1993 Thesaurus - SAINT BENOÎT


SAINT BERNARD



De même que celui qui écrit place tout conformément à des raisons certaines, ainsi les oeuvres de Dieu sont conformes à un ordre.
Saint BERNARD

Quel tumulte en l'esprit de ceux qui dictent ! y retentit la multitude des formules, la variété des phrases, la diversité des significations; il faut souvent éliminer ce qui se présente, chercher ce qui échappe, faire attention à ce qui sera le plus beau quant à l'expression, le plus logique du point de vue du sens, le plus clair pour l'intelligence, le plus utile pour la conscience du lecteur, veiller enfin à placer telle chose avant ou après telle autre...
Saint BERNARD

Souvent l'essai d'une vie plus austère calme les esprits inquiets, auxquels ne suffisait pas l'état dans lequel ils s'étaient engagés.
Saint BERNARD

Parce que nous sommes charnels, il faut que notre désir et notre amour commencent par la chair.
Saint BERNARD, sur les amitiés

Mon coeur est au comble de la joie quand j'apprends que le vôtre est en paix.
Saint BERNARD

Un fils peut oublier parfois qu'il est fils, mais une mère ne saurait et ne doit pas oublier qu'elle est mère.
Réprimander et reprocher ne serviraient qu'à l'exaspérer davantage.
Saint BERNARD, conseil à une mère

L'un et l'autre glaive, le matériel et le spirituel, sont à l'Eglise; mais l'un est tiré par l'Eglise, l'autre pour l'Eglise; celui-ci par la main du prêtre, celui-là par celle du chevalier, mais sur la requête du prêtre et sur l'ordre de l'empereur.
Saint BERNARD


On dit que ce n'est pas vous le pape, mais que c'est moi : de tous côtés affluent vers moi ceux qui ont des affaires en cours.
Saint BERNARD, à Eugène III, ancien moine de Citeaux

Quant à moi, il m'importe peu d'être jugé par ceux qui nomment bien le mal et mal le bien, qui font de la lumière des ténèbres et des ténèbres la lumière... Je préfère voir les murmures des hommes s'élever contre moi que contre Dieu.
Saint BERNARD, après l'échec de la seconde croisade qu'il avait
prêchée

Si c'était un péché d'avoir miséricorde, je ne pourrais m'empêcher, même en le voulant beaucoup, d'avoir miséricorde.
Saint BERNARD

Il ne convient pas que soit dispensée la totale béatitude avant que ne soit total l'homme à qui la donner; pas davantage que soit dotée à la perfection une Eglise encore imparfaite.
Saint BERNARD

Tout ce que je demande à Dieu, c'est que soient écartés de moi ceux qui se font de moi une idée supérieure à ce qu'ils voient en moi ou entendent dire à mon sujet.
Saint BERNARD

Dans la première création, Dieu m'a donné à moi-même; dans la régénération, il m'a redonné à moi-même...
Saint BERNARD

Il y a deux bains pour la langue : se garder d'une parole de jactance dans la prospérité des biens charnels ou spirituels, et se garder d'une parole d'impatience dans l'adversité.
Il y a deux bains pour l'esprit : abdiquer sa volonté propre et ne pas défendre avec présomption ses propres avis.
Saint BERNARD


Comme si les médecins ne prenaient pas le même bistouri pour opérer rois et vilains !
Saint BERNARD

Dites-moi, vous, les pontifes, que fait cet or; dans le sanctuaire on le tolérerait, mais sur le mors de vos chevaux ?
Saint BERNARD, le réformateur

Etant Dieu, le Christ ne pouvait grandir... Il a cependant trouvé le moyen de croître, et ce fut en descendant, en venant s'incarner , souffrir... pour nous...
O déraison des fils d'Adam ! Monter est chose difficile; descendre rien de plus facile. Eh bien ! ils montent avec désinvolture, tandis qu'ils acceptent difficilement de descendre.
Saint BERNARD

De quel droit un homme téméraire oserait-il reprendre ce qu'il ne peut comprendre ?
Saint BERNARD

Veuillez avoir pitié de cette femme et Dieu aura aussi pitié de vous.
Saint BERNARD, au comte de champagne pour une de ses justiciables

L'équilibre ne peut boîter.
Saint BERNARD, sur Dieu

Le Fils exaucera la Mère, et le Père exaucera le Fils.
Saint BERNARD

Il est dans la nature de tout être doué de raison de désirer toujours ce qu'il estime le meilleur et plus conforme à ses vues, et de ne jamais se contenter d'une chose, s'il juge qu'une autre, qui lui fait défaut, est préférable...
Et tous ces désirs ( humains ) sont sans fin...
Parce qu'ils ne rencontrent jamais rien qui ait la qualité unique de la chose suprême ou de la meilleure de toutes...
Ainsi se fait-il que le coeur vagabond, livré au vain labeur de courir à la poursuite des multiples plaisirs et des fallacieuses jouissances terrestres, s'épuise sans se rassasier.
Saint BERNARD


C'est dans un circuit fermé que marchent les impies.
Saint BERNARD

De même que Jésus-Christ s'est donné pour mériter notre amour, il se réserve pour être notre récompense.
Saint BERNARD

Mieux vaut faire surgir un scandale que de délaisser la vérité.
Saint BERNARD, citant Grégoire le Grand

Lui, qui ne savait que la croix, ne prêchait aussi que la croix.
Sur saint BERNARD, de Bossuet

Pendant les repas, je me fais lire quelques pages du "De consideratione" de saint Bernard... Rien de plus adapté et de plus utile pour un pauvre pape comme je suis, et pour un pape de tous les temps.
Quelque chose de ce qui ne faisait pas honneur au clergé de Rome du XIIème siècle demeure toujours. Aussi faut-il veiller, corriger et supporter.
JEAN XXIII




SAINT BONAVENTURE



La connaissance ne peut être certaine que si elle est immuable du côté de la chose à connaître et infaillible du côté de celui qui connaît.
Or, la vérité créée n'est pas par soi supposée immuable, mais supposée telle...
Saint BONAVENTURE

La foi dirige vers le Vrai suprême, par la croyance et l'assentiment; L'espoir, vers la suprême Grandeur, par la confiance et l'attente; La charité vers le souverain Bien, par le désir et l'amour.
Saint BONAVENTURE

C'est en commençant par la stabilité de la foi, en poursuivant son chemin par la sérénité de la raison que l'on parvient à la suavité de la contemplation.
Saint BONAVENTURE

Que ( le lecteur ) ne croie pas que la lecture suffise sans l'onction, la spéculation sans la dévotion, la recherche sans l'admiration, l'attention sans l'enthousiasme, le talent sans la piété, la science sans la charité, l'intelligence sans l'humilité, l'étude sans la grâce, le miroir de l'esprit sans l'inspiration de la divine sagesse.
Saint BONAVENTURE, à propos de nos recherches sur notre destinée

La lumière divine garantit la solidité de la pensée mais elle réside à l'intérieur de celle-ci sans y être introduite par la raison.
Saint BONAVENTURE

Peut-on ordonner les choses du point de vue des sciences sans adopter un centre de réference qui rende leur système possible du fait même qu'il ne s'y trouve pas inclus.
Saint BONAVENTURE


La conscience est comme le héraut et le messager de Dieu; ce qu'elle dit, elle ne le prescrit pas d'elle-même, mais elle le prescrit comme venant de Dieu, à la manière d'un héraut lorsqu'il proclame l'édit du roi. Il en résulte que la conscience a le pouvoir d'obliger.
Saint BONAVENTURE

Le prédicateur n'a rien à découvrir dans son coeur car le Seigneur n'a pas créé de nouveaux pains pour rassasier les foules, Il a multiplié cinq pains d'orge. Le prédicateur n'a qu'à distribuer.
Saint BONAVENTURE

Les deux Personnes, le Père et le Fils "spirent" l'Esprit ( amour, don et lien ) et le constitue en Personne.
Saint BONAVENTURE

Que vaut-il mieux, donner une pomme à son voisin, puis une autre pomme, puis une autre, jusqu'à même donner toutes ses pommes ( en supposant que l'homme soit capable d'une telle abnégation ) ou bien donner en une seule fois irrévocablement toutes les pommes, plus le pommier, plus le terrain ?

Saint BONAVENTURE, réponse à Guillaume de SAINT-AMOUR qui contestait
la nécessité des vocations religieuses régulières
en arguant de la possibilité de pratiquer des
vertus aussi grandes dans l'état laïc.

Espérer c'est voler.
Saint BONAVENTURE

Celui en qui Adam ne semblait pas avoir péché.
Sur saint BONAVENTURE, de Alexandre de Halès




BOSSUET



Je l'avais fait pour être spirituel dans sa chair; et maintenant il est devenu charnel même dans l'esprit.
BOSSUET

Les vertus cachées, ces vertus où le public n'a point de part.
BOSSUET

Malheur à la connaissance qui ne tourne pas à aimer.
BOSSUET

Si les Protestants savaient à fond comment s'est formée leur religion...
Cette réforme dont ils se vantent, ne les contenterait guère; et pour dire franchement ce que je pense, elle ne leur inspirerait que du mépris.
BOSSUET

Ils nous ont fait un christianisme tout nouveau... où pour la grande consolation des libertins l'âme meurt avec le corps, et l'éternité des peines n'est qu'un songe plein de cruauté.
BOSSUET

Les hérésies n'ont jamais été que des opinions particulières, puisqu'elles ont commencé par cinq ou six hommes.
BOSSUET

Voir les choses comme elles sont et non comme on voudrait qu'elles soient.
BOSSUET

Je prévois que les libertins et les esprits forts pourront être discrédités, non par aucune horreur de leur sentiments, mais parce qu'on tiendra tout dans l'indifférence, excepté les plaisirs et les affaires.
BOSSUET, prophétique !


L'éloquence suivait comme la servante, non recherchée avec soin, mais attirée par les choses mêmes.
BOSSUET, oraison funèbre du P. Bourgoing


-- Oraison funèbre d'HENRIETTE-MARIE de FRANCE, reine de la Grand'Bretagne -

Vous verrez avec quelle prudence elle traitait les affaires; et une main si habile eût sauvé l'Etat, si l'Etat eût pu être sauvé.

L'erreur et la nouveauté se faisaient entendre dans toutes les chaires; et la doctrine ancienne, qui, selon l'oracle de l'Evangile, "doit être prêchée jusque sur les toits", pouvait à peine parler à l'oreille. Les enfants de Dieu étaient étonnés de ne plus voir ni l'autel, ni le sanctuaire, ni ces tribunaux de miséricorde qui justifient ceux qui s'accusent. O douleur ! il fallait cacher la pénitence avec le même soin qu'on eût fait les crimes; et JESUS-CHRIST même se voyait contraint, au grand malheur des hommes ingrats, de chercher d'autres voiles, et d'autres ténèbres, que ces voiles, et ces ténèbres mystiques, dont il se couvre volontairement dans l'Eucharistie.

Quand Dieu laisse sortir du puits de l'abîme la fumée qui obscurcit le soleil, selon l'expression de l'Apocalypse, c'est-à-dire l'erreur et l'hérésie, quand, pour punir les scandales, ou pour réveiller les peuples et les pasteurs, il permet à l'esprit de séduction de tromper les âmes hautaines, et de répandre partout un chagrin superbe, une indocile curiosité, et un esprit de révolte, il détermine, dans sa sagesse profonde, les limites qu'il veut donner aux malheureux progrès de l'erreur et aux souffrances de son Eglise.

Quand le roi Henri VIII... s'égara... et commença d'ébranler l'autorité de l'Eglise, les sages lui dénoncèrent qu'en remuant ce seul point il mettait tout en péril, et qu'il donnait contre son dessein une licence effrénée aux âges suivants.
Les sages le prévirent; mais les sages sont-ils crus en ces temps d'emportement, et ne se rit-on pas de leurs prophéties ?


L'Angleterre a tant changé, qu'elle ne sait plus elle-même à quoi s'en tenir; et, plus agitée en sa terre et en ses ports mêmes que l'Océan qui l'environne, elle se voit inondée par l'effroyable débordement de mille sectes bizarres.

N'en doutons pas, Chrétiens : les fausses religions, le libertinage d'esprit, la fureur de disputer des choses divines sans fin, sans règle, sans soumission a emporté les courages...
J'ai déjà dit quelque chose de la licence où se jettent les esprits quand on ébranle les fondements de la religion et qu'on remue les bornes une fois posées.

La source de tout le mal est que ceux qui n'ont pas craint de tenter au siècle passé la réformation par le schisme, ne trouvant point de plus fort rempart contre toutes leurs nouveautés que la sainte autorité de l'Eglise, ils ont été obligés de la renverser. Ainsi les décrets des conciles, la doctrine des Pères, et leur sainte unanimité, l'ancienne tradition du Saint-Siège et de l'Eglise catholique n'ont plus été comme autrefois des lois sacrées et inviolables. Chacun s'est fait à soi-même un tribunal où il s'est rendu l'arbitre de sa croyance; et, encore qu'il semble que les novateurs aient voulu retenir les esprits en les renfermant dans les limites de l'Ecriture sainte, comme ce n'a été qu'à condition que chaque fidèle en deviendrait l'interprète et croirait que le Saint-Esprit lui en dicte l'explication, il n'y a point de particulier qui ne se voie autorisé par cette doctrine à adorer ses inventions, à consacrer ses erreurs, à appeler Dieu tout ce qu'il pense. Dés lors on a bien prévu que, la licence n'ayant plus de frein, les sectes se multiplieraient jusqu'à l'infini; que l'opiniâtreté serait invincible; et que, tandis que les uns ne cesseraient de disputer, ou donneraient leurs rêveries pour inspirations, les autres, fatigués de tant de folles visions, et ne pouvant plus reconnaître la majesté de la religion déchirée par tant de sectes, iraient enfin chercher un repos funeste, et une entière indépendance, dans l'indifférence des religions, ou dans l'athéisme.

Les rois... ont trop fait sentir aux peuples que l'ancienne religion se pouvait changer. Les sujets ont cessés d'en révérer les maximes, quand ils les ont vu céder aux passions et aux intérêts de leurs princes...
Ces disputes n'étaient encore que de faibles commencements, par où ces esprits turbulents faisaient comme un essai de leur liberté. Mais quelque chose de plus violent se remuait dans le fond des coeurs : c'était un dégoût secret de tout ce qui a de l'autorité, et une démangeaison d'innover sans fin, après qu'on en a vu le premier exemple.


Que peuvent des évêques qui ont anéanti eux-mêmes l'autorité de leur chaire et la révérence qu'on doit à la succession, en condamnant ouvertement leurs prédécesseurs jusques à la source même de leur sacre, c'est-à-dire jusqu'au pape saint Grégoire et au saint moine Augustin, son disciple, et le premier apôtre de la nation anglaise ? Qu'est-ce que l'épiscopat quand il se sépare de l'Eglise qui est son tout, aussi bien que du Saint-Siège qui est son centre, pour s'attacher contre sa nature à la royauté comme à son chef ?

On énerve la religion quand on la change, et on lui ôte un certain poids, qui est seul capable de tenir les peuples. Ils ont dans le fond du coeur je ne sais quoi d'inquiet qui s'échappe, si on leur ôte ce frein nécessaire, et on ne leur laisse plus rien à ménager quand on leur permet de se rendre maîtres de leur religion...
Tant il est vrai que tout se tourne en révoltes et en pensées séditieuses quand l'autorité de la religion est anéantie...
Dieu même menace les peuples qui altèrent la religion qu'il a établie de se retirer du milieu d'eux, et par là de les livrer aux guerres civiles.

( Cromwell ) Comme il eut aperçu que dans ce mélange infini de sectes, qui n'avaient plus de règles certaines, le plaisir de dogmatiser sans être repris ni contraint par aucune autorité ecclésiastique ni séculière était le charme qui possédait les esprits, il sut si bien les concilier par là qu'il fit un corps redoutable de cet assemblage monstrueux. Quand une fois on a trouvé le moyen de prendre la multitude par l'appât de la liberté, elle suit en aveugle, pourvu qu'elle en entende seulement le nom.

Voyez, Chrétiens, comme les temps sont marqués, comme les générations sont comptées; Dieu détermine jusques à quand doit durer l'assoupissement, et quand aussi se doit réveiller le monde.

O mère, ô femme, ô reine admirable, et digne d'une meilleure fortune, si les fortunes de la terre étaient quelque chose ! Enfin il faut céder à votre sort.

.. Les plus expérimentés dans les affaires font des fautes capitales.
Mais que nous nous pardonnons aisément nos fautes, quand la fortune nous les pardonne ! et que nous nous croyons bientôt les plus éclairés et les plus habiles, quand nous sommes les plus élevés et les plus heureux !
Les mauvais succès sont les seuls maîtres qui peuvent nous reprendre utilement, et nous arracher cet aveu d'avoir failli, qui coûte tant à notre orgueil.


... Combien la reine fut consolée par ce merveilleux événement; mais elle avait appris par ses malheurs à ne changer pas dans un si grand changement de son état. Le monde une fois banni n'eut plus de retour dans son coeur...
Elle veillait sans relâche sur sa conscience. Après tant de maux et tant de traverses, elle ne connut plus d'autres ennemis que ses péchés. Aucun ne lui sembla léger : elle en faisait un rigoureux examen; et soigneuse de les expier par la pénitence et par les aumônes, elle était si bien préparée que la mort n'a pu la surprendre...

Si elle avait été plus fortunée, son histoire serait plus pompeuse, mais ses oeuvres seraient moins pleines, et avec des titres superbes elle aurait peut-être paru vide devant Dieu.

BOSSUET, Oraison funèbre d'Henriette-Marie de France, fin



Oraison funèbre d'HENRIETTE d'ANGLETERRE, duchesse d'Orléans



Elle, que j'avais vue si attentive pendant que je rendais le même devoir à la reine sa mère, devait être si tôt après le sujet d'un discours semblable; et ma triste voix était réservée à ce déplorable ministére. O vanité ! ô néant ! ô mortels ignorants de leur destinée !...
PRINCESSE, le digne objet de l'admiration de deux grands royaumes, n'étaitce pas assez que l'Angleterre pleurât votre absence, sans être encore rédui- te à pleurer votre mort ?

Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines...
La vie n'est qu'un songe, la gloire n'est qu'une apparence, les grâces et les plaisirs ne sont qu'un dangereux amusement.

Il ne faut pas permettre à l'homme de se mépriser tout entier, de peur que, croyant avec les impies que notre vie n'est qu'un jeu où règne le hasard, il ne marche sans règle et sans conduite au gré de ses aveugles désirs.

Ainsi tout est vain en l'homme, si nous regardons ce qu'il donne au monde; mais au contraire tout est important, si nous considérons ce qu'il doit à Dieu.

Voyons ce qu'une mort soudaine lui a ravi; voyons ce qu'une sainte mort lui a donné. Ainsi nous apprendrons à mépriser ce qu'elle a quitté sans peine, afin d'attacher toute notre estime à ce qu'elle a embrassé avec tant d'ardeur..

De quelque superbe distinction que se flattent les hommes, ils ont tous une même origine; et cette origine est petite. Leurs années se poussent successivement comme des flots; ils ne cessent de s'écouler; tant qu'enfin après avoir fait un peu plus de bruit et traversé un peu plus de pays les uns que les autres, ils vont tous ensemble se confondre dans un abîme où l'on ne reconnaît plus ni princes, ni rois, ni toutes ces autres qualités superbes qui distinguent les hommes; de même que ces fleuves tant vantés demeurent sans nom et sans gloire mêlés dans l'Océan avec les rivières les plus inconnues.


.. Le ciel l'avait arrachée, comme par miracle, des mains des ennemis du roi son père pour la donner à la France : don précieux, inestimable présent, si seulement la possession en avait été plus durable !

O mort, éloigne-toi de notre pensée, et laisse-nous tromper pour un peu de temps la violence de notre douleur par le souvenir de notre joie.

Quel esprit avez-vous trouvé plus élevé ? mais quel esprit avez-vous trouvé plus docile ? Plusieurs, dans la crainte d'être trop faciles, se rendent inflexibles à la raison, et s'affermissent contre elle. MADAMe s'éloignait toujours autant de la présomption que de la faiblesse, et de ce qu'elle savait trouver les sages conseils, et de ce qu'elle était capable de les recevoir..

Elle étudiait ses défauts; elle aimait qu'on lui en fît des leçons sincères : marque assurée d'une âme forte, que ses fautes ne dominent pas, et qui ne craint point de les envisager de près, par une secrète confiance des ressources qu'elle sent pour les surmonter.

Il est temps de faire voir que tout ce qui est mortel, quoi qu'on ajoute par le dehors pour le faire paraître grand, est par son fond incapable d'élévation...
Tout ce qui se mesure finit; et tout ce qui est né pour finir n'est pas tout à fait sorti du néant où il est si tôt replongé. Si notre être, si notre substance n'est rien, tout ce que nous bâtissons dessus, que peut-il être ?

Alors ces malheureux vaincus rappelleront à leur compagnie leur superbe triomphateur, et du creux de leurs tombeaux sortira cette voix qui foudroie toutes les grandeurs : "Vous voilà blessé coome nous; vous êtes devenu semblable à nous". Que la fortune ne tente donc pas de nous tirer du néant...

"Ils mourront", dit le roi prophète, "et en ce jour périront toutes leurs pensées", c'est-à-dire les pensées des conquérants, les pensées des politiques, qui auront imaginé dans leurs cabinets des desseins où le monde entier sera compris. Ils se seront munis de tous côtés par des précautions infinies; enfin ils auront tout prévu, excepté leur mort qui emportera en un moment toutes leurs pensées.


Chrétiens, ne murmurez pas... Il n'y a rien ici de rude pour elle, puisque, ... Dieu la sauve par le même coup qui nous instruit.

O nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : MADAME se meurt, MADAME est morte !...
MADAME cependant a passé du matin au soir, ainsi que l'herbe des champs.
Le matin elle fleurissait; avec quelles grâces, vous le savez : le soir, nous la vîmes séchée..

Dieu a mis quelque chose en nous qui peut confesser la vérité de son être, en adorer la perfection, en adorer la plénitude; quelque chose qui peut se soumettre à sa souveraine puissance, s'abandonner à sa haute et incompréhensible sagesse, se confier en sa bonté, craindre sa justice, espérer son éternité.

Sortez du temps et du changement, aspirez à l'éternité : la vanité ne vous tiendra plus asservis.

Que d'années elle va ravir à cette jeunesse ! que de joies elle enlève à cette fortune ! que de gloire elle ôte à ce mérite !

( à son agonie )
C'était un nouveau langage que la grâce lui apprenait. Nous ne voyions en elle ni cette ostentation par laquelle on veut tromper les autres, ni ces émotions d'une âme alarmée par lesquelles on se trompe soi-même.
Tout était simple, tout était solide, tout était tranquille, tout partait d'une âme soumise, et d'une source sanctifiée par le Saint-Esprit.

.. Quel péril n'eût point trouvé cette princesse dans sa propre gloire.
La gloire ! Qu'y a-t-il pour le chrétien de plus pernicieux et de plus mortel ? quel appât plus dangereux ? quelle fumée plus capable de faire tourner les meilleures têtes ?...
Ces idoles que le monde adore, à combien de tentations délicates ne sontelles pas exposées ?
La gloire, il est vrai, les défend de quelques faiblesses; mais la gloire les défend-elle de la gloire même ? ne s'adorent-elles pas secrètement ? ne veulent-elles pas être adorées ? que n'ont-elles pas à craindre de leur amour-propre ? et que se peut refuser la faiblesse humaine, pendant que le monde lui accorde tout ?


La grâce, cette excellente ouvrière, se plaît quelquefois à renfermer en un jour la perfection d'une longue vie. Je sais que Dieu ne veut pas qu'on s'attende à de tels miracles; mais si la témérité insensée des hommes abuse de ses bontés, son bras pour cela n'est pas raccourci, et sa main n'est pas affaiblie.

Les adorateurs des grandeurs humaines seront-ils satisfaits de leur fortune, quand ils verront que dans un moment leur gloire passera à leur nom, leurs titres à leurs tombeaux, leurs biens à des ingrats, et leurs dignités peutêtre à leurs envieux ? Que si nous sommes assurés qu'il viendra un dernier jour, où la mort nous forcera de confesser toutes nos erreurs, pourquoi ne pas mépriser par raison ce qu'il faudra un jour mépriser par force ?

BOSSUET, Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre, fin



Oraison funèbre d'ANNE de GONZAGUE, princesse Palatine



Venez maintenant, pécheurs, quels que vous soyez, en quelques régions écartées que la tempête de vos passions vous ait jetés, fussiez-vous dans ces terres ténébreuses dont il est parlé dans l'Ecriture et dans l'ombre de la mort; si'il vous reste quelque pitié de votre âme malheureuse, venez voir d'où la main de Dieu a retiré la princesse ANNE, venez voir où la main de Dieu l'a élevée...
Vous donc qu'il assemble en ce saint lieu, et vous principalement, pécheurs, dont il attend la conversion avec une si longue patience, n'endurcissez pas vos coeurs, ne croyez pas qu'il vous soit permis d'apporter seulement à ce discours des oreilles curieuses. Toutes les vaines excuses dont vous couvrez votre impénitence vous vont être ôtées. Ou la princesse Palatine portera la lumière dans vos yeux, ou elle fera tomber, comme un déluge de feu, la vengeance de Dieu sur vos têtes. Mon discours, dont vous vous croyez peut-être les juges, vous jugera au dernier jour; ce sera sur vous un nouveau fardeau, comme parlaient les prophètes... et si vous n'en sortez plus chrétiens, vous en sortirez plus coupables.

Pour nous, mes Frères, qui savons à quoi ont servi à saint Pierre ses reniements, à saint Paul les persécutions qu'il a fait souffrir à l'Eglise, à saint Augustin ses erreurs, à tous les saints pénitents leurs péchés, ne craignons pas de mettre la princesse Palatine dans ce rang, ni de la suivre jusque dans l'incrédulité où elle était enfin tombée. C'est de là que nous la verrons sortir pleine de gloire et de vertu, et nous bénirons avec elle la main qui l'a relevée..

Maîtresse de ses désirs, elle vit le monde, elle en fut vue : bientôt elle sentit qu'elle plaisait, et vous savez le poison subtil qui entre dans un jeune coeur avec ces pensées.

La princesse Palatine est dans l'état le plus dangereux de sa vie. Que le monde voit peu de ces veuves dont parle saint Paul, qui, vraiment veuves et désolées, s'ensevelissent... et, délaissées sur la terre, mettent leur espérance en Dieu et passent les nuits et les jours dans la prière !
Voilà l'état d'une veuve chrétienne, selon les préceptes de saint Paul : état oublié parmi nous, où la viduité est regardée, non plus comme un état de désolation, car ces mots ne sont plus connus, mais comme un état désirable, où, affranchi de tout joug, on n'a plus à contenter que soi-même... "La veuve qui passe sa vie dans les plaisirs, elle est morte toute vive", parce qu'oubliant le deuil éternel et le caractère de désolation qui fait le soutien comme la gloire de son état, elle s'abandonne aux joies du monde.
Combien donc en devrait-on pleurer comme mortes, de ces veuves jeunes et riantes que le monde trouve si heureuses !


Pour la plonger entièrement dans l'amour du monde, il fallait ce dernier malheur : quoi ? la faveur de la Cour. La Cour veut toujours unir les plaisirs avec les affaires. Par un mélange étonnant, il n'y a rien de plus sérieux, ni ensemble de plus enjoué. Enfoncez : vous trouvez partout des intérêts cachés, des jalousies délicates qui causent une extrême sensibilité et, dans une ardente ambition, des soins et un sérieux aussi triste qu'il est vain. Tout est couvert d'un air gai et vous diriez qu'on ne songe qu'à s'y divertir...
Dans ces déplorables erreurs, la princesse Palatine avait les vertus que le monde admire, et qui font qu'une âme séduite s'admire elle-même.

.. ce qui l'attachait à elle-même. Je ne vois dans tout ce récit que le prodigue de l'Evangile, qui veut avoir son partage, qui veut jouir de soi-même et des biens que son père lui a donnés, qui s'en va le plus loin qu'il peut de la maison paternelle, dans un pays écarté où il dissipe de rares trésors et, en un mot, où il donne au monde tout ce que Dieu voulait avoir.
Pendant qu'elle contentait le monde et se contentait elle-même, la princesse Palatine n'était pas heureuse, et le vide des choses humaines se faisait sentir à son coeur.

Une âme comme la sienne ne souffre point de tels partages, et il fallait ou tout à fait rompre, ou se rengager avec le monde. Les affaires l'y rappelèrent; sa piété s'y dissipa encore une fois; elle éprouva que JESUS-CHRIST n'a pas dit en vain : "l'état de l'homme qui retombe devient pire que le premier". Tremblez, âmes réconciliées, qui renoncez si souvent à la grâce de la pénitence; tremblez enfin au terrible exemple de la princesse Palatine.

Il ( Jésus-Christ ) a mis dans cette Eglise une autorité seule capable d'abaisser l'orgueil et de relever la simplicité, et qui, également propre aux savants et aux ignorants, imprime aux uns et aux autres un même respect.
C'est contre cette autorité que les libertins se révoltent avec un air de mépris. Mais qu'ont-ils vu, ces rares génies, qu'ont-ils vu plus que les autres ? Quelle ignorance est la leur ! et qu'il serait aisé de les confondre si, faibles et présomptueux, ils ne craignaient d'être instruits !
Car pensent-ils avoir mieux vu les difficultés à cause qu'ils y succombent et que les autres, qui les ont vues, les ont méprisées ?...
Est-ce peut-être que tous ceux qui errent sont de bonne foi ? L'homme ne peut-il pas, selon sa coutume, s'en imposer à lui-même ?...
Où a-t-on pris que la peine et la récompense ne soient que pour les jugements humains, et qu'il n'y ait pas en Dieu une justice dont celle qui reluit en nous ne soit qu'une étincelle ?...
Qui leur résoudra ces doutes, puisqu'ils veulent les appeler de ce nom ?
Leur raison, qu'ils prennent pour guide, ne présente à leur esprit que des conjectures et des embarras. Les absurdités où ils tombent en niant la religion deviennent plus insoutenables que les vérités dont la hauteur les étonne et, pour ne vouloir pas croire des mystères incompréhensibles, ils suivent l'une après l'autre d'incompréhensibles erreurs.
Qu'est-ce donc, après tout, MESSIEURS, qu'est-ce que leur malheureuse incrédulité, sinon une erreur sans fin, une témérité qui hasarde tout, un étourdissement volontaire et, en un mot, un orgueil qui ne peut souffrir son remède, c'est-à-dire qui ne peut souffrir une autorité légitime ?
Ne croyez pas que l'homme ne soit emporté que par l'intempérance des sens.
L'intempérance de l'esprit n'est pas moins flatteuse. Comme l'autre elle se fait des plaisirs cachés, et s'irrite par la défense...
Devenu le seul objet de ses complaisances, il se fait lui-même son Dieu.
C'est dans cet abîme profond que la princesse Palatine allait se perdre.
Il est vrai qu'elle désirait avec ardeur de connaître la vérité. Mais où est la vérité sans la foi, qui lui paraissait impossible à moins que Dieu ne l'établit en elle par un miracle ?...
Un Dieu qu'on fait à sa mode, aussi patient, aussi insensible que nos passions le demandent, n'incommode pas. La liberté que l'on se donne de penser tout ce qu'on veut fait qu'on croit respirer un air nouveau. On s'imagine jouir de soi-même et de ses désirs et, dans le droit qu'on pense acquérir de ne se rien refuser, on croit tenir tous les biens, et on les goûte par avance.


Le miracle qu'elle attendait est arrivé : elle croit, elle qui jugeait la foi impossible; Dieu la change par une lumière soudaine, et par un songe qui tient de l'extase...
Le voilà, ce pur amour que Dieu lui-même répand dans les coeurs avec toutes ses délicatesses et dans toute sa vérité. La voilà, cette crainte qui change les coeurs : non point la crainte de l'esclave qui craint l'arrivée d'un maître fâcheux, mais la crainte d'une chaste épouse qui craint de perdre ce qu'elle aime...
La princesse Palatine change en un moment tout entière : nulle parure que la simplicité, nul ornement que la modestie. Elle se montre au monde à cette fois; mais ce fut pour lui déclarer qu'elle avait renoncé à ses vanités.

Les psaumes avaient succédé aux cantiques des joies du siècle. Tant qu'il n'était point nécessaire de parler, la sage princesse gardait le silence : la vanité et les médisances, qui soutiennent tout le commerce du monde, lui faisaient craindre tous les entretiens, et rien ne lui paraissait ni agréable ni sûr que la solitude.

On ne peut retenir ses larmes quand on lui voit épancher son coeur sur de vieilles femmes qu'elle nourrissait. Des yeux si délicats firent leur délices de ces visages ridés, de ces membres courbés sous les ans.

( à son agonie ) .. Disant aussitôt après JESUS-CHRIST la prière du sacré mystère du Jardin ( c'est ainsi qu'elle appelait la prière de l'agonie de notre Sauveur ).

Quel supplice à une conscience timorée ! Elle croyait voir partout dans ses actions un amour-propre déguisé en vertu.

Malheur à moi si dans cette chaire j'aime mieux me chercher moi-même que votre salut, et si je ne préfère à mes inventions, quand elles pourraient vous plaire, les expériences de cette princesse qui peuvent vous convertir !

Que si l'homme, qui n'est que faiblesse, tente l'impossible, Dieu, pour contenter son amour, n'exécutera-t-il rien d'extraordinaire ?


"Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique."... "Nous croyons et nous confessons l'amour que Dieu a pour nous."...
C'est là toute la foi des chrétiens, c'est la cause et l'abrégé de tout le symbole.
C'est là que la princesse Palatine a trouvé la résolution de ses anciens doutes. Dieu a aimé : c'est tout dire. S'il a fait, disait-elle, de si grandes choses pour déclarer son amour dans l'Incarnation, que n'aura-t-il pas fait pour le consommer dans l'Eucharistie, pour se donner, non plus en général à la nature humaine, mais à chaque fidèle en particulier ?...
N'y croyons pas à demi, à la manière des hérétiques, dont l'un en retranche une chose et l'autre une autre, l'un le mystère de l'Incarnation et l'autre celui de l'Eucharistie, chacun ce qui lui déplaît : faibles esprits, ou plutôt coeurs étroits et entrailles resserées, que la foi et la charité n'ont pas assez dilatées pour comprendre toute l'étendue de l'amour d'un Dieu !

O Ciel, ô terre, étonnez-vous à ce prodige nouveau ! C'est que parmi tant de témoignages de l'amour divin, il y ait tant d'incrédules et tant d'insensibles. N'en augmentez pas le nombre, qui va croissant tous les jours.
N'alléguez plus votre malheureuse incrédulité, et ne faites pas une excuse de votre crime. Dieu a des remèdes pour vous guérir, et il ne reste qu'à les obtenir par des voeux continuels. Il a su prendre la sainte princesse dont nous parlons par le moyen qu'il lui a plu; il en a d'autres pour vous jusqu'à l'infini, et vous n'avez rien à craindre que de désespérer de ses bontés.

Elle a porté ces sentiments jusqu'à l'agonie et, prête à rendre l'âme, on entendit qu'elle disait d'une voix mourante : "Je m'en vais voir comment Dieu me traitera; mais j'espère en ses miséricordes".

Chrétiens, et vous, Seigneur, imposez silence à cet indigne ministre, qui ne fait qu'affaiblir votre parole. Parlez dans les coeurs, Prédicateur invisible, et faites que chacun se parle à soi-même.

Il n'y a plus ni princesse ni Palatine; ces grands noms dont on s'étourdit, ne subsistent plus. Il faut dire avec elle : je m'en vais, je suis emporté par une force inévitable; tout fuit, tout diminue, tout disparaît à mes yeux. Il ne reste plus à l'homme que le néant et le péché : pour tout fonds, le néant; pour toute acquisition, le péché... "Préparez les voies du Seigneur." Comment ? par la pénitence ? Mais seronsnous fort contents d'une pénitence commencée à l'agonie, qui n'aura jamais été éprouvée, dont jamais on n'aura vu aucun fruit; d'une pénitence imparfaite; d'une pénitence nulle; douteuse, si vous le voulez; sans forces, sans réflexion, sans loisirs pour en réparer les défauts ?


Siècle vainement subtil, où l'on veut pécher avec raison, où la faiblesse veut s'autoriser par des maximes, où tant d'âmes insensées cherchent leur repos dans le naufrage de la foi et ne font d'effort contre elles-mêmes que pour vaincre, au lieu de leurs passions, les remords de leur conscience.

BOSSUET, Oraison funèbre d'Anne de Gonzague, fin




1993 Thesaurus - SAINT BENOÎT