La légende dorée - LE SAINT-ESPRIT

SAINTS GORDIEN ET EPIMAQUE *

Gordien vient de geos, dogme ou maison, et dyan, brillant, comme maison brillante dans laquelle habitait Dieu: ainsi que saint Augustin le dit dans le livre de la Cité de Dieu. «Une bonne maison est celle dont les parties sont relativement (118) bien disposées, amples et éclairées.» Il en fut ainsi de ce saint qui fut disposé par l'imitation de la concorde, qui fut ample en charité et brillant de vérité. Epimaque vient de épi, sur et machin, roi, comme roi suprême; il peut aussi venir d'épi, sur et machos, combat, qui combat pour les choses d'en haut.

* Tiré du Martyrologe d'Adon.

Gordien, vicaire de l'empereur Julien, voulait forcer à sacrifier un chrétien nommé Janvier qui, par ses prédications, le convertit à la foi avec son épouse nommée Mariria et cinquante-trois autres hommes. Julien, à cette nouvelle, envoya Janvier en exil, et condamna Gordien à perdre la tête, s'il ne voulait pas sacrifier. Le bienheureux Gordien fut donc décapité et son corps fut jeté aux chiens. Mais comme il était resté l'espace de huit jours, tout à fait intact, sa famille le prit et l'ensevelit à un mille de la ville avec saint Epimaque que Julien avait fait tuer depuis quelque temps. Ce fut vers l'an du Seigneur 360.





SAINTS NÉRÉE ET ACHILLÉE *

Nérée veut dire conseil de lumière: ou bien s'il vient de Nereth, qui veut dire lumière, et us, qui se hâte; ou bien encore de Ne et reus, non coupable. Il fut donc un conseil de lumière par la prédication de la virginité; une lumière par sa manière de vivre honorable; il se hâta d'aimer le ciel; il ne fut point coupable en raison de sa pureté de conscience. Achilleus vient de achi, qui veut dire mon frère, et césa, salut: salut de ses frères. Leur martyre fut écrit par Euthicès, Victorinus et Macre ou Macre, serviteurs de J.- C.

* Bréviaire; - Martyrologes; - Eusèbe, Hist. Eccl.

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Nérée et Achillée, eunuques chambellans de Domitille, nièce de l'empereur Domitien, furent baptisés. par l'apôtre saint Pierre. Or, comme cette Domitille était fiancée à Aurélien, fils d'un consul, et qu'elle était couverte de pierreries et de vêtements de pourpre, Nérée et Achillée lui prêchèrent la foi, et lui suggérèrent une grande estime pour la virginité qu'ils lui montrèrent comme approchant de Dieu, rendant semblable aux anges, née avec l'homme, tandis qu'une femme mariée était sous la sujétion de son mari, qu'elle était frappée de coups de poing et de pied, qu'elle mettait trop souvent au monde des enfants difformes, supportant de plus avec peine les pieux avis de leur mère, qu'enfin elle était forcée d'endurer de grandes contrariétés de la part d'un époux. Domitille leur répondit entre autres choses: «Je sais que mon père fut jaloux et que ma mère eut à souffrir de sa part une foule de mauvais traitements Irais celui que je dois avoir pour mari lui ressemblera-t-il?» Ils lui dirent: «Tant que les hommes sont seulement fiancés, ils paraissent doux; mais dès qu'ils sont mariés, ils deviennent cruels et impérieux: quelquefois ils préfèrent des suivantes à leurs dames. - Toute sainteté perdue peut se recouvrer par la pénitence, il n'y a que la virginité qui ne se puisse recouvrer: car la culpabilité peut être effacée parla pénitence, mais la virginité ne se peut réparer: elle né saurait prétendre à regagner l'état de sainteté qu'elle a perdu.» Alors Flavie Domitille crut, fit voeu de virginité, reçut le voile des mains de saint Clément. - A cette nouvelle son fiancé se fit autoriser par Domitien à la (120) reléguer dans l'île Pontia, avec les saints Nérée et Achillée, dans la pensée qu'il pourrait ainsi la faire revenir sur la résolution prise par elle de garder la virginité. Quelque temps après, dans un voyage en cette île, il fit de riches présents à ces deux saints pour les engager à influencer cette vierge: mais ils s'y refusèrent absolument; et s'attachèrent à la fortifier dans ses bonnes dispositions. Comme on les poussait à sacrifier, ils dirent qu'ayant été baptisés par l'apôtre saint Pierre, rien ne pouvait les faire immoler aux idoles. Ils furent décapités vers l'an du Seigneur 80, et leurs corps furent ensevelis auprès du tombeau de sainte Pétronille. II y en eut d'autres, comme Victorin, Euthicès et Maron qui étaient attachés à Domitille, qu'Aurélien faisait travailler tout le jour comme des esclaves dans ses domaines, et le soir il leur faisait manger le pain des chiens. Enfin il ordonna de fouetter Euthicès jusqu'à ce qu'il eût rendu l'âme; il fit étouffer Victorin dans des eaux fétides et écraser Maron sous un énorme quartier de roche. Or, quand on eut jeté sur lui cette pierre que soixante-dix hommes pouvaient remuer à peine, il la prit sur les épaules et la porta comme paille légère l'espace de deux milles; et comme un grand nombre de personnes avaient alors embrassé la foi, le fils du consul le fit tuer. Après quoi, il ramena Domitille de l'exil, et lui envoya deux vierges, Euphrosine et Théodora, ses sueurs de lait, pour la faire changer de résolution: mais Domitille les convertit à la foi. Alors Aurélien vint avec les deux fiancés de ces jeunes personnes et trois jongleurs pour célébrer ses noces, ou du moins, pour (121) la posséder par la violence. Mais comme Domitille avait converti ces deux jeunes gens, Aurélien fit entrer Domitille dans une chambre nuptiale, ordonna à ses jongleurs de chanter et aux autres de se livrer à la danse avec lui, dans la volonté de faire violence ensuite à la sainte. Alors les baladins s'épuisèrent à chanter et les autres à danser; Aurélien lui-même ne cessa de danser pendant deux jours, jusqu'à ce qu'exténué de fatigue, il expira. Son frère Luxurius sollicita la permission de tuer tous ceux qui avaient reçu la foi, il mit le feu à l'appartement desdites vierges, qui rendirent l'esprit en faisant leurs prières. Le lendemain matin, saint Césaire ensevelit leurs corps qu'il avait retrouvés intacts.





SAINT PANCRACE

Pancrace vient de pan, qui signifie tout, et gratus, agréable, et citius, vite, tout prompt à être agréable, car dès sa jeunesse il le fut. Le Glossaire dit encore que Pancras veut dire rapine, pancratiarius, soumis aux fouets, Pancrus, pierre de différentes couleurs: en effet, il ravit des captifs pour butin, il fut soumis au tourment du fouet, et il fut décoré de toutes sortes de vertus.

Pancrace, issu d'illustres parents, ayant perdu en Phrygie son père et sa mère, resta confié aux soins de Denys, son oncle paternel. Ils se rendirent tous les deux à Rome où ils jouissaient d'un riche patrimoine :

* Bréviaire; - Martyrologes.


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dans leur quartier était caché, avec les fidèles, le pape Corneille, qui convertit à la foi de J.-C. Denys et Pancrace. Denys mourut en paix, mais Pancrace fut pris et conduit par devant César. Il avait alors environ quatorze ans. L'empereur Dioclétien lui dit: «Jeune enfant, je te conseille de ne pas te laisser mourir de male mort; car, jeune comme tu es, tu peux facilement te laisser induire en erreur, et puisque ta noblesse est constatée et que tu es le fils, d'un de mes plus chers amis, je t'en prie, renonce à cette folie, afin que je te puisse traiter comme mon enfant.» Pancrace lui répondit: «Bien que je sois enfant par le corps, je porte cependant en moi le coeur d'un vieillard, et grâce à la puissance de mon Seigneur J.-C. la terreur que tu nous inspires ne nous épouvante pas plus que ce tableau placé devant nous. Quant à tes Dieux que tu  m'exhortes à honorer, ce furent des trompeurs, des corrupteurs de leurs belles-soeurs; ils n'ont pas eu même de respect pour leurs père et mère que si aujourd'hui tu avais des esclaves qui leur ressemblassent tu les ferais tuer incontinent. Je m'étonne que tu ne rougisses pas d'honorer de tels dieux.» L'empereur donc, se réputant vaincu par un enfant, le fit décapiter sur la voie Aurélienne, vers l'an du Seigneur 287. Son corps fut enseveli avec soin par Cocavilla, femme d'un sénateur. Au rapport de Grégoire de Tours *, si quelqu'un ose prêter un faux serment sur le tombeau du martyr, avant qu'il soit arrivé au chancel du choeur, il est aussitôt possédé du démon

* Miraculorum, lib. I, c. XXXIX.

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et devient hors de lui, ou bien il tombe sur le pavé et meurt. Il s'était élevé un procès assez important entre deux particuliers. Or, le juge connaissait parfaitement le coupable. Le zèle de la justice le porta à les mener tous les deux à l'autel de saint Pierre; et là il força celui qu'il savait avoir tort à confirmer par serment sa prétendue innocence, en priant l'apôtre de venger la vérité par une manifestation quelconque. Or, le coupable ayant fait serment et n'ayant éprouvé aucun accident, le juge, convaincu de la malice de cet homme, et enflammé du zèle de la justice s'écria: «Ce vieux Pierre est ou trop bas, ou bien il cède à moindre que lui. Allons vers Pancrace; il est jeune, requérons de lui ce qui en est.» On y alla; le coupable eut l'audace de faire un faux serment sur le tombeau du martyr; mais il ne put en retirer sa main et expira bientôt sur place. C'est de là que vient la pratique encore observée aujourd'hui de faire jurer, dans les cas difficiles, sur les reliques de saint Pancrace.

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Des fêtes qui tombent pendant le temps du pèlerinage.

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Après avoir parlé des fêtes qui arrivent pendant le temps de la Réconciliation, temps reproduit par l'Église de Pâques à l'octave de la Pentecôte, il reste à s'occuper des fêtes qui arrivent dans le temps du pèlerinage; l'Église le reproduit depuis l'octave de la Pentecôte jusqu'à l'Avent. Ce temps ne commence pas toujours ici, car il varie d'après la fête de Pâques.

SAINT URBAIN *

Urbain vient d'urbanité, ou bien de ur, flambeau ou feu, et de banal, réponse. Ce fut un flambeau par l'honnêteté de sa conduite, un feu par son ardente charité, une réponse par sa doctrine. Il fut un flambeau ou une lumière, parce que la lumière est agréable à la vue, immatérielle en essence, céleste en situation, très utile pour agir. De même ce saint fut aimable dans sa conversation, immatériel dans son mépris du monde, céleste en contemplation, utile dans sa prédication.

Urbain succéda au pape Calixte. De son temps, il s'éleva une très grande persécution contre les chrétiens. Enfin Alexandre devint empereur et sa mère Mammée avait été convertie au christianisme par Origène. Ses prières vraiment maternelles obtinrent de son fils qu'il cesserait de persécuter les fidèles. - Cependant Almachius, préfet de la ville, qui avait fait trancher la tête à sainte Cécile, sévissait avec fureur contre les chrétiens; il fit donc rechercher avec soin

* Tiré des Actes de sainte Cécile.

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saint Urbain; par le moyen d'un de ses officiers nommé Carpasius; on le trouva dans un antre avec trois prêtres et trois diacres. Tous furent jetés en prison. Almachius fit comparaître Urbain devant son tribunal, et lui reprocha d'avoir séduit cinq mille hommes avec la sacrilège Cécile et les illustres personnages Tiburce et Valérien: il lui réclama aussi les trésors de Cécile.

Urbain lui répondit: «Ainsi que je le vois, c'est plutôt la cupidité qui te porte à sévir contre les saints que l'honneur des dieux. Le trésor de Cécile est monté au ciel par les mains des pauvres. u Comme saint Urbain et ses compagnons étaient fouettés avec des lanières garnies de plomb, Urbain se mit à invoquer le nom du Seigneur en disant Elijon *. Le préfet souriant: « Ce vieillard, dit-il, veut passer pour savant, voilà pourquoi il parle de manière à ne pouvoir être compris.» Or, comme on ne pouvait pas les vaincre, ils furent reconduits en prison, où saint Urbain donna le baptême à trois tribuns qui vinrent le trouver, et au geôlier Anolin. Le préfet ayant appris que ce dernier était devenu chrétien, le fit amener à son tribunal et comme il refusa de sacrifier, il fut décapité.

Quant à saint Urbain il fut traîné devant une idole avec ses compagnons et forcé de lui offrir de l'encens : alors le saint se mit en prières et l'idole tomba

* D'après saint Isidore de Séville (liv. VII, ch. I, des Etymologies), ce mot hébreu est un des noms de Dieu et signifie élevé, grand, le Très-Haut.

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en tuant vingt-deux prêtres chargés d'entretenir le feu. On déchira cruellement tés chrétiens, et on les conduisit ensuite pour sacrifier: mais ils crachèrent sur l'idole, firent sur leur front le signe de la croix et après s'être donné l'un à l'autre le baiser de paix, ils reçurent la couronne du martyre en ayant la tête coupée, sous l'empire d'Alexandre, vers l'an du Seigneur 220. Carposius fut saisi aussitôt par le malin esprit, blasphéma ses dieux, et malgré lui, il fit un grand éloge des chrétiens; enfin il fut suffoqué par le démon. A cette vue, sa femme Arménie reçut le baptême, avec sa fille Lucine et toute sa famille, des mains du saint prêtre Fortunat. Après quoi elle ensevelit les corps des martyrs avec honneur.





SAINTE PÉTRONILLE *

Pétronille, dont saint Marcel a écrit la vie, était la fille de l'apôtre saint Pierre. Elle était d'une beauté extraordinaire et elle souffrait de la fièvre par la volonté de son père; or, un jour que les disciples logeaient chez saint Pierre, Tite lui dit: «Puisque vous guérissez tous les infirmes, pourquoi laissez-vous Pétronille souffrante?» «C'est, répondit saint Pierre, que cela lui vaut mieux: néanmoins, pour que l'on ne puisse pas conclure de mes paroles qu'il est impossible de la guérir, il lui dit: «Lève-toi promptement, (127) Pétronille, et sers-nous.» Elle fut guérie aussitôt, se leva et les servit. Quand elle eut fini de les servir saint Pierre lui dit: «Pétronille, retourne à ton lit.» Elle y revint aussitôt et la fièvre la reprit comme auparavant: mais dès qu'elle eut eu acquis la perfection dans l'amour de Dieu, il la guérit complètement. Le comte Flaccus vint la trouver afin de la prendre pour femme à cause de sa beauté. Pétronille lui dit donc : «Si tu désires  m'avoir pour épouse, fais-moi venir des vierges qui me conduisent jusqu'à ta maison.» Comme il s'en occupait, Pétronille se livra au jeûne et. à la prière, reçut le corps du Seigneur, se coucha et trois jours après elle rendit son âme à Dieu. Flaccus, se voyant déçu, s'adressa à Félicula, compagne de Pétronille, et lui intima ou de l'épouser ou de sacrifier aux idoles.

Comme elle refusait de consentir à aucune de ces deux propositions, le préfet la fit mettre en prison oie elle n'eut ni à manger ni à boire pendant sept jours; après quoi il la fit tourmenter sur le chevalet, la tua et jeta son corps dans un cloaque. Cependant saint Nicodème l'en retira et lui donna la sépulture.

En conséquence, le comte Flaccus fit appeler Nicodème et comme celui-ci refusait de sacrifier, il le battit avec des cordes chargées de plomb. Son corps fut jeté dans le Tibre; mais son clerc Juste l'en ôta et l'ensevelit avec honneur.

* Martyrologe d'Adon.





SAINT PIERRE, EXORCISTE, ET SAINT MARCELLIN *

Pendant que saint Pierre, exorciste, était détenu en prison par Archémius, la fille de ce dernier était tourmentée par le démon et comme c'était, pour ce père, un sujet toujours nouveau de désolation, saint Pierre lui dit que s'il croyait en J.-C., à l'instant la santé serait rendue à sa fille. Archémiuslui dit: «Je  m'étonne que ton Seigneur puisse délivrer ma fille, quand il né peut te délivrer, toi qu'il laisse souffrir pour lui de si grands tourments.» Pierre lui répondit: «Mon Dieu a le pouvoir de  m'arracher à votre joug, mais il veut, par une souffrance passagère, nous faire parvenir à une gloire éternelle.» «Si, reprit Archémius, après que j'aurai doublé tes chaînes, ton Dieu te délivre et guérit ma fille, dès lors je croirai en J.-C.» Les chaînes furent doublées: saint Pierre apparut à Archémius, revêtu d'habits blancs et tenant à la main une croix. Alors Archémiusse jeta à ses pieds et sa fille fut guérie. Il reçut le baptême lui et tous les gens de sa maison; il permit aux prisonniers de se retirer libres, s'ils voulaient se faire chrétiens. Beaucoup d'entre eux, ayant accepté la foi, furent baptisés par le bienheureux prêtre Marcellin. A cette nouvelle, le préfet donna ordre de lui amener tous les prisonniers; Archémius les réunit donc, leur baisa les mains et leur

* Le récit est tiré presque textuellement du Martyrologe d'Adon, 2 juin.

dit que si quelqu'un d'eux voulait aller au martyre, il vint avec intrépidité; que s'il y en avait un qui ne le voulût pas, il se retirât sain et sauf. Or, le juge ayant découvert que Marcellin et Pierre les avaient baptisés, il les manda tous les deux à son tribunal, et les fit enfermer chacun dans une prison séparée. Pour Marcellin, il fut étendu tout nu sur du verre cassé; on lui refusa l'eau et le feu; quant à Pierre, il fut enfermé dans un autre cachot fort profond où on le mit dans des entraves très serrées. Mais un ange du Seigneur vint voir Marcellin, le délia, puis il le ramena avec Pierre dans la maison d'Archémius, en donnant l'ordre à tous les deux d'encourager le peuple pendant sept jours, et de se présenter ensuite devant le juge. Celui-ci ne les ayant donc pas trouvés dans la prison, manda Archémius et sur le refus de celui-ci de sacrifier, il le fit étouffer sous terre avec sa femme. Marcellin et saint Pierre en ayant eu connaissance, vinrent en cet endroit, et sous la protection des chrétiens, saint Marcellin célébra la messe sept jours de suite dans cette même crypte. Alors les saints dirent aux incrédules: «Vous voyez que nous aurions pu délivrer Archémiuset nous cacher; mais nous n'avons voulu faire ni l'un ni l'autre.» Les gentils irrités. tuèrent Archémius parle glaive; quant à sa femme et à sa fille ils les écrasèrent à coups de pierres. Ils menèrent Marcellin et Pierre à la forêt noire (qu'on a depuis appelée blanche à raison de leur martyre) où ils les décapitèrent du temps de Dioclétien, l'an du Seigneur 287. Le bourreau appelé Dorothéus vit des anges qui portaient au ciel leurs âmes revêtues de (130) vêtements splendides et ornées de pierres précieuses. En conséquence, Dorothée se fit chrétien et mourut en paix quelque temps après.





SAINT PRIME ET SAINT FÉLICIEN *

Prime veut dire souverain et grand, Félicien, vieillard, comblé de félicité. Le premier est souverain et grand en dignité pour les souffrances de son martyre, en puissance pour ses miracles, en sainteté pour la perfection de sa vie, en félicité pour la gloire dont il jouit. Le second est appelé vieillard, non à cause du long temps qu'il a vécu, mais pour le respect qu'inspire sa dignité, pour la maturité de sa sagesse et pour la gravité de ses moeurs.

Prime et Félicien furent accusés auprès de Dioclétien et de Maximien par les prêtres des idoles qui prétendirent ne pouvoir obtenir aucun bienfait des dieux, si on ne forçait ces deux saints à sacrifier. Par l'ordre donc des empereurs, ils furent emprisonnés. Mais un ange les vint visiter, délia leurs chaînes; alors ils se promenèrent librement dans leur prison où ils louaient le Seigneur à haute voix. Peu de temps après on les amena de nouveau devant les empereurs; et là ayant persisté avec fermeté dans la foi, ils furent déchirés à  coups de fouets, puis séparés l'un de, l'autre. Le président dit à Félicien de tenir compte de sa vieillesse et d'immoler aux dieux. Félicien lui répondit: «Me voici parvenu à l'âge de 80 ans, et il y en a 30 que je connais

* Bréviaire; - Martyrologe d'Adon.

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la vérité et que j'ai choisi de vivre pour Dieu: il peut me délivrer de tes mains.» Alors le président commanda de le lier et de l'attacher avec des clous par les mains et par les pieds: «Tu resteras ainsi, lui dit-il, jusqu'à ce que tu consentes' à nous obéir.» Comme le visage du martyr était toujours joyeux, le président ordonna qu'on le torturât sur place et qu'on ne lui servît aucun aliment. Après cela, il se fit amener saint Prime, et lui dit: «Eh bien! ton frère a consenti à obéir aux décrets des empereurs, en conséquence, il est vénéré comme un grand personnage dans un palais: fais donc comme lui.» «Quoique tu sois le fils du Diable, répondit Prime, tu as dit la vérité en un point, quand tu avançais que mon frère avait consenti à exécuter les ordres de l'empereur du ciel.» Aussitôt le président en colère lui fit brûler les côtés et verser du plomb fondu dans la bouche, sous les yeux de Félicien, afin que la terreur s'emparât de ce dernier mais Prime but le plomb avec autant de plaisir que de l'eau fraîche. Le président irrité fit alors lâcher deux lions contre eux; mais ces animaux vinrent se;jeter aussitôt à leurs pieds, et restèrent à côté d'eux comme des agneaux pleins de douceur. Il lâche encore deus ours cruels qui deviennent doux comme les lions. Il y avait plus de douze mille hommes qui assistaient à ce spectacle. Cinq cents d'entre eux crurent au Seigneur. Le président fit alors décapiter les deux martyrs et jeter leurs corps aux chiens et aux oiseaux de proie qui les laissèrent intacts. Les chrétiens leur donnèrent alors une honorable sépulture. Ils souffrirent vers l'an du Seigneur 287.





SAINT BARNABÉ, APOTRE

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Barnabé veut dire fils de celui qui vient, ou bien fils de consolation, ou fils de prophète, ou fils qui, enserre. Quatre fois il a le titre de fils pour quatre sortes de filiation. L'écriture donne ce nom de fils, en raison de la génération, de l'instruction, de l'imitation, et de l'adoption. Or, il fut régénéré par J.-C. dans le baptême, il fut instruit dans l'évangile, il imita le Seigneur par son martyre, et il en fut adopté par la récompense céleste. Voilà pour ce qui le regarde lui-même. Voici maintenant ce qui le concerne quant aux autres: il fut arrivant, consolant, prophétisant et enserrant. Il fut arrivant, parce qu'il alla prêcher partout: ceci est clair, puisqu'il fut le compagnon de saint Paul. II consola les pauvres et les affligés, les premiers en leur portant des aumônes, les seconds en leur adressant des lettres de la part des apôtres: Il prophétisa puisqu'il fut illustre en annonçant les choses à venir; il fut enserrant, c'est-à-dire qu'il réunit et rassembla dans la foi une multitude de personnes; la preuve en est dans sa mission à Antioche. Ces quatre qualités sont indiquées dans le livre des Actes (XI). C'était un homme, mais un homme de courage, ce qui a trait à la première qualité, bon, c'est pour la seconde, plein du Saint-Esprit, voilà pour la troisième, et fidèle ou plein de foi, ceci regarde la quatrième qualité. Jean le même due Marc son cousin compila son martyre. Il en est question principalement à partir de la vision de ce Jean, jusque vers la fin. On pense que Bède le traduisit du grec en latin*.

Saint Barnabé, lévite originaire de Chypre, l'un des 72 disciples du Seigneur, est souvent mentionné avec de grands éloges dans l'histoire des Actes. Il fut admirablement formé et disposé en ce qui le regardait personnellement,

* Bède est ici cité à tort, on né trouve dans le Vénérable rien de cette traduction.

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par rapport à Dieu et par rapport au prochain.

I. Pour ce qui était de lui, il était bien organisé dans ses trois puissances, la rationnelle, la concupiscible et l'irascible; 1. sa puissance rationnelle était éclairée par la lumière de la connaissance: c'est pour cela qu'il est dit dans les Actes: «Il y avait, dans l'église qui était à Antioche, des prophètes et des docteurs, entre lesquels étaient Barnabé, Simon, etc.» (XIII); 2. sa puissance concupiscible était dégagée de la poussière des affections mondaines: car il est dit aux Actes (IV) que Joseph surnommé Barnabé vendit un fonds de terre qu'il possédait: il en apporta le prix et le mit aux pieds fies apôtres: c'est ici que la glose ajoute: il donne une preuve qu'il faut se dépouiller de ce à quoi il évite de toucher, et il enseigne à fouler un or qu'il met aux pieds des apôtres; 3. sa puissance irascible était appuyée sur une grande probité, soit qu'il entreprît avec ardeur des choses difficiles, soit qu'il mît de la persévérance dans des actes de courage, soit qu'il fait constant à soutenir l'adversité. Il entreprit avec ardeur des choses difficiles, cela est évident par ses travaux pour convertir cette immense cité d'Antioche, comme il est écrit au IXe chapitre des Actes : en effet saint Paul, après sa conversion; voulut venir à Jérusalem et se joindre aux disciples; et quand tout le monde le fuyait comme les agneaux font du loup, Barnabé fut assez audacieux pour le prendre et le mener aux apôtres. Il mit de la persévérance dans ses actes de courage, en macérant son corps et en le réduisant par les jeûnes: aussi est-il dit aux Actes (XIII) (134) de Barnabé et de quelques autres: «Pendant qu'ils rendaient leur culte au Seigneur et qu'ils jeûnaient, le Saint-Esprit leur dit: Séparez-moi Paul et Barnabé pour l'oeuvre à laquelle je les ai destinés.» Il fut constant à soutenir l'adversité d'après le témoignage que lui en rendent les apôtres en disant (Actes, XV): «Nous avons jugé à propos de vous envoyer des personnes choisies, avec nos très chers Barnabé et Paul, hommes qui ont exposé leur vie pour le nom de N.-S. J.-C.»

II. Il fut bien formé par rapport à Dieu. Il déférait à son autorité, comme aussi à sa majesté et à sa bonté. 1. Il déférait à l'autorité de Dieu, puisqu'il ne prit pas de son chef la charge de la prédication, mais qu'il voulut la recevoir de l'autorité divine, comme il est rapporté aux Actes (XIII). Le Saint-Esprit dit: «Séparez-moi Paul et Barnabé pour l'oeuvre à laquelle je les ai destinés.» 2. Il déférait à sa majesté. On lit en effet au XIVe ch. des Actes que certaines personnes voulaient le traiter comme une majesté divine et lui immoler des victimes comme on fait à Dieu, en l'appelant Jupiter, parce qu'il paraissait le plus recommandable, et en donnant à Paul le nom de Mercure, en raison de sa prudence et de son éloquence; aussitôt Barnabé et Paul déchirèrent leurs vêtements et s'écrièrent : «Mes amis, que voulez-vous faire? Nous sommes des hommes mortels comme vous, qui vous annonçons de quitter ces vaines idoles, pour vous convertir au Dieu vivant.» 3. Il déférait à la bonté de Dieu. En effet on trouve dans les Actes (XV) que quelques-uns des Juifs convertis voulaient rétrécir et diminuer la bonté de la grâce de Dieu, bonté qui nous sauve gratuitement

indépendamment de la loi, avançant que la grâce sans la circoncision était tout à fait insuffisante; Paul et Barnabé leur résistèrent avec force, en montrant que la bonté seule de Dieu suffisait sans les pratiques commandées par la loi: en outre ils portèrent la question air tribunal des apôtres dont ils obtinrent des lettres qui proscrivaient ces erreurs.

III. Il fut admirablement disposé par rapport au prochain, puisqu'il nourrit son troupeau par sa parole, par son exemple et par ses bienfaits. 1. Par sa parole, en évangélisant avec grand soin la parole de Dieu. En effet les Actes disent (XV): «Paul et Barnabé demeurèrent à Antioche, où ils enseignaient et annonçaient avec plusieurs autres la parole du Seigneur.» Ce qui est évident encore par cette foule immense qu'il;convertit à Antioche; de sorte que ce fut -là que les disciples commencèrent à être appelés chrétiens. 2. Par son exemple, puisque sa vie fut pour tous un miroir de sainteté et un modèle de religion. Dans toutes ses actions, en effet, il fut homme de coeur et religieux, intrépide, distingué par la douceur de ses moeurs, tout rempli de la grâce du Saint-Esprit et illustre en toutes sortes de vertus et en foi. Ces quatre qualités sont énumérées dans ces paroles des Actes (XV): «Ils envoyèrent Barnabé à Antioche»; et ailleurs (XI): «Il les exhortait tous à demeurer dans le service du Seigneur avec un coeur ferme; parce que c'était. un homme bon, rempli de l'Esprit-Saint et de foi.» 3. Par ses bienfaits. Or, il y a deux sortes de bienfaits, deux aumônes, d'abord, la temporelle qui consiste à donner le nécessaire, ensuite la spirituelle qui consiste à (136) pardonner les injures. Barnabé pratiquait la première quand il porta l'aumône aux frères qui étaient à Jérusalem, d'après le XIe ch. des Actes: «Une grande famine, selon que l'avait prédit Agabus, étant survenue sous le règne de Claude, les disciples résolurent d'envoyer, chacun selon son pouvoir, quelques aumônes aux frères qui demeuraient en Judée. Ils le firent en effet, les adressant aux anciens, par les mains de Barnabé et de Paul.» Il pratiquait la seconde, puisqu'il pardonna l'injure que lui avait faite Jean surnommé Marc. Comme ce disciple avait quitté Barnabé et Paul, Barnabé ne laissa pas cependant que d'être indulgent pour lui, quand il revint avec repentir, et de le reprendre pour disciple. Paul ne le voulut pas recevoir, de là le. sujet de leur séparation. En cela l'un et l'autre agissaient par des motifs et des intentions louables. Barnabé, en le reprenant, par douceur et miséricorde; Paul ne le reçut. pas par amour de la droiture. C'est pour cela que la glose dit à ce propos (Actes, XV): «Jean avait résisté en face, tout en se montrant trop timide, alors Paul eut raison de l'éloigner de peur que la contagion du mauvais exemple de Jean ne corrompît la vertu des autres.» Cette séparation ne se fit pas par un emportement coupable, mais par l'inspiration du Saint-Esprit qui les faisait s'éloigner afin qu'ils prêchassent à plus de monde; et c'est ce qui arriva: Car comme Barnabé était dans la ville d'Icone, Jean, son cousin, dont on vient de parler, eut une vision dans laquelle apparut un homme éclatant qui lui dit: «Jean, aie de la constance, car bientôt ce ne sera plus Jean, mais Elevé (excelsus) que tu seras (137) appelé.» Barnabé; informé de ce prodige par son cousin, lui dit: «Garde-toi bien de révéler à personne ce que tu as vu; car le Seigneur  m'a apparu aussi cette nuit en me disant: «Barnabé, aie de la constance, car tu recevras les récompenses éternelles, «pour avoir quitté ton pays, et avoir livré ta vie pour «mon nom.» Lors donc que Paul et Barnabé eurent prêché pendant longtemps à Antioche, un ange du Seigneur apparut aussi à Paul et lui dit: «Hâte-toi d'aller à Jérusalem, car quelqu'un des frères y attend ton arrivée.» Or, Barnabé voulant aller en Chypre pour y visiter ses parents, et Paul se hâtant d'aller à Jérusalem, ils se séparèrent par l'inspiration du Saint-Esprit. Alors Paul communiqua à Barnabé ce que fange lui avait dit. Barnabé lui répondit: «Que la volonté du Seigneur soit faite; je vais aller en Chypre, j'y finirai ma vie et je ne te verrai plus désormais.» Et comme il se jetait humblement aux pieds de Paul en pleurant, celui-ci, touché de compassion, lui dit: «Ne pleurez pas; puisque c'est la volonté du Seigneur; il  m'est aussi apparu cette nuit et  m'a dit : «N'empêche pas Barnabé d'aller en Chypre; car il y éclairera beaucoup de monde et il y consommera son «martyre.» En allant donc en Chypre avec Jean, Barnabé porta avec lui l'Evangile de saint Mathieu; il le posait sur les malades, et il en guérit beaucoup par la puissance de Dieu. Sortis de Chypre, ils trouvèrent Elymas, le magicien que saint Paul avait privé de la vue pour un certain temps: il leur fit de l'opposition et les empêcha d'entrer à Paphos. Un jour Barnabé vit des hommes et des femmes nus qui (138) couraient ainsi pour célébrer leurs fêtes. Il en fut rempli d'indignation; il maudit le temple, et à l'instant il S'en écroula une partie qui écrasa beaucoup d'infidèles.

Enfin il vint à Salamine: ce fut là que le magicien Elymas, dont on vient de parler, excita contre lui une grande sédition. Les Juifs se saisirent donc de Barnabé qu'ils accablèrent de nombreuses injures; ils le traînèrent en toute hâte au juge de la ville pour le faire punir.

Mais quand les Juifs apprirent qu'Eusèbe, personnage important et fort puissant, de la famille de Néron, était arrivé à Salamine, ils craignirent qu'il ne leur arrachât des mains le saint apôtre, et ne le laissât aller en liberté: alors ils lui lièrent une corde au cou, le traînèrent hors de la porte de la ville où ils se hâtèrent de le briller. Enfin ces Juifs impies, n'étant pas encore rassasiés de cette cruauté, renfermèrent ses os dans un vase de plomb, pour les jeter dans la mer: mais Jean, son disciple, avec deux autres chrétiens, se leva durant la nuit, les prit et les ensevelit en secret dans une crypte où ils restèrent cachés, au rapport de Sigebert, jusqu'au temps de l'empereur Zénon et du pape Gélase, en l'année 500, qu'ils furent découverts par une révélation du saint lui-même. Le bienheureux. Dorothée dit due Barnabé prêcha d'abord J.-C. à Rome, et fut évêque de Milan.






La légende dorée - LE SAINT-ESPRIT