1996 Vita Consecrata 31

Les rapports entre les différents états de vie du chrétien

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Les différents états de vie, dans lesquels, selon la volonté du Seigneur Jésus, s'articule la vie ecclésiale, présentent des rapports mutuels et il est utile de s'y arrêter.

Tous les fidèles, en vertu de leur régénération dans le Christ, ont en commun la même dignité; tous sont appelés à la sainteté; tous participent à l'édification de l'unique Corps du Christ, chacun selon sa vocation et selon les dons reçus de l'Esprit (cf.
Rm 12,3-8) (58).L'égale dignité de tous les membres de l'Eglise est l'ouvre de l'Esprit, elle est fondée sur le Baptême et sur la Confirmation, et elle est corroborée par l'Eucharistie. Mais la pluralité est aussi l'ouvre de l'Esprit. C'est lui qui fait de l'Eglise une communion organique dans la diversité des vocations, des charismes et des ministères (59).

58- LG 32 CIC 208 CIO 11
59- AGD 4 LG 4 LG 12 LG 13 GS 32 AA 3 CL 20-21 ; Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre aux Evêques de l'Eglise catholique sur quelques aspects de l'Eglise comprise comme communion, Communionis notio (28 mai 1992), n. 15 : AAS 85 (1993), p. 847 Kononia .


Les vocations à la vie laïque, au ministère ordonné et à la vie consacrée peuvent être considérées comme paradigmatiques, du moment que toutes les vocations particulières, d'une manière ou d'une autre, les rappellent ou s'y rattachent, prises séparément ou conjointement, selon la richesse du don de Dieu. En outre, elles sont au service l'une de l'autre, pour la croissance du Corps du Christ dans l'histoire et pour sa mission dans le monde. Dans l'Eglise, tous sont consacrés par le Baptême et par la Confirmation, mais le ministère ordonné et la vie consacrée supposent l'un et l'autre une vocation distincte et une forme spécifique de consécration, en vue d'une mission particulière.

La mission des laïcs, à qui il appartient "de chercher le Royaume de Dieu en gérant les affaires temporelles et en les ordonnant selon Dieu" (60),a pour fondement propre la consécration du Baptême et de la Confirmation, commune à tous les membres du Peuple de Dieu. Les ministres ordonnés, en plus de cette consécration fondamentale, sont consacrés par l'Ordination pour poursuivre dans le temps le ministère apostolique. Les personnes consacrées, qui s'engagent dans les conseils évangéliques, reçoivent une consécration nouvelle et spéciale qui, sans être sacramentelle, les engage à adopter la forme de vie pratiquée personnellement par Jésus et proposée par Lui à ses disciples, dans le célibat, dans la pauvreté et dans l'obéissance. Même si ces différentes catégories sont la manifestation de l'unique mystère du Christ, les laïcs ont comme caractéristique propre, mais non exclusive, la sécularité, les pasteurs, la charge du ministère, les consacrés, la conformation spéciale au Christ chaste, pauvre et obéissant.

60- LG 31


La valeur particulière de la vie consacrée

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Dans cet ensemble harmonieux de dons, chacun des états de vie fondamentaux reçoit la tâche d'exprimer, dans son ordre, l'une ou l'autre des dimensions de l'unique mystère du Christ. Si la vie laïque a une mission spécifique pour faire entendre l'annonce évangélique dans les réalités temporelles, ceux qui sont institués dans les Ordres sacrés, spécialement les Evêques, exercent un ministère irremplaçable dans le cadre de la communion ecclésiale. Les Evêques ont le devoir de guider le Peuple de Dieu par l'enseignement de la Parole, l'administration des sacrements et l'exercice des pouvoirs sacrés au service de la communion ecclésiale, qui est une communion organique, hiérarchiquement ordonnée (61).

61-
LG 12 CL 20-21


Dans l'Eglise, en ce qui concerne sa mission de manifester la sainteté, il faut reconnaître que la vie consacrée se situe objectivement à un niveau d'excellence, car elle reflète la manière même dont le Christ a vécu. C'est pourquoi il y a en elle une manifestation particulièrement riche des biens évangéliques et une mise en ouvre plus complète de la finalité de l'Eglise, qui est la sanctification de l'humanité. La vie consacrée annonce et anticipe en quelque sorte le temps à venir, dans lequel, une fois survenue la plénitude du Royaume des cieux qui est déjà présent maintenant en germe et dans le mystère (62), les fils de la Résurrection ne prendront plus ni femme ni mari, mais seront comme des anges de Dieu (cf. Mt 22,30).

62- LG 5


En effet, l'excellence de la chasteté parfaite pour le Royaume (63), considérée à bon droit comme la "porte" de toute la vie consacrée (64), fait partie de l'enseignement constant de l'Eglise. Par ailleurs, l'Eglise porte une grande estime à la vocation au mariage, dans laquelle les époux "sont témoins et coopérateurs de la fécondité de la Mère Eglise, en signe et en participation de l'amour dont le Christ a aimé son Epouse et s'est livré pour elle" (65).

63- DS 1810; Pie XII, Encycl. Sacra virginitas (25 mars 1954): AAS 46 (1954), p. 176.
64- Cf. Proposition 17.
65- LG 41


Dans cette perspective commune à toute la vie consacrée, on peut distinguer des voies différentes mais complémentaires. Les religieux et les religieuses entièrement consacrés à la contemplation sont de manière spéciale des images du Christ qui s'adonne à la contemplation sur la montagne (66). Les personnes consacrées de vie active le représentent tandis qu'il "annonce aux foules le Royaume de Dieu, ou qu'il guérit les malades et les blessés, ou qu'il amène les pécheurs à se tourner vers le bien, ou qu'il bénit les enfants et fait du bien à tous" (67). Les personnes consacrées dans les Instituts séculiers servent à leur manière propre l'avènement du Royaume de Dieu; elles font une synthèse spécifique des valeurs de la consécration et de celles de la sécularité. En vivant leur consécration dans le siècle et à partir du siècle (68), elles "s'efforcent (...) d'imprégner toutes choses d'esprit évangélique pour fortifier et développer le Corps du Christ" (69).A cette fin, elles participent à la tâche d'évangélisation de l'Eglise par le témoignage personnel d'une vie chrétienne, par leurs engagements qui ont pour but d'ordonner les réalités temporelles selon Dieu, par leur coopération selon leur propre mode de vie séculier au service de la communauté ecclésiale (70).

66- LG 46
67- Ibid.
68- Cf. Pie XII, Motu proprio Primo feliciter (12 mars 1948), n. 6, : AAS 40 (1948), p. 285.
69- CIC 713 p 1 CIO 563 p2.
70- CIC 713 p 2 et 3.


Témoigner de l'Evangile des Béatitudes

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Une fonction particulière de la vie consacrée est de maintenir vive chez les baptisés la conscience des valeurs fondamentales de l'Evangile, en rendant "le témoignage éclatant et éminent que le monde ne peut être transfiguré et offert à Dieu sans l'esprit des Béatitudes" (71). Ainsi, la vie consacrée rend continuellement présente dans la conscience du peuple de Dieu l'exigence de répondre par la sainteté de la vie à l'amour de Dieu répandu dans les cours par l'Esprit Saint (cf.
Rm 5,5) , en reflétant dans le comportement la consécration sacramentelle que Dieu opère par le Baptême, par la Confirmation ou par l'Ordre. Il convient, en effet, de passer de la sainteté conférée par les sacrements à la sainteté de la vie quotidienne. La vie consacrée, de par son existence même dans l'Eglise, se met au service de la consécration de la vie de tous les fidèles, laïcs et clercs.

71- CIC 31


D'autre part, on ne doit pas oublier que le témoignage propre des autres vocations apporte aussi aux consacrés un soutien pour vivre intégralement leur adhésion au mystère du Christ et de l'Eglise dans ses multiples dimensions. En vertu de cet enrichissement réciproque, la mission de la vie consacrée devient plus éloquente et plus efficace: montrer aux autres frères et soeurs, en gardant les yeux fixés sur la paix future, le but qui est la béatitude définitive auprès de Dieu.

L'image expressive de l'Eglise-Epouse

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La signification sponsale de la vie consacrée prend un relief particulier, car elle évoque la nécessité pour l'Eglise de vivre pleinement et exclusivement vouée à son Epoux dont elle reçoit tout bien. Dans cette dimension sponsale, propre à toute la vie consacrée, c'est surtout la femme qui se retrouve spécialement elle-même, y découvrant en quelque sorte la valeur propre de sa relation avec le Seigneur.

A ce sujet, il y a dans le Nouveau Testament une page très suggestive qui présente Marie avec les Apôtres au Cénacle, dans l'attente priante de l'Esprit Saint (cf.
Ac 1,13-14). On peut y voir une image expressive de l'Eglise-Epouse, attentive aux signes venant de l'Epoux et prête à l'accueillir comme un don. Chez Pierre et chez les autres Apôtres apparaît surtout la dimension de la fécondité, telle qu'elle se traduit dans le ministère ecclésial, qui se fait l'instrument de l'Esprit pour engendrer de nouveaux fils en dispensant la Parole, en célébrant les Sacrements et en conduisant l'action pastorale. En Marie est particulièrement vive la dimension d'accueil sponsal, par lequel l'Eglise fait fructifier en elle la vie divine par son amour virginal et total.

La vie consacrée a toujours été située de manière privilégiée aux côtés de Marie, la Vierge épouse. De cet amour virginal résulte une fécondité particulière, qui contribue à la naissance et à la croissance de la vie divine dans les coeurs (72). La personne consacrée, sur les traces de Marie, nouvelle Eve, réalise sa fécondité spirituelle en se faisant accueillante à la Parole, pour coopérer à la construction de l'humanité nouvelle par son dévouement inconditionnel et par son vivant témoignage. L'Eglise manifeste ainsi pleinement sa maternité par la communication de l'action divine, confiée à Pierre, et par l'accueil responsable du don divin, caractéristique de Marie.

72- Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, Manuscrits autobiographiques, B, 2 v : " Etre ton épouse, O Jésus, (...) être par mon union avec toi, la mère des âmes ".


Pour sa part, le peuple chrétien trouve dans le ministère ordonné les moyens du salut, dans la vie consacrée un stimulant pour être pleinement disponible par amour à toutes les formes de diaconie (73).

73- PC 8 PC 10 PC 12



IV. GUIDES PAR L'ESPRIT DE SAINTETE


Une existence "transfigurée": l'appel à la sainteté

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"A cette voix, les disciples tombèrent la face contre terre, tout effrayés" (
Mt 17,6). Dans le récit de la Transfiguration, les Synoptiques, avec différentes nuances, mettent en évidence le sentiment de crainte qui saisit les disciples. La fascination qu'exerce sur eux le visage transfiguré du Christ n'empêche pas qu'ils se sentent effrayés devant la majesté divine qui les dépasse. Quand l'homme entrevoit la gloire de Dieu, il fait toujours l'expérience de sa petitesse et il éprouve un sentiment de frayeur. Cette crainte est salutaire. Elle rappelle à l'homme la perfection divine et, en même temps, s'impose à lui comme un appel fort à la "sainteté".

Tous les enfants de l'Eglise, appelés par le Père à " écouter" le Christ, ne peuvent que percevoir une exigence profonde de conversion et de sainteté. Mais, comme cela a été souligné au Synode, cette exigence intéresse en premier lieu la vie consacrée. En effet, la vocation des personnes consacrées à chercher avant tout le Royaume de Dieu est, en priorité, un appel à la pleine conversion, par le renoncement à soi-même pour vivre entièrement du Seigneur, afin que Dieu soit tout en tous. Appelés à contempler le visage transfiguré du Christ et à en être les témoins, les consacrés sont aussi appelés à une existence "transfigurée".

A ce sujet, ce qui a été exprimé dans le Rapport final de la deuxième Assemblée extraordinaire du Synode est très significatif: "A travers toute l'histoire de l'Eglise, les saints et les saintes ont toujours été source et origine de renouvellement dans les circonstances les plus difficiles. Aujourd'hui, nous avons grand besoin de saints qu'il faut inlassablement demander à Dieu. Les Instituts de vie consacrée doivent avoir conscience, dans leur profession des conseils évangéliques, de leur mission spéciale dans l'Eglise d'aujourd'hui, et nous, nous devons les encourager dans leur mission" (74)Pères de cette neuvième Assemblée synodale font écho à ces avis en déclarant: "La vie consacrée a été, à travers l'histoire de l'Eglise, une présence vive de cette action de l'Esprit, comme un espace privilégié d'amour de Dieu et du prochain témoignant du projet divin de faire de toute l'humanité, dans la civilisation de l'amour, la grande famille des fils de Dieu" (75).

74- Synode des évêques, IIè Assemblée générale extraordinaire, Rapport final Ecclesia sub Verbo Dei mysteria Christi celebrans pro salute mundi (7 décembre 1985), II A, n.4 : La Documentation catholique 83 (1986), p.38.
75- Synode des évêques, IXe Assemblée générale ordinaire, Message final du Synode (27 octobre 1994), IX : La Documentation Catholique 91 (1994), p. 985.


L'Eglise a toujours vu dans la profession des conseils évangéliques une voie privilégiée vers la sainteté. Les expressions mêmes par lesquelles elle la qualifie école du service du Seigneur, école d'amour et de sainteté, chemin ou état de perfection montrent l'efficacité et la richesse des moyens propres de cette forme de vie évangélique, ainsi que l'engagement particulier de ceux qui l'embrassent (76). Ce n'est pas sans raison qu'un si grand nombre de consacrés ont laissé au cours des siècles des témoignages éloquents de sainteté et qu'ils ont mené à bien des initiatives d'évangélisation et de service particulièrement généreuses et exigeantes.

76- St Thomas II-II 184,5 ad 2 et II-II 186,2 ad 1.


Fidélité au charisme

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Dans la sequela Christi et dans l'amour pour la personne du Christ, certains points touchant au progrès de la sainteté dans la vie consacrée méritent spécialement d'être mis en relief aujourd'hui.

Il est avant tout demandé d'être fidèle au charisme fondateur et au patrimoine spirituel ensuite constitué dans chaque Institut. Cette fidélité à l'inspiration des fondateurs et des fondatrices, don de l'Esprit Saint, permet précisément de retrouver et de revivre avec ferveur les éléments essentiels de la vie consacrée.

En effet, tout charisme comporte constitutivement une triple orientation: vers le Père, d'abord, avec le désir de rechercher filialement sa volonté dans une conversion continuelle, où l'obéissance est une source de vraie liberté, où la chasteté exprime la tension d'un cour qu'aucun amour fini ne satisfait, où la pauvreté nourrit la faim et la soif de justice que Dieu a promis de rassasier (cf.
Mt 5,6). Dans cette perspective, le charisme de tout Institut incitera la personne consacrée à être toute à Dieu, à parler avec Dieu ou de Dieu, comme on le dit de saint Dominique (77), pour goûter comme est bon le Seigneur (cf. Ps 34,9) dans toutes les situations.

77- Cf. Libellus de principiis Ordinis Praedicatorum. Acta Canonizationis Sancti Dominici : Monumenta Ordinis Praedicatorum historica 16 (1935), p. 30.


Les charismes de la vie consacrée comprennent également une orientation vers le Fils, avec lequel ils invitent à entretenir une communion de vie intime et joyeuse, à l'école de sa générosité au service de Dieu et de ses frères. "Le regard progressivement christifié apprend ainsi à se détacher des apparences, du tourbillon des sens, de tout ce qui empêche l'homme d'atteindre une légèreté apte à se laisser saisir par l'Esprit" (78),et cela permet de partir en mission avec le Christ, de travailler et de souffrir avec Lui pour coopérer à l'annonce de son Royaume.

78- Jean Paul II, Lettre ap. Orientale lumen (2 mai 1995), n.12: AS 87 (1995), p. 758.


Enfin, tout charisme comporte une orientation vers l'Esprit Saint, car il invite la personne à se laisser guider et soutenir par Lui, dans son propre chemin spirituel comme dans la vie de communion et dans l'action apostolique, poursuivre dans l'attitude de service qui doit inspirer tous les choix du chrétien authentique.

En effet, c'est toujours cette triple relation qui ressort, bien que sous les traits particuliers des divers modèles de vie, de tous les charismes fondateurs, du fait même qu'en eux domine "un désir profond de l'âme de se conformer au Christ pour témoigner de quelque aspect de son mystère" (79); et c'est là un caractère appelé à se concrétiser et à se développer dans la tradition la plus authentique de l'Institut, conformément aux règles, aux constitutions et aux statuts (80).

79- Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers et Congrégation pour les Evêques, Directives pour les Rapports entre les Evêques et les Religieux dans l'Eglise Mutuae relationes (14 mai 1978), n.51 : AAS 70 (1978), p. 500.
80- Cf. Proposition 26.


Fidélité et créativité

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Les Instituts sont donc invités à retrouver avec courage l'esprit entreprenant, l'inventivité et la sainteté des fondateurs et des fondatrices, en réponse aux " signes des temps " qui apparaissent dans le monde actuel (81). Il s'agit là surtout d'un appel à persévérer sur la voie de la sainteté, à travers les difficultés matérielles et spirituelles rencontrées dans les vicissitudes quotidiennes. Mais c'est aussi un appel à acquérir une bonne compétence dans son travail et à garder une fidélité dynamique dans sa mission, en adaptant lorsque c'est nécessaire les modalités aux situations nouvelles et aux besoins différents, en pleine docilité à l'inspiration divine et au discernement ecclésial. En tout cas, il faut rester fermement convaincu que chercher à se conformer toujours plus pleinement au Seigneur, c'est la condition d'authenticité de tout renouveau qui veut rester fidèle à l'inspiration des origines (82).

81- Cf. Proposition 27.
82-
PC 2


Dans cet esprit, il apparaît aujourd'hui nécessaire pour tous les Instituts de renouveler leur considération de la Règle, parce que, dans cette dernière et dans les constitutions, un itinéraire est tracé pour la sequela Christi , correspondant à un charisme propre authentifié par l'Eglise. Une plus grande prise en considération de la Règle ne manquera pas de donner aux personnes consacrées des critères sûrs pour chercher les formes appropriées d'un témoignage qui réponde aux exigences de l'époque sans s'éloigner de l'inspiration initiale.

Prière et ascèse: le combat spirituel

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L'appel à la sainteté ne peut être entendu et suivi que dans le silence de l'adoration devant la transcendance infinie de Dieu: "Nous devons confesser que nous avons tous besoin de ce silence chargé de présence adorée: la théologie, pour pouvoir mettre pleinement en valeur son âme sapientiale et spirituelle, la prière, pour qu'elle n'oublie jamais que voir Dieu signifie descendre de la montagne avec un visage si rayonnant qu'il faut le couvrir avec un voile (cf.
Ex 34,33) (...); l'engagement, pour renoncer à s'enfermer dans une lutte sans amour ni pardon. (...) Tous, croyants et non-croyants, ont besoin d'apprendre la valeur du silence qui permet à l'Autre de parler, quand et comme il le voudra, et qui nous permet, à nous, de comprendre cette parole" (83).Dans la pratique, cela suppose une grande fidélité à la prière liturgique et personnelle, aux temps consacrés à l'oraison mentale et à la contemplation, à l'adoration eucharistique, aux retraites mensuelles et aux exercices spirituels.

83- Jean Paul II, Orientale lumen (2 mai 1995), n. 16 : AAS 87 (1995), p. 762.


Il faut aussi redécouvrir les moyens de l'ascèse, caractéristiques de la tradition spirituelle de l'Eglise et de chaque Institut. Ils ont constitué, et ils constituent toujours, un soutien puissant pour un cheminement authentique vers la sainteté. L'ascèse, aidant à dominer et à corriger les tendances de la nature humaine blessée par le péché, est vraiment indispensable pour que la personne consacrée reste fidèle à sa vocation et suive Jésus sur le chemin de la Croix.

Il est aussi nécessaire de déceler et de surmonter certaines tentations qui se présentent parfois, par ruse diabolique, sous les apparences du bien. Ainsi, par exemple, le besoin légitime de connaître la société actuelle pour répondre à ses défis peut amener à céder aux modes du moment, en diminuant la ferveur spirituelle ou en provoquant le découragement. L'accès à une formation spirituelle plus élevée pourrait pousser les personnes consacrées à un certain sentiment de supériorité par rapport aux autres fidèles, tandis que l'urgence d'une qualification légitime et nécessaire peut se transformer en une recherche excessive d'efficacité, comme si le service apostolique dépendait surtout des moyens humains et non de Dieu. Le désir louable de se rendre proche des hommes et des femmes de notre temps, croyants et non-croyants, pauvres et riches, peut conduire à adopter un style de vie sécularisé ou à promouvoir les valeurs humaines dans un sens uniquement horizontal. Le partage des attentes légitimes de son peuple ou de sa culture pourrait amener à embrasser certaines formes de nationalisme ou à adopter des coutumes qu'il faut au contraire purifier et parfaire à la lumière de l'Evangile.

Le chemin qui mène à la sainteté comporte donc l'acceptation du combat spirituel. C'est une exigence à laquelle actuellement on n'accorde pas toujours l'attention qu'elle mérite. La tradition a souvent vu le combat spirituel sous la figure du combat de Jacob aux prises avec le mystère de Dieu, qu'il affronte pour obtenir sa bénédiction et pour parvenir à en avoir la vision (cf. Gn 32,23-31). Dans cet épisode des origines de l'histoire biblique, les personnes consacrées peuvent lire le symbole de l'engagement ascétique nécessaire pour élargir leur cour et l'ouvrir au Seigneur et à leurs frères.

Promouvoir la sainteté

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Aujourd'hui plus que jamais, il est indispensable que les personnes consacrées renouvellent leur engagement dans la sainteté pour aider et soutenir en tout chrétien la recherche de la perfection. "Il est donc nécessaire de susciter chez tous les fidèles une réelle aspiration à la sainteté, un fort désir de conversion et de renouveau personnel, dans un climat de prière toujours plus intense et de solidarité dans l'accueil du prochain, particulièrement des plus démunis" (84).

84-
TMA 42


Les personnes consacrées, dans la mesure où elles approfondissent leur amitié avec Dieu, se disposent à aider leurs frères et soeurs grâce à de bonnes initiatives d'ordre spirituel, telles que des écoles d'oraison, des exercices et des retraites spirituels, des journées de solitude, l'écoute et la direction spirituelle. On accompagne ainsi les progrès dans la prière de personnes qui pourront alors opérer un meilleur discernement de la volonté de Dieu sur elles et faire les choix courageux, parfois héroïques, que demande la foi. En effet, les personnes consacrées, "par leur être le plus profond, se situent dans le dynamisme de l'Eglise, assoiffée de l'Absolu de Dieu, appelée à la sainteté. C'est de cette sainteté qu'elles témoignent" (85).Le fait que tous soient appelés à devenir des saints ne peut que stimuler davantage ceux qui, en raison de leur choix de vie, ont la mission de rappeler aux autres cet appel.

85- EN 69


"Relevez-vous, et n'ayez pas peur":

une confiance renouvelée

40
"Jésus, s'approchant, les toucha et leur dit: "Relevez-vous, et n'ayez pas peur" " (
Mt 17,7). Comme les trois Apôtres lors de la Transfiguration, les personnes consacrées savent d'expérience que leur vie n'est pas toujours illuminée par la ferveur sensible qui fait s'écrier: "Il est heureux que nous soyons ici" (Mt 17,4). C'est cependant toujours une vie que la main du Christ "touche", que sa voix rejoint, que sa grâce soutient.

"Relevez-vous, et n'ayez pas peur". Cet encouragement du Maître est évidemment adressé à tout chrétien. Mais il vaut à plus forte raison pour ceux qui ont été appelés à "tout quitter" et donc à "tout risquer" pour le Christ. Cela vaut spécialement chaque fois que l'on descend de la "montagne" avec le Maître pour prendre la route qui mène du Thabor au Calvaire.

En disant que Moïse et Elie parlaient avec le Christ de son mystère pascal, de manière significative, Luc emploie le mot "départ" (éxodos): ils "parlaient de son départ, qu'il allait accomplir à Jérusalem" (Lc 9,31). "Exode", terme clé de la Révélation, auquel toute l'histoire du salut se réfère et qui exprime la signification profonde du mystère pascal. Ce thème est particulièrement cher à la spiritualité de la vie consacrée dont il dit bien le sens. Il comprend certes ce qui relève du mysterium Crucis. Mais, dans la perspective du Thabor, cette "route de l'exode" exigeante apparaît située entre deux lumières: la lumière anticipatrice de la Transfiguration et la lumière définitive de la Résurrection.

La vocation à la vie consacrée dans la perspective de l'ensemble de la vie chrétienne, malgré ses renoncements et ses épreuves, ou plutôt à cause d'eux, est une route "de lumière" , sur laquelle veille le regard du Rédempteur: "Relevez-vous, et n'ayez pas peur".


CHAPITRE II


SIGNUM FRATERNITATIS


LA VIE CONSACREE, SIGNE DE

COMMUNION DANS L'EGLISE


I. VALEURS PERMANENTES


A l'image de la Trinité

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Au cours de sa vie terrestre, le Seigneur Jésus a appelé ceux qu'Il voulait, pour les garder près de Lui et les préparer à vivre, à son exemple, pour le Père et pour la mission qu'Il avait reçue (cf.
Mc 3,13-15). Il donnait ainsi naissance à la nouvelle famille qui devait réunir au long des siècles ceux qui seraient prêts à "faire la volonté de Dieu" (cf. Mc 3,32-35). Après l'Ascension, grâce au don de l'Esprit, il se constitua autour des Apôtres une communauté fraternelle rassemblée dans la louange de Dieu et dans une expérience concrète de communion (cf. Ac 2,42-47 Ac 4,32-35). La vie de cette communauté et, plus encore, l'expérience des Douze qui avaient tout partagé avec le Christ, ont été constamment le modèle dont l'Eglise s'est inspirée quand elle a voulu revivre la ferveur des origines et poursuivre son chemin dans l'histoire avec une vigueur évangélique renouvelée (86).

86- PC 15 ; S. Augustin, Regula ad servos Dei, 1,1 : PL 32, 1372.


En réalité, l'Eglise est essentiellement mystère de communion, "peuple uni de l'unité du Père, du Fils et de l'Esprit Saint" (87).La vie fraternelle tend à refléter la profondeur et la richesse de ce mystère, en se construisant comme un espace humain habité par la Trinité, qui prolonge ainsi dans l'histoire les dons de communion propres aux trois Personnes divines. Dans la vie ecclésiale, nombreux sont les cadres et les modalités d'expression de la communion fraternelle. La vie consacrée a certainement le mérite d'avoir contribué efficacement à maintenir dans l'Eglise l'exigence de la fraternité comme confession de la Trinité. En favorisant constamment l'amour fraternel, notamment sous la forme de la vie commune, elle a montré que la participation à la communion trinitaire peut changer les rapports humains et créer un nouveau type de solidarité. De cette manière, elle fait voir aux hommes la beauté de la communion fraternelle et les voies qui y conduisent concrètement. En effet, les personnes consacrées vivent "pour" Dieu et "de" Dieu, et c'est pourquoi elles peuvent confesser la puissance de l'action réconciliatrice de la grâce, qui anéantit les forces de division présentes dans le cour de l'homme et dans les rapports sociaux.

87- S. Cyprien, De Oratione Dominica, 23 : PL 4, 553 ; LG 4.


Vie fraternelle dans l'amour

42
La vie fraternelle, comprise comme une vie partagée dans l'amour, est un signe expressif de la communion ecclésiale. Elle est cultivée avec grand soin par les Instituts religieux et les Sociétés de vie apostolique, où la vie communautaire prend un sens particulier (88). Mais la dimension de la communion fraternelle n'est pas étrangère non plus aux Instituts séculiers ni aux formes individuelles de vie consacrée. Les ermites, dans la profondeur de leur solitude, ne se soustraient pas à la communion ecclésiale, mais ils la servent par leur charisme contemplatif spécifique; les vierges consacrées dans le monde vivent leur consécration dans une véritable relation de communion avec l'Eglise particulière et universelle. Il en va de même pour les veuves et les veufs consacrés.

88- Cf. Proposition 20.


Toutes ces personnes, en vivant leur condition évangélique de disciples, s'engagent à pratiquer le " commandement nouveau " du Seigneur, en s'aimant les unes les autres comme Il nous a aimés (cf.
Jn 13,34). L'amour a conduit le Christ au don de lui-même jusqu'au sacrifice suprême de la Croix. Parmi les disciples aussi, il n'y a pas d'unité vraie sans cet amour mutuel inconditionnel, qui demande d'être disposé à servir sans mesure, disponible pour accueillir l'autre comme il est, sans "le juger" (cf. Mt 7,1-2) , capable de pardonner même "soixante-dix fois sept fois" (Mt 18,22). Pour les personnes consacrées, unies en "un seul cour et une seule âme" (Ac 4,32) grâce à cet amour répandu dans les cours par l'Esprit Saint (cf. Rm 5,5), cela devient une exigence intérieure de mettre tout en commun, les biens matériels et les expériences spirituelles, les talents et les inspirations, de même que les idéaux apostoliques et le service caritatif: "Dans la vie communautaire, la force de l'Esprit qui est en une personne se communique à tous en même temps (...). On y bénéficie de ses propres dons, on les multiplie en les communiquant aux autres, et l'on jouit ainsi des dons d'autrui comme des siens propres" (89).

89- S. Basile, Les Grandes Règles, Quest. 7,2 : PG 31, 931.


Dans la vie de communauté, on doit pouvoir en quelque sorte saisir que la communion fraternelle, avant d'être un moyen pour une mission déterminée, est un lieu théologal où l'on peut faire l'expérience de la présence mystique du Seigneur ressuscité (cf. Mt 18,20) (90). Cela se réalise grâce à l'amour mutuel de ceux qui composent la communauté, amour nourri par la Parole et par l'Eucharistie, purifié par le Sacrement de la Réconciliation, soutenu par la prière pour l'unité, don de l'Esprit à ceux qui se mettent à l'écoute obéissante de l'Evangile. C'est précisément Lui, l'Esprit, qui introduit l'âme dans la communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ (cf. 1Jn 1,3), communion qui est source de la vie fraternelle. Par l'Esprit, les communautés de vie consacrée sont guidées dans l'accomplissement de leur mission de service de l'Eglise et de toute l'humanité, selon leur intuition originelle.

90- S. Basile, Les Petites Règles, Quest. 225 : PG 31, 1231.


Dans cette perspective, les "Chapitres" généraux ou particuliers (ou les réunions analogues), revêtent une importance spéciale; dans de tels cadres, chaque Institut est appelé à élire les Supérieurs ou les Supérieures, suivant les normes fixées par les Constitutions, et à discerner, à la lumière de l'Esprit, les modalités qui conviennent pour conserver et actualiser, dans les différentes situations historiques et culturelles, son charisme et son patrimoine spirituel propres (91).

91- Cf. Congrégation des Religieux et des Instituts séculiers, Instruction Eléments essentiels de la Doctrine de l'Eglise sur la vie consacrée (31 mai 1983), n. 51 : La Doc. Catho. 80 (1983), p. 983 ; CIC 631 p1 ; CIO 512 p1.


La responsabilité de l'autorité

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Dans la vie consacrée, le rôle des Supérieurs et des Supérieures, généraux et locaux également, a toujours eu une grande importance pour la vie spirituelle comme pour la mission. En ces années de recherche et de mutations, on a parfois ressenti la nécessité d'une révision de cette fonction. Mais il faut reconnaître que ceux qui exercent l'autorité ne peuvent pas renoncer à leurs devoirs de premiers responsables de la communauté, comme guides des frères et des soeurs sur leur chemin spirituel et apostolique.

Il n'est pas facile, dans des milieux fortement marqués par l'individualisme, de faire reconnaître et d'accueillir le rôle que l'autorité exerce au profit de tous. Il faut cependant réaffirmer l'importance de cette charge, qui se révèle nécessaire précisément pour consolider la communion fraternelle et pour ne pas rendre vaine l'obéissance professée. Si l'autorité doit être avant tout fraternelle et spirituelle et si, en conséquence, ceux qui en sont revêtus doivent savoir, par le dialogue, impliquer leurs confrères et leurs consoeurs dans le processus de décision, il convient toutefois de se rappeler que le dernier mot appartient à l'autorité, à laquelle il revient ensuite de faire respecter les décisions prises (92).

92- Cf. Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Société de vie apostolique, Instruction La vie fratenelle en Communauté " Congregavit ns in unum Christi amor " (2 février 1994), nn. 47-53 : La Documentation Catholique 91 (1994) pp. 425-426 ;
CIC 618 ; proposition 19.



1996 Vita Consecrata 31