Transmettre


Transmettre

la Foi

aujourd'hui


« DÉGAGER LES LEÇONS DU PASSÉ »


Conférence donnée par Monseigneur Dermot J. Ryan

Archevêque de Dublin

Me voici devant vous ancien professeur d'Ecriture Sainte et de langues orientales, maintenant archevéque de Dublin, qui viens vous parler de la transmission de la foi . J'ai accepté de le faire sur l'invitation de Monseigneur Lustiger et de Monseigneur Decourtray adressée au responsable de i'Eglise de Dublin et c'est en tant que tel que j'ai répondu favorablement. Cependant, le spécialiste de I'Ancien Testament en moi m'a entrainé a traiter Ic sujet propose a partir de ce premier volet, Si riche, de la Parole de Dieu. On n'en sera pas surpris, je pense.

L'invitation a traiter devant vous de la transmission de la foi s'adressait a i'archevéque d'une grande métropole (aux prises avec les probièmes caractéristiques qui en découlent et qui vous con-cement aussi) . Sans doute vous en étonnerez-vous. L'Irlande aprés tout est un petit pays: la population de i'lle en sa totalité dépasse a peine 5 millions d'habitants, dont 3 millions et demi de catholiques. On y compte néanmoins 26 dioceses. Mais la particularité principale et troublante, c' est que le diocese de Dublin a lui seul rassemble 1 million cent mule personnes, le tiers des catholiques en Irlande du Sud et 30 % des Eglises soeurs établies dans I'ensemble de notre lie.

En fait, Dublin, capitale et siège du gouvernement de la République d'Irlande, a pris une surprenante expansion depuis une trentaine d'années, couvrant de larges espaces pour loger les Dublinois de plus en plus nombreux. On peut dire que les nouvelles paroisses ont surgi des champs comme des champignons. En peu d'années, des pâturages devinrent le lieu de vivantes communautés rassemblées autour de leurs prêtres. La meilleure illustration de cette évolution si rapide tient dans le seul fait suivant. Au cours des dix ans de mon épiscopat j'ai consacré moi-même 45 églises nouvelles, dont 10 en 1982, tandis que, dans le même temps, je créais 54 nouvelles paroisses, faisant passer de 134 à 188 le nombre des subdivisions culturelles de mon diocèse.

Certes, tout ceci entraîne une lourde charge financière qui tout entière retombe sur les membres de l'Eglise de Dublin. Effort d'autant plus considérable que ces gens doivent par eux-mêmes pourvoir non seulement à la construction d'églises et de presbytères, mais aussi en grande partie àl'édification d'écoles primaires, et qu'ils contribuent à prendre en charge des services divers au double plan paroissial et diocésain. Leur générosité, née de la foi, manifeste leur capacité à voir au -delà de l'espace paroissial et à comprendre leur diocèse comme une grande famille, où chacun se doit de prendre une part du fardeau de tous. Il faut également y trouver l'expression de leur vif désir de transmettre à leur tour le trésor de la Foi parvenue de génération en génération jusqu'à eux, souvent au prix de la vie de leurs ancêtres.

Ainsi comme les parents résidant dans les paroisses les plus anciennes ont des enfants qui à l'occasion du mariage vont s'install er dans les nouvelles, ils veulent qu'ils disposent de facilités pour prier, pratiquer et recevoir les sacrements, pour recevoir une formation religieuse et participer à une vivante communauté de foi. Toutes choses dont ils bénéficiaient déjà auparavant.

Quelques-unes des raisons de cette rapide expansion de Dublin se trouvent vérifiées dans d'autres grands centres urbains. Par exemple, l' exode rural vers la ville en quête d'un emploi, la poussée d'une bureaucratie centrale due à la présence du gouvernement, lequel cherche à s'entourer d'un nombre accru de fonctionnaires. Deux particularités cependant proviennent de conditions propres à l'Irlande et à Dublin. D'abord la lente diminution du taux d'émigration associée à l'accroissement du nombre des Irlandais retournant s' installer au pays. Ensuite le haut niveau de la moyenne des naissances, en fait la première en Europe. Conséquence de ce dernier point de vue: un demi-million de la population de notre diocèse, presque 50 %, a moins de vingt-et-un ans. Cette m asse de jeunes constitue, certes, un grand espoir pour notre pays, mais on imagine aisément les problèmes qu'elle pose en ces temps de récession économique où le chômage nous frappe durement.

Parallèlement, et en dépit de bâtiments et de prêtres plus nombr eux, Dublin subit les influences funestes dont souffrent tant de grandes villes de la civilisation occidentale. La désaffection du centre de la ville provoque la désertion des paroisses qui en font partie ; les églises, souvent les plus belles, demeurent presque vides. Les gens, jêunes et moins jeunes, se déplacent vers de nouveaux lieux de résidence, chacun de son côté. Il en résulte une perte de la sagesse ancestrale par manque de contact entre les générations, l'isolement des jeunes foyers, spécialement des jeunes mamans qui ne disposent plus ou mal de l'aide de leurs mères. Il y a au total menace d' une rupture, d'un émiettement de la société. Quant à ceux qui résident encore au coeur de la cité, leurs conditions de vie donnent lieu à bien des soucis pastoraux.

Ajoutons à tout ceci que notre peuple se laisse gagner par le matérialisme et la soif d'une relative prospérité, ceci s'expliquant, certes, en partie par la pénurie dont nous avons longtemps souffert jusqu'à une époque récente. En conséquence, l'Eglise s'affronte aux problèmes croissants de l'alcoolisme, de la drogue, de l'amour avant ou en dehors du mariage, de l'affaiblissement du foyer sinon son éclatement, de la malhonnêteté en affaires, de la violence dans la rue et même, au sein de la vie politique.

Dans le passé, un long passé déjà lointain, on connaissait l'Irlande comme l'Ile des saints et des savants. Je ne suis pas du tout sûr qu'elle mérite encore ce titre. Mais on peut dire, du moins, que par le fait même de son isolement en tant qu'île, elle a été souvent protégée contre les influences malignes venues de' l'extérieur. Au pire, l'impact de celles-ci s'est trouvé retardé. Mais maintenant par suite de l'agression directe des médias et de la facilité des transports, nous devons nous mesurer avec le même raz de marée polluant qui submerge des centres plus évolués et menace par ses informations de toute nature l'héritage de notre foi.

Evêque d'une aussi grande métropole, je partage donc l'anxiété de mes frères évêques à Paris et Lyon devant la nécessité d'avoir à assurer la transmission de la Foi. Comme eux et avec eux, je me sens aussi responsable du maintien et'de la propagation de la foi en Europe. A bien des points de vue, notre continent se comporte comme un vieillard, soucieux de son confor t, aux forces épuisées, espérant peu du futur, presque oublieux d'un passé qui pourrait inspirer pourtant la jeunesse. Les nombreux pays du monde qui, en un sens, reçurent la foi de l'Europe pouvaient s'attendre à quelque chose de mieux. Tout en édifiant de robustes églises locales, ils gardent leur regard fixé sur nous, dans l'attente des fruits d'une sagesse séculaire, de la puissance d'un enracinement profond, d' une haute spiritualité qu'une longue expérience de succès et d'échecs successifs a épurée.

Laissez-moi vous dire en cet instant de mon discours que ma présence ici n'est pas fortuite. Je ne fais qu'ajouter un court paragraphe à l'histoire déjà riche de la coopération entre l'Eglise de France et celle d' Irlande. Cela a commencé, pourrait-on dire, avec saint Patrick lui-même. Il a, en effet, préparé sa mission sous la direction de saint Germain d'Auxerre. On sait le succès qu' il a obtenu. Plus tard des Irlandais, saint Colomban, en particulier, évangélisèrent à leur tour la France. En tant qu'archevêque de Dublin, je me plais àciter plus particulièrement saint Laurent O'Toole.

Archevêque de Dublin lui aussi, il dut se rendre auprès du roi d'Angleterre, Henri II, alors en tournée sur ses terres de Nõrmandie. Accueilli chaleureusement par les habitants de la ville d'Eu et malade, il ne put retourner chez lui et décéda sur place en 1180. Sur sa tombe on construisit une belle église collégiale. Attestation de la sainteté de saint Laurent, elle exprime en même temps la foi et la charité partagées par nos deux peuples au tournant des XIIème et XIIIème siècles.

A son apogée, l'Église irlandaise exprima sa foi par les oeuvres d' art. Vous pourrez en admirer un certain nombre et non des moindres en visitant l'exposition actuelle du Grand Palais « Trésors d'Irlande ». La promesse qu'elles contenaient ne se réalisa malheureusement pas par la suite. Notre pays, en effet, se vit refuser la liberté d'exprimer son génie propre jusque dans l'art et la culture, un génie pourtant que la foi enrichissait et approfondissait. En F rance, par contre, vous avez pu produire quantité de chefs-d'oeuvre en littératüre, en art et en architecture. Les grandes cathédrales témoignent encore non pas seulement de la compétence et de l'habileté de ceux qui les dessinèrent et les construisirent, mais aussi de leur intelligence de la création, de la place de l'homme et du dessein de Dieu sur ses créatures.

Emerveillons-nous du travail de nos ancêtres. Le temps passé, l'énergie, l'adresse, l'imagination, les matériaux rares, la variété d'inspiration, la richesse d'enseignement catéchétique, tout cela fut mis au service de Dieu, Créateur et Sauveur de l'humanité. Quand nous interrompons nos activi tés frénétiques pour admirer ces merveilles, nous devons prendre garde de nous contenter de les envisager sous l'angle des beaux arts. Il y a là aussi, en effet, l'expression d'une foi créatrice, d'une conception du monde, où Dieu et l'Homme se situent dans un certain rapport. Il y a là une invitation à s'en pénétrer et à s'y rallier qu'il serait erroné de rejeter sous prétexte de sa naïveté. Comme s' il ne pouvait passer aucun message. Une telle attitude viendrait de notre aveuglement d'hommes imbus de technologie, assurés par conséquent de n'avoir rien à apprendre.

Au temps où la France construisait ses cathédrales, les réalisations architecturales et artistiques en Irlande se réduisaient à des proportions plus modestes. De plus, avec la destruction systématique des monastères aüx XVI et' XVII siècles, cette activité soudainement fut interrompue; les créateurs et les artisans, pour échapper à la mort, durent s' exiler. Nombre d'entre eux se réfugièrent en France.

C'est au cours de ces siècles sombres que par ailleurs mais par suite du même esprit destructeur, il devint presque impossible de former des prêtres ch ez nous. Quantité d'Irlandais s'évadèrent chez vous, et dans d'autres pays du Continent, afin d'y poursuivre leurs études en vue de la prêtrise. Ils bénéficièrent de l'hospitalité de collèges dits des Irlandais, à Paris, Bordeaux et Nantes. Se préparant à leur ordination, ils savaient qu'ils pouvaient tout aussi bien se préparer au martyre. Ils ne se refusaient pas à cette dernière perspective, tant leur foi était grande, tant ils désiraient en témoi gner pour éviter que cette foi ne meure dans leur pays persécuté. On lui faisait, en effet, la vie très dure. Tandis que les rites se célébraient ailleurs en grande pompe dans de splendides cathédrales, chez nous réduits à l'essentiel, on administrait les sacrements en hâte sous la voûte du ciel, que ce soit sur les hauteurs ou dans les vallées à l'abri d'épaisses forêts. Si la prédication ne pouvait durer longtemps, ces rencontres sacramentelles produisirent un tel effet sur le peuple irlandais qu'un très haut niveau de pratique s'y est maintenu jusqu'à présent. Cela se présente à nous comme le témoignage de l'amour du Christ et du coùrage surnaturel de ces prêtres prêts à mourir pour la survivance de la foi. Cela exprime aussi combien les catholiques irlandais sont conscients de pouvoir dégager les leçons du passé par la pratique des sacrements. Grâce à eux, en effet, leur foi vivante leur permet de lire les événements d'aujourd'hui, de les assumer et de transmettre, malgré la conjoncture difficile, ce qu'eux-mêmes ont reçu.

Ce rappel de quelques éléments de notre histoìre commune nous permet déjà d'en tirer quelques leçons. Celles-ci, certes, ne peuvent être perçues que de ceux qui ne se contentant pas de se remémorer un passé mort, plein de succès et d'échecs, sont capables de les méditer et d'y puiser un enseignement pour leur vie. Mais il convient cependant d' effectuer un retour en arrière. Revenons à ce qui constitue mon premier amour et la source du titre que j'ai donné à cette conférence, à savoir le psaume 78. Dès les deux premiers versets, l'auteur définit clairement la pensée qui occupe son esprit:

« O mon peuple, écoute ma loi, tends l'oreille aux paroles de ma bouche. Je vais ouvrir la bouche pour une parabole et dégager les leçons du passé ». Ps 78 Ps 1-2, Tob.

Ainsi donc le psalmiste entend tirer les leçons du passé, afin que les hauts faits de Dieu soient rendus connaissables et la réponse qu' il en attend devienne possible.

Non pas seulement pour que ses contemporains puissent accorder leurs vies à la volonté divine mais afin de les aider aussi à en transmettre la connaissance à leurs enfants. Alors, ils se trouveront encouragés à faire confiance à Dieu précisément en raison des merveilles qu'il a accomplies àleur intention. Signes de son amour, elles invitent à y répondre en respectant ses commandements. Ces événements du passé enseigneraient à la jeunesse comment éviter les fautes de ses ancêtres rebelles et inconstaflts, la génération à venir apprendrait à placer sa foi en Dieu, ce que n'avaient pas fait ses pères.

Dans ces versets, le psalmiste, vous le voyez, développe tout un programme pour le peuple de Dieu. Mais si celui-ci concerne les croyants d'avant le Christ, il vise tout aussi bien les fidèles de ce dernier. Car, de fait et en quelque époque que ce soit, si l'Église néglige de se souvenir, elle cesse d'exister ; si elle ne garde pas la mémoire du passé, elle ne vit plus ; si elle perd ses racines, elle dépérira.

Pourquoi l'Église aurait-elle à se souvenir? La raison en est qu'elle-même et son histoire consti tuent un tout, un seul être. Dès son origine, en effet, l'Église du Christ est Histoire. Elle se trouve enracinée en des faits historiques objectifs, qui la distinguent de la création subjective d'imaginations fertiles. En ce sens, elle fut précédée d'événements historiques particuliers, fondée à partir de faits historiquement observables, et tire son identité de personnes et de mots habilités à cela par leur résonance historique. L'Eglise ainsi vit en continuité avec son passé. Si cette dernière se trouve rompue, elle perd 'son identité, elle cesse en fait d'être l'Eglise du Christ.

Dans ces conditions, certains éléments dans l'Église, parce qu'ils découlent de son origine historique, ne peuvent être changés. Ils survinrent une fois et pour toujours ; de la sorte, ils se présentent comme constitutìfs de celle-ci. Les Apôtres et la primitive Eglise leur attachaient une telle importance qu'ils les conservèrent, certains dans l' Ecriturc - Ancien et Nouveau Testament - certains dans la doctrine et la liturgie, certains dans les institutions. Ils les transmirent pour être gardés tels quels dans l'Eglise, non pas comme choses mortes mais bien plutôt comme éléments vitaux garants de la vitalité de tout l'organisme jusqu'à la fin des temps.,

Il s'en suit que lorsque l'on évangélise par prédication, catéchèse ou réflexion théologique, ces éléments essentiels pour notre Eglise doivent être enseignés sans y ajouter quoi que ce soit. Ces faits, ces vérités, ces réalités fondamentales, ne peuvent alors être expliqués et compris que par référence au contex te historique de la vie du Christ et de celle du peuple de Dieu. En un sens on devra toujours les accepter en tant que surgis de l'extérieur, d'un ailleurs des nations, cultures et civilisations différentes du peuple élu. En effet, ils ne peuvent être déduits ou dérivés d'aucune autre société, religion ou philosophie. Changer ces éléments reviendrait à modifier l'identité de l'Eglise du Christ. Il faut donc les présenter comme donnés - ainsi qu'un don, car tels ils sont. Il faut les transmettre respectueusement d'une génération à l'autre, pour répondre à la volonté du Christ sur son Église jusqu'à la fin des temps.

Tout ceci encore une fois conduit à affirmer que si l'Église cesse de se souvenir, elle cesse par là même d'exister. Il y a par conséquent une longue tradition de l'Eglise qui réfléchit son histoire,' qui la met en question sur ses origines, sur son évolution et sur son avenir. Par une réflexion de ce genre, nous, les membres de l'Eglise, pouvons dégager un enseignement des fautes du passé, nous pouvons en découvrir les richesses cachées, nous pouvòns rendre utilisables maintenant des sources de force et d'inspiration auparavant ignorées, rejetées, mal vues ou simplement oubliées.
Bien sûr, il y a une autre excellente raison pour l'Eglise de se souvenir, c'est le commandement du Seigneur : « Faites ceci en' mémoire de moi ». Cela signifiait d'abord que i' Eglise devait garder présentes à l'esprit les paroles et les actions du Seigneur, dans leur contexte particulier. Cela présentait ensuite des implications plus générales parce que la compréhension de l' eucharistie requiert celle de tout ce que le Christ fut amené à dire ou faire.

Il me paraît inopportun ici d'entamer une discussion sur la signification liturgique de « faire, mémoire ». Je voudrais, par contre, présenter quelques remarques sur le rôle de la mémoire dans la catéchèse. On pourrait à juste titre envisager mon propos comme une leçon dégagée d'un passé' récent.

Il n'y a pas si longtemps le catéchisme représentait une part très importante du travail entrepris pour transmettre la foi d'une génération à l'autre. Nous connaissons, certes, quels en ont été les défauts : cette utilisation excessive et trop privilégiée de la mémoire. Questions et réponses apprises par coeur n'exigeaient que peu ou pas de compréhension.

Récemment et surtout après Vatican II, une réaction se fit contre ce procédé. Comme il arrive souvent, elle passa à l'opposé extrême. La plupart du temps l'instruction religieuse requit alors àpeine ou pas du tout de mémorisation. On alla jusqu'à encourager les enfants à composer eux-mêmes leurs prières, sous prétexte que les formules traditionnelles semblaient trop difficiles et impossibles à comprendre pour de jeunes esprits.

Cette désaffection de la mémoire se retrouve au plan de l'éducation en général. Mais les conséquences d'une telle méthode sur l'identité même de l'Église furent si graves qu' il me faut rappeler quelques phrases opportunes de Catechesi Tradendae (cf. ° 55):

« Alors que, dans l'enseignement profane de certains pays, des plaintes s'élèvent de plus en plus nombreuses sur les racheuses conséquences du mépris de cette faculté humaine qu'est la mémoire, pourquoi ne chercherions-nous pas à la remettre en valeur de manière intelligente et même originale dans la catéchèse, d'autant plus qùe la célébration ou « mémoire » des grands faits de l'histoire du salut exige qu'on en possède une connaissance précise? Une certaine mémorisation des paroles de Jésus, des passages bibliques importants, des dix commandements, des formules de profession de foi, des textes liturgiques, des prières essentielles, des notions clefs de la doctrine..., loin d'être contraire à la dignité des jeunes chrétiens, ou de constituer un obstacle au dialogue personnel avec le Seigneur, est une véritable nécessité, comme l'ont rappelé avec vigueur les Pères synodaux ».
(Catechesi Tradendae, CTR 55).

De toute évidence, la compréhension des formules de foi revêt une importance considérable. Mais il ne faut pas insister trop sur le principe admis de c ette compréhension. Qui donc comprend pleinement et de façon exhaustive le Notre Père, le Je vous salue Marie ou les dix commandements? Pourtant le chrétien qui accepte d'apprendre ces formules dans sa jeunesse, les saisit et les apprécie de mieux en mieux à mesure qu'il s'efforce de vivre plus profondément sa vie spirituelle àpartir de la pratique religieuse et de l'exercice des, vertus morales. Davantage encore: à supposer que quelqu'un s'égare loin de la route du Seigneur., souvent il. la retrouvera empruntant les traces que la mémoire a enregistrées aux jours de son enfance.

En outre, on peut noter combien les très jeunes enfants aiment - en dépit de leur maladresse - pouvoir se joindre à leurs parents pour réciter le Notre Père à la messe. C'est de la so rte que les jeunes deviennent adultes dans le Christ au sein de la communauté ecclésiale, et qu'ils deviennent héritiers de la Tradition.

Par ailleurs, l'origine historique de la transmission de la Foi à partir d'événements uniques, implique nécessairement un langage particulier, technique même. A travers ces mots, à travers ces expressions, dont l' usage originel peut en fait n'avoir pas été limité au seul contexte chrétien, une signification unique et une connotation venue de l'unique contexte chrétien se trouvent transmises par ceux qui les emploient.

Inutile d'ajouter que cette terminologie de la Foi doit dès le départ être expliquée. Les vérités essentielles exprimées par elle ne peuvent pas toujours être saisies immédiatement, peut-être même ne le seron t-elles jamais tout à fait. Il y a certains, éléments de nos prières, du culte, et de la doctrine qui toujours demeureront mal compris et en partie cachés: « Nous les voyons dans un miroir, d'une manière confuse ». (1Co 13,12). Cela ne signifie pas que nous sommes dispensés de les apprendre et de les enseigner aux nouvelles générations. Car cela s'impose pôur assurer la continuité et l'identité de la Foi, par conséquent de 1'Eglise.

Du reste, dire que le. vocabulaire de la Foi semble trop technique aux jeunes pour qu'ils puissent l'apprendre et donc qu'on leur enseigne, c'est ignorer l'aisance avec laquelle ils maîtrisent la terminologie de la technique scientifique. La navigation spatiale, les guerres interstellaires, ils connaissent ; quantité de jeux modernes de la plus extrême complexité, ils en raffolent.

Et puis, au cours du temps, cette terminologie de la foi acquise dans la jeunesse prendra peu àpeu davantage de sens. En effet, une conscience religieuse plus évoluée et une compréhension meilleure conséquente y pourvoiront. Bien plus, ces mots parfois si étranges au commencement acquerront une signification personnelle au cours même des hauts et des bas de la vie religieuse.

Ces formules de la prière, de la doctrine, et de la vie chrétienne qu'il convient d'apprendre apparaissent ainsi extrêmement importantes du point de vue de la catéchèse. Elles constituent le coeur du savoir partagé par tous les fidèles qu'un même engagement envers le Christ réunit. Elles présentent un grand intérêt pour la propagation et le développement de l'instruction qu'elles appellent. Si, en effet, d'un côté, elles se sitüent au point de départ de cette dernière, d'un autre côté, elles fournissent un résumé précis de tout ce qui a été dit. Parce qu'ils étaient convaincus de cela, les évêques de douze diocèses allemands viennent d'approuver la publication d'un manuel de la doctrine chrétienne, où l'on expose la Foi à partir du Symbole des Apôtres (Botschafl des Glaubens. Ein katlzoljscher Katechismus. Augsburg/Essen. I Auflage, 4 Nachdruck, 1980).

Lorsque l'on connaît bien les prières eucharistiques officielles, celles-ci peuvent faire l'objet d'explications et de développement. Par là les fidèles se rendent compte de la richesse de leur tradition, de la profondeur de leur foi, lesquelles consistent en la connaissance de Dieu et la manière chrétienne de vivre sa vie (cf. Il est grand le mystère de la foi. Les évêques de France. Centurion, Paris, 1978).

Un autre enseignement surgit encore de ce passé proche où nous avons si souvent changé la façon de présenter la religion. Se sont succédé trop rapidement des méthodes catéchétiques, dont chacune comportait, certes, quèlque avantage, mais dont aucune ne pouvait prétendre à être la meilleure. Cette sorte d'exclusivisme malsain crée des divisions entre les parents, les catéchistes et les prêtres.

A la méthode apologétique, on a préfére l'approche kérygmatique. Puis nous entendîmes beaucoup parler de l'histoire du salut, ensuite d'une approche anthropologique et d'une autre thématique. Tout cela à son tour a été abandonné en faveur d'uné présentation personnaliste ou expérientielle. Il faut l'avouer: pendant que les catéchistes consacrent une énergie considérable à discuter des mérites respectifs de ces méthodes et qu'ils créent une certaine confusion dans l'esprit de leurs élèves, l'essentiel de la Foi arrive à ne plus être vu et à se perdre. Alors il n'y a plus continuité de l' enseignement de la Foi ni davantage d'unité dans son exposition.

Notre expérience en Irlande semble montrer qu'en dépit de notre effort en temps passé, en énergie fournie, en argent dépensé pour produire des manuels et des cassettes très élaborés, des catéchi'stes bien formés, de nombreux enfants sortent de nos écoles primaires sans connaître les prières de base et les éléments de la doctrine accessibleš àleur âge. De même les élèves qui terminent le šecondaire ne possèdent pas la connaissance de la Foi, des principes de la vie chrétienne, de l'église et de la liturgie, qu'on serait en droit d'attendre d'eux après tous les soins qui leur ont été prodigués. Il y a certes, de nombreuses raisons à cette situation; on évoquera les possibilités de chaque élève, son milieu social et l'arrière-fond familial. Dans le même temps pourquoi ne pas se demander si le coeur de la doc trine a bien été correctement enseigné? L'a-t-on présenté avec une clarté, une insistance, une intelligence suffisantes'? A-t-on bien entrepris de faire apprendre aux élèves cette base minimum dont ils pourront user plus tard lorsqu'ils affronteront leur vie d'adultes en chrétiens ?

Les jeunes ont besoin d'être pourvus de ce que l'on pourrait appeler les repères principaux du paysage de la Foi. Ces points de référence permettront de s'assurer qu'ils demeurent dans le droit chemin, alors qu'ils poursuivent en tous sens leurs recherches du savoir et de l'expérience. On trouvera aussi, en ces sortes de bornes, l'aide appropriée lorsque les jeunes, et les adultes aussi du reste, auront à s'affronter en chrétiens aux problèmes ou aux obstacles de la vie.

Peu après Vatican II, il s'est produit quelque confusion entre le rôle des catéchistes et celui des théologiens. Des personnes qualifiées dans la catéchèse crurent qu'elles l'étaient aussi en théologie et qu' elles pourraient se lancer dans les controverses.

Au cours de leur formation, ils avaient bien pu être mis au courant des problèmes théologiques sans po,ur autant avoir reçu le savoir religieux fondamental nécessaire. En conséquence, ils en traitèrent dans leurs cours et y impliquèrent leurs élèves alors que les uns comme les autres ne possédaient pas les moyens de s'y attaquer.

L'inclusion dans la catéchèse d'hypothèses théologiques exploratoires ou expérimentales a suivi le même processus. Le danger en est que catéchistes et élèves versent par suite dans la confusion et ne savent plus où ils en sont. Cela rappellerait des gens qui entreprendraient d'escalader l'Everest sans être en mesure d' en estimer les approches ou même de lire une carte!

Les premiers versets du psaume 78 mettent un accent appuyé sur la responsabilité des parents dans la transmission de la Foi. En Irlande, nous essayons de remplir notre devoir en ce domaine de deux manières. Tout d'abord au niveau de la préparation des manuels de l'école primaire: un rôle y est reconnu aux parents aussi bien qu'aux élèves et aux catéchistes. Ensuite au moment des célébrations sacramentelles, nous faisons en sorte qu' elles soient aussi des rencontres familiales, si possible, même des regroupements de la communauté paroissiale. Parents, catéchistes et élèves travaillent ainsi ensemble dans chaque paroisse, en collaboration étroite bien sûr avec l'équipe sacerdotale du lieu.' En vue de préparer la réception des sacrements, nous prévoyons de nombreuses réunions, causeries, visites pastorales et para-liturgiques ; y sont conviés les enfants et leurs parents. Souvent les prêtres estiment que du point de vue catéchétique ces préparations acquièrent plus d'impact quand on ravive la foi et la pratique des parents, quand on structure davant age leur intelligence de la doctrine pour les aider à former, eux-mêmes, leurs enfants.

Dans toute cette tâche, nous attachons une grande importance à la paroisse. Ne représente-t-elle pas, en effet, la plus petite unité apostolique, convenant bien à la mise en oeuVre locale des moyens pour la transmission de la Foi?

L'étroite collaboration entre parents, catéchistes, prêtres et élèves se trouve facilitée chez nous par l'intégration de l' enseignement religieux dans les programmes scolaires. Cette situation provient dès le début du désir des parents de voir leurs enfants formés en même temps au plan de la foi et du savoir profane et si nous continuons sur cette lancée, c'est pour répondre à la même vólonté de l'immense majorité des familles. De la sorte du reste, nous sommes dans la ligne même de la Convention Européenne des Droits de l'Homme:

« Nul ne peut se voir refusé le droit à l'instruction. L'État, dans l'exercice de ses fonctions qu' il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents, d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques » . Art. 2, Protocole additionnel n° I).

On ne s'étonnera donc point: notre tradition particulière, combinée avec les facilités dont nous disposons dans les paroisses et les écoles, assure le maintien en Irlande d'un haut niveau de pratique.

La moyenne générale d'un bout à l'autre du pays ne s'abaisse pas au-dessous de 80 % et en de nombreux endroits dépasse 90 %. Cela ne s ignifie pas que nous n'ayons pas nos propres points noirs; ces derniers apparaissent surtout dans les centres urbains les plus importants.

En dépit de cette pratique élevée, il nous est interdit d'affronter la conjoncture avec une complète sécurité. Mises à part les pressions constantes d'un matérialisme qui menace le peuple irlandais comme les autres peuples, nous, en Irlande, avons besoin peut-être de réfléchir un peu plus sur la meilleure façon de vivre notre foi. Le christianisme ne se réduit pas à une formule à apprendre, à des coutumes culturelles, il est aussi plus profondément une vie intérieure. Dès l'Église primitive, cette vérité essentielle fut mise en valeur: les Actçs des Apôtres appellent le christianisme « la Voie» (Ac 24,22) . Ceci correspondrait avec la compréhension dans l'Ancien Testament de ce qu'était la Révélation offerte au Peuple de Dieu. Ce dernier ne cesse d'être exhorté à garder les commandements parce que c'était la réponse adéquate à l'amour que Dieu lui portait.

Nous avons besoin d'accroître notre aptitude àtémoigner de notre christianisme dans les menus détails du quotidien, dans nos relations personnelles, dans nos foyers, dans nos lieux de travail. Il nous faut réaliser l' importance de ne pas se cantonner dans la piété, mais aussi d'oeuvrer à la justice et à la charité authentiques, celles qui nous arrachent à nous-mêmes.

D'un autre côté, développer notre capacité à réfléchir sur notre foi afin de pouvoir en donner raison (cf. 1P 3,15) . Car nous avons besoin d'affermir les fondements intellectuels de notre foi. Il importe donc que les laïcs possédent une formation qui les affermisse pour témoigner selon leur charisme spécifique de l'Evangile et du Christ dans les milieux où ils ont le droit et le devoir d'assumer l'évangélisation (cf. Ei'ange/ii Nuntiandi, paragraphe 70) . Ils ne sont pas cependant nécessairement appelés à prêcher l'Evangile directement mais indirectement, au travers de leur travail et de leur style de vie. Et ils peuvent s'y employer dans la certitude qu'ils ne sont pas les propagandistes d' un quelconque sectarisme mais, bien au contraire, qu'ils promeuvent l'authentique humanisme, celui de l'homme total que ne cesse d'invoquer le Saint-Père. L'anthropologie chrétienne permet cette prétention parce qu'elle cherche à se conformer au plan de Dieu sur l'homme qu'il a créé, plan que nous parvenons àconnaître par la Révélation et l'observation.

Tout ce processus de la transmission de la Foi, très spécialement de nos jours dans une grande métropole, s'avère extrêmement complexe. Il implique l'organisation, la mise en oeuvre, de quantité de moyens humains et matériels. S'il concerne tous les fidèles, il incombe par contre seulement àquelques-uns dont la tâche pèse d'autant plus lourd.

Dans le feu de l'action, nous ne devons pas nous préoccuper trop des analyses, soit statistiques et sociologiques, soit psychologiques. Nous ne devons pas nous laisser polariser par les questions de méthode et de planification. En tant que chrétiens, n'est-il pas vrai, nous sommes tous conduits à reconnaître, à admettre, la part que le mystère divin tient dans notre action. Pas seulement ce mystère qui a rapport à l' ordre des choses naturelles, mais le mystère propre à la Révélation et à la croissance du Royaume de Dieu. Il nous faut respecter le dynamisme de l'Esprit du Christ. En définitive donc, que faisons-nous sinon semer et arroser? Dieu, lui, comme dans la nature, règle la naissance de ce qu'il a créé (1Co 3,7) . Même un évêque ne pourrait se dispenser de cette grande vérité de foi.

Inutile de le préciser: au sein d'une grande métropole les sollicitations venues des innombrables besoins pastoraux ne manquent point. L'innovation, l'imagination, se doivent d'y répondre afin d' offrir la nourriture spirituelle convenable à des gens de goûts fort variés. Nous remercions donc Dieu de tout notre coeur d'avoir suscité de petits groupes, des mouvements, qui, au sein de notre communauté, militent en faveur de la prière, d'actions caritatives, d'un effort de réflexion théologique. Ils méritent bien évidemment aide et encouragement, s'ils s'agrègent vraiment à l'Eglise et s' ils peinent avec le Christ, dans son Esprit, pour l'édification de son Corps.

Evoquer l'existence de ces nombreuses initiatives revient, en soi, à nous rappeler que seuls nous ne pouvons rien et que Dieu nous mène tous. Car tous entreprennent de s'atteler au dur labeur de l'évangélisation et de la transmission de la foi. L'assistance divine concerne de la même façon chacun des membres de l'Eglise. L'Ancien Testament nous le dit. Ne nous donne-t-il pas l' exemple de la longue suite de ces grands chefs religieux, prophètes, prêtres ou rois? Après que Dieu se fût révélé à eux de façon privilégiée, il les a envoyés en mission et lorsque l'un d' eux reculait devant le fardeau à prendre, il le rassurait : «Je serai avec toi ». Pensez à Moïse, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel pour ne pas les nommer tous. Or, le Christ n'agit pas autrement à l'égard de ses Apôtres et de son Eglise. N'affirme-t-il pas : «Je suis avec vous pour toujours, jusqu'à la fin des temps» (Mt 28,20 cf Ac 18,10) . Ne promet-il pas que son Esprit-Saint soutiendra son Eglise, en tant que son guide, son chef et sa lumière,, afin qu'elle puisse annoncer au monde la Bonne Nouvelle qu'il a apportée aux hommes par ses paroles et ses actes ? (Jn 14,26 Jn 15,26).

Aujourd'hui Jésus continue de nous assister. Il inspire les prédicateurs de son Evangile, les ministres de son Eglise et de l'humanité. Il donne la force de témoigner dans la vie religieuse. Il éclaire et dynamise les laïcs dont il souhaite ardemment qu'ils illuminent le monde, qu'ils lui donnent saveur, qu'ils le soulèvent de son matérialisme. Lumière, sel et levain, il leur revient de changer leurs frères les hommes en les amenant à devenir conscients de leur prix véritable, tels que Dieu les a créés dans sa Sagesse éternelle, tels que le Christ les a rachetés dans son Amour infini. Ainsi la Parole de Dieu s'adressant à tous pour leur' proposer le bonheur, se met au service de tous pour que la quête de chacun aboutisse, réussisse. Mais nous aussi nous voilà du coup serviteurs de cette Parole, animés du même Esprit qui nous enchante, nous le proclamons et devenons, si nous ne lui résistons pas, les instruments que l'Amour universel de Dieu peut utiliser. Soyons-en afferm is dans notre foi et notre espérance. Ne cessons pas de nous confier à Dieu, loin de vouloir tout régir par nous-mêmes : la Parole qui nous a touchés, par sa puissance propre, à travers nous, touchera aussi les autres coeurs humains.

Mais attention ! Travailler pour Dieu sous l'impulsion de sa foi demande un savoir-faire spécial. Abondamment pourvus de moyens par la science moderne - au premier chef, la technique, la spécialisation, la planification - n'oublions pas qu'ils nécessitent pour être utilisés au service divin, que nous-mêmes ne nous coupions jamais du Christ. Nous ne pouvons donc pas nous passer de la prière et de la contemplation. Aussi importante que l'étude statistique, la perception spirituelle des réalités ne nous sera accordée que si nous in voquons le Seigneur et méditons sa Parole.

L'Ancien et le Nouveau Testament nous proposent leur inépuisable sagesse ; un chrétien ne saurait la négliger. Les Ecritures, en effet, mettent ànotre disposition la longue histoire d'un peuple qui n'a cessé de vi vre sous le regard de Dieu, travaillé par le ferment d'une révélation divine. Ce cheminement exceptionnel du Peuple choisi sous l'effet des grâces dispensées pendant des siècles, comment ne point en tirer enseignement ?

Ne sommes-nous pas aux prises avec la même nature humaine? L'Ancien Testament le décrit abondamment: l'humanité où se trouvait inséré Israël, avec laquelle il entra en tensions et en échanges de toutes sortes, connut des désirs identiques aux nôtres, les mêmes aspirations l'émurent. Coupable de fautes semblables, il se livra au culte d' idoles similaires. Il suffit de mentionner Bac-chus, Venus et Mammon pour se convaincre que les attraits qui nous détournent de Dieu demeurent inchangés. Leur valeur a été depuis longtemps jaugée à son niveau véritable par le Dieu des deux Testaments, le plus souvent à travers les pleurs et quelquefois la colère. A supposer que nous nous laissions entraîner en une trop grande confiance dans la puissance de notre technologie moderne - jusqu'à croire que nous pourrions nous passer de Dieu, gardons en mémoire l'aventure des technocrates qui tentèrent d'édifier la Tour de Babel (Un 11: 1-9) . Combattre les problèmes inhérents aux grandes métropoles ne nécessite pas du tout d'ignorer Dieu : cela ne nous avancerait en rien.

Notre position ne s'apparente point à un anti-intellectualisme. Il ne s'agit pas d'une approche fondamentaliste, pas plus que d'une approbation sans réserve de n'importe quelle forme de charismatisme. Qu' on en juge. Quand je professais à l'Université, je me suis frotté à des intellectuels et des spécialistes, discutant de leurs espoirs et de leur recherche idéologique. Comme armes, je disposais de l'habileté - voire de la technologie - habituelles à un professeur de langues orientales et d'exégèse. Pourtant les relations avec, par exemple, les personnes engagées dans un mouvement charismatique n'ont jamais cessé d'être cordiales. Car au courant de ce que ces gens vivaient, je m'attachais à reconnaître la valeur du fondement de leur entreprise.

Quoi qu'il en soit, je pense le moment venu d'atteindre à une vue globale, intégrale, de la situation. Les spécialistes et les experts ne peuvent prétendre au monopole de la vérité. A quel titrç! Marshall Mc Luhan lui-même déclare qu'un spécialiste c'est «quelqu'un qui ne commet pas de petites fautes pour progresser dans une erreur gigantesque '. Que l'on ne me fasse pas dire que nous pouvons nous passer des spécialistes dans la poursuite du savoir. Une place leur revient en fait, aussi bien dans l'Eglise que dans la société. Seulement qu'ils sachent ne présenter leur avis que dans la limite de leur compétence, leur point de vue d'évidence demeurant particulièrement incomplet. A cette condition ils feront vraiment autorité. Parmi l'immense foule des chrétiens, les spécialistes et les experts, aussi bien du reste que tous ceux qui assument une responsabilité spéciale, se situent à leur place, afin de jouer mieux leur partie dans cette sorte de grand ensemble musical, et de contribuer efficacement au succès de la représentation. Mais ils n'y parviendront que s'ils veulent bien ne pas entrer en désaccord avec le compositeur et le chef d'orchestre, lesquels en l'occurence se confondent tous deux avec Dieu.

Ainsi donc, priant et méditant les Écritures, àl'écoute de l'Esprit qui nous parle également par la voix de l' Eglise, nous parviendrons à « dégager les leçons du passé ». Alors nous serons en mesure de transmettre à nos enfants quelque chose de vala ble, de vivant. Nous, et eux, pourrons en assumer notre existence. Ce ser ait la bonne réponse à la requête de notre psalmiste.

Vous l'aurez mieux compris encore: nous avons et nous aurons toujours à nous aider de la Parole de Dieu, de l' Esprit divin et du Verbe. Ce Verbe, comme le proclame saint Jean, Parole créatrice, Loi directive, Voix prophétique et Sagesse éternelle, « fut chair, il a habité parmi nous... Et de sa plénitude, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce »(Jn 1,16).


Lyon et Paris
8 et 9 janvier 1983





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