Introduction a la vie devote - CHAPITRE XIV

CHAPITRE XV

Meditation 7


DE L'ENFER



Preparation

1. Mettes-vous en la presence divine.

2. Humilies-vous et demandes son assistance.

3. Imagines-vous une ville tenebreuse, toute bruslante de soufre et de poix puante, pleynede citoyens qui n'en peuvent sortir.


Considerations


1. Les damnés sont dedans l'abisme infernal comme dedans cette ville infortunee, en 1aquelle ilz souffrent des tourmens indicibles en tous leurs sens et en tous leurs membres, parce que, comme ilz ont employé tous leurs sens et leurs membres pour pecher, ainsy souffriront ilz en tous leurs membres et en tous leurs sens les peynes deues au peché: les yeux, pour leurs faux et mauvais regards, souffriront l'horrible vision des diables et de l'enfer; les oreilles, pour avoir prins playsir aux discours vicieux, n'ouïront jamais que pleurs, lamentations et desespoirs; et ainsy des autres.

2. Outre tous ces tourmens, il y en a encor un plus grand, qui est la privation et perte de la gloire de Dieu, laquelle ilz sont forclos de jamais voir. Que si Absalon treuva que la privation de la face amiable de son pere David estoit plus ennuyeuse que son exil (54), o Dieu, quel regret d'estre a jamais privé de voir vostre doux et suave visage!

3. Considerés sur tout l'eternité de ces peynes, laquelle seule rend l'enfer insupportable. Helas, si une puce en nostre oreille, si la chaleur d'une petite fievre nous rend une courte nuit si longue et ennuyeuse, combien sera espouvantable la nuit de l'eternité avec tant de tourmens! De cette eternité, naissent le desespoir eternel, les blasphemes et rages infinies.


Affections et resolutions

1. 1.Espouvantés vostre ame par les paroles d'Isaïe (55): O mon ame, pourrois-tu bien vivre eternellement avec ces ardeurs perdurables et emmi ce feu devorant? veux-tu bien quitter ton Dieu pour jamais?

2. Confessés que vous l'aves merité, mays combien de fois! Or, des-ormais je veux prendre parti au chemin contraire; pourquoy descendrois-je en cet abisme?

3. Je feray donques tel et tel effort pour eviter le peché, qui seul me peut donner cette mort eternelle.

Remercies, offres, pries.


54. - 2R 14,32

55. - Es 33,14. Les éditions antérieures à celle de 1652 attribuent à Job ces paroles d'Isaïe. On a cru devoir rectifier cette méprise, tout en faisant remarquer que la pensée exprimée par le Saint se retrouve également dans le Livre de Job (cap. xx, vers. 26).



CHAPITRE XVI

Meditation 8


DU PARADIS



1. Mettes-vous en la presence de Dieu.

2. Faites l'invocation.


Considerations


1. Consideres une belle nuit bien sereine, et penses combien il fait bon voir le ciel avec cette multitude et varieté d'estoiles. Or, joignés maintenant cette beauté avec celle d'un beau jour, en sorte que la clarté du soleil n'empesche point la claire veuë des estoiles ni de la lune; et puis apres, dites hardiment que toute cette beauté mise ensemble n'est rien au prix de l'excellence du grand Paradis. O que ce lieu est desirable et amiable, que cette cité est pretieuse!

2. Consideres la noblesse, la beauté et la multitude des citoyens et habitans de cet heureux païs: ces millions de millions d'Anges, de Cherubins et Seraphins, cette troupe d'Apostres, de Martyrs, de Confesseurs, de Vierges, de saintes Dames; la multitude est innumerable.

O que cette compagnieest heureuse! Le moindre de tous est plus beau a voir que tout le monde; que sera-ce de les voir tous? Mais, mon Dieu, qu'ilz sont heureux: tous-jours ilz chantent le doux cantique de l'amour eternel; tous-jours ilz jouissent d'une constante allegresse; ilz s'entredonnent les uns aux autres des contentemens indicibles , et vivent en la consolation d'une heureuse et indissoluble societé.

3. Consideres en fin quel bien ilz ont tous de jouir de Dieu qui les gratifie pour jamais de son amiable regard, et par iceluy respand dedans leurs coeurs un abisme de delices. Quel bien d'estre a jamais uni a son Principe! Ilz sont la comme des heureux oyseaux, qui volent et chantent a jamais dedans l'air de la Divinité qui les environne de toutes parts de playsirs incroyables; la, chacun a qui mieux mieux, et sans envie (56), chante les loüanges du Createur. Beny soyes vous a jamais, o nostre doux et souverain Createur et Sauveur, qui nous estes si bon, et nous communiqués si liberalement vostre gloire. Et reciproquement, Dieu benit d'une benediction perpetuelle tous ses Saintz: Benites soyes vous a jamais, dit il, mes cheres creatures, qui m 'aves servi et qui me loüerés eternellement avec si grand amour et courage.


Affections et resolutions


1. Admirés et loüés cette patrie celeste. O que vous estes belle, ma chere Hierusalem, et que bienheureux sont vos habitans!

2. Reproches a vostre coeur le peu de courage qu'il a eu jusques a present, de s'estre tant destourné du chemin de cette glorieuse demeure. Pourquoy me suis-je tant esloignee de mon souverain bonheur? Ah, miserable, pour ces playsirs si desplaysans et legers, j'ay mille et mille fois quitté ces eternelles et infinies delices. Quel esprit avois-je de mespriser des biens si desirables, pour des desirs si vains et mesprisables?

3. Aspires neanmoins avec vehemence a ce sejour tant delicieux. O puisqu'il vous a pIeu, mon bon et souverain Seigneur, redresser mes pas en vos voyes, non, jamais plus je ne retourneray en arriere. Allons, o ma chere ame, allons en ce repos infini, cheminons a cette benite terre qui nous est promise; que faisons-nous en cett' Egypte?

4. Je m'empescheray donq de telles choses, qui me destournent ou retardent de ce chemin.

5. Je feray donq telles et telles choses qui m'y peuvent conduire.

Remercies, offres, pries.


56. - Variante: ennui




CHAPITRE XVII

Meditation 9


PAR MANIERE D'ELECTION ET CHOIX DU PARADIS



Preparation

1. Mettes-vous en la presence de Dieu.

2. Humilies-vous devant luy, priant qu'il vous inspire.


Considerations


Imaginés vous d'estre en une rase campagne, toute seule avec vostre bon Ange, comme estoit le jeune Tobie allant en Rages, et qu'il vous fait voir en haut le Paradis ouvert, avec les playsirs representés en la meditation du Paradis que vous aves faitte; puis, du costé d'en bas, il vous fait voir l'enfer ouvert, avec tous les tourmens descritz en la meditation de l'enfer. Vous estant colloquee ainsy par imagination, et mise a genoux devant vostre bon Ange

1.Consideres qu'il est tres vray que vous estes au milieu du Paradis et de l'enfer, et que l'un et l'autre est ouvert pour vous recevoir, selon le choix que vous en ferés.

2.Consideres que le choix que l'on fait de l'un ou de l'autre en ce monde, durera eternellement en l'autre.

3. Et encores que l'un et l'autre soit ouvert pour vous recevoir, selon que vous le choisirés, si est-ce que Dieu, qui est appareillé de vous donner, ou l'un par sa justice ou l'autre par sa misericorde, desire neanmoins d'un desir nompareil que vous choisissies le Paradis; et vostre bon Ange vous en presse de tout son pouvoir, vous offrant de la part de Dieu mille graces et mille secours pour vous ayder a la montee.

4. Jesus Christ, du haut du Ciel, vous regarde en sa debonnaireté et vous invite doucement: Viens, o ma chere ame, au repos eternel entre les bras de ma bonté, qui t'a preparé les delices immortelles en l'abondance de son amour. Voyes de vos yeux interieurs la Sainte Vierge qui vous convie maternellement:

Courage, ina fille, ne veuille pas mespriser les desirs de mon Filz, ni tant de Souspirs que je jette pour toy, respirant avec luy ton salut eternel. Voyes les Saintz qui vous exhortent, et un million de saintes ames qui vous convient doucement, ne desirans que de voir un jour vostre coeur joint au leur, pour loüer Dieu a jamais, et vous asseurans que le chemin du Ciel n'est point si malaysé que le monde le fait: Hardiment, vous disent elles, treschere amie; qui considerera bien le chemin de la devotion par lequel nous sommes montees, il verra que nous sommes venues en ces delices, par des delices incomparablement plus souëfves que celles du monde.


Election


1. O enfer, je te deteste maintenant et eternellement; je deteste tes tourmens et tes peynes; je deteste ton infortunee et malheureuse eternité, et sur tout ces eternelz blasphemes et maledictions que tu vomis eternellement contre mon Dieu. Et retournant mon coeur et mon ame de ton costé, o beau Paradis, gloire eternelle, felicité perdurable, je choisis a jamais irrevocablement mon domicile et mon sejour dedans tes belles et sacrees maysons, et en tes saintz et desirables tabernacles. Je benis, o mon Dieu, vostre misericorde, et accepte l'offre qu'il vous plait de m'en faire. O Jesus, mon Sauveur, j'accepte vostre amour eternel, et advouë l'acquisition que vous aves faite pour moy d'une place et logis en cette bienheureuse Hierusalem, non tant pour aucune autre chose, comme pour vous aymer et benir a jamais.

2. Acceptes les faveurs que la Vierge et les Saintz vous presentent; promettes leur que vous vous achemineres a eux; tendes la main a vostre bon Ange affin qu'il vous y conduise; encourages vostre ame a ce choix.



CHAPITRE XVIII

Meditation 10


PAR MANIERE D'ELECTION ET CHOIX QUE L'AME FAIT DE LA VIE DEVOTE



Preparation

1.Mettes-vous en la presence de Dieu.

2. Abaisses-vous devant sa face; requeres son ayde.


Considerations


1. Imagines-vous d'estre derechef en une rase campagne, avec vostre bon Ange toute seule, et a costé gauche, vous voyes le diable assis sur un grand throsne haut eslevé, avec plusieurs des espritz infernaux aupres de luy, et tout autour de luy, une grande troupe de mondains qui tous a teste nuë le reconnoissent et luy font hommage, les uns par un peché, les autres par un autre. Voyes la contenance de tous les infortunés courtisans de cet abominable roy: regardés les uns furieux de haine, d'envie et de cholere; les autres qui s'entre-tuent; les autres haves, pensifz et empressés a faire des richesses; les autres attentifz a la vanité, sans aucune sorte de playsir qui ne soit inutile et vain; les autres vilains, perdus, pourris en leurs brutales affections. Voyes comme ilz sont tous sans repos, sans ordre et sans contenance; voyes comme ilz se mesprisent les uns les autres et comme ilz ne s'ayment que par des faux semblans. En fin, vous verres une calamiteuse republique, tyrannisee de ce roy maudit, qui vous fera compassion.

2. Du costé droit, voyes Jesus Christ crucifié, qui, avec un amour cordial, prie pour ces pauvres endiablés, affin qu'ilz sortent de cette tyrannie, et qui les appelle a soy; voyes une grande troupe de devotz qui sont autour de luy avec leurs Anges. Contemplés la beauté de ce royaume de devotion. Qu'il fait beau voir cette troupe de vierges, hommes et femmes, plus blanche que le lys, cette assemblee de vefves, pleines d'une sacree mortification et humilité! Voyes le rang de plusieurs personnes mariees qui vivent si doucement ensemble avec respect mutuel, qui ne peut estre sans une grande charité: voyes comme ces devotes ames marient le soin de leur mayson exterieure avec le soin de l'interieure, l'amour du mari avec celuy de l'Espoux celeste. Regardes generalement par tout, vous les verres tous en une contenance sainte, douce, amiable, qu'ilz escoutent Nostre Seigneur, et tous le voudroyent planter au milieu de leur coeur. Ilz se resjouissent, mais d'une joye gracieuse, charitable et bien reglee; ilz s'entr'ayment, mais d'un amour sacré et tres pur.

Ceux qui ont des afflictions en ce peuple devot, ne se tourmentent pas beaucoup et n'en perdent point contenance. Bref, voyes les yeux du Sauveur qui les console, et que tous ensemblement aspirent a luy.

3.Vous aves meshui quitté Satan avec sa triste et malheureuse troupe, par les bonnes affections que vous aves conceuës, et neanmoins vous n'estes pas encor arrivee au Roy Jesus, ni jointe a son heureuse et sainte compaignie de devotz, ains vous aves esté tous-jours entre l'un et l'autre.

4.La Vierge Sainte avec saint Joseph, saint Louys, sainte Monique, et cent mille autres qui sont en l'escadron de ceux qui ont vescu emmi le monde, vous invitent et encouragent.

5. Le Roy crucifié vous appelle par vostre nom propre: Venes, o ma bien aymee, venes affin que je vous couronne (57)


Election


1. O monde, o troupe abominable, non, jamais vous ne me verrés sous vostre drapeau: j 'ay quitté pour jamais vos forceneries et vanités. Roy d'orgueil, o roy de malheur, esprit infernal, je te renonce avec toutes tes vaynes pompes; je te deteste avec toutes tes oeuvres.

2. Et me convertissant a vous, mon doux Jesus, Roy de bonheur et de gloire eternelle, je vous embrasse de toutes les forces de mon ame, je vous adore de tout mon coeur, je vous choisis, maintenant et pour jamais, pour mon Roy, et (58) par mon inviolable fidelité je vous fais un hommage irrevocable; je me sousmetz a l'obeissance de vos saintes lois et ordonnances.

3. O Vierge Sainte, ma chere Dame, je vous choisis pour ma guide, je me rends sous vostre enseigne, je vous offre un particulier respect et une reverence speciale. O mon saint Ange, presentes moy a cette sacree assemblee; ne m'abandonnes point jusques a ce que j'arrive avec cette heureuse compaignie, avec laquelle je dis et diray a jamais pour tesmoignage de mon choix: Vive Jesus, vive Jesus.



57. - Ct 4,8

58. - Variante: et pour mon unique Prince; je vous offre



CHAPITRE XIX


COMME IL FAUT FAIRE LA CONFESSION GENERALE



Voyla donq, ma chere Philothee, les meditations requises a nostre intention. Quand vous le0 aures faites, alles courageusement en esprit d'humilité faire vostre confession generale; mais, je vous prie, ne vous laisses point troubler par aucune sorte d'apprehension. Le scorpion qui nous a piqués est veneneux en nous piquant, mais estant reduit en huile c'est un grand medicament contre sa propre piqueure (59): le peché n'est honteux que quand nous le faisons, mais estant converti en confession et penitence, il est honnorable et salutaire. La contrition et confession sont si belles et de si bonne odeur, qu'elles effacent la laideur et dissipent la puanteur du peché. Simon le lepreux disoit que Magdeleine estoit pecheresse; mays Nostre Seigneur dit que non, et ne parle plus sinon des parfums qu'elle respandit et de la grandeur de sa charité (60). Si nous sommes bien humbles, Philothee, nostre peché nous desplaira infiniment parce que Dieu en est offencé, mais l'accusation de nostre peché nous sera douce et aggreable, parce que Dieu en est honnoré: ce nous est une sorte d'allegement de bien dire au medecin le mal qui nous tourmente. Quand vous seres arrivee devant vostre pere spirituel, imaginés-vous d'estre en la montagne de Calvaire sous les pieds de Jesus Christ crucifié, duquel le sang pretieux distille de toutes partz pour vous laver de vos iniquités; car, bien que ce ne soit pas le propre sang du Sauveur, c'est neanmoins le merite de son sang respandu qui arrouse abondamment les penitens autour des confessionnaux. Ouvrés donq bien vostre coeur pour en faire sortir les pechés par la confession; car a mesure qu'ilz en sortiront, le pretieux merite de la Passion divine y entrera pour le remplir de benediction.

Mais dites bien tout, simplement et naïfvement; contentes bien vostre conscience en cela pour une bonne fois. Et cela fait, escoutes l'advertissement et les ordonnances du serviteur de Dieu, et dites en vostre coeur: Parles, Seigneur, car vostre servante vous escoute *. Ouy, c'est Dieu, Philothee, que vous escoutes, puisqu'il a dit a ses vicaires: Qui vous escoute, m'escoute*. Prenes, par apres, en main la protestation suivante, laquelle sert de conclusion a toute vostre contrition et que vous deves avoir premierement meditee et consideree; lises-la attentivement et avec le plus de ressentiment qu'il vous sera possible.

59. - Mattioli , in Dioscorid. 6,8

60. - Lc 7,39



CHAPITRE XX


PROTESTATION AUTHENTIQUE POUR GRAVER EN L'AME


LA RESOLUTION DE SERVIR DIEU


ET CONCLURE LES ACTES DE PENITENCE



Je soussignee, constituee et establie en la presence de Dieu eternel et de toute la cour celeste, ayant consideré l'immense misericorde de sa divine bonté envers moy, tresindigne et chetifve creature, qu'elle a creée de rien, conservee, soustenue, delivree de tant de dangers, et comblee de tant de bienfaitz; mais sur tout ayant consideré cette incomprehensible douceur et clemence avec laquelle ce tresbon Dieu m'a si benignement toleree en mes iniquités, si souvent et si amiablement inspiree, me conviant a m'amender, et si patiemment attendue a penitence et repentance jusques a cette N. annee de mon aage, nonobstant toutes mes ingratitudes, desloyautés et infidelités par lesquelles, differant ma conversion et mesprisant ses graces, je 1'ay si impudemment offencé; apres avoir encor consideré qu'au jour de mon sacré Baptesme je fus si heureusement et saintement voüee et dediee a mon Dieu pour estre sa fille, et que, contre la profession qui fut alhors faitte en mon nom, j'ay tant et tant de fois si malheureusement et detestablement profané et violé mon esprit, l'appliquant et l'employant contre la divine Majesté; en fin, revenant maintenant a moy-mesme, prosternee de coeur et d'esprit devant le throsne de la justice divine, je me reconnois, advouë et confesse pour legitimement atteinte et convaincue du crime de leze majesté divine, et coupable de la Mort et Passion de Jesus Christ, a rayson des pechés que j'ay commis, pour lesquelz il est mort et a souffert le tourment de la croix, si que je suis digne, par consequent, d'estre a jamais perdue et damnee.

Mais me retournant devers le throsne de l'infinie misericorde de ce mesme Dieu eternel, apres avoir detesté de tout mon coeur et de toutes mes forces les iniquités de ma vie passee , je demande et requiers humblement grace et pardon et merci , avec entiere absolution de mon crime, en vertu de la Mort et Passion de ce mesme Seigneur et Redempteur de mon ame, sur laquelle m'appuyant comme sur l'unique fondement de mon esperance, j'advouë derechef et renouvelle la sacree profession de la fidelité faitte de ma part a mon Dieu en mon Baptesme, renonçant au diable, au monde et a la chair, detestant leurs malheureuses suggestions, vanités et concupiscences, pour tout le tems de ma vie presente et de toute l'eternité. Et me convertissant a mon Dieu debonnaire et pitoyable, je desire, propose, delibere et me resous irrevocablement de le servir et aymer maintenant et eternellement, luy donnant a ces fins, dediant et consacrant mon esprit avec toutes ses facultés, mon ame avec toutes ses puissances, mon coeur avec toutes ses affections, mon cors avec tous ses sens; protestant de ne jamais plus abuser d'aucune partie de mon estre contre sa divine volonté et souveraine Majesté, a laquelle je me sacrifie et immole en esprit, pour luy estre a jamais loyale, obeissante et fidelle creature, sans que je veuille onques m'en desdire ni repentir. Mais helas, si par suggestion de l'ennemi ou par quelque infirmité humaine, il m'arrivoit de contrevenir en chose quelconque a cette mienne resolution et consecration, je proteste des maintenant, et me propose, moyennant la grace du Saint Esprit, de m'en relever si tost que je m'en apercevray, me convertissant derechef a la misericorde divine, sans retardation ni dilation quelconque.

Ceci est ma volonté, mon intention et ma resolution inviolable et irrevocable, laquelle j'advouë et confirme sans reserve ni exception, en la mesme presence sacree de mon Dieu et a la veuë de l'Eglise triomphante, et en la face de l'Eglise militante ma Mere, qui entend cette mienne declaration en la personne de celuy qui, comme officier d'icelle, m'escoute en cette action. Plaise vous, o mon Dieu eternel, tout puissant et tout bon, Pere, Filz et Saint Esprit,confirmer en moy cette resolution, et accepter ce mien sacrifice cordial et interieur en odeur de suavité; et comme il vous a pleu me donner l'inspiration et volonté de le faire, donnes-moy aussi la force et la grace requise pour le parfaire. O mon Dieu, vous estes mon Dieu (61), Dieu de mon coeur (62), Dieu de mon ame, Dieu de mon esprit; ainsy je vous reconnois et adore maintenant et pour toute l'eternité. Vive Jesus.


61. - Ps 15,1

62. - Ps 72,25



CHAPITRE XXI


CONCLUSION POUR CETTE PREMIERE PURGATION (63)



Cette protestation faite, soyes attentive et ouvrés les oreilles de vostre coeur pour ouïr en esprit la parole de vostre absolution, que le Sauveur mesme de vostre ame, assis sur le throsne de sa misericorde, prononcera la haut au Ciel devant tous les Anges et les Saintz, a mesme tems qu'en son nom le prestre vous absout ici bas en terre. Si que toute cette troupe des Bienheureux se resjouissant de vostre bonheur, chantera le cantique spirituel d'une allegresse nompareille, et tous donneront le bayser de paix et de societé a vostre coeur remis en grace et sanctifié.

O Dieu, Philothee, que voyla un contract admirable par lequel vous faites un heureux traitté avec sa divine

Majesté, puisqu'en vous donnant vous mesme a elle, vous la gaignés et vous mesme aussi pour la vie eternelle! Il ne reste plus sinon que, prenant la plume en main, vous signies de bon coeur l'acte de vostre protestation, et que par apres vous allies a l'autel, ou Dieu reciproquement signera et scellera vostre absolution et la promesse qu'il vous fera de son Paradis, se mettant luy mesme par son Sacrement comme un cachet et sceau sacré sur vostre coeur (64) renouvel1é. En cette sorte, ce me semble, Philothee, vostre ame sera purgee de peché et de toutes les affections du peché.

Mais d'autant que ces affections renaissent aysement en l'ame, a rayson de nostre infirmité et de nostre concupiscence, qui peut estre mortifiee mais qui ne peut mourir pendant que nous vivons icy bas en terre, je vous donneray des advis lesquelz estans bien prattiqués vous preserveront des-ormais du peché mortel et de toutes les affections d'iceluy, affin que jamais il ne puisse avoir place en vostre coeur. Et d'autant que les mesmes advis servent encor pour une purification plus parfaitte, avant que de les vous donner, je vous veux dire quelque chose de cette plus absolue pureté a laquelle je desire vous conduire. (65)


63. - Variante: CONCLUSION DE CETTE PREMIERE PARTIE, ET DEVOTE FACON DE RECEVOIR L'ABSOLUTION (Ms A). C'est par méprise que, dans l'édition A, l'on attribue à ce chapitre le même titre qu'il porte dans l'Edition Princeps, où il est effectivement le dernier de la première Partie, tandis que dans les éditions postérieures trois autres chapitres sont placés à la suite de celui-ci.

64. - Ct 8,6

65. - Suivent ici dans le Ms. les deux chapitres qui, dans l'Edition Princeps, commencent la seconde Partie; un signe de renvoi indique l'ordre que le Saint a définitivement adopté.



CHAPITRE XXII


QU'IL SE FAUT PURGER DES AFFECTIONS

QUE L'ON A AUX PECHÉS VENIELZ



A mesure que le jour se fait, nous voyons plus clairement dans le mirouër les taches et souilleures de nostre visage; ainsy, a mesure que la lumiere interieure du Saint Esprit esclaire nos consciences, nous voyons plus distinctement et plus dairement les pechés, inclinations et imperfections qui nous peuvent empescher d'atteindre a la vraye devotion; et la mesme lumiere qui nous fait voir ces tares et deschetz, nous eschauffe au desir de nous en nettoyer et purger.

Vous descouvrirés donq, ma chere Philothee, qu'outre les pechés mortelz et affections des pechés mortelz, dont vous aves esté purgee par les exercices marqués ci devant, vous aves encores en vostre ame plusieurs inclinations et affections aux pechés venielz. Je ne dis pas que vous descouvrirés des pechés venielz, mais je dis que vous descouvrirés des affections et indinations a iceux; or, l'un est bien different de l'autre: car nous ne pouvons jamais estre du tout purs des pechés venielz, au moins pour persister long tems en cette pureté; mais nous pouvons bien n'avoir aucune affection aux pechés venielz. Certes, c'est autre chose de mentir une fois ou deux de gayeté de coeur en chose de peu d'importance, et autre chose de se plaire a mentir et d'estre affectionné a cette sorte de peché.

Et je dis maintenant qu'il faut purger son ame de toutes les affections qu'elle a aux pechés venielz, c'est a dire qu'il ne faut point nourrir volontairement la volonté de continuer et perseverer en aucune sorte de peché veniel; car aussi seroit-ce une lascheté trop grande de vouloir, tout a nostre escient, garder en nostre conscience une chose si desplaisante a Dieu comme est la volonté de luy vouloir desplaire. Le peché veniel, pour petit qu'il soit, desplait a Dieu, bien qu'il ne luy desplaise pas tant que pour iceluy il nous veuille damner ou perdre. Que si le peché veniel luy desplait, la volonté et l'affection que l'on a au peché veniel n'est autre chose qu'une resolution de vouloir desplaire a sa divine Majesté. Est-il bien possible qu'une ame bien nee veuille non seulement desplaire a son Dieu, mais affectionner de luy desplaire?

Ces affections, Philothee, sont directement contraires a la devotion, comme les affections au peché mortel le sont a la charité: elles allanguissent les forces de l'esprit, empeschent les consolations divines, ouvrent la porte aux tentations; et bien qu'elles ne tuent pas l'ame, elles la rendent extremement malade. Les mouches mourantes, dit le Sage (66), perdent et gastent la suavité de l'onguent: il veut dire que les mouches, ne s'arrestans gueres sur l'onguent, mais le mangeans en passant, ne gastent que ce qu'elles prennent, le reste demeurant en son entier; mais quand elles meurent emmi l'onguent, elles luy ostent son prix et le mettent a desdain. Et de mesme, les pechés venielz, arrivans en une ame devote et ne s'y arrestans pas long tems, ne l'endommagent pas beaucoup; mais si ces mesmes pechés demeurent dans l'ame pour l'affection qu'elle y met, ilz luy font perdre sans doute la suavité de l'onguent, c'est a dire la sainte devotion.

Les araignes ne tuent pas les abeilles, mais elles gastent et corrompent leur miel, et embarrassent leurs rayons des toiles qu'elles y font, en sorte que les abeilles ne peuvent plus faire leur mesnage; et cela s'entend quand elles y font du sejour. Ainsy le peché veniel ne tue pas nostre ame, rnais il gaste pourtant la devotion, et embarrasse si fort de mauvaises habitudes et inclinations les puissances de l'ame, qu'elle ne peut plus exercer la promptitude de la charité, en laquelle gist la devotion; mais cela s'entend quand le peché veniel sejourne en nostre conscience par l'affection que nous y mettons. Ce n'est rien, Philothee, de dire quelque petit mensonge, de se desregler un peu en paroles, en actions, en regards, en habitz, en jolietés, en jeux, en danses, pourveu que tout aussi tost que ces araignes spirituelles sont entrees en nostre conscience, nous les en rechassions et bannissions, comme les mouches a miel font les araignes corporelles. Mais si nous leur permettons d'arrester dans nos coeurs, et non seulement cela, mais que nous nous affectionnions a les y retenir et multiplier, bien tost nous verrons nostre miel perdu, et la ruche de nostre conscience empestee et desfaitte. Mais je dis encor une fois, quelle apparence y a-il qu'une ame genereuse se plaise a desplaire a son Dieu, s'affectionne a luy estre desaggreable, et veuille vouloir ce qu'elle sçait luy estre ennuyeux?

66. - Qo 10,1




CHAPITRE XXIII


QU'IL SE FAUT PURGER DE L'AFFECTION



AUX CHOSES INUTILES ET DANGEREUSES



Les jeux, les balz, les festins, les pompes, les comedies, en leur substance ne sont nullement choses mauvaises ains indifferentes, pouvans estre bien et mal exercees; tous-jours neanmoins ces choses-la sont dangereuses, et de s'y affectionner, cela est encor plus dangereux. Je dis donq, Philothee, qu'encor qu'il soit loysible de joüer, danser, se parer, ouïr des honnestes comedies, banqueter, si est-ce que d'avoir de l'affection a cela, c'est chose contraire a la devotion et extremement nuisible et perilleuse. Ce n'est pas mal de le faire, mais ouy bien de s'y affectionner. C'est dommage de semer en la terre de nostre coeur des affections si vaines et sottes: cela occupe le lieu des bonnes impressions, et empesche que le suc de nostre ame ne soit employé es bonnes inclinations.

Ainsy les anciens Nazariens s' abstenoyent non seulement de tout ce qui pouvoit enivrer, mais aussi des raisins et du verjus (67); non point que le raisin et le verjus enivre, mais parce qu'il y avoit danger en mangeant du verjus d'exciter le desir de manger des raisins, et en mangeant des raisins, de provoquer l'appetit a boire du moust et du vin. Or, je ne dis pas que nous ne puissions user de ces choses dangereuses; mais je dis bien pourtant que nous ne pouvons jamais y mettre de l'affection sans interèsser la devotion. Les cerfz ayans prins trop de venaison s'escartent et retirent dedans leurs buissons, connoissans que leur graisse les charge en sorte qu'ilz ne sont pas habiles a courir, si d'adventure ilz estoyent attaqués: le coeur de l'homme se chargeant de ces affections inutiles, superflues et dangereuses, ne peut sans doute promptement, aysement et facilement courir apres son Dieu, qui est le vray point de la devotion. tes petitz enfans s'affectionnent et s'eschauffent apres les papillons; nul ne le treuve mauvais, parce qu'ilz sont enfans. Mais n'est-ce pas une chose ridicule, ains plustost lamentable, de voir des hommes faitz s'empresser et s'affectionner apres des bagatelles si indignes, comme sont les choses que j'ay nommees, lesquelles, outre leur inutilité, nous mettent en peril de nous desregler et desordonner a leur poursuitte? C'est pourquoy, ma chere Philothee, je vous dis qu'il se faut purger de ces affections; et, bien que les actes ne soient pas tous-jours contraires a la devotion, les affections neanmoins luy sont tous-jours dommageables.


67. - Nb 6,3

68. - Ep.108, ad Eustoch. Epitaph. Paulae, $ 20.



CHAPITRE XXIV

QU'IL SE FAUT PURGER DES MAUVAISES


INCLINATIONS



Nous avons encores, Philothee, certaines inclinations naturelles lesquelles, pour n'avoir prins leur origine de nos pechés particuliers, ne sont pas proprement peché, ni mortel ni veniel, mais s'appellent imperfections, et leurs actes, defautz et manquemens. Par exemple, sainte Paule, selon le recit de saint Hierosme (68), avoit une grande inclination aux tristesses et regretz, si qu'en la mort de ses enfans et de son mari elle courut tousjours fortune de mourir de desplaysir: cela estoit une imperfection et non point un peché, puisque c'estoit contre son gré et sa volonté. Il y en a qui de leurs naturelz sont legers, les autres rebarbatifz, les autres durs a recevoir les opinions d'autruy, les autres sont inclinés a l'indignation, les autres a la cholere, les autres a l'amour; et en somme, il se treuve peu de personnes esquelles on ne puisse remarquer quelques sortes de telles imperfections. Or, quoy qu'elles soyent comme propres et naturelles a un chacun, si est-ce que par le soin et affection contraire on les peut corriger et moderer, et mesme on peut s'en delivrer et purger: et je vous dis, Philothee, qu'il le faut faire. On a bien treuvé le moyen de changer les amandiers amers en amandiers doux, en les perçant seulement au pied pour en faire sortir le suc (69); pourquoy est-ce que nous ne pourrons pas faire sortir nos inclinations perverses pour devenir meilleurs? Il n'y a point de si bon naturel qui ne puisse estre rendu mauvais par les habitudes vicieuses; il n'y a point aussi de naturel si revesche qui, par la grace de Dieu premierement, puis par l'industrie et diligence, ne puisse estre dompté et surmonté. Je m'en vay donq maintenant donner des advis et proposer des exercices par le moyen desquelz vous purgerés vostre ame des (70) affections dangereuses, des imperfections et de toutes affections aux pechés venielz, et si asseurerés de plus en plus vostre conscience contre tout peché mortel. Dieu vous face la grace de les bien prattiquer.


69. -Pline Hist. Nat.17,27

70. - Variante: des pechés venielz, des affections dangereuses et des imperfections (Ms.-A-B)





Introduction a la vie devote - CHAPITRE XIV