1993 Thesaurus - LE VOILE ET LE MASQUE


ANICIUS MANLIUS BOETIUS




Consolation de la Philosophie



Accorde autant que tu le peux la foi et la raison.
BOECE

A mon avis, l'homme est mieux servi par un destin contraire que par un sort favorable.
BOECE

Les âmes humaines deviennent nécessairement plus libres quand elles s'établissent dans la contemplation de l'intelligence divine que quand elles se dispersent dans le monde corporel.
BOECE

C'est le propre d'un esprit maître de lui-même de traiter chaque chose selon ce qu'elle est en elle-même.
BOECE

Qu'à Rome reste au moins la tête intellectuelle !
BOECE

Seul compte le grand UN qui maintient ensemble la multiplicité du TOUT.
BOECE


Le malheur terrestre des innocents est en réalité l'épreuve de leur innocence, et de leur appartenance à l'ordre éternel qui préside à l'univers.
Le triomphe des méchants est à l'image de ceux-ci, "taillé dans l'étoffe des songes", ou du non-Être; consécration illusoire de l'erreur où les a engagés le choix du mal, en d'autres termes, du rien...
Dans la lumière de l'Être éternel et incorruptible, le bien sur la terre est récompensé par cela seul qu'il est du bien, participant de la Bonté de Dieu.
Et plus les méchants exercent victorieusement le mal, plus ce pouvoir dont ils croient jouir les enfonce dans leur misère, et ravale leur âme à l'horreur des bêtes fauves. L'impunité même, à vue humaine, dont ils s'imaginent se prévaloir, est le pire des châtiments qui leur soient réservés : leur ruine et leur perte les soulageraient d'une partie de leurs crimes, et leur offriraient une chance de s'éveiller à leur condition véritable. Pour voir ainsi, au rebours des apparences et de l'interprétation que l'humanité, abusée, en donne il faut s'être élevé fermement au point de vus sous lequel il n'y a d'Être, il n'y a de réalité qu'en Dieu, et dans le Bien qui fait de l'univers un "cosmos"...
Il faut avoir cessé d'être aveugle à la lumière de l'Être, qui abandonne la méchanceté à l'horreur invisible, vertigineuse, du non-Être...
La capacité de faire le mal laissée aux méchants n'est pas un pouvoir...
Bourreaux et victimes ne le sont que sur un théâtre d'ombres qu'il faut voir de l'autre côté : là, les bourreaux le sont d'eux-mêmes et les victimes sont les vainqueurs du grand jeu cosmique. La lumière divine les enveloppe...
L'acte libre n'est pas une illusion, même si le choix du mal se cherche des alibis dans la Fortune et la Fatalité. Le choix du Bien, en revanche, en surmontant le poids du corps et l'horizon illusoire du temps, est l'exercice même de la liberté, la participation de l'homme à l'ordre divin, son concours à l'harmonie transcendante de l'univers. Sur cette terre d'illusions et d'épreuves, le héros et le saint, prévus mais non prédéterminés par Dieu, font pressentir par leur liberté la plénitude heureuse, entière, définitive de l'ordre cosmique dont ils ont été des alliés et les témoins à l'intérieur du temps terrestre... La terre surmontée / Donne les étoiles... "Les modes du temps et des corps n'ont de réalité que pour nos sens fragiles et fugitifs, mais nous-mêmes nous ne savons que par nos pensées et nos sentiments. Quand la cécité m'apprenait les merveilles du monde où nous n'avons plus besoin de sens pour connaître, je comprenais comment, pour l'intelligence délivrée des organes, le passé, le présent, l'avenir, sont contempo- rains : ainsi enfin commençait à se lever devant moi le rideau brillant des êtres, des eléments, de la nature variée et infinie dans son admirable variété." ( Orphée ) "A la vérité, vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices : mais n'en aurez-vous point d'autres ? Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie, et que, à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude du gain, et tant de néant de ce que vous hasardez, que vous connaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n'avez rien donné." ( Pascal )


Préface, de Marc Fumaroli


Note : - précède les parties poétiques.
. précède les sentences de Dame Philosophie.

- . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Si on tombe, c'est qu'on ne tenait pas sur ses jambes !...

. Qui a autorisé ces petites putes de scène à approcher ce malade ? Non contentes d'être incapables de remédier à ses souffrances, elles seraient bien capables de les prolonger aves leurs poisons douceâtres ! Ce sont elles qui sous les ronces stériles des passions, étouffent la moisson féconde de la raison: lles accoutument l'âme humaine à la maladie, au lieu de l'en délivrer !...

- Alors la nuit se dissipa, les ténèbres me quittèrent Et mon regard recouvra son acuité première...

. Ce qui les a menés à leur perte ( Socrate, Zénon, Sénèque.. ), c'est tout simplement qu'élevés dans nos principes, ils apparaissaient en tout point différents des malhonnêtes gens. Ainsi tu ne dois pas t'étonner si sur cet océan qu'est la vie, les ouragans nous assaillent et nous malmènent, à partir du moment où nous nous proposons principalement de déplaire aux scélérats. L'armée qu'ils constituent a beau faire nombre, elle n'en est pas moins méprisable car elle n'a pas de chef et elle s'abandonne à l'ignorance, qui la livre aux caprices du hasard...

- Tout homme serein et à la vie bien ordonnée,
Qui écrase sous ses pieds l'orgueilleux destin
Et, regardant les deux Fortunes bien en face,
Peut rester en apparence imperturbable, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
N'espère rien, n'aie peur de rien
Et tu désarmeras ton adversaire.
Quand on est agité par la crainte ou l'espoir,
Faute d'être calme et de se contrôler
On lache son bouclier, on abandonne son poste
Et on resserre le lien qui sert à nous traîner...


. Parle franchement... Si tu attends d'un médecin qu'il te soigne tu dois montrer ta blessure...

Ainsi un de tes familiers n'avait pas tort de demander : "Si vraiment Dieu existe, d'où vient le mal ? Mais d'où vient le bien, s'il n'existe pas ?" Et comme si ce n'était pas assez de mes malheurs, la plupart des gens ne prennent pas en considération la valeur des choses mais les succès de Fortune et estiment que ce qui est voulu par la Providence, c'est ce qui est couronné de succès. C'est ainsi que la toute première chose que perdent les malchanceux, c'est leur bonne réputation...

- O créateur de la voûte étoilée,
Toi qui, appuyé sur ton trône éternel,
Imprimes au ciel un tourbillon effréné
Et contrains les astres à subir ta loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Des seules actions humaines tu dédaignes le contrôle, quand tu serais si fondé à les diriger !
Pourquoi la Fortune prodigieuse produit-elle
De tels retournements ? Les innocents plient
Sous le dur châtiment dû au crime
Tandis que se pavane bien en vue la corruption . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Accorde un regard à cette pauvre Terre
Toi qui entrelaces les règles de l'univers.
Nous les hommes, part non négligeable de ton grand Oeuvre, nous sommes ballotés par les remous de la Fortune.
Gouverne et contiens ses lames déferlantes
Et comme tu le fais pour l'immensité du ciel
Impose des règles stables à la Terre !...


. Ainsi, ce n'est pas tant l'aspect de ce lieu que ton propre aspect qui me touche et je ne regrette pas vraiment les murs ornés... de ta bibliothèque mais plutôt l'accueil de ton esprit dans lequel j'ai disposé non des livres mais ce qui donne du prix aux livres : les pensées autrefois consignées dans mes livres...
C'est parce que l'oubli de qui tu es t'égare, que tu te plains d'être éxilé et d'avoir été spolié de tes propres biens. C'est parce que tu ignores quelle est la finalité de l'univers, que tu imagines puissants et heureux les vauriens et les criminels. C'est parce que tu as oublié avec quel gouvernail le monde est dirigé, que tu penses que la Fortune suit un cours arbitraire et qu'elle est livrée à elle-même, autant de causes décisives qui n'entraînent pas seulement la maladie mais aussi la mort...


- . . . . . . . . . . .
Le courant qui va
Dévalant les pentes
Des hautes montagnes,
Souvent se brise
Contre un rocher.
Toi aussi, si tu veux
Sous une lumière limpide
Discerner le vrai
Coupe au plus court,
Chasse les joies,
Chasse la peur,
Défie-toi de l'espoir,
Eloigne la douleur.
L'esprit est embrumé
Et bridé quand il est
Sous leur emprise.

Livre premier


. Si j'ai parfaitement compris les causes et la nature de ta maladie, c'est parce que tu regrettes profondément ta Fortune antérieure, que tu dépéris.
C'est simplement ce que tu prends pour un revirement de la Fortune, qui te bouleverse l'esprit. Je connais les déguisements multiformes dont s'affuble cette diablesse, je connais les cajoleries dont elle entoure ceux qu'elle s'efforce de tromper jusqu'à les rendre fous de douleur en les abandonnant du jour au lendemain. Si tu te rappelais sa nature, ses pratiques et ce qu'elle vaut, tu reconnaîtrais n'avoir jamais rien possédé ni perdu de beau grâce à elle et à mon avis, je ne devrais pas avoir beaucoup de mal à te remettre tout cela en mémoire...
Tu penses que la Fortune a changé à ton égard : tu te trompes ! Elle a toujours les mêmes pratiques : c'est dans sa nature. Elle est restée à ton égard constante, à vrai dire, dans son inconstance même. Elle était la même quand elle te flattait, quand elle se jouait de toi en te faisant miroiter un faux bonheur. Tu as découvert le double visage de cette puissance aveugle...
Tu t'es livré à la domination de la Fortune : tu dois te soumettre aux pratiques de ta maîtresse. Essaies-tu vraiment d'arrêter sa Roue en plein élan ? Mais... si elle vient à s'arrêter, alors elle cesse d'être la Fortune !...


- Quand d'un geste orgueilleux elle modifie le cours des choses . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. .. . . . .
Elle n'entend pas les pleurs des malheureux ou n'en a cure Et rit même, la cruelle, des gémissements qu'elle provoque Ainsi joue-t-elle, ainsi fait-elle la preuve de ses pouvoirs Et offre-t-elle à ses sujets un grand spectacle : celui D'un homme en une heure tour à tour terrassé et heureux...

. Je voudrais discuter un peu avec toi en me mettant à la place de la Fortune. De ton côté, vois si ses revendications ne sont pas légitimes. "Pourquoi, mon garçon, m'accuses-tu et me harcèles-tu de plaintes quotidiennes ? Quel tort t'ai-je fait ? Quels sont les biens qui t'appartenaient et dont je t'aurais spolié ?...
Quand la nature te fit sortir du ventre de ta mère, tu étais totalement nu et sans ressources : je t'ai accueilli, je t'ai dorloté de mon mieux...
Je t'ai élevé en y mettant tout mon coeur, je t'ai beaucoup gâté...
Mais maintenant j'ai envie de retirer ma main de ton épaule. Tu devrais me remercier d'avoir eu l'usufruit de biens qui ne t'appartenaient pas et tu n'as pas le droit de te plaindre comme si tu avais perdu tes propres biens !
Pourquoi donc ces lamentations ? Tu n'as subi aucune violence de ma part...
Serai-je seule à me voir refuser l'exercice de mas droits ?
Le ciel a le droit d'offrir des jours baignés de lumière puis de les faire disparaître dans les ténèbres de la nuit...
Et moi, c'est le désir toujours inassouvi des hommes qui prétend m'astreindre à faire preuve d'une constance étrangère à ma façon d'être !
Notre nature, la voici, le jeu interminable auquel nous jouons, le voici : tourner la Roue inlassablement, prendre plaisir à faire descendre ce qui est en haut et à faire monter ce qui est en bas"...

- Si l'Abondance, de sa corne pleine, déversait
A l'infini autant de richesses
Que le Pont charrie de grains de sable . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le genre humain ne cesserait pas pour autant
De se lamenter sur ses malheurs. . . . . . . . . . . . . . . . .
Ce qu'ils reçoivent leur semble n'être rien :
Dévorant tout ce qu'elle obtient, leur rapacité sauvage Ouvre encore plus grande leur gueule.
Quelles rênes pourraient contenir leur passion
Effrénée dans des limites infranchissables
Quand, croulant littéralement sous les présents,
Leur soif de posséder fait rage ?
Il ne vit jamais en riche, celui tremblant et gémissant Qui se croit dans le besoin...


. Si tu penses ne pas avoir de chance parce que tes prétendues joies passées s'en sont allées, tu n'as pas de raison de t'estimer malheureux, étant donné que tes prétendues peines ne font que passer...
De toute façon, le dernier jour de la vie est une mort même pour une Fortune restée fidèle.
Ainsi, je te le demande, quelle importance que ce soit toi qui l'abandonnes en mourant ou elle qui t'abandonnes, en s'enfuyant ?...
Mais pourquoi tout ce tapage autour de la Fortune ? Vous cherchez, je crois, à bannir le besoin par l'abondance. Or cela vous mène au résultat inverse...
N'avez-vous vraiment aucun bien qui vous soit propre et qui soit inhérent à votre nature, pour qu'il vous faille ainsi chercher vos biens dans des objets extérieurs à vous et sans rapport avec vous ? L'ordre des choses est-il inversé au point qu'un être vivant, à l'image de Dieu grâce à sa raison, croie ne pas pouvoir se faire remarquer autrement que par la possession d'un mobilier sans vie ? Les autres êtres vivants se contentent bien de ce qu'ils ont; mais vous qui êtes, grâce à votre âme, à l'image de Dieu, vous cherchez dans des objets sans importance de quoi rehausser votre nature, pourtant de valeur inégalée, sans vous rendre compte de l'injure que vous faites à votre Créateur. Il a voulu, lui, que le genre humain soit au-dessus de toutes les créatures terrestres et vous, voici que vous vous avilissez en vous rangeant au-dessous de ce qui existe de plus bas !...
La nature humaine est en effet telle qu'elle ne l'emporte sur tout le reste de la Création que lorsqu'elle se connaît elle-même alors qu'elle se ravale à un rang inférieur à celui des bêtes si elle cesse de se connaître...
Quelle est, d'autre part, l'ampleur de votre égarement si vous pensez pouvoir vous faire remarquer grâce à des faire-valoir indépendants de vousmêmes !...
O l'extraordinaire bonheur procuré par les biens de ce monde : sitôt enrichis, vous cessez d'être en sécurité !...

- . . . . . . . . . . . . . . .
Mais non ! plus dévastateur que l'Etna
Brûle le dévorant désir de posséder !
Maudit soit le premier
Qui déterra les trésors cachés
Et des pierres qui désirait rester
Dissimulées - coûteux dangers !...


. Si d'aventure - et c'est rès rare - les honneurs et le pouvoir sont accordés à d'honnêtes gens, qu'est-ce qui plaît en eux sinon l'honorabilité de ceux qui les exercent ?
C'est ainsi qu'on n'éprouve pas de la considération pour les mérites en raison d'une charge honorifique mais pour les charges honorifiques en raison du mérite. Qu'en est-il, d'autre part, de ce fameux pouvoir que vous trouvez si désirable et qui vous éblouit tant ? Mais, pauvres mortels, ne voyez-vous pas qui vous êtes et à qui vous croyez commander ? Si tu voyais dans une assemblée de rats, un seul d'entre eux revendiquer d'exercer des droits et une autorité sur tous les autres rats, de quel éclat de rire ne trembleraistu pas de tout ton corps ?...
Crois-tu pouvoir te faire obéir le moins du monde par un esprit libre ?
Crois-tu pouvoir ôter à une pensée qui tient sa cohérence d'une raison inébranlable, la tranquillité qui la caractérise ?...
Si ces honneurs et ce pouvoir comportaient quelque bien qui leur soit inné et qui leur soit propre, jamais ils ne seraient exercés par des crapules.
Car en principe, les opposés ne s'associent pas; la nature répugne à toute jonction des contraires. Ainsi, comme il est incontestable que des crapules remplissent souvent des fonctions honorifiques, il est tout aussi évident que n'est pas intrinsèquement bon ce qui tolère de se voir associé à des crapules. C'est d'ailleurs l'opinion qu'on peut raisonnablement se faire de tous les cadeaux de la Fortune, qui privilégient abondamment les crapules..
Nous pouvons en dire autant de la Fortune en général. Il n'y a manifestement en elle rien qui mérite d'être convoité, rien qui soit bon par nature puisqu'elle ne s'associe pas toujours à des gens de bien et qu'elle ne rend pas bons ceux auxquels elle est associée...
Vois-tu donc à quel point la renommée que vous vous efforcez d'étendre et de propager, est étroitement restreinte ? Comment pouvez-vous croire que là où s'est arrêtée la gloire du nom de Rome ( au Caucase ) puisse pénétrer la gloire du moindre Romain ? Sans compter que les usages et les institutions des différents peuples varient entre eux au point que ce qui paraît aux uns mériter l'éloge, paraît aux autres mériter le supplice...
Vous, vous croyez assurer votre immortalité quand vous pensez à votre réputation future. Mais si tu veux bien concevoir l'infini de l'éternité, quelle raison trouves-tu de te réjouir d'une longévité pour ton nom ?...
On peut comparer entre eux des objets finis mais jamais on ne peut comparer le fini et l'infini. Il s'ensuit qu'une réputation, quelle que soit sa longévité, si on la pense par rapport à l'éternité dont on ne touche jamais le terme, apparaît, je ne dirai même pas de faible portée, mais totalement inexistante. Et voici que vous, vous avez besoin des faveurs du peuple et des vaines rumeurs pour savoir agir convenablement et au mépris de la supériorité de la conscience et du mérite, vous cherchez votre récompense dans les misérables racontars...


- Quiconque recherche à tout prix la seule
Gloire et l'apprécie plus que tout,
Doit observer l'immensité des espaces célestes
Et l'étroitesse de la Terre.
Incapable de franchir une courte distance,
Son nom magnifié lui fera honte.
Pourquoi, êtres orgueilleux, cette insistance à soulager En vain vos épaules du joug de la mortalité ?... . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La mort méprise les cimes de la gloire,
Enveloppe pareillement l'humble et le fier . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Votre renommée ne vous fait pas connaître.
Et si vous pensez prolonger votre vie
Par l'éclat de votre nom de mortel,
Quand un jour tardif vous l'enlèvera lui aussi,
Vous mourrez alors une seconde fois...

. Mais je ne voudrais pas que tu penses que je mène un combat sans merci contre la Fortune...
La Fortune est plus bénéfique aux êtres humains quand elle est mauvaise que quand elle est bonne. L'une, en effet, quand elle se montre séduisante, est toujours en train de mentir avec son apparence de bonheur; l'autre, au contraire, est toujours sincère quand elle révèle, par ses volte-face, son instabilité. L'une trompe, l'autre instruit; l'une en faisant croire à un faux bonheur, ligote l'âme de ceux qui y trouvent leur jouissance, l'autre la libère en lui faisant prendre conscience de la précarité de la chance...
La bonne Fortune use de ses charmes pour égarer les gens loin du bien véritable, tandis que la mauvaise Fortune les accroche au passage pour les ramener vers les véritables valeurs...

- . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pour que la mer insatiable contienne
Ses flots dans une limite déterminée,
Pour que les sols mouvants ne puissent
Se déployer sur de vastes étendues,
Voilà une série de phénomènes contrôlés
Par ce qui régit la terre et la mer
Et qui commande au ciel : l'amour.
Si jamais il relâche ses rênes,
Là où il règne aujourd'hui,
La guerre aura tôt fait de s'installer
Et le mécanisme actuellement mû
Avec cohérence et beauté
Ne pourra résister aux forces destructives.
C'est aussi l'amour qui maintient les peuples
Unis par un pacte inviolable,
C'est lui qui noue les liens sacrés
Du mariage par de vertueux rapports,
C'est également lui qui dicte ses lois
Aux compagnons fidèles.
O bienheureux genre humain
Si votre coeur obéit à l'amour
Auquel obéit le ciel.


Livre second


- Quand on veut ensemencer une terre vierge,
On la débarrasse des fruits qui la jonchent,
Puis on fauche les fougères et les ronces
Pour que vienne Cérès et sa moisson nouvelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Commence toi aussi par soustraire ta nuque
A son joug en examinant les faux biens.
Et ensuite ton esprit s'ouvrira aux vrais biens...

- . . . . . . . . . . . . . . . . .
Toute chose cherche à retrouver ses origines
Et d'y revenir toujours elle se réjouit;
Elle n'admet pas de parcours durable
Que celui qui relie à la fin l'origine
A l'intérieur d'un cycle inébranlable...

- Même si en un interminable tourbillon d'or, le riche Rassemble des biens incapables d'apaiser sa convoitise, Même s'il se couvre le cou de perles de la Mer Rouge Et fait labourer son champ fertile à une centaine de boeufs, L'angoisse ne cessera de le dévorer tant qu'il vivra Et à sa mort, inconstants, ses biens l'abandonnent...

- Toute l'espèce humaine sur terre relève d'une même origine.
Un seul être est Père de l'univers, un seul être le dirige.
C'est lui qui donna à Phébus ses rayons, à la lune son croissant, Lui qui donna aussi les hommes à la terre et au ciel les étoiles, Lui qui fit descendre les âmes du ciel dans les corps : Ainsi tous les mortels sont issus d'une semence noble.
Pourquoi faire valoir votre lignée, vos aïeux ?
Considère votre
Origine et Dieu votre Créateur : nul n'est bâtard à moins De se complaire dans le mal et de renier sa naissance...


. Si on fait preuve de faiblesse quelque part, on a nécessairement besoin d'une aide extérieure... Ainsi l'indépendance et la puissance sont par nature une seule et même chose... Associons donc la considération sociale à l'indépendance et à la puissance et nous verrons que ces trois biens n'en font qu'un...
Un état qui ne nécessite aucune aide extérieure, qui peut tout faire en comptant sur ses propres forces, qui est illustre et digne de respect, n'est-il pas également, de toute évidence, particulièrement joyeux ?...
Cela même nous amène à admettre comme irréfutable que l'indépendance, la puissance, la célébrité, la considération sociale et la joie ont bien sûr des appelletions différentes mais ne diffèrent pas le moins du monde par leur substance...

- O toi qui gouvernes l'univers selon un ordre perpétuel Père de la terre et du ciel, par qui de toute éternité le temps S'égrène, toi qui immuable, fait se mouvoir toutes choses, Nulle cause extérieure ne te contraignit à façonner Ton ouvrage à la matière informe, mais la nature généreuse Du bien suprême qui t'habite : Tu t'inspires en toutes choses Du modèle céleste, portant mentalement en toi un monde beau Toi qui n'es que beauté, lui donnant forme à ton image . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Tu entraînes selon le même processus les âmes vivantes Plus petites, les munis dans les airs de chariots légers, Les fixes au ciel et à la terre et, selon ta loi bienveillante, Tu les fait revenir à toi une fois purifiées.
Accorde, Père, à mon esprit de rejoindre ton auguste trône, Accorde-lui de visiter la source du bien, de trouver ta lumière Et de ne plus poser que sur Toi les regards de mon âme.
Disloque les nuages et pesanteurs de la masse terrestre Et resplendis de tous tes feux ! Car tu es la sérénité, Tu es le repos et la paix des Justes : Te voir est leur fin, Toi l'origine, le conducteur, le guide, le chemin et l'arrivée tout à la fois...

. Sais-tu que tout ce qui est, subsiste tel quel aussi longtemps qu'il est un et qu'il meurt et se désagrège dès qu'il cesse d'être un ?...
Tant qu'une chose est une, elle subsiste, mais dès qu'elle cesse d'être une, elle meurt...
Tu n'as aucune raison de douter que tout ce qui est ne recherche naturellement à se pérenniser et à éviter sa destruction à tout prix...
Par ailleurs, ce qui cherche à se perpétuer et à subsister, désire être un; car si cette unité est détruite, il ne lui sera pas même possible de continuer à être... Par conséquent, tous les êtres désirent être un... Mais nous avons montré que ce qui est un c'est précisément le bien...


- Si on cherche profondément le vrai
Et qu'on désire ne pas se fourvoyer,
On doit réfléchir sur soi sa lumière intérieure,
Concentrer les amples mouvements de sa pensée
Et apprendre à son âme que ce qu'elle entreprend au-dehors, Elle le possède déjà, secrètement déposé en elle.
Ce que naguère recouvrait le noir nuage de l'erreur, Brillera plus distinct que Phébus en personne.
Car l'âme ne s'est pas vu ravir toute sa lumière
Par la masse d'oubli dont l'a recouverte le corps.
Sans nul doute une semence de vrai reste fixée à l'intérieur Que vient ranimer un enseignement rafraîchissant.
Comment répondriez-vous spontanément juste aux questions Si rien ne l'entretenait au plus profond de votre coeur ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

- Heureux qui a pu contempler
Du bien la source lumineuse,
Heureux qui a pu détacher
Ses lourdes chaînes terrestres.
Jadis un poète de la Thrace
Pleurait la mort de son épouse;
Ses tristes mélodies avaient fait
Accourir les forêts émues par ses chants,
S'arrêter net les cours d'eau;
La biche s'allongea sans frayeur
Aux côtés de lions féroces, . . . . . . . . . . . . . .
Enfin : "Nous sommes vaincus", dit
Le juge des ombres, apitoyé; "Nous accordons à cet homme de ramener
Son épouse : tel est le prix de son chant
Mais notre cadeau a ses limites :
Jusqu'au franchissement du Tartare,
Interdiction de tourner les yeux !"
Mais qui imposerait sa loi aux amants ?
L'amour ne connaît que sa propre loi.
Hélas ! à deux pas des portes de la nuit,
Orphée son Eurydice
Vit et perdit à jamais.
Oui cette histoire vous concerne,
Vous qui, dans la lumière céleste
Cherchez à conduire votre âme.
Car si on laisse son regard
Se tourner vers l'antre du Tartare,
Ce qu'on a de précieux avec soi
On le perd en regardant en dessous de soi.


Livre troisième


Ce qui est peut-être la raison principale de notre découragement, c'est que malgré l'existence d'un être bon aux commandes de l'univers, le mal puisse tout simplement exister et même demeurer impuni...

. Ce serait infiniment stupéfiant et prodigieux que, comme tu le crois, dans la demeure si bien ordonnée d'un tel maître de maison... on entoure d'égards la vaisselle ordinaire tout en laissant se salir la vaisselle d'apparat. Mais il n'en est pas ainsi...
Le bien suprême ( le bonheur ), qui est l'objectif que se fixent pareillement méchants et bons, les bons le recherchent par l'exercice naturel de leurs mérites tandis que les méchants s'efforcent d'obtenir ce même bien par l'intermédiaire de leur désir fluctuant, ce qui n'est pas le moyen naturel d'obtenir le bien...
Considère, par ailleurs, quelle n'est pas l'impuissance des scélérats.
En effet, ce ne sont pas des récompenses négligeables ou du genre de celles qu'on remet lors des jeux, qu'ils recherchent sans pouvoir les obtenir ni les conserver; ils échouent quand ils sont tout près d'obtenir les biens les plus élevés et les plus en vue et ces malheureux n'arrivent pas à réaliser ce pour quoi seul ils se démènent jour et nuit : c'est en cela que se voit la supériorité des gens de bien...
Les scélérats se confondent avec ceux qui apparaissent abandonnés de toute espèce de force. Pourquoi délaissent-ils le mérite pour ne se consacrer qu'au mal ? Est-ce par ignorance de ce qui est bien ? Est-il en effet pire faiblesse que l'aveuglement de l'ignorance ? Ou bien est-ce qu'ils savent à quoi ils devraient se consacrer et est-ce leur désir qui les fourvoie dans des impasses ? Là aussi, c'est leur incapacité à se contrôler qui fragilise ceux qui ne peuvent lutter contre le mal. Ou bien est-ce en connaissance de cause qu'ils se détournent du bien et l'abandonnent au profit du mal ?
Mais dans ce cas, ils ne cessent pas seulement d'être forts, ils cessent tout simplement d'être. Car ceux qui renoncent à ce vers quoi tendent également toutes choses, cessent en même temps aussi d'être. Certes il va peutêtre paraître étrange que je dis de ces méchants, qui représentent la majorité, qu'ils ne sont pas; il en est pourtant ainsi. En effet, de ceux qui sont méchants, je ne dis pas qu'ils ne sont pas méchants; j'affirme sans ambages qu'ils ne sont pas...
En effet, pour être il faut conserver son bon ordre et préserver sa nature; ce qui, au contraire, s'écarte de cette nature, renonce aussi à être ce qui dépend de sa nature...
C'est cette capacité à faire le mal qui prouve tout à fait clairement qu'ils ne sont capables de rien. Car si... le mal n'est rien, étant donné qu'il n'y a que le mal dont ils soient capables, il est clair que les malhonnêtes gens ne sont capables de rien...
Platon a raison de penser que seuls les sages ont le pouvoir de réaliser leurs désirs tandis que les malhonnêtes gens effectuent ce qui leur fait plaisir mais n'ont pas le pouvoir de satisfaire leurs désirs...


- Ceux que tu vois fièrement campés sur leur trône, ces rois Drapés de pourpre étincelante, protégés par une garde sinistre, Le regard dur et menaçant, tout écumants de rage,
Que ces orgueilleux perdent la protection de leur vaine parure Et on verra apparaître les liens sévères qui les enchaînent, ces maîtres : Les poisons dévorants de la passion leur rongent le coeur, La colère vient les fouetter comme le vent fouette les vagues, L'épreuve du chagrin les mine ou l'espoir incertain les torture.
Tu le vois, un seul être subit la loi de tous ces tyrans, Loin de faire ce qu'il veut, sous la férule des maîtres iniques...

. Nous avons montré que le bonheur est le bien lui-même, ce précisément pour quoi chaque action est accomplie. C'est donc tout simplement le bien qui est proposé en guise de récompense à toutes les actions humaines...
De même que pour les gens intègres, c'est précisément leur intégrité qui devient leur récompense, de même pour les malhonnêtes gens, c'est justement leur bassesse qui est leur châtiment...
Brûle-t-il de convoitise, celui qui recourt à la force pour spolier autrui de ses biens ? Autant parler d'un loup ! Dépense-t-il son énergie et son temps à user sa salive en chicanes ? Tu le compareras à un chien ! Tend-il des pièges dans l'ombre et se réjouit-il d'avoir frauduleusement dépouillé autrui ? Comparons-le au renard ! Rugit-il de colère sans pouvoir se contrôler ? On croirait qu'il porte en lui un coeur de lion ! Tremble-t-il d'épouvante, toujours prêt à se dérober, devant ce qui ne ferait pas peur à une mouche ? On dirait une biche ! Se montre-t-il apathique et lymphatique ?
C'est la vie d'un âne ! Frivole et inconstant, change-t-il tout le temps de goût ? Rien ne le distingue d'un oiseau ! Se vautre-t-il dans d'infâmes et d'immondes passions ? Le voilà prisonnier de désirs dignes d'un porc répugnant ! Ainsi, il se fait que si on cesse d'être un homme pour avoir faussé compagnie au bien, incapable d'accéder à la condition divine, on se change en bête...

- . . . . . . . . . . . . . . . . .
A l'intérieur de l'homme est sa nature,
Retranchée en une citadelle secrète.
Il est des poisons plus violents
Qui détournent l'homme de lui-même :
Ils l'atteignent en profondeur
Et sans nuire à son corps,
Ils le blessent à l'âme...


. Si cela même qui passe pour leur être permis, leur était retiré, le châtiment de ces scélérats en serait en grande partie atténué. Et de fait, ce qui peut paraître incroyable, les méchants sont nécessairement plus malheureux quand ils réussissent à accomplir ce qu'ils désirent accomplir que s'ils ne sont pas capables de satisfaire leurs désirs. Car si c'est un malheur de vouloir faire le mal, c'est un plus grand malheur encore d'en être capable, ce sans quoi l'effet de cette volonté malheureuse serait quasi inexistant...
J'affirme que des malhonnêtes gens ont plus de chance s'ils sont châtiés que s'ils ne sont réprimés par aucune peine requise par la justice...
Les malhonnêtes gens bénéficient donc, quand ils sont punis, d'une part de bien qui leur est adjointe, ( il s'agit précisément de leur punition qui est bonne du fait qu'elle est juste ) et ces mêmes gens, quand ils échappent au châtiment, acquièrent une part de mal supplémentaire, ( il s'agit de leur impunité dont tu as précisément reconnu qu'elle était un mal du fait de son iniquité )...
Le pouvoir des méchants, que tu trouvais si scandaleux, est inexistant, ceux dont tu déplorais l'impunité, n'échappent jamais aux châtiments... leur liberté d'agir, dont tu priais qu'elle prenne rapidement fin, ne dure pas longtemps et elle serait plus malchanceuse si elle s'exerçait sur une plus longue durée, et même extrêmement malchanceuse si elle était éternelle; enfin, les malhonnêtes gens sont plus malheureux s'ils échappent injustement à tout châtiment que s'ils subissent une peine justifiée. Il en résulte qu'ils ne sont jamais si sévèrement punis que lorsqu'on les croit impunis...
Tout ce qui vient au monde... trouve sa cause, son ordre et sa forme dans la stabilité de l'intelligence divine. Celle-ci, établie dans la citadelle de son indivisibilité, fixe une règle multiforme au gouvernement de l'univers.
Du point de vue de la pureté même de l'intelligence divine, cette règle s'appelle la Providence... par rapport à ce qu'elle met en mouvement et ordonne, c'est ce que les Anciens appelaient le destin...
La Providence est la raison divine qui réside dans le principe suprême de toutes choses et qui ordonne l'univers; quant au destin, c'est la disposition inhérente à tout ce qui peut se mouvoir, par laquelle la Providence réunit toutes choses, chacune à la place qui lui est assignée. La Providence embrasse toutes les choses à la fois... quant au destin, il répartit chaque chose individuellement en la situant dans l'espace et dans le temps et en lui attribuant une forme...
Le déroulement de l'ordre temporel qui trouve son unité dans la perspective de l'intelligence divine, c'est la Providence tandis que cette même unité, une fois distribuée et déployée dans le temps, s'appelle le destin.
Bien qu'il s'agisse de deux choses différentes, elles dépendent l'une de l'autre : le déroulement du destin procède de l'indivisibilité de la Providence. En effet, de même qu'un artiste commence... de même Dieu fixe par la Providence ce qui est à faire, en une seule fois et de façon définitive, tandis que par le destin, il organise dans la multiplicité et la temporalité cela même qu'il a fixé. Par conséquent, que le destin soit mû par des esprits divins au service de la Providence ou que le cours du destin soit tissé par l'âme, par la nature... Ce qui est évident c'est que la forme immuable et simple de ce qui est à accomplir est la Providence tandis que le destin est l'entrelacement changeant et l'enchaînement temporel de ce dont la simplicité divine a fixé la mise en oeuvre.
Il s'ensuit que tout ce qui est subordonné au destin est également soumis à la Providence, à laquelle est également soumis le destin lui-même mais que certaines choses qui sont placées sous le contrôle de la Providence, ne sont pas subordonnées à l'enchaînement du destin. Ce sont celles qui, fixées de façon immuable à proximité de la divinité suprême, échappent à la zone d'influence du destin aux combinaisons changeantes...
Plus une chose s'éloigne de l'intelligence suprême, plus les liens du destin l'enserrent et une chose est d'autant moins dépendante du destin qu'elle se rapproche étroitement de ce pivot de l'univers. Et si elle adhère fermement à l'Intelligence supérieure, dépourvue de tout mouvement, elle échappe aussi à la nécessité du destin...
Il arrive souvent que les bons se voient confier la direction des affaires, afin que soit mis un frein aux débordements de la méchanceté. Certains d'entre eux reçoivent de la Providence un traitement mitigé, en fonction de la nature de leur âme; elle vient harceler les uns de peur qu'ils ne se laissent aller après une longue période de prospérité et vient en rudoyer d'autres afin qu'ils se fortifient moralement à l'école de l'endurance...


- La concorde harmonise les éléments
De manière équilibrée : l'humidité
Agressive laisse son tour à la sécheresse,
Le froid conclut un pacte avec les flammes, . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cet équilibre nourrit et produit
Ce qui respire la vie sur terre.
Mais il emporte aussi tout ce qui naît
Et le précipite dans une fin inéluctable.
Cependant trône tout là-haut le Créateur :
Aux commandes du monde, il tient les rênes,
Roi et seigneur, source et origine,
Loi et sage arbitre de ce qui est juste
Et ce dont il a provoqué le mouvement,
Il le ramène en arrière et canalise ses errances.
Car s'il ne rétablissait les bonnes trajectoires
Et ne forçait les astres à regagner leur orbite
Tout ce qui obéit maintenant à un ordre stable,
Séparé de sa source, se désintégrerait.
Il est l'amour dont participe toutes choses
Qui aspirent à être retenues par leur fin, le bien, Car elles ne pourraient pas subsister autrement
Qu'en répondant à l'amour par l'amour
Et en remontant à la cause qui leur a donné d'être...

. Le sage ne doit pas renâcler chaque fois qu'il est appelé à se battre contre la Fortune... La vertu doit son nom au fait qu'elle ne cède pas devant l'adversité, comptant sur ses propres forces. Vous qui êtes sur le chemin de la vertu... vous livrez un combat ô combien rude contre toute forme de Fortune pour l'empêcher de vous démoraliser si elle fait une triste figure ou de vous corrompre si elle vous sourit. Maintenez-vous fermement au milieu
En-deçà ou au-delà de cette ligne médiane, se trouve le mépris du bonheur mais pas la récompense de l'effort. Il dépend de vous de donner à la Fortune la forme que vous souhaitez. En effet chaque fois que la Fortune semble adverse, si elle ne met pas à l'épreuve ou si elle ne corrige pas, c'est qu'elle punit...


- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Hercule doit sa renommée à ses durs travaux.
Il dompta les orgueilleux centaures,
Arracha au lion cruel sa dépouille, . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le dernier de ses travaux fut de porter le ciel
Sans courber la nuque et en récompense
De ce dernier de ses travaux, il mérita le ciel.
Et maintenant, courage ! Suivez les nobles
Traces de ce grand modèle ! Pourquoi ce manque d'énergie ?
Pourquoi montrez-vous le dos ? S'élever au-dessus de la Terre C'est mériter les étoiles.

Livre quatrième


- Le Tigre et l'Euphrate se confondent en une seule source Et bientôt leurs eaux se séparent et ils se désunissent.
S'ils se rejoignaient et réintégraient un lit unique, Tout ce que chacun transporte, se retrouverait pêle-mêle; Les bateaux se rencontreraient comme les troncs arrachés par le courant Et leurs eaux mêlées dessineraient un tracé hasardeux.
Pourtant ces errances, ce sont la déclivité du terrain Et les lois de l'écoulement de l'eau qui les régissent.
Ainsi, bien qu'il semble s'écouler en toute liberté, Le hasard subit une règle et son cours obéit à des lois...

- "Il voit tout et entend tout" :
Tel est Phébus rayonnant d'une lumière limpide
Que chante, de sa bouche d'où coule le miel, Homère; Pourtant les secrètes profondeurs de la terre
Ou de l'océan, il est incapable de les sonder :
Trop faible est la lumière de ses rayons.
Mais tel n'est pas le Créateur du vaste monde;
A son regard qui se pose sur toutes choses
Rien ne fait obstacle - ni l'opacité terrestre
Ni la noirceur d'une nuit nuageuse.
Ce qui est, a été et vient
Il le voit d'un seul trait;
C'est lui, car lui seul voit tout,
Qu'on peut appeler le vrai soleil...


- Quelle cause discordante brise les règles
De l'univers ?... . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et l'âme ensevelie dans un corps aveugle,
Ne peut-elle, la flamme de sa lumière étouffée,
Distinguer les liens ténus de l'univers ?
Mais pourquoi brûle-t-elle d'un tel désir
De découvrir les signes cachés du vrai ?
Sait-elle ce qu'elle cherche impatiemment à connaître ?
Mais qui fait des efforts pour savoir ce qu'il connaît ?
Mais si elle ne le sait pas, pourquoi chercher dans le noir ?
Qui en effet souhaiterait une chose sans la connaître Ou qui pourrait poursuivre ce qu'il ne connaît pas ?
Où le trouverait-il ? Qui pourrait reconnaître
Sans la connaître une forme qu'il a découverte ?
Ou bien en percevant l'Intelligence suprême,
Connaissait-elle à la fois l'essentiel et les détails ?
Maintenant cachée par l'obscurité du corps
Elle n'a pas complètement oublié sa nature
Et conserve l'essentiel tout en perdant les détails.
Par conséquent, un homme qui cherche le vrai
Vit une situation intermédiaire : il ne sait pas
Et pourtant il n'ignore pas complètement tout;
Il retient et se rappelle l'essentiel,
Il y réfléchit et repense à ce qu'il avait vu de là-haut Afin de pouvoir ajouter les parties oubliées
A celles qu'il a conservé...

- . . . . . . . . . . . . . . . .
Quand la lumière frappe les yeux
Ou qu'un cri résonne aux oreilles,
Alors la vigueur de l'âme se ranime,
Incite les images qu'elle possède
A l'intérieur, à de semblables mouvements,
Les adapte aux marques reçues de l'extérieur
Et associe ces images aux formes
Dissimulées à l'intérieur...


. C'est ainsi que le mode de connaissance qui surpasse tous les autres est celui qui, par sa propre nature, connaît non seulement ce qui lui est propre mais aussi ce qui est l'objet de tous les autres modes de connaissance...

- . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Seule, l'espèce humaine lève bien haut une tête fière Et légère, se tient droite et regarde la terre de haut.
Cette apparence, à moins que ta nature de mortel ne t'ai rendu stupide, t'invite,
Toi qui cherches le ciel, la tête haute et le front dégagé, A élever aussi ton âme vers les hauteurs, de peur que sous les pesanteurs, Elle ne s'enfonce et ne tombe plus bas que son corps...

. Ce qui subit la loi du temps, même si, comme le pense du monde Aristote, il ne commence ni ne cesse jamais d'être et que sa vie se déploie au rythme d'un temps illimité, il ne l'appréhende et ne l'embrasse pas totalement en une seule fois, il ne possède pas encore le futur et ne possède plus le passé. Par conséquent, ce qui appréhende et possède en une seule fois la totalité de la plénitude d'une vie sans limites, à quoi rien de futur ne manque et n'a échappé rien de passé, c'est cela qui est considéré à juste titre comme éternel et il est nécessaire qu'il soit toujours présent à soi-même en étant en possesssion de soi-même, et qu'il tienne pour présent le temps illimité qui passe...
En effet, une chose est de parcourir une vie sans limites, ce que Platon attribue au monde, mais autre chose est d'embrasser en une seule fois toute la présence d'une vie sans limites, ce qui est de toute évidence, le propre de l'intelligence divine...
Voilà pourquoi, si nous voulions nommer convenablement les choses, nous dirions avec Platon que Dieu, bien sûr, est éternel mais que le monde est perpétuel. Donc puisque tout jugement embrasse selon sa propre nature ce qui lui a été soumis et que d'autre part Dieu a une nature toujours éternelle et présente, son savoir aussi, qui va au-delà de tout mouvement du temps, demeure permanent dans la simplicité de son présent et, embrassant les espaces infinis de passé et de futur, les considère tous, du fait de son mode de connaissance simple, comme s'ils étaient dès lors en train de s'accomplir.


Livre cinquième


BOECE, Consolation de la philosophie, fin




1993 Thesaurus - LE VOILE ET LE MASQUE