant. Si un cardinal, présent dans la ville, n'entre pas aussitôt, ou sort sans raison ou maladie réelle, on procédera sans lui à l'élection, et il ne pourra plus prendre place au conclave. On ne sera pas obligé d'attendre son suffrage, quand même la cause de sa sortie aurait été bien fondée. Cependant le malade guéri, et les absents qui arriveront tard, pourront être reçus avant l'élection, et prendre part à l'affaire au point où ils la trouveront. " Du reste, le pape conjure les cardinaux par tout ce qu'il y a de plus saint, et sous peine de la vengeance divine, de procéder à cette grande action sans intérêt, dans l'unique vue de l'avantage de l'Église. Il casse d'avance les conventions et les serments qui auraient précédé entre eux. Enfin, il ordonne à tous les prélats supérieurs et inférieurs d'indiquer des prières publiques dans tout le monde chrétien, pour l'heureux succès de l'élection, dès que l'on saura le trépas du souverain pontife.

Le 3e décret corrige les abus des opposants à la collation des bénéfices. Ils doivent exprimer dans un acte public, ou par serment, devant les personnes d'autorité, tous leurs motifs d'opposition ou d'appel, sans qu'ils puissent en proposer d'autres dans la suite; à moins de faire serment qu'il s'agit de nouvelles connaissances qu'ils sont en état de prouver et qu'ils jugent suffisantes.

Le 4e défend aux élus de s'ingérer dans l'administration de la dignité ecclésiastique, sous quelque couleur que ce puisse être, soit à titre d'économat ou autre, avant l'élection confirmée.

Le 5e oblige les électeurs à faire part de leur choix à l'élu sans délai, et celui-ci à donner son consentement dans un mois, et à demander sa confirmation dans trois, sous peine de nullité.

Le 6e déclare que ceux qui donnent leur suffrage à une personne indigne ne doivent pas être privés du pouvoir d'élire, suivi d'une élection, quoique leur action soit très criminelle.

Le 7e porte que celui qui a donné son suffrage à une personne ou consenti à son élection n'est pas recevable à s'y opposer dans la suite, s'il ne découvre en cette personne quelque vice ou quelque défaut qui était auparavant caché.

8e. Quand il y a les deux tiers des suffrages pour une personne, l'autre tiers n'est pas recevable à rien opposer contre les électeurs et contre l'élu.

9e. Quoique le pape Alexandre IV ait avec raison mis les causes des élections des évêques au nombre des causes majeures, s'il arrive néanmoins que l'on appelle hors du jugement pour une cause manifestement frivole, ces sortes d'appellations ne seront point portées au saint-siège; mais il faut, pour que la cause y soit portée immédiatement, que l'appellation soit fondée sur un motif probable et qui se trouverait légitime s'il était appelé en preuve. Au reste, il est permis aux parties de se désister de cet appel, pourvu qu'il n'y ait point de fourberie dans ce désistement; car si les juges à qui il appartiendrait d'en connaître trouvent qu'il y en ait, ils doivent enjoindre aux parties de se présenter au saint-siège dans un temps compétent.

10e. Si l'on oppose à une personne qu'elle est incapable à cause de son ignorance, on la soumettra à un examen; et si, par l'événement, elle se trouve capable, on n'écoutera plus aucune des raisons de son adversaire.

11e. " Quiconque maltraitera les électeurs parce qu'ils n'auront pas voulu donner leur suffrage à ceux qui leur étaient recommandés sera excommunié ipso facto. "

12e. Même anathème contre ceux qui veulent usurper de nouveau les régales, la garde et le titre d'avoué ou de défenseur des églises et des monastères, ou qui favorisent ceux qui le font. A l'égard de ceux qui ont ces droits, ou par le titre de la fondation ou par une ancienne coutume, ils n'en abuseront, ni par eux-mêmes, ni par leurs officiers, soit en exigeant pendant la vacance des biens de l'église qui ne feraient pas partie des fruits ou des revenus, soit en souffrant que les biens des églises soient dissipés. Ils doivent donc les conserver en bon état.

Ce décret est remarquable en ce qu'il favorise le droit de régale. Grégoire X s'était déjà déclaré pour l'usage des rois de France en ce point, par deux brefs de l'an 1271. Le premier, daté du 11 juillet, confirme les provisions que saint Louis avait données à Girard de Rampillon pour l'archidiaconé de Sens, quoique Clément IV en eût pourvu un autre. Le second bref, daté du 23 de décembre, regarde l'élection de Gui des Prés, qui de chanoine de Noyon en devint évêque, la première année du pontificat de Grégoire.

13e et 14e. On observera le canon du pape Alexandre III sur la science, les moeurs et l'âge que doivent avoir ceux à qui l'on confie le soin des églises paroissiales. Ils auront vingt-cinq ans et se feront prêtres dans l'année depuis la nomination, sans quoi la collation sera nulle. Quant à la résidence, elle est d'obligation: l'évêque peut en dispenser quelque temps, pour cause juste et raisonnable. Les commendes des cures, pour des sujets qui n'ont ni l'âge requis, ni la prêtrise, ne pourront être que semestrielles: autrement elles seront nulles de droit.

Le 15e décret est sous le titre de: Temps des ordinations et de la qualité de ceux qui sont à ordonner. On y suspend de la collation des ordres, pour un an, les évêques qui ordonneront un clerc d'un autre diocèse.

Le 16e est sous le titre: Des bigames. On y déclare les bigames déchus des privilèges de la cléricature et sujets au for séculier, nonobstant tout usage contraire. Défense à eux, sous anathème, de porter la tonsure et les habits de clercs.

Les 17e et 18e sont sous le titre: De l'office des Juges ordinaires.

17e. Si les chapitres veulent interrompre l'office divin, comme quelques églises prétendent avoir ce droit, ils doivent en spécifier les motifs dans un acte public qu'on signifiera aux parties contre qui on se croira autorisé à entreprendre cette interruption. Mais aussi, au défaut de cette condition, ou en cas que les raisons ne soient pas trouvées canoniques, ils restitueront les revenus perçus durant l'interruption; leurs honoraires retourneront à l'Église, et ils seront tenus des dommages et satisfactions à l'égard de la partie. Ce sera le contraire, si les motifs de la cessation d'office sont jugés canoniques. Du reste, nous réprouvons et défendons désormais, sous peine d'une sentence si dure qu'elle soit capable d'inspirer de la terreur aux coupables, l'abus énorme et l'horrible impiété qui, pour aggraver la cessation d'office, font que l'on jette à terre les croix et les images de la bienheureuse Vierge et des saints, sous les épines et les orties.

18e. Ceux qui auront plusieurs bénéfices, soit dignités, soit autres à charges d'âmes, seront obligés de produire, dans un temps marqué, leurs dispenses aux ordinaires, afin qu'ils examinent si elles sont canoniques; faute de quoi, la possession étant illicite, les collateurs pourront disposer des bénéfices en faveur des sujets capables. Si la dispense paraît douteuse, on aura recours au saint-siège. Il faut que la dispense soit évidemment fondée et suffisante.

19e. Pour abréger les lenteurs affectées des procédures, on renouvelle, avec quelque changement, les règlements anciens au sujet des avocats et procureurs ecclésiastiques. Tous jureront sur l'Évangile de ne défendre que des causes qu'ils croiront de bonne foi justes et raisonnables. Ce serment se renouvellera tous les ans. On prive de sa charge quiconque refusera de le faire. Eux et les conseillers qui seraient favorables à une injustice, n'auront point d'absolution qu'ils n'aient rendu au double les honoraires. On les fixe, pour les plus grandes causes, à vingt livres tournois, au plus, pour les avocats, et à douze pour les procureurs. Ce décret est sous le titre: De la postulation.

20e. Toute absolution de censures extorquée par la force ou la crainte sera nulle; et celui qui l'aura reçue par ces moyens sera soumis à une nouvelle excommunication. Ce décret est sous le titre: De ce qui se fait par force ou par crainte.

21e. On modère la Clémentine des bénéfices vacants in curia, dont la collation appartient au pape, en laissant la liberté aux ordinaires de les conférer dans le mois.

22e. Sous le titre qu'il ne faut pas aliéner ce qui appartient à l'Église, on défend aux prélats de traiter avec les laïques, pour leur soumettre les biens et les droits des églises, sans le consentement du chapitre et la permission du saint-siège; autrement, les contrats seront nuls, les prélats suspens, et les laïques excommuniés.

23e. Sous le titre, qu'il faut que les maisons religieuses soient soumises à l'évêque, on défend d'inventer aucun ordre nouveau, ou d'en prendre l'habit. On supprime tous les ordres mendiants, institués depuis le concile général de Latran, sous Innocent III, en 1215, et non confirmés par le saint-siège. Quant à ceux qui ont été confirmés, on leur défend de recevoir de nouveaux profès, d'acquérir des maisons, ou d'en aliéner aucune, sans la permission spéciale du saint-siège, à qui l'on réserve ces maisons pour le secours de la terre sainte, ou des pauvres, ou pour d'autres bonnes oeuvres; le tout, sous peine d'excommunication. Défense aux mêmes ordres de prêcher, de confesser, d'enterrer les étrangers. A l'égard des frères prêcheurs et des frères mineurs, dont l'approbation est constatée par l'avantage évident qu'en retire l'Église, nous n'entendons pas que cette constitution s'étende jusqu'à eux, disent les Pères du concile. Permission générale aux religieux sur qui s'étend la constitution de passer dans les autres religions approuvées; mais non de transférer tout un ordre dans un autre, ou tout un couvent dans un autre couvent. Les frères de la Pénitence de Jésus-Christ, ou sachets, furent les premiers compris entre les ordres mendiants supprimés.

24e. Sous le titre: Des cens et procurations, on confirme la constitution d'Innocent IV, qui défend à tout prélat d'exiger et de recevoir de l'argent pour procuration ou droit de gîte dans les visites, ou des présents à ce titre. Elle ajoute la peine de restitution au double, avec privation d'entrée dans l'église pour les prélats supérieurs; et pour les inférieurs, suspense d'office et de bénéfice jusqu'à la satisfaction au double, entière et complète, quand même les personnes lésées en dispenseraient.

25e. Sous le titre: De l'immunité des églises, on défend tout ce qui peut blesser le respect dans les églises et troubler le service divin, assemblées, foires aux environs, plaidoiries, clameurs, etc.

27e. Sous le titre: Des usures, on renouvelle la constitution du concile de Latran contre l'usure. On défend de louer des maisons ou d'en permettre l'usage aux usuriers publics; de leur donner l'absolution et la sépulture, à moins qu'ils n'aient restitué autant qu'il est possible.

28e. Sous le titre: Des injures et des dommages, on condamne plus que jamais le prétendu droit de représailles et la permission d'en user en général, surtout à l'égard des ecclésiastiques, sur lesquels on aimait à étendre ces usages proscrits.

29e, 30e et 31e. Sous le titre: De la sentence d'excommunication, pour lever toute ambiguïté sur les statuts d'Innocent IV touchant les complices des excommuniés, on veut que, dans les trois monitions que l'on fera de suite, en gardant les intervalles de quelques jours, le nom des personnes que l'on prétend excommunier soit exprimé. On déclare que le bénéfice de l'absolution ad cautelam n'a point lieu dans les interdits généraux, comme dans les interdits portés sur des villes entières. Enfin l'on excommunie de plein droit quiconque permettrait de tuer, de prendre ou de molester un juge ecclésiastique pour avoir parlé des censures contre les rois, les princes et les grands. Reg. tom. XXVIII; Lab. tom. XI; Hard. tom. VIII; Martene, Collect. tom. VII.



Histoire des Conciles - douzième concile oecuménique