1994 Tertio Millenio Adveniente 49

Troisième année: Dieu le Père

49 L'année 1999, troisième et dernière année préparatoire, servira à élargir les horizons des croyants selon la perspective même du Christ: la perspective du " Père qui est aux cieux " (cf. Mt 5,45) , par qui il a été envoyé et vers qui il est retourné (cf. Jn 16,28) .
" La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ " (Jn 17,3) . Toute la vie chrétienne est comme un grand pèlerinage vers la maison du Père, dont on retrouve chaque jour l'amour inconditionnel pour toutes les créatures humaines, et en particulier pour le " fils perdu " (cf. Lc 15,11-32) . Ce pèlerinage concerne la vie intérieure de chaque personne, il implique la communauté croyante et enfin inclut l'humanité entière.
Le Jubilé, centré sur la figure du Christ, devient ainsi un grand acte de louange du Père: " Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ. C'est ainsi qu'Il nous a élus en Lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l'amour " (Ep 1,3-4).

50 En cette troisième année, le sens du " cheminement vers le Père " devra nous pousser tous à parcourir, dans l'adhésion au Christ, Rédempteur de l'homme, un itinéraire de conversion authentique, qui comprend un aspect " négatif " de libération du péché, et un aspect " positif " de choix du bien, exprimé par les valeurs éthiques comprises dans la loi naturelle confirmée par l'Évangile. C'est dans ce cadre qu'il convient de redécouvrir et de célébrer avec ferveur le sacrement de la Pénitence, dans son sens le plus profond. L'annonce de la conversion comme exigence indispensable de l'amour chrétien a une importance particulière dans la société actuelle, où les fondements mêmes d'une conception éthique de l'existence humaine semblent souvent perdus de vue.
Il conviendra donc spécialement cette année de mettre en relief la vertu théologale de la charité, en se rappelant l'affirmation synthétique et saisissante de la première Lettre de Jean: " Dieu est amour " (
1Jn 4,8 1Jn 4,16). La charité, avec son double visage d'amour pour Dieu et pour les frères, est la synthèse de la vie morale du croyant. Elle a en Dieu sa source et son aboutissement.

51 Dans cette perspective, nous rappelant que Jésus est venu " annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres " (Mt 11,5 Lc 7,22) , comment ne pas souligner plus nettement l'option préférentielle de l'Église pour les pauvres et les exclus? On doit même dire que l'engagement pour la justice et pour la paix en un monde comme le nôtre, marqué par tant de conflits et par d'intolérables inégalités sociales et économiques, est un aspect caractéristique de la préparation et de la célébration du Jubilé. Ainsi, dans l'esprit du Livre du Lévitique (25, 8-28), les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde, proposant que le Jubilé soit un moment favorable pour penser, entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations. Le Jubilé pourra aussi donner l'occasion de méditer sur d'autres défis de l'époque comme, par exemple, les difficultés du dialogue entre cultures différentes et les problèmes liés au respect des droits de la femme et à la promotion de la famille et du mariage.

52 En outre, se rappelant que " le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui dévoile sa très haute vocation ",(34) deux champs d'action seront indispensables particulièrement au cours de la troisième année préparatoire: la confrontation avec le sécularisme et le dialogue avec les grandes religions.
Par rapport au premier point, il conviendra d'aborder le vaste thème de la crise de civilisation, telle qu'elle s'est manifestée surtout dans l'Occident plus développé sur le plan technologique, mais intérieurement appauvri par l'oubli ou la marginalisation de Dieu. A la crise de civilisation, il faudra répondre par la civilisation de l'amour, fondée sur les valeurs universelles de paix, de solidarité, de justice et de liberté, qui trouvent dans le Christ leur plein accomplissement.

(33)
GS 22


53 En ce qui concerne au contraire la conscience religieuse, la vigile de l'An 2000 sera une circonstance favorable, également à la lumière des événements de ces dernières décennies, pour ledialogue inter-religieux, selon les indications claires données par le Concile Vatican II dans la déclaration Nostra atate sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes.
Dans ce dialogue, les juifs et les musulmans devront avoir une place de choix. Dieu veuille que, pour confirmer la rectitude de ces intentions, puissent se réaliser aussi des rencontres communes dans des lieux significatifs pour les grandes religions monothéistes.
Pour cela, on étudiera la possibilité de prévoir des rendez-vous historiques à Bethléem, à Jérusalem et sur le Mont Sinaï, lieux de haute valeur symbolique, afin d'intensifier le dialogue avec les juifs et les fidèles de l'Islam, et aussi des rencontres avec les représentants des grandes religions du monde en d'autres villes. On devra cependant toujours être attentif à ne pas pro- voquer de dangereux malentendus, en veillant au risque du syncrétisme et d'un irénisme facile et trompeur.

54 Dans tout cet ensemble de préoccupations, la Très Sainte Vierge Marie, fille élue par le Père, se présente au regard des croyants comme l'exemple parfait de l'amour envers Dieu et envers le prochain. Comme Elle le proclame elle-même dans le cantique du Magnificat, le Tout-Puissant a fait en elle de grandes choses, Lui dont le nom est saint (cf. Lc 1,49) . Le Père a choisi Marie pour une mission unique dans l'histoire du salut: être la Mère du Sauveur attendu. La Vierge a répondu à l'appel de Dieu avec une entière disponibilité: " Je suis la servante du Seigneur " (Lc 1,38) . Sa maternité, commencée à Nazareth et vécue suprêmement à Jérusalem au pied de la Croix, sera reconnue en cette année par tous les enfants de Dieu comme une invitation affectueuse et pressante, à revenir vers la maison du Père en écoutant sa voix maternelle: " Faites ce que le Christ vous dira " (cf. Jn 2,5) .


c) En vue de la célébration

55 La célébration même du grand Jubilé constitue un chapitre en soi; elle aura lieu simultanément en Terre Sainte, à Rome et dans les Églises locales du monde entier. Dans cette phase surtout, la phase de la célébration, l'objectif sera la glorification de la Trinité, dont tout provient et vers laquelle tout s'oriente dans le monde et dans l'histoire. Les trois années de préparation immédiate tendent à ce mystère: du Christ et par le Christ, dans l'Esprit Saint, vers le Père. Dans ce sens, la célébration jubilaire met en oeuvre et anticipe en même temps le but et l'accomplissement de la vie du chrétien et de l'Église en Dieu un et trine.
Mais comme le Christ est l'unique voie d'accès au Père, pour souligner sa présence vivante et salvatrice dans l'Église et dans le monde, se tiendra à Rome, à l'occasion du grand Jubilé, le Congrès eucharistique international. L'An 2000 sera une année intensément eucharistique: dans le sacrement de l'Eucharistie, le Sauveur, incarné dans le sein de Marie il y a vingt siècles, continue à s'offrir à l'humanité comme source de vie divine.
La dimension oecuménique et universelle du saint Jubilé pourra être mise en évidence opportunément par une rencontre pan-chrétienne significative. Il s'agit d'un geste de grande valeur, c'est pourquoi, afin d'éviter les équivoques, il doit être proposé correctement et préparé avec soin, dans un esprit de collaboration fraternelle avec les chrétiens des autres confessions et des autres traditions, de même que dans un esprit d'ouverture reconnaissante à l'égard des autres religions dont les représentants voudraient bien manifester leur attention à la joie de tous les disciples du Christ.
Une chose est certaine: chacun est invité à faire ce qui est en son pouvoir pour que l'on ne manque pas le défi de l'An 2000, auquel est certainement attaché une grâce particulière du Seigneur pour l'Église et pour toute l'humanité.



V. " JÉSUS CHRIST EST LE MEME... A JAMAIS "

(He 13,8)

56 L'Église existe depuis deux mille ans. Comme le grain de sénevé évangélique, elle croît et devient un grand arbre capable de couvrir de ses frondaisons toute l'humanité (cf. Mt 13,31-32) . Le Concile Vatican II, dans la Constitution dogmatique sur l'Église, prenant en considération la question de l'appartenance à l'Église et de l'ordination au peuple de Dieu, s'exprime ainsi: " A cette unité catholique du peuple de Dieu 1, tous les hommes sont appelés; à cette unité appartiennent ou sont ordonnés, de diverses manières, aussi bien les fidèles catholiques que les autres qui croient au Christ, et enfin, en général, tous les hommes qui, par la grâce de Dieu, sont appelés au salut ".(35) Pour sa part, Paul VI explique dans l'encyclique Ecclesiam suam que les hommes sont universellement impliqués dans le plan de Dieu, en soulignant qu'il y a différents cercles du dialogue du salut.(36)
En fonction de cette conception, on peut comprendre mieux encore la parabole du levain (cf. Mt 13,33) : le Christ, levain divin, pénètre toujours plus profondément le présent de la vie de l'humanité, en propageant l'oeuvre du salut accomplie dans le Mystère pascal. Il englobe aussi dans son règne salvifique tout le passé du genre humain, en commençant par le premier Adam.(37) L'avenir lui appartient: " Jésus Christ est le même hier et aujourd'hui, il le sera à jamais " (He 13,8) . De son côté, l'Église " ne vise qu'un seul but: continuer, sous la conduite de l'Esprit Paraclet, l'oeuvre du Christ lui-même, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi ".(38)

(35) LG 13 (36) Ecclesiam Suam III (37) ibid. n. 2 (38) GS 3


57 C'est pourquoi, depuis les temps apostoliques, la mission de l'Église se poursuit sans interruption à l'intérieur de la famille humaine universelle. La première évangélisation a concerné surtout la région de la Mer Méditerranée. Au cours du premier millénaire, les missions parties de Rome et de Constantinople ont porté le christianisme dans tout le continent européen. Elles se dirigèrent en même temps vers le coeur de l'Asie, jusqu'en Inde et en Chine. La fin du XVe siècle, avec la découverte de l'Amérique, marqua le commencement de l'évangélisation de ce grand continent, au sud et au nord. En même temps, tandis que les rivages sub-sahariens de l'Afrique accueillaient la lumière du Christ, saint François Xavier, patron des missions, allait jusqu'au Japon. Au tournant du XVIIIe et du XIXe siècles, un laïc, André Kim, apporta le christianisme en Corée; à cette époque, l'annonce de l'Évangile rejoignit la péninsule indochinoise, de même que l'Australie et les îles du Pacifique.
Le XIXe siècle a connu une grande activité missionnaire parmi les peuples de l'Afrique. Toutes ces actions ont porté des fruits qui se prolongent aujourd'hui. Le Concile Vatican II en prend acte dans le décret Ad gentes sur l'activité missionnaire. Après le Concile, la question missionnaire a été traitée dans l'encyclique Redemptoris missio, portant sur les problèmes des missions dans la dernière partie de notre siècle. L'Église continuera à être missionnaire à l'avenir encore: le caractère missionnaire, en effet, fait partie de sa nature. Avec la chute des grands systèmes anti-chrétiens dans le continent européen, du nazisme puis du communisme, la tâche urgente s'impose de présenter à nouveau aux hommes et aux femmes de l'Europe le message libérateur de l'Évangile.(39) En outre, ainsi que l'affirme l'encyclique Redemptoris missio, on retrouve dans le monde la situation de l'Aréopage d'Athènes où parla saint Paul.(40) Il y a aujourd'hui de nombreux " aréopages " très divers: ce sont les vastes domaines de la civilisation contemporaine et de la culture, de la politique et de l'économie. Plus l'Occident se détache de ses racines chrétiennes, plus il devient terrain de mission, sous la forme de différents " aréopages ".

(39) cf. Déclaration de l'assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Evêques, n. 3 (40)
RMi 37 (c)

58 L'avenir du monde et de l'Église appartient aux jeunes générations qui, nées au cours de ce siècle, arriveront à leur maturité au cours du prochain, le premier du nouveau millénaire.Le Christ attend les jeunes, comme il attendait le jeune homme qui lui posa la question: " Que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle? " (Mt 19,16) . Je me suis référé à la réponse impressionnante que Jésus lui donna dans la récente encycliqueVeritatis splendor, de même que, antérieurement, dans la Lettre à tous les jeunes du monde de 1985. Les jeunes, dans toutes les situations et dans toutes les régions de la terre, ne cessent d'interroger le Christ: ils le rencontrent et le cherchent pour continuer à l'interroger. S'ils savent suivre le chemin qu'Il leur montre, ils auront la joie d'apporter leur contribution à sa présence dans le prochain siècle et dans les siècles suivants, jusqu'à la consommation des temps. " Jésus est le même hier, aujourd'hui et à jamais ".

59 En conclusion, il est opportun de reprendre ces paroles de la Constitution pastorale Gaudium et spes: " L'Église croit que le Christ, mort et ressuscité pour tous, offre à l'homme, par son Esprit, lumière et force pour lui permettre de répondre à sa très haute vocation. Elle croit qu'il n'est pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes par lequel ils doivent être sauvés. Elle croit aussi que la clé, le centre et la fin de toute histoire humaine se trouvent en son Seigneur et Maître. Elle affirme en outre que, sous tous les changements, il y a bien des choses qui ne changent pas et qui ont leur fondement ultime dans le Christ, le même hier, aujourd'hui et à jamais. C'est pourquoi, à la lumière du Christ, Image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature, le Concile se propose de s'adresser à tous les hommes, afin d'éclairer le mystère de l'homme et d'apporter son concours à l'effort pour trouver une solution aux principales questions de notre temps ".(GS 10)
Tandis que j'invite les fidèles à faire monter vers le Seigneur d'instantes prières afin d'obtenir les lumières et le soutien nécessaires à la préparation et à la célébration du Jubilé désormais proche, j'exhorte mes vénérés Frères dans l'Épiscopat et les communautés ecclésiales qui leur sont confiées à ouvrir leurs coeurs aux suggestions de l'Esprit. L'Esprit ne manquera pas d'inspirer les âmes, afin que l'on se dispose à célébrer avec une foi renouvelée et une générosité active le grand événement jubilaire.
Je confie cette tâche de toute l'Église à l'intercession de Marie, Mère du Rédempteur. Mère du bel amour, elle sera pour les chrétiens en marche vers le troisième millénaire l'Étoile qui guidera fermement leurs pas à la rencontre du Seigneur. Que l'humble Vierge de Nazareth qui, il y a deux mille ans, a donné au monde entier le Verbe incarné oriente l'humanité du nouveau millénaire vers Celui qui est " la lumière véritable, qui éclaire tout homme " (Jn 1,9) !

C'est dans ces sentiments que j'accorde à tous ma Bénédiction.

Du Vatican, le 10 novembre 1994, en la dix-septième année de mon pontificat.




1994 Tertio Millenio Adveniente 49