La légende dorée - SAINT BARNABÉ, APOTRE

SAINT VITUS ET SAINT MODESTE *

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Vitus est ainsi nommé de vie: or, saint Augustin dans son livre de la Cité de Dieu ** distingue trois genres de vie, savoir une vie d'action, ce qui se rapporte à la vie active; une vie de loisir, ce qui se rapporte au loisir spirituel de la vie contemplative, et une troisième, composée des deux autres. Et ces trois genres de vie résidèrent en saint Virus. Ou bien Vitus vient de vertu, vertueux.

Modeste, qui se tient dans un milieu, savoir, le milieu de la vertu. Chaque vertu tient le milieu entre deux vices qui l'entourent comme deux extrêmes. Car la prudence a pour extrêmes la ruse et la sottise; les extrêmes de la tempérance sont  l'accomplissement des désirs de la chair et toute espèce d'affliction qu'on s'impose; les extrêmes de la grandeur d'âme sont la pusillanimité et la témérité; la justice a pour extrêmes la cruauté et l'indulgence.

Virus, enfant distingué et fidèle, souffrit le martyre en Sicile, à l'âge de douze ans. Il était souvent frappé par son père pour mépriser les idoles et pour ne vouloir pas les adorer. Le président Valérien, informé de cela, fit venir l'enfant qu'il fit battre de verges, parce qu'il refusait de sacrifier aux idoles. Mais aussitôt les bras des bourreaux et la main du préfet se séchèrent. Et ce dernier s'écria: «Malheur à moi! car j'ai perdu l'usage de ma main.» Vitus lui dit: «Que tes dieux viennent te guérir, s'ils le peuvent.» Valérien lui répondit: «Est-ce que tu ne le pourrais pas?» «Je le puis, reprit Vitus, au nom de mon Seigneur.» Alors

* Martyrologe d'Adon.
** Lib. XIX, II, 19.

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l'enfant se mit en prières et aussitôt le préfet fut guéri. Et celui-ci dit au père: «Corrige ton enfant, de peur qu'il ne périsse misérablement.» Alors le père ramena son enfant chez soi, et s'efforça de changer son coeur par la musique, par les jeux avec des jeunes filles et par toutes sortes de plaisirs. Or, comme il l'avait enfermé dans une chambre, il en sortit un parfum d'une odeur admirable qui embauma son père et toute sa famille. Alors le père, regardant par la porte, vit sept anges debout autour de l'enfant: «Les dieux, dit-il, sont venus dans ma maison», aussitôt il fut frappé de cécité. Aux cris qu'il poussa, toute la ville de Lucana fut en émoi, au point, que Valérien accourut et demanda au père de Vitus quel malheur lui était survenu. «J'ai vu, lui répondit-il, des dieux de feu, et je n'ai pu supporter l'éclat de leur visage.» Alors on le conduit au temple de Jupiter, et pour recouvrer la vue il promet un taureau avec des cornes dorées: mais comme il n'obtenait rien, il pria son fils de le guérir; et par ses prières, il recouvra la vue. Or, cette merveille elle-même ne lui ouvrait pas les yeux à la foi, mais au contraire il pensait à tuer son fils; un ange du Seigneur apparut alors à Modeste, son précepteur, et lui ordonna de monter à bord d'un navire pour conduire l'enfant dans un pays étranger. Il le fit; un aigle leur apportait là leur nourriture, et ils opéraient beaucoup de miracles. Sur ces entrefaites, le fils de l'empereur Dioclétien est saisi par le démon qui déclare ne point sortir si Vitus de Lucana ne vient. On cherche Vitus, et quand on l'eut trouvé, on le mène à l'empereur. Dioclétien lui dit: «Enfant, peux-tu (141) guérir mon fils ?» «Ce n'est pas moi, dit Vitus, mais le Seigneur.» Alors il impose les mains sur le possédé et à l'instant le démon s'enfuit. Et Dioclétien lui dit «Enfant, veille à tes intérêts et sacrifie aux dieux, pour ne pas mourir de malemort.» Comme Vitus refusait de le faire, il fut jeté en prison avec Modeste. Les fers dont on les avait garrottés tombèrent et le cachot fut éclairé par une immense lumière: cela fut rapporté à l'empereur, qui fit sortir et jeter le saint dans une fournaise ardente, mais il s'en retira intact. Alors on lâche, pour le dévorer, un lion furieux, qui fut adouci par la foi de l'enfant. Enfin on l'attacha sur le chevalet avec Modeste et Crescence, sa nourrice, qui l'avait constamment suivi. Mais soudain l'air se trouble, la terre tremble, les tonnerres grondent, les temples des idoles s'écroulent et écrasent beaucoup de personnes; l'empereur lui-même est effrayé; il fuit en se frappant avec les poings et dit: «Malheur à moi ! puisque je suis vaincu par un seul enfant.» Quant aux martyrs, un ange les délia aussitôt, et ils se trouvèrent sur les bords d'un fleuve, où après s'être arrêtés quelque temps et avoir prié, ils rendirent leur âme au Seigneur.

Leurs corps gardés par des aigles furent trouvés par une illustre matrone nommée Florence à laquelle saint Vitusen fit la révélation. Elle les prit et les. ensevelit avec honneur. Ils souffrirent sous Dioclétien qui commença à régner vers l'an du Seigneur 287.





SAINT CYR ET SAINTE JULITTE, SA MÈRE *

Cyr, ou Quirice, quérant un arc; il vient aussi de chisil, courage, et cus, noir, ce qui équivaut à courageux par vertu et noir par humiliation. Quiris veut aussi dire hache; quiriles, siège; en effet Quirice fut un arc, c'est-à-dire courbé par humiliation, il fut fort dans les tourments qu'il endura; il fut noir par le mépris de lui-même; ce fut une hache dans son combat avec l'ennemi: il fut le siège de Dieu parce que Dieu habitait en lui: car la grâce suppléa en lui à ce que l'âge lui déniait. Julitte vient de juvans vita, parce qu'elle vécut d'une vie spirituelle, et qu'ainsi elle fut utile à beaucoup de monde.

Quirice était fils de Julitte, très illustre matrone d'Icone. La persécution qu'elle voulut éviter la força à venir à Tarse en Cilicie, avec son fils, Quirice, âgé de trois ans. Cependant on la fit comparaître portant son enfant dans ses bras, devant le président, Alexandre. Deux de ses femmes qui virent cela s'enfuirent aussitôt et l'abandonnèrent. Le président prit donc l'enfant dans ses bras, et fit cruellement frapper à coups de nerfs la mère qui ne voulut pas sacrifier aux idoles. Or, l'enfant, en voyant frapper sa mère, pleurait amèrement et poussait des cris lamentables. Mais le président prenait le jeune Quirice tantôt entre ses bras, tantôt sur ses genoux, le calmait par ses baisers et par ses caresses, et l'enfant, les yeux tournés sur sa mère; repoussait avec horreur les embrassements du juge, détournait la tête avec indignation et lui déchirait le


* Philippe de Harvenq, abbé de Bonne-Espérance, a écrit la passion de ces deux saints martyrs.

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visage avec ses petits ongles; il semblait parler et dire comme sa mère: «Et moi aussi, je suis chrétien.» Enfin après s'être débattu longtemps, il mordit le président à l'épaule. Celui-ci indigné et tourmenté par la douleur jeta du haut en bas l'enfant sur les degrés du tribunal qui fut couvert de sa petite cervelle; alors Julitte, joyeuse de voir son fils la précéder dans le royaume du ciel, rendit des actions de grâces à Dieu. Elle fut ensuite condamnée à être écorchée, puis arrosée de poix bouillante et enfin à avoir la tête tranchée. On trouve cependant dans une légende que Quirice, ne se souciant pas des caresses ou des menaces du tyran, confessait qu'il était chrétien. A l'âge qu'il avait, ce petit enfant ne pouvait pas encore parler, mais c'était l'Esprit-Saint qui parlait en lui. Comme le président lui demandait qui l'avait instruit, il dit: «Président; j'admire ta sottise; tu vois combien je suis jeune, et tu demandes à un enfant de trois ans quel est celui qui lui a enseigné la sagesse divine?» Pendant qu'on le frappait, il criait: «Je suis chrétien»; et à chaque cri, il recevait des forces pour supporter les tourments. Alors le président fit couper par morceaux la mère et l'enfant, et de peur que les chrétiens ne donnassent la sépulture à ces tronçons, il ordonna qu'on les jetât çà et là. Cependant un ange les recueillit et les chrétiens les ensevelirent pendant la nuit. Les corps de ces martyrs furent découverts, du temps de Constantin le Grand, par une des femmes de Julitte qui avait survécu à sa maîtresse; et tout le peuple les a en grande vénération. Ils souffrirent vers l'an du Seigneur 230, sous l'empereur Alexandre.





SAINTE MARINE, VIERGE OU PLUTÔT SAINTE MARIE, VIERGE *

Marie était fille unique. Son père, étant entré dans un monastère, changea sa fille d'habits afin qu'elle passât pour un homme et qu'on ne s'aperçût pas qu'elle fût une femme, ensuite il pria l'abbé et les frères de vouloir bien recevoir son fils unique. On se rendit à ses prières. Il fut reçu moine et appelé par tous frère Marin. Elle pratiqua la vie religieuse avec beaucoup de piété, et son obéissance était fort grande. Comme son père se sentait près de mourir, il appela sa fille (elle avait vingt-sept ans), et après l'avoir affermie dans sa résolution, il lui défendit de révéler jamais son sexe à personne. Marin allait donc souvent avec le chariot et les boeufs pour amener du bois au monastère. Il avait coutume de loger chez un homme dont la fille était enceinte du fait d'un soldat. Aux interrogations qu'on lui adressa, celle-ci répondit que c'était le moine Marin qui lui avait fait violence. Marin, interrogé comment il avait commis un si grand crime, avoua qu'il était coupable et demanda grâce. On le chassa aussitôt du monastère, où il resta trois ans à la porte en se sustentant d'une bouchée de pain. Peu de temps après, l'enfant sevré fut amené à l'abbé. On (145) le donna à élever à Marin, et il resta deux ans avec lui dans le même lieu. Marin acceptait ces épreuves avec la plus grande patience et en toutes choses il rendait grâces à. Dieu. Enfin les frères, pleins de compassion pour son humilité et sa patience, le reçoivent dans le monastère, et le chargent des fonctions les plus viles mais il s'acquittait de tout avec joie, et chaque chose était faite par lui avec patience et dévouement. Enfin après avoir passé sa vie dans les bonnes oeuvres, il trépassa dans le Seigneur. Comme on lavait son corps et qu'on se disposait à l'ensevelir dans un endroit peu honorable, on remarqua que c'était réellement une femme. Tous furent stupéfaits et effrayés, et on avoua avoir manqué étrangement à l'égard de la servante de Dieu. Tout le monde accourt à un spectacle si extraordinaire, et on demande pardon de l'ignorance et du péché qu'on a commis. Son corps fut donc déposé dans l'église avec honneur. Quant à celle qui avait déshonoré la servante de Dieu, elle est saisie par le démon: alors elle confesse son crime et elle est délivrée au tombeau de la vierge. On vient de toutes parts à cette tombe et il s'y opère un grand nombre de miracles. Elle mourut le 14 des calendes de juillet (18 juin).

* L'édition princeps met, et avec raison, sainte Marie, parce que c'était le nom qu'elle portait avant d'entrer dans le monastère où son père la fit recevoir sous le nom de Marin. Cf. Vies des pères du désert, traduites par Arnaud d'Andilly.





SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS

Gervais (Gervasius) vient de gérar, qui veut dire sacré et de vas, vase, ou bien de gena, étranger et syor, petit. Comme si l'on voulait dire qu'il fut sacré par le mérite de sa vie, vase (146) parce qu'il contint toutes les vertus, étranger parce qu'il méprisa le monde et petit parce qu'il se méprisa lui-même.

Protais (Protasius) vient de prothos, premier et syos, Dieu ou divin; ou bien de pocul et stasis, qui se tient loin. Comme si l'on voulait dire qu'il fut le premier par sa dignité, divin par son amour, et éloigné des affections du monde. Saint Ambroise trouva l'histoire de leur martyre dans un écrit placé auprès de leur tête.

Gervais et Protais, frères jumeaux, étaient les enfants de saint Vital et de la bienheureuse Valérie. Après avoir donné tous leurs biens aux pauvres, ils demeurèrent avec saint Nazaire, qui construisait un oratoire à Embrun, et un enfant appelé Celse lui apportait les pierres (c'est anticiper sur les faits de dire que saint Nazaire avait Celse à son service, car d'après l'histoire du premier, ce fut, longtemps après que Celse lui fut offert). Or, comme on les conduisait tous ensemble à l'empereur Néron, le jeune Celse les suivait en poussant des cris lamentables: un des soldats ayant donné des soufflets à l'enfant, Nazaire lui en fit des reproches, mais les soldats irrités frappèrent Nazaire à coups de pied, l'enfermèrent en prison avec les autres et ensuite le précipitèrent dans la mer: ils menèrent à Milan Gervais et Protais. Quant à Nazaire, qui avait été sauvé miraculeusement, il vint aussi dans cette ville. Au même temps, survint Astase, général d'armée qui partait pour faire la guerre aux Marcomans. Les idolâtres allèrent à sa rencontre et lui assurèrent que les dieux se garderaient de rendre leurs oracles si Gervais et Protais ne leur offraient d'abord des sacrifices. On s'empare alors des deux frères et on les invite à sacrifier. Comme Gervais disait à Astase (147) que toutes les idoles étaient sourdes et muettes, et que le Dieu tout-puissant était seul capable de lui faire remporter la victoire, le comte le fit frapper avec des fouets garnis de plomb jusqu'à ce qu'il eût rendu l'esprit. Ensuite il fit comparaître Protais et lui dit: «Misérable, songe à vivre et ne cours pas, comme ton frère, à une mort violente.» Protais reprit: «Quel est ici le misérable? Est-ce moi qui ne te crains point, ou bien toi qui donnes des preuves que tu me crains?» Astase lui dit: «Comment, misérable, ce serait moi qui te; craindrais, et comment?» «Tu prouves que tu crains quelque dommage de ma part, reprit Protais, si je ne sacrifie pas à tes dieux, car si tu ne craignais aucun préjudice, jamais tu ne me forcerais à sacrifier aux idoles.» Alors le général le fit suspendre au chevalet. «Je ne  m'irrite pas contre toi, général, lui dit Protais; je sais que les yeux de ton coeur sont aveuglés; bien au contraire, j'ai pitié de toi, car tu ne sais ce que tu, fais.» Achève ce que tu as commencé, afin que la bénignité du Sauveur daigne  m'accueillir avec mon frère. Astase ordonna alors de lui trancher la tête. Un serviteur de J.-C. nommé Philippe, avec son fils, s'empara de leurs corps qu'il ensevelit en secret en sa maison, sous une voûte de pierre; et il plaça à leur tête un écrit contenant le récit de leur naissance, de leur vie et de leur martyre. Ce fut sous Néron qu'ils souffrirent, vers l'an du Seigneur 57. Longtemps leurs corps restèrent cachés, mais ils furent découverts au temps de saint Ambroise de la manière suivante: Saint Ambroise était en oraison dans l'église des saints Nabor et Félix; il n'était ni tout à fait éveillé, ni entièrement endormi; (148) lorsque lui apparurent deux jeunes gens de la plus grande beauté, couverts de vêtements blancs composés d'une tunique et d'un manteau, chaussés de petites bottines, et priant avec lui les mains étendues. Saint Ambroise pria, afin que si c'était une illusion, elle ne se reproduisît plus, mais que si c'était une réalité, il eût une seconde révélation. Les jeunes gens lui apparurent de la même manière à l'heure du chant du coq, et prièrent encore avec lui; mais la troisième nuit, saint Ambroise, étant tout éveillé (son corps était fatigué par les jeûnes) fut saisi de voir apparaître une troisième personne qui lui semblait être saint Paul, d'après les portraits qu'il en avait vus. Les deux jeunes gens se turent et l'apôtre dit à saint Ambroise: «Voici ceux qui, suivant mes avis, n'ont désiré rien des choses terrestres; tu trouveras leurs corps dans le lieu où tu es en ce moment; à douze pieds de profondeur, tu rencontreras une voîlte recouverte de terre, et auprès de leur tête un petit volume contenant le récit de leur naissance et de leur mort.» Saint Ambroise couvoqua donc ses frères, les évêques voisins; il se mit le premier à creuser la terre, et trouva le tout comme lui avait dit saint Paul; et bien que plus de trois cents ans se fussent écoulés, les corps des saints furent découverts dans le même état que s'ils venaient d'être ensevelis à l'heure même. Une odeur merveilleuse et extraordinairement suave émanait du tombeau.

Or, un aveugle, en touchant le cercueil des saints martyrs, recouvra la vue, et beaucoup d'autres furent guéris par leurs mérites. On célébrait cette solennité ,en l'honneur des saints Martyrs quand fut rétablie la (149) paix entre les Lombards et l'empire romain. Et c'est pour cela que le pape saint Grégoire institua de chanter pour introït de la messe ces paroles: Loquetur Dominus pacem in plebem suam *. En outre les différentes parties de l'office en l'honneur de ces saints se rapportent tantôt à eux, tantôt aux événements qui survinrent à cette époque. Saint Augustin raconte, au livre de la Cité de Dieu, qu'un aveugle recouvra à Milan l'usage de la vue auprès des corps des saints martyrs Gervais et Protais, et cela en sa présence, devant l'empereur et une grande foule de peuple. Est-ce l'aveugle dont il a été question plus haut, est-ce un autre, on l'ignore. Le même saint raconte encore, dans le même ouvrage, qu'un jeune homme lavant un cheval dans une rivière près de la villa Victorienne, distante de trente milles d'Hippone, aussitôt le diable le tourmenta et le renversa comme mort dans le fleuve. Or, pendant qu'on chantait les vêpres dans l'église dédiée sous l'invocation des saints Gervais et Protais, église qui était près du fleuve, ce jeune homme, comme frappé par l'éclat des voix qui chantaient, entra dans un grand état d'agitation en l'église où il saisit l'autel, sans pouvoir s'en éloigner; en sorte qu'il paraissait y avoir été lié. Quand on fit des exorcismes pour faire sortir le démon, celui-ci menaça de lui couper les membres, en s'en allant. Après l'exorcisme le démon sortit, mais l'oeil du jeune homme restait suspendu par un petit vaisseau sur la joue. On le remit

* Ce sont encore les paroles du Missel Romain à l'introït de la messe de ces saints.

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comme on put en sa place, et peu de jours après 1'oeil fut guéri par les mérites de saint Gervais et de saint Protais. Saint Ambroise s'exprime ainsi dans la Préface de ces saints: «Voici ceux qui, envolés sous le drapeau du ciel, ont pris les armes victorieuses dont parle l'apôtre: dégagés des liens qui les attachaient au monde, ils vainquirent l'infernal ennemi avec ses vices, pour suivre libres et tranquilles le Seigneur J.-C. Oh! les heureux frères, qui en s'attachant à la pratique des paroles sacrées, ne purent être souillés par aucune contagion! Oh! le glorieux motif pour lequel ils combattirent, ceux que le même sein maternel a mis au monde, reçoivent tous les deux une couronne semblable.»





LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE

Saint Jean-Baptiste a beaucoup de noms: en effet il est appelé prophète, ami de l'époux, lumière, ange, voix, Hélie, Baptiste du Sauveur, héraut du juge et précurseur du roi. Le nom de prophète indique le privilège des connaissances; celui d'ami de l'époux, le privilège de l'amour; celui de lumière ardente, le privilège de la sainteté; celui d'ange, le privilège de la virginité; celui de voix, le privilège de l'humilité; celui d'Elie, le privilège de la ferveur; celui de Baptiste, le privilège d'un honneur merveilleux; celui de héraut, le privilège de la prédication; celui de précurseur, le privilège de la préparation.

La naissance de saint Jean-Baptiste fut ainsi (151) annoncée par l'archange. «Le roi David, d'après l'Histoire scholastique *, voulant donner plus d'extension au culte de Dieu, institua vingt-quatre grands prêtres, dont un seul supérieur aux autres était appelé le Prince des Prêtres. Il en établit seize de la lignée d'Eléazar et huit de celle d'Ithamar, et il donna par le sort à chacun une semaine à son tour; or, à Abias échut la huitième semaine, et Zacharie fut de sa race.» Zacharie et sa femme étaient vieux et sans enfants. Zacharie étant donc entré dans le temple pour offrir de l'encens, et une multitude de peuple l'attendant à la porte, l'archange Gabriel lui apparut. Zacharie éprouva un mouvement de crainte à sa vue; mais l'ange lui dit : «Ne crains pas, Zacharie, parce que ta prière a été exaucée.» C'est le propre des bons anges, selon ce que dit la glose, de consoler à l'instant par une bénigne exhortation ceux qui s'effraient en les voyant; au contraire, les mauvais anges, qui se transforment en anges de lumière, dès lors qu'ils s'aperçoivent que ceux auxquels ils s'adressent sont effrayés de leur présence, augmentent encore l'horreur dont ils les ont saisis. Gabriel annonce donc à Zacharie qu'il aura un fils dont le nom serait Jean, qui ne boirait ni vin, ni rien de ce qui peut enivrer, et qu'il marcherait devant le Seigneur dans l'esprit et la vertu d'Elfe. Jean est appelé Elie en raison du lieu que tous les deux habitèrent, savoir, le désert, en raison de leur habillement extérieur, qui était,grossier chez l'un comme chez l'autre, en raison de leur nourriture qui était modique;

* Hist. Evanq., c. I.

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en raison de leur ministère, parce que tous deux sont précurseurs; Elie du juge, Jean du Sauveur, en raison de leur zèle, car les paroles de l'un et de l'autre brûlaient comme un flambeau ardent. Or, Zacharie, en considération de sa vieillesse et de la stérilité de sa femme, se prit à douter et d'après la coutume des Juifs, il demanda un signe à l'ange: alors l'ange, frappa de mutisme Zacharie qui n'avait pas voulu ajouter foi à ses paroles.

Souvent le doute existe et s'excuse par la grandeur des choses promises, comme on le voit dans Abraham. En effet quand Dieu lui eut promis que sa race posséderait la terre de Chanaan, Abraham lui dit : «Seigneur mon Dieu comment puis-je savoir que je la posséderai?» Dieu lui répondit (Gen., XV): «Prenez une vache de trois ans, etc. » Quelquefois on conçoit un doute en considération de sa propre fragilité, comme cela eut lieu dans Gédéon qui dit.: «Comment, je vous en prie, mon Seigneur, délivrerai-je Israël? Vous savez que ma famille est la dernière de Manassé et que je suis le dernier dans la maison de mon père.» A la suite de cela, il demanda un signe et il le reçut. Quelquefois le doute est excusé par l'impossibilité naturelle de l'événement, cela s'est vu dans Sara. En effet quand le Seigneur eut dit : «Je vous reviendrai voir, et Sara aura un fils», Sara se mit à rire derrière la porte, en disant «Après que je suis devenue vieille et que mon seigneur est vieux aussi, serait-il bien vrai que je pusse avoir un enfant?» Zacharie aurait donc été frappé seul d'un châtiment pour avoir douté, quand se trouvaient (153) rencontrées et la grandeur de la chose promise, et la considération de sa fragilité propre par laquelle il se réputait indigne d'avoir un fils, et de plus l'impossibilité naturelle. Ce fut pour plus d'un motif qu'il en arriva ainsi. 1. D'après Bède il parla comme un- incrédule; c'est pour cela qu'il est condamné à être muet, afin qu'en se taisant il apprît à croire. 2. Il devint muet, afin que, dans la naissance de son fils, apparût un grand miracle: car quand à la naissance de saint Jean, son père recouvra la parole, ce fut miracle sur miracle. 3. Il était convenable qu'il perdît la voix,, quand la voix naissait et venait faire taire là loi. 4. Parce qu'il avait demandé un signe au Seigneur et qu'il reçut comme signe d'être privé de la parole. Car, quand Zacharie sortit du temple et que le peuple se fut aperçu de son état de mutisme, on découvrit par ses gestes qu'il avait eu une vision dans le temple. Or, sa semaine étant achevée, il alla à sa maison et Elisabeth conçut; et elle se cacha pendant cinq mois, parce que, selon ce que dit saint Ambroise, elle rougissait de mettre un enfant au monde à son âge; c'était en effet passer pour avoir usé du mariage dans sa vieillesse; et cependant elle était heureuse d'être délivrée de l'opprobre de la stérilité, puisque c'était pour les femmes un; opprobre de ne pas avoir de fruit de leur union: Voilà pourquoi les noces sont des jours de fêtes et l'acte du mariage excusé. Or; six mois après, la Sainte Vierge; qui déjà avait conçu le Seigneur, vint, en qualité de vierge féconde, féliciter sa cousine de ce que sa stérilité avait été levée, et aider à sa vieillesse. Après qu'elle (154) eut saluéElisabeth, le bienheureux Jean, rempli dès lors du Saint-Esprit, sentit le Fils de Dieu venir à lui et de joie il tressaillit dans le sein de sa mère, trépigna et salua par ce mouvement celui qu'il ne pouvait. saluer de sa parole: car il tressaillit, comme transporté, devant l'auteur du salut, et comme pour se lever devant son Seigneur. La Sainte Vierge demeura donc avec sa cousine pendant trois mois, elle la servait: ce fut elle qui de ses saintes mains reçut l'enfant venant au monde, d'après le témoignage de l'Histoire scholastique *, et qui remplit avec les plus grands soins l'office de garder l'enfant.

Ce Précurseur du Seigneur fut ennobli spécialement et singulièrement par neuf privilèges: Il est annoncé par le même ange qui annonça le Sauveur; il tressaillit dans le sein de sa mère; c'est la mère du Seigneur qui le reçoit en venant au monde; il délie la langue de son père; c'est le premier qui confère Un baptême; il montre le Christ du doigt; il baptise le même J.-C.; c'est lui que le Christ loue plus que tous les autres; il annonce la venue prochaine de J.-C. à ceux qui sont dans. les limbes. C'est pour ces neuf privilèges qu'il est appelé par le Seigneur prophète et plus que prophète. Sur ce qu'il est appelé plus que prophète, saint Jean Chrysostome s'exprime ainsi: «Un Prophète est celui qui reçoit de Dieu l'avantage de prophétiser, mais est-ce que le prophète donne à Dieu le bienfait du baptême? Un prophète a pour mission de prédire les choses de Dieu, mais où trouver

* Hist. Evang., c. II.

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un prophète dont Dieu lui-même prophétise? Tous les prophètes avaient. prophétisé de J.-C. au lieu que Jean ne prophétisa pas seulement de J.-C., mais les autres prophètes prophétisèrent de lui: tous ont été les porteurs de la parole, mais lui, c'est la voix elle-même. Autant la voix approche de la parole, sans cependant être la parole, autant Jean approche de J.-C. sans cependant être J.-C.» D'après saint Ambroise, la gloire de saint Jean se tire de cinq causes, savoir de ses parents, de ses moeurs, de ses miracles, des dons qu'il a reçus et de sa prédication. D'après le même Père, la gloire qu'il reçoit de ses parents est manifeste par cinq caractères: Voici ce que dit saint Ambroise: «L'éloge est parfait, quand il comprend; comme dans saint Jean, une naissance distinguée, une conduite intègre, un ministère sacerdotal, l'obéissance à la loi, et la preuve d'oeuvres pleines de justice.» 2. Les miracles: Il y en eut avant sa conception, comme l'annonciation de l'ange, la désignation de son nom, et la perte de la parole dans son père il y en eut dans sa conception, celle-ci fut surnaturelle; sa sanctification dès le sein de sa mère, et le don de prophétie dont il fut rempli. Il y en eut dès sa naissance, savoir: le don de prophétie accordé à son père et à sa ère, puisque sa mère sut son nom, et que le père prononça un cantique: la langue du père déliée; le Saint-Esprit qui le remplit. Sur ces paroles de l'Evangile: «Zacharie son père fut rempli du Saint-Esprit», saint Ambroise s'exprime ainsi : «Regardez Jean: Quelle puissance dans son nom! Ce nom rend la parole à un muet, le dévouement à un (156) père; au peuple un prêtre. Tout à l'heure, cette langue était muette, ce père était stérile, ce prêtre était sans fonctions; mais aussitôt que Jean est né, à l'instant, le père est prophète, ce pontife recouvre l'usage de la parole, son affection peut s'épancher sur son fils, le prêtre est reconnu par les fonctions qu'il remplit.» 3. Les moeurs. Sa vie fut d'une sainteté éminente. Voici comme en parle saint Chrysostome: «A côté de la vie de saint Jean, toutes les autres paraissent coupables: car de même que quand vous voyez un vêtement blanc, vous dites: ce vêtement est assez blanc, mais si vous le mettez à côté de la neige, il commence à vous paraître pâle, quoique vraiment il n'en soit pas ainsi, de même à comparaison de saint Jean, quelque homme que ce fût paraissait immonde.»

Il reçut trois témoignages de sa sainteté. Le premier fut rendu par ceux qui sont au-dessus du ciel, c'est-à-dire par la Trinité . elle-même: 1. Par le Père qui l'appelle Ange. Malachie dit (III): «Voilà que j'envoie mon ange qui préparera ma voie devant ma face.» Ange est, un nom qui désigne le ministère, mais qui n'explique pas la nature de l'ange. Or, si saint Jean est appelé ange, c'est pour marquer le ministère qu'il a rempli, parce qu'il paraît avoir exercé le ministère de tous les anges. Il remplit celui des Séraphins: car séraphin veut dire ardent, parce qu'ils nous rendent ardents et qu'ils brûlent plus que d'autres d'amour pour Dieu'; c'est pourquoi il est dit de Jean: «Elle s'est élevé:comme un feu, et ses paroles brûlaient comme un flambeau ardent» (Ecclés., XLVIII), «car il est venu avec l'esprit et la vertu d'Elie.» 2. Il remplit le (157) ministère des Chérubins, car chérubins veut dire plénitude de science: or, Jean est appelé Lucifer ou étoile du matin, parce qu'il fut le terme de la nuit de l'ignorance, et le commencement de la lumière de la grâce. 3. Il remplit le ministère des Thrônes qui ont pour mission de juger, et il est dit de Jean qu'il reprenait Hérode en disant: «Il ne vous est pas permis d'avoir pour femme celle de votre frère.» 4. Il remplit le ministère des Dominations qui nous enseignent à gouverner ceux qui nous sont sujets; or, Jean était aimé de ses inférieurs, et les rois le craignaient. 5. Il remplit l'office des Principautés qui nous apprennent à respecter nos supérieurs et Jean disait eu parlant de lui-même: «Celui qui tire son origine de la terre est de la terre, et ses paroles tiennent de la terre»; et en parlant de J.-C., il ajoute: «celui qui est venu du ciel est au-dessus de tous.» Il dit encore: «Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure. » 6. Il remplit l'office des Puissances qui sont chargées d'éloigner les puissances de l'air et du vice, lesquelles ne purent jamais nuire à sa sainteté. Il les repoussait aussi loin de nous, lorsqu'il nous disposait au baptême de la pénitence. 7. Il remplit l'office des Vertus par lesquelles s'opèrent les miracles: or, saint Jean montra en sa personne de grandes merveilles, comme manger du miel sauvage et des sauterelles, se couvrir de peau de chameau, et autres semblables. 8. Il remplit l'office des Archanges, en révélant des mystères auxquels on ne savait atteindre, comme, par exemple, ce qui regarde notre rédemption lorsqu'il disait : «Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés (158) du monde.» 9. Il remplit l'office des Anges: quand il annonçait des choses moins relevées, comme celles qui ont trait aux moeurs; par exemple: «Faites pénitence»; ou bien: «N'usez point de violence ni de fraude envers personne (Luc, III).» Le second témoignage lui fut rendu par le Fils, comme on lit dans saint Mathieu (II), où J.-C. le recommande souvent d'une manière étonnante, comme quand il dit entre autres choses: «Parmi les enfants des hommes, il n'y en a pas de plus grand que Jean-Baptiste.» « Ces paroles, dit saint Pierre Damien, renferment l'éloge de saint Jean; proférées qu'elles sont par celui qui a posé les fondements de la terre, qui fait mouvoir les astres et qui a créé tous les éléments.» Le troisième témoignage lui fut rendu par le Saint-Esprit, lorsqu'il dit par la bouche de son père Zacharie: «Et toi, enfant, tu seras appelé le prophète du Très Haut.» - Le second témoignage de sainteté lui fut rendis par les anges et les esprits célestes. Au premier chapitre de saint Luc, l'ange témoigne pour lui une grande considération quand il montre: 1. sa dignité par rapport à Dieu : «Il sera, dit-il, grand devant le Seigneur.» 2. Sa sainteté propre, lorsqu'il ajoute: «Il ne boira pas de vin ni de liqueur enivrante, et il sera rempli de l'Esprit-Saint. dès le ventre de sa mère.» 3. Les grands services qu'il rendra au prochain: «Et il convertira beaucoup des enfants d'Israël.» Le troisième témoignage de sainteté lui fut rendu par ceux qui sont au-dessous du ciel, c'est-à-dire, les hommes, témoin son père, ses voisins, et ceux qui disaient: «Que pensez-vous que sera cet enfant?»

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Quatrièmement, la glose de saint Jean se tire des dons qu'il a reçus dans le sein de sa mère, à sa naissance, dans sa vie et à sa mort. Dans le sein de sa mère, il fut avantagé de trois dons admirables de la grâce: 1. De la grâce par laquelle il fut sanctifié dès ce moment; puisqu'il fut saint avant que d'être né, selon ces paroles de Jérémie (I): «Je vous ai connu avant que je vous eusse formé dans les entrailles de votre mère.» 2. De la grâce d'être prophète, quand, par son tressaillement dans le sein d'Elisabeth, il connut que Dieu était devant lui. C'est pour cela que saint Chrysostome, qui veut montrer que Jean-Baptiste a été plus que prophète, dit: «Un prophète mérite par la sainteté de sa vie et de sa foi de recevoir une prophétie; riais est-ce que c'est l'ordinaire d'être prophète avant d'être homme?» C'était une coutume d'oindre les prophètes; et ce fut quand la Sainte Vierge salua Élisabeth que J.-C. sacra en qualité de prophète Jean dans les entrailles de sa mère, selon ces paroles de saint Chrysostome: «J.-C. fit saluer Elisabeth par Marie afin que sa parole sortie du sein de sa mère, séjour du Seigneur, et reçue par l'ouïe d'Elisabeth, descendit à Jean qui ainsi serait sacré prophète.» 3. Il fut avantagé de la grâce par laquelle il mérita pour sa mère de recevoir l'esprit de prophétie. Et saint Chrysostome, qui voulait montrer que saint Jean fut plus qu'un prophète, dit: «Quel est celui des prophètes, qui tout prophète qu'il fût, ait pu faire un prophète?» Hélie sacra bien Elisée comme prophète, mais il ne lui conféra pas la grâce de prophétiser. Jean cependant n'étant encore que dans le sein de sa mère (160) donna à sa mère la science de pénétrer dans les secrets de Dieu; il lui ouvrit la bouche et elle confessa reconnaître la dignité de celui dont elle ne voyait pas la personne, quand elle dit: «D'où me vient ce bonheur que la mère de mon Seigneur me vienne visiter?» Il reçut trois sortes de grâces, au moment de sa naissance: elle fut miraculeuse, sainte et accompagnée de joie. En tant que miraculeuse, le défaut d'impuissance est levé; en tant que sainte, disparaît la peine de la coulpe; en tant que accompagnée de joie, elle fut exempte des pleurs de la misère. Selon Me Guillaume d'Auxerre, trois motifs font célébrer la naissance de saint Jean: 1. sa sanctification dans le sein de sa mère; 2. la dignité de son ministère, puisque ce fut comme une étoile du matin qui nous annonça la première les joies éternelles; 3. la joie qui l'accompagna: car l'ange avait dit: « Il y en aura beaucoup qui se réjouiront lors de sa naissance.» C'est donc pour cela qu'il est juste que nous nous réjouissions pareillement en ce jour. Dans le cours de sa vie, il reçut de même grand nombre de faveurs et la preuve qu'elles furent des plus grandes et de différentes sortes, c'est qu'il réunit toutes les perfections. En effet il fut prophète quand il dit: «Celui qui doit venir après moi est plus grand que moi.» Il fut plus que prophète quand il montra le Christ du doigt; il fut apôtre, car il fut envoyé de Dieu; apôtre et prophète c'est tout un. Aussi il est dit de lui: «Il y eut un homme envoyé de Dieu qui se nommait Jean.» Il fut martyr, parce qu'il souffrit la mort pour la justice; il fut confesseur, parce qu'il confessa et ne nia pas; (161) il fut vierge, et c'est en raison de sa virginité qu'il est appelé ange dans Malachie (II): «Voici que j'envoie mon ange.» En sortant du monde il reçut trois faveurs: d'abord il fut un martyr invaincu. Il acquit alors la palme du martyre; il fut envoyé comme un messager précieux, car il apporta à ceux qui étaient dans les limbes une nouvelle précieuse, la venue de J.-C. et leur rédemption; sa fin glorieuse est honorée par tous ceux qui étaient descendus dans les limbes et c'est l'objet spécial d'une glorieuse solennité dans l'Église.

Cinquièmement, la gloire de saint Jean se tire de sa prédication. L'ange en expose quatre motifs quand il dit: «Il convertira plusieurs des enfants d'Israël au, Seigneur leur Dieu; et il marchera devant lui dans l'esprit et la vertu d'Elie, pour réunir les cours des pères avec leurs enfants, pour rappeler les incrédules à la prudence des justes, et pour préparer au Seigneur un peuple parfait.» Il touche quatre points, savoir le fruit, l'ordre, la vertu et la fin, d'après le texte lui-même. La prédication de saint Jean fut triplement recommandable. Elle fut en effet fervente, efficace et prudente. C'est la ferveur qui lui faisait dire: «Race de vipères, qui vous a avertis de fuir la colère à venir? Faites donc de dignes fruits de pénitence. (Luc, III.) Or, cette ferveur était enflammée parla charité, parce qu'il était une lumière ardente; et c'est lui qui dit en la personne d'Isaïe (XLIX): «Il a rendu ma bouche comme une épée perçante.» Cette ferveur tirait son origine de la vérité, car il était une lampe ardente. C'est à ce propos qu'Il est dit dans saint Jean (162) (V): «Vous avez envoyé à Jean; et il a rendu témoignage à la vérité.» Cette ferveur était dirigée par le discernement ou la science: voilà pourquoi en parlant à la foule, aux publicains et aux soldats, il enseignait la loi, selon l'état de chacun. Cette ferveur était ferme et constante, puisque sa prédication le mena à perdre la vie. Telles sont les quatre qualités du zèle, d'après saint Bernard: «Que votre zèle, dit-il, soit enflammé par la charité, formé par la vérité, régi par la science et affermi par la constance.» 2. Il prêcha avec efficace, puisque beaucoup se convertirent à ses prédications. Il prêcha  en parole et ne varia jamais dans son enseignement. Il prêcha par l'exemple, car sa vie fut sainte; il prêcha et convertit par ses mérites et ses prières ferventes. 3. Il prêcha avec prudence; et la prudence de sa prédication consista en trois points: 1. en ce qu'il usa de menaces afin d'effrayer les méchants; c'est alors qu'il disait: «Déjà la cognée est à la racine de l'arbre»; 2. en usant de promesses, pour gagner les bons, quand il dit: «Faites pénitence: car le royaume des cieux approche»; 3. en usant de tempéraments pour attirer peu à peu les faibles à la perfection. Aussi à la foule et aux soldats, il imposait de légères. obligations afin qu'ensuite il les amenât à s'en imposer de plus sérieuses; à la foule, il conseillait les oeuvres de miséricorde; aux publicains, il recommandait de ne pas désirer le bien d'autrui; aux soldats de n'user de violence envers personne, de ne pas calomnier et de se contenter de leur paie.

Saint Jean l'Evangéliste mourut à pareil jour; mais (163) l'Eglise célèbre sa fête; trois jours après la naissance de J.-C. parce . qu'alors eut lieu la dédicace de son église; et la solennité de la naissance de saint Jean-Baptiste conserva sa place par la raison qu'elle fut déclarée un jour de joie par l'ange. Il ne faut pourtant pas prétendre que l'Evangéliste ait fait place au Baptiste, comme l'inférieur au supérieur; car il ne convient pas de discuter quel est le plus grand des deux: et ceci fut divinement prouvé par un exemple. On lit qu'il y avait deux docteurs en théologie dont l'un préférait saint Jean-Baptiste et l'autre saint Jean l'évangéliste. Ou fixa donc un jour pour une discussion solennelle. Chacun. n'avait d'autre soin que de trouver des autorités et des raisons puissantes en faveur du saint qu'il jugeait supérieur. Or, le jour de la dispute étant proche, chacun des saints apparut à son champion et lui dit: «Nous sommes bien d'accord dans le ciel, ne dispute pas à notre sujet sur la terre.» Alors ils se communiquèrent chacun sa vision, en firent part à tout le peuple et bénirent Dieu. - Paul, qui a écrit l'Histoire des Lombards, diacre de l'Eglise de Rome et moine du mont Cassin, devait une fois faire la consécration du cierge, mais il fut pris d'un enrouement qui l'empêcha de chanter; afin de recouvrer sa voix qui était fort belle, il composa en l'honneur de saint Jean-Baptiste l'hymne Ut queant laxisresonare fibris mira gestorum famuli tuorum, au commencement de laquelle il demande que sa voix lui soit rendue comme elle l'avait été à Zacharie. En ce jour quelques personnes ramassent de tous côtés les os d'animaux morts pour les brûler: il y en a deux raisons, (164) rapportées par Jean Beleth *: la première vient d'une ancienne pratique: il y a certains animaux appelés dragons, qui volent dans l'air, nagent dans les eaux et courent sur la terre. Quelquefois quand ils sont dans les airs, ils incitent à la luxure en jetant du sperme dans les puits et les rivières; il y avait alors dans l'année grande mortalité. Afin de se préserver, on inventa un remède qui fut de faire des os des animaux un feu dont la fumée mettait ces monstres en fuite; et parce que c'était, dans le temps, une coutume générale, elle s'observe encore en certains lieux. La seconde raison est pour rappeler que les os de saint Jean furent brûlés à Sébaste par les infidèles. On porte aussi des torches brûlantes, parce que saint Jean fut une torche brûlante et ardente; on fait aussi tourner une roue parce que le soleil à cette époque commence à prendre son déclin, pour rappeler le témoignage que Jean rendit à J.-C. quand il dit: «Il faut qu'il croisse, et moi que je diminue.» Cette parole est encore vérifiée, selon saint Augustin, à leur nativité et à leur mort: car à la nativité de saint Jean-Baptiste les jours commencent à décroître, et à la Nativité de J.-C. ils commencent à croître, d'après ce vers: Solstitiumdecimo Christum praeit atque Joannem **. Il en fut ainsi à leur mort. Le corps de J.-C. fut élevé sur la croix et celui de saint Jean fut privé de son chef.

Paul rapporte dans l'Histoire des Lombards que Rocharith

* Cap. CXXXVII.
** Dix jours avant le solstice, arrivent la Nativité du Sauveur et celle de saint Jean.

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roi des Lombards, fut enseveli avec beaucoup d'ornements précieux auprès d'une église de saint Jean-Baptiste. Or, quelqu'un, poussé par la cupidité, ouvrit de nuit le tombeau et emporta tout. Saint Jean apparut au voleur et lui dit: «Quelle a été ton audace de toucher à un dépôt qui m'était confié? tu ne pourras plus désormais entrer dans mon église.» Et il en fut ainsi; car chaque fois que le larron voulait entrer en cette église, il était frappé à la gorge comme par un vigoureux athlète et il était jeté aussitôt à la renverse *.

* Ce fait est aussi rapporté par Gezo, abbé de Dertone, en 984, dans son livre du Corps et du sang de J.-C., ch. LXVII.






La légende dorée - SAINT BARNABÉ, APOTRE