1995 Ut Unum Sint 86

Contribution de l'Eglise catholique à la recherche de l'unité

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La constitution Lumen gentium, dans une de ses affirmations fondamentales que reprend le décret Unitatis redintegratio (141), écrit que l'unique Eglise du Christ est présente dans l'Eglise catholique (142). Le décret sur l'oecuménisme souligne la présence en elle de la plénitude (plenitudo) des moyens de salut (143). La pleine unité se réalisera lorsque tous participeront à la plénitude des moyens du salut que le Christ a confiés à son Eglise.

141-
UR 4.
142- LG 8.
143- UR 3.


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Sur la route qui conduit à la pleine unité, le dialogue oecuménique s'efforce de susciter un soutien fraternel mutuel par lequel les Communautés s'attachent à échanger ce dont chacune a besoin pour grandir selon le dessein de Dieu vers la plénitude définitive
Ep 4,11-13. J'ai dit que, en tant qu'Eglise catholique, nous avons conscience d'avoir reçu beaucoup du témoignage, des recherches et même de la manière dont ont été soulignés et vécus par les autres Eglises et Communautés ecclésiales certains biens communs aux chrétiens. Parmi les progrès accomplis pendant les trente dernières années, il faut mettre en bonne place cette influence fraternelle réciproque. Au point où nous sommes parvenus (144), ce dynamisme d'enrichissement mutuel doit être sérieusement pris en considération. Fondé sur la communion qui existe déjà grâce aux éléments ecclésiaux présents dans les Communautés chrétiennes, il ne manquera pas d'entraîner vers la communion pleine et visible, objectif désiré du cheminement que nous faisons. C'est la forme oecuménique de la loi évangélique du partage. Cela m'invite à répéter : "Il faut avoir en tout le souci de rencontrer ce que légitimement nos autres frères chrétiens désirent et attendent de nous, en connaissant leur manière de penser et leurs sensibilités (...). Il faut que les dons de chacun se développent pour l'utilité et l'avantage de tous" (145).

144- Après le document dit de Lima de la Commission "Foi et Constitution" sur Baptême, Eucharistie, Ministère (janvier 1982): Enchir. oecum. 1, pp. 1392-1446, et dans l'esprit de la déclaration de la VIIe Assemblée générale du Conseil oecuménique des Églises sur "L'unité de l'Église comme koinônia: don et exigence" (Canberra, 7-20 février 1991): La Documentation catholique, n. 2025 (7 avril 1991), pp. 349-350.
145- Discours aux Cardinaux et à la Curie romaine (28 juin 1985), n. 4: AAS 77 (1985), pp. 1151-1152.


Le ministère d'unité de l'Evêque de Rome

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Parmi toutes les Eglises et Communautés ecclésiales, l'Eglise catholique a conscience d'avoir conservé le ministère du successeur de l'Apôtre Pierre, l'Evêque de Rome, que Dieu a institué comme "principe et fondement permanents et visibles de l'unité" (146) et que l'Esprit assiste afin que tous les autres bénéficient de ce bien essentiel. Suivant la belle expression du Pape Grégoire le Grand, mon ministère est celui de servus servorum Dei. Cette définition est la meilleure protection contre le risque de séparer l'autorité (et en particulier la primauté) du ministère, ce qui serait en contradiction avec le sens de l'autorité selon l'Evangile : "Je suis au milieu de vous comme celui qui sert"
Lc 22,27, dit notre Seigneur Jésus Christ, Chef de l'Eglise. D'autre part, comme j'ai eu l'occasion de le déclarer lors de l'importante rencontre au Conseil oecuménique des Eglises à Genève, le 12 juin 1984, la conviction qu'a l'Eglise catholique d'avoir conservé, fidèle à la tradition apostolique et à la foi des Pères, le signe visible et le garant de l'unité dans le ministère de l'Evêque de Rome, représente une difficulté pour la plupart des autres chrétiens, dont la mémoire est marquée par certains souvenirs douloureux. Pour ce dont nous sommes responsables, je demande pardon, comme l'a fait mon prédécesseur Paul VI (147).

146- LG 23.
147- Cf. Discours au Conseil oecuménique des Églises (12 juin 1984), n. 2: Insegnamenti VII,1 (1984), p. 1686 (La Documentation catholique, n. 1878 (15 juillet 1984), pp. 704-707).


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Il est cependant significatif et encourageant que la question de la primauté de l'Evêque de Rome soit actuellement devenue un objet d'études, en cours ou en projet, et il est également significatif et encourageant que cette question soit présente comme un thème essentiel non seulement dans les dialogues théologiques que l'Eglise catholique poursuit avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales, mais aussi plus généralement dans l'ensemble du mouvement oecuménique. Récemment, les participants à la cinquième Assemblée mondiale de la Commission "Foi et Constitution" du Conseil oecuménique des Eglises, tenue à Saint-Jacques de Compostelle, ont recommandé qu'elle "entreprenne une nouvelle étude sur la question d'un ministère universel de l'unité chrétienne" (148). Après des siècles d'âpres polémiques, les autres Eglises et Communautés ecclésiales examinent toujours plus et d'un regard nouveau ce ministère de l'unité (149).

148- CONFERENCE MONDIALE DE "FOI ET CONSTITUTION", Rapport de la IIe section, Saint-Jacques de Compostelle (14 août 1993): Confessing the one faith to God's Glory", n. 31, 2: Faith and Order Paper n. 166, COE, Genève, 1994, p. 243.
149- Pour ne citer que quelques exemples: ANGLICAN-ROMAN CATHOLIC INTERNATIONAL COMMISSION - ARCIC-I, Rapport final (Septembre 1981): La Documentation catholique, n. 1830 (16 mai 1982), pp. 497-507; COMMISSION MIXTE INTERNATIONALE POUR LE DIALOGUE ENTRE LES DISCIPLES DU CHRIST ET L'EGLISE CATHOLIQUE, Rapport 1981: Enchir. oecum. 1, pp. 529-547; COMMISSION MIXTE NATIONALE CATHOLIQUE- LUTHERIENNE, Document Le ministère pastoral dans l'Église (USA, 13 mars 1981): Enchir. oecum. 1, pp. 703-742; le problème est clairement mis en perspective dans le cadre de la recherche menée par la COMMISSION MIXTE INTERNATIONALE POUR LE DIALOGUE THEOLOGIQUE ENTRE L'EGLISE CATHOLIQUE ET L'EGLISE ORTHODOXE.


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L'Evêque de Rome est l'Evêque de l'Eglise qui demeure marquée par le martyre de Pierre et par celui de Paul : "Par un mystérieux dessein de la Providence, c'est à Rome qu'il (Pierre) achèvera son chemin à la suite de Jésus et qu'il donnera cette plus grande preuve d'amour et de fidélité. C'est aussi à Rome que Paul, l'Apôtre des nations, donnera le suprême témoignage. Ainsi l'Eglise de Rome devenait l'Eglise de Pierre et de Paul" (150).

150- Discours aux Cardinaux et à la Curie romaine (28 juin 1985), n. 3: AAS 77 (1985), p. 1150.


Dans le Nouveau Testament, la personne de Pierre a une place éminente. Dans la première partie des Actes des Apôtres, il apparaît comme le chef et le porte-parole du collège apostolique, connu comme "Pierre ... avec les Onze"
Ac 2,14 Ac 2,37 Ac 5,29. La place assignée à Pierre est fondée sur les paroles mêmes du Christ, telles qu'elles sont conservées dans les traditions évangéliques.

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L'Evangile de Matthieu décrit et précise la mission pastorale de Pierre dans l'Eglise : "Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux. Eh bien ! moi je te dis: u es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux"
Mt 16,17-19. Luc fait ressortir que le Christ recommande à Pierre d'affermir ses frères, mais qu'il lui montre en même temps sa faiblesse humaine et son besoin de conversion Lc 22,31-32. C'est comme si, à partir de la faiblesse humaine de Pierre, il devenait pleinement manifeste que son ministère spécifique dans l'Eglise est entièrement l'effet de la grâce ; c'est comme si le Maître s'employait spécialement à sa conversion pour le préparer à la tâche qu'il s'apprête à lui confier dans son Eglise et comme s'il était très exigeant avec lui. Le rôle même de Pierre, toujours lié à l'affirmation réaliste de sa faiblesse, se retrouve dans le quatrième Evangile: Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? ... Pais mes brebis" Jn 21,15-19. Il est significatif encore que, selon la première Lettre de Paul aux Corinthiens, le Christ ressuscité apparaisse d'abord à Céphas puis aux Douze 1Co 15,5.

Il est important d'observer que la faiblesse de Pierre et de Paul montre que l'Eglise est fondée sur la puissance infinie de la grâce Mt 16,17 2Co 12,7-10. Pierre, aussitôt après son investiture, est réprimandé avec une rare sévérité par le Christ qui lui dit : "Tu me fais obstacle" Mt 16,23. Comment ne pas voir dans la miséricorde dont Pierre a besoin un lien avec le ministère de cette même miséricorde dont il fait le premier l'expérience ? Malgré cela, il reniera Jésus trois fois. L'Evangile de Jean souligne aussi que Pierre reçoit la charge de paître le troupeau en réponse à une triple profession d'amour Jn 21,15-17 qui correspond à son triple reniement Jn 13,38. Pour sa part, Luc, dans la parole du Christ déjà citée que la première tradition retiendra pour définir la mission de Pierre, insiste sur le fait que ce dernier devra "affermir ses frères quand il sera revenu" Lc 22,31.


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Quant à Paul, il peut conclure la description de son ministère par l'affirmation bouleversante qu'il lui a été donné de recueillir des lèvres du Seigneur : "Ma grâce te suffit ; car la puissance se déploie dans la faiblesse", et il peut s'écrier ensuite : "Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort"
2Co 12,9-10. C'est là une des caractéristiques fondamentales de l'expérience chrétienne.

Héritier de la mission de Pierre, dans l'Eglise fécondée par le sang des coryphées des Apôtres, l'Evêque de Rome exerce un ministère qui a son origine dans les multiples formes de la miséricorde de Dieu, miséricorde qui convertit les coeurs et communique la force de la grâce, là même où le disciple connaît le goût amer de sa faiblesse et de sa misère. L'autorité propre de ce ministère est toute au service du dessein miséricordieux de Dieu et il faut toujours la considérer dans cette perspective. Son pouvoir s'explique dans ce sens.


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Se fondant sur la triple profession d'amour de Pierre qui correspond à son triple reniement, son successeur sait qu'il doit être signe de miséricorde. Son ministère est un ministère de miséricorde, procédant d'un acte de miséricorde du Christ. Il faut sans cesse relire toute cette leçon de l'Evangile, afin que l'exercice du ministère pétrinien ne perde rien de son authenticité et de sa transparence.

L'Eglise de Dieu est appelée par le Christ à manifester, pour un monde enfermé dans l'enchevêtrement de ses culpabilités et de ses desseins déshonnêtes, que, malgré tout, Dieu peut, dans sa miséricorde, convertir les coeurs à l'unité et les faire accéder à la communion avec lui.


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Ce service de l'unité, enraciné dans l'oeuvre de la miséricorde divine, est confié, à l'intérieur même du collège des Evêques, à l'un de ceux qui ont reçu de l'Esprit la charge, non pas d'exercer un pouvoir sur le peuple Ä comme le font les chefs des nations et les grands
Mt 20,25 Mc 10,42, mais de conduire le peuple pour qu'il puisse avancer vers de paisibles pâturages. Cette charge peut imposer d'offrir sa propre vie Jn 10,11-18. Après avoir montré que le Christ est "le seul Pasteur, en l'unité de qui tous ne font qu'un", saint Augustin exhorte : "Que tous les pasteurs soient donc en un seul pasteur, qu'ils fassent entendre la voix unique du pasteur ; que les brebis l'entendent, qu'elles suivent leur pasteur, non pas celui-ci ou celui-là, mais le seul. Et que tous, en lui, fassent entendre une seule voix, et non pas des voix discordantes (...). Cette voix, débarrassée de toute division, purifiée de toute hérésie, que les brebis l'écoutent !" (151) La mission de l'Evêque de Rome au sein du groupe de tous les pasteurs consiste précisément à "veiller" (episkopein), comme une sentinelle, de sorte que, grâce aux pasteurs, on entende dans toutes les Eglises particulières la voix véritable du Christ-Pasteur. Ainsi, se réalise, dans chacune des Eglises particulières qui leur sont confiées, l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Toutes les Eglises sont en pleine et visible communion, parce que les Pasteurs sont en communion avec Pierre et sont ainsi dans l'unité du Christ.

151- Sermon XLVI, 30: CCL 41, 557.


Par le pouvoir et l'autorité sans lesquels cette fonction serait illusoire, l'Evêque de Rome doit assurer la communion de toutes les Eglises. À ce titre, il est le premier des serviteurs de l'unité. La primauté s'exerce à divers niveaux qui concernent la vigilance sur la transmission de la Parole, sur la célébration sacramentelle et liturgique, sur la mission, sur la discipline et sur la vie chrétienne. Il revient au Successeur de Pierre de rappeler les exigences du bien commun de l'Eglise, au cas où quelqu'un serait tenté de le négliger au profit de ses propres intérêts. Il a le devoir d'avertir, de mettre en garde, de déclarer parfois inconciliable avec l'unité de la foi telle ou telle opinion qui se répand. Lorsque les circonstances l'exigent, il parle au nom de tous les Pasteurs en communion avec lui. Il peut aussi Ä dans des conditions bien précises exposées par le Concile Vatican I - déclarer ex cathedra qu'une doctrine appartient au dépôt de la foi (152). Rendant ainsi témoignage à la vérité, il sert l'unité.

152- Pastor aeternus: DS 3074.


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Mais tout cela doit toujours être accompli dans la communion. Lorsque l'Eglise catholique affirme que la fonction de l'Evêque de Rome répond à la volonté du Christ, elle ne sépare pas cette fonction de la mission confiée à l'ensemble des Evêques, eux aussi "vicaires et légats du Christ" (153). L'Evêque de Rome appartient à leur "collège" et ils sont ses frères dans le ministère.

153-
LG 27.


Ce qui concerne l'unité de toutes les Communautés chrétiennes entre évidemment dans le cadre des charges qui relèvent de la primauté. Il sait bien, en tant qu'Evêque de Rome, et il l'a réaffirmé dans la présente Encyclique, que le désir ardent du Christ est la communion pleine et visible de toutes les Communautés, dans lesquelles habite son Esprit en vertu de la fidélité de Dieu. Je suis convaincu d'avoir à cet égard une responsabilité particulière, surtout lorsque je vois l'aspiration oecuménique de la majeure partie des Communautés chrétiennes et que j'écoute la requête qui m'est adressée de trouver une forme d'exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun à l'essentiel de sa mission. Pendant un millénaire, les chrétiens "étaient unis par la communion fraternelle dans la foi et la vie sacramentelle, le Siège romain intervenant d'un commun accord, si des différends au sujet de la foi ou de la discipline s'élevaient entre elles" (154). La primauté s'exerçait ainsi pour l'unité. En m'adressant au Patriarche oecuménique, Sa Sainteté Dimitrios Ier, j'étais conscient, comme je l'ai dit, que "pour des raisons très diverses, et contre la volonté des uns et des autres, ce qui devait être un service a pu se manifester sous un éclairage assez différent. Mais, (...) c'est par désir d'obéir vraiment à la volonté du Christ que je me reconnais appelé, comme Evêque de Rome, à exercer ce ministère. (...) Je prie l'Esprit Saint de nous donner sa lumière et d'éclairer tous les pasteurs et théologiens de nos Eglises, afin que nous puissions chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d'amour reconnu par les uns et par les autres" (155).

154- UR 14.
155- Homélie en la Basilique vaticane, en présence de Dimitrios Ier, Archevêque de Constantinople et Patriarche oecuménique (6 décembre 1987), n. 3: AAS 80 (1988), p. 714.


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C'est une tâche immense que nous ne pouvons refuser et que je ne puis mener à bien tout seul. La communion réelle, même imparfaite, qui existe entre nous tous ne pourrait-elle pas inciter les responsables ecclésiaux et leurs théologiens à instaurer avec moi sur ce sujet un dialogue fraternel et patient, dans lequel nous pourrions nous écouter au-delà des polémiques stériles, n'ayant à l'esprit que la volonté du Christ pour son Eglise, nous laissant saisir par son cri, "que tous soient un... afin que le monde croie que tu m'as envoyé"
Jn 17,21 ?



La communion de toutes les Eglises particulières avec

l'Eglise de Rome, condition nécessaire pour l'unité

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L'Eglise catholique, dans sa praxis comme dans ses textes officiels, soutient que la communion des Eglises particulières avec l'Eglise de Rome, et de leurs Evêques avec l'Evêque de Rome, est une condition essentielle Ä selon le dessein de Dieu Ä de la communion pleine et visible. Il faut en effet que la pleine communion, dont l'Eucharistie est la manifestation sacramentelle suprême, s'exprime visiblement dans un ministère où tous les Evêques se reconnaissent unis dans le Christ et où tous les fidèles trouvent la confirmation de leur foi. La première partie des Actes des Apôtres présente Pierre comme celui qui parle au nom du groupe apostolique et qui sert l'unité de la communauté Ä tout en respectant l'autorité de Jacques, chef de l'Eglise de Jérusalem. Ce rôle de Pierre demeure nécessaire dans l'Eglise, afin que, sous un seul Chef qui est le Christ Jésus, elle soit visiblement dans le monde la communion de tous ses disciples.

N'est-ce pas d'un ministère de ce type que beaucoup de ceux qui sont engagés dans l'oecuménisme expriment aujourd'hui la nécessité ? Présider dans la vérité et dans l'amour, afin que la barque Ä le beau symbole que le Conseil oecuménique des Eglises a choisi comme emblème Ä ne soit pas secouée par les tempêtes et puisse un jour aborder au rivage.


Pleine unité et évangélisation

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Le mouvement oecuménique de notre siècle, plus que les tentatives des siècles passés dont il ne faut pas pour autant sous-évaluer l'importance, a été marqué par une perspective missionnaire. Dans le verset johannique qui lui donne son inspiration et sa devise d'action - "qu'ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m'as envoyé"
Jn 17,21 -, on a souligné pour que le monde croie avec beaucoup de force, au point de courir le risque d'oublier parfois que, dans la pensée de l'Evangéliste, l'unité est surtout pour la gloire du Père. De toute manière, il est évident que la division des chrétiens est en contradiction avec la vérité qu'ils ont la mission de répandre, et qu'elle altère gravement leur témoignage. Mon prédécesseur, le Pape Paul VI, l'avait bien compris, lorsqu'il écrivait dans son exhortation apostolique Evangelii nuntiandi : "Evangélisateurs, nous devons offrir aux fidèles du Christ, non pas l'image d'hommes divisés et séparés par des litiges qui n'édifient point, mais celle de personnes mûries dans la foi, capables de se rencontrer au-delà des tensions réelles grâce à la recherche commune, sincère et désintéressée de la vérité. Oui, le sort de l'évangélisation est certainement lié au témoignage d'unité donné par l'Eglise. (...) Sur ce point, nous voudrions insister sur le signe de l'unité entre tous les chrétiens comme voie et instrument d'évangélisation. La division des chrétiens est un grave état de fait qui parvient à entacher l'oeuvre même du Christ" (156).

156- EN 77 UR 1; CONSEIL PONTIFICAL POUR LA PROMOTION DE L'UNITÉ DES CHRÉTIENS, Directoire pour l'application des principes et des normes sur l'oecuménisme (25 mars 1993), nn. 205-209: AAS 85 (1993), pp. 1112-1114.


En effet, comment annoncer l'Evangile de la réconciliation sans s'engager en même temps à travailler pour la réconciliation des chrétiens ? S'il est vrai que l'Eglise, sous l'impulsion de l'Esprit Saint et avec la promesse de son indéfectibilité, a prêché et prêche l'Evangile à toutes les nations, il est vrai également qu'elle doit faire face aux difficultés qui découlent des divisions. Mis en présence de missionnaires en désaccord entre eux, même s'ils se réclament tous du Christ, les non-croyants sauront-ils accueillir le message authentique ? Ne penseront-ils pas que l'Evangile est un facteur de division, même s'il est présenté comme la loi fondamentale de la charité ?

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Quand j'affirme que pour moi, Evêque de Rome, l'engagement oecuménique est "une des priorités pastorales" de mon pontificat (157), je pense au grave obstacle que constitue la division pour l'annonce de l'Evangile. Une Communauté chrétienne qui croit au Christ et désire, avec l'ardeur de l'Evangile, le salut de l'humanité, ne peut en aucune manière se fermer à l'appel de l'Esprit qui oriente tous les chrétiens vers l'unité pleine et visible. Il s'agit d'un des impératifs de la charité qu'il faut suivre sans réticences. L'oecuménisme n'est pas qu'une question interne aux Communautés chrétiennes. Il concerne l'amour que Dieu porte à l'humanité entière en Jésus Christ ; faire obstacle à cet amour, c'est l'offenser dans son dessein de rassembler tous les hommes dans le Christ. Le Pape Paul VI écrivait au Patriarche oecuménique Athénagoras Ier : "Puisse l'Esprit Saint nous guider dans la voie de la réconciliation afin que l'union de nos Eglises devienne un signe toujours plus lumineux d'espérance et de réconfort au sein de l'humanité entière" (158).

157- Discours aux Cardinaux et à la Curie romaine (28 juin 1985), n. 4: AAS 77 (1985), p. 1151.
158- Lettre du 13 janvier 1970: Tomos Agapis, Vatican-Phanar (1958-1970), Rome-Istanbul, 1971, pp. 610-611.



EXHORTATION

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M'adressant récemment aux Evêques, au clergé et aux fidèles de l'Eglise catholique afin de montrer la voie à suivre pour la célébration du Grand Jubilé de l'An 2000, j'ai déclaré entre autres que "la meilleure préparation de l'échéance bimillénaire ne pourra que s'exprimer par un engagement renouvelé d'appliquer, autant que possible fidèlement, l'enseignement de Vatican II à la vie de chacun et de toute l'Eglise" (159). Le Concile est le grand commencement - en quelque sorte l'Avent - de l'itinéraire qui nous conduit au seuil du troisième millénaire. Etant donné l'importance que l'assemblée conciliaire a accordée à l'oeuvre de recomposition de l'unité des chrétiens, en notre époque de grâce oecuménique, il m'a semblé nécessaire de redire les convictions fondamentales que le Concile a gravées dans la conscience de l'Eglise catholique, et de les rappeler, à la lumière des progrès accomplis depuis vers la pleine communion de tous les baptisés.

159-
TMA 20.


Il n'est pas douteux que l'Esprit Saint agit dans cette oeuvre et qu'il conduit l'Eglise vers la pleine réalisation du dessein du Père, conformément à la volonté exprimée par le Christ avec tant de vigueur et d'émotion dans la prière que, selon le quatrième Evangile, ses lèvres ont prononcée au moment où il s'apprêtait à vivre le drame salvifique de sa Pâque. Comme en ce temps-là, le Christ demande aujourd'hui qu'un élan nouveau ravive l'engagement de chacun à aller vers la communion pleine et visible.

101
J'exhorte donc mes Frères dans l'épiscopat à accorder toute leur attention à cet engagement. Les deux Codes de Droit canonique placent parmi les responsabilités de l'Evêque celle de promouvoir l'unité de tous les chrétiens, soutenant toute action ou initiative destinée à la promouvoir, conscient que l'Eglise y est tenue de par la volonté même du Christ (160). Cela fait partie de la mission épiscopale et c'est une obligation qui découle directement de la fidélité au Christ, Pasteur de l'Eglise. Tous les fidèles sont aussi appelés par l'Esprit de Dieu à faire leur possible afin que se resserrent les liens de communion entre tous les chrétiens et que se développe la collaboration des disciples du Christ : "Le souci de restaurer l'unité concerne toute l'Eglise, tant les fidèles que les pasteurs, et touche chacun selon ses capacités propres" (161).

160-
CIC 755 CIO 902.
161- UR 5.


102
La puissance de l'Esprit de Dieu fait croître et édifie l'Eglise au long des siècles. Tournant son regard vers le nouveau millénaire, l'Eglise demande à l'Esprit la grâce d'affermir son unité et de la faire progresser vers la pleine communion avec les autres chrétiens.

Comment y parvenir ? En premier lieu, par la prière. La prière devrait toujours reprendre en elle l'inquiétude qui traduit une aspiration vers l'unité et qui est donc une des formes nécessaires de l'amour que nous portons au Christ et au Père riche en miséricorde. La prière doit avoir la première place dans le cheminement que nous entreprenons avec les autres chrétiens vers le nouveau millénaire.

Comment y parvenir ? Par l'action de grâce, parce que nous ne nous présentons pas les mains vides à ce rendez-vous : "L'Esprit vient au secours de notre faiblesse ; ... lui-même intervient pour nous par des cris inexprimables"
Rm 8,26 pour nous disposer à demander à Dieu ce dont nous avons besoin.

Comment y parvenir ? Par l'espérance en l'Esprit qui sait éloigner de nous les spectres du passé et les souvenirs douloureux de la séparation ; il sait nous accorder lucidité, force et courage pour entreprendre les démarches nécessaires, en sorte que notre engagement soit toujours plus authentique.

Et si nous devions nous demander si tout cela est possible, la réponse serait toujours : oui. La réponse même qu'entendit Marie de Nazareth : parce que rien n'est impossible à Dieu.

Les paroles par lesquelles saint Cyprien commente le Notre Père, la prière de tous les chrétiens, me reviennent à l'esprit: "Dieu ne reçoit pas le sacrifice de l'homme qui vit dans la dissension. Il ordonne que l'on s'éloigne de l'autel pour se réconcilier d'abord avec son frère, afin que Dieu puisse agréer des prières présentées dans la paix. Le plus grand sacrifice que l'on puisse offrir à Dieu, c'est notre paix, c'est la concorde fraternelle, c'est le peuple rassemblé par cette unité qui existe entre le Père, le Fils et le Saint- Esprit" (162).

162- De Dominica oratione, n. 23: CSEL 3, 284-285.


À l'aube du nouveau millénaire, comment ne pas demander au Seigneur, avec un élan renouvelé et avec une plus grande maturité de la conscience, la grâce de nous disposer tous à ce sacrifice de l'unité ?


103
Moi, Jean-Paul, humble servus servorum Dei, je me permets de faire miennes les paroles de l'Apôtre Paul, dont le martyre, uni à celui de l'Apôtre Pierre, a donné à ce Siège de Rome la splendeur de son témoignage, et je vous dis, à vous, fidèles de l'Eglise catholique, et à vous, frères et soeurs des autres Eglises et Communautés ecclésiales : "Cherchez la perfection, affermissez-vous ; exhortez-vous. Ayez même sentiment ; vivez en paix, et le Dieu de la charité et de la paix sera avec vous

... La grâce du Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous !"
2Co 13,11 2Co 13,13.


Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 25 mai 1995, solennité de l'Ascension du Seigneur, en la dix-septième année de mon pontificat.




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