Textes du magistère - A S. E. M. LE CARDINAL DE LA ROCHEFOUCAULT



PIE VII



15 mai MDCCC.

Lettre encyclique a l'occasion de son élection.


A TOUS NOS VÉNÉRABLES FRÈRES LES PATRIARCHES, LES PRIMATS, LES ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES EN GRACE ET EN COMMUNION AVEC LE SIÈGE APOSTOLIQUE.

PIE VII, PAPE.


Vénérables Frères, salut et Bénédiction Apostolique.


Il Nous semble que Nous avons assez tardé à vous adresser la parole. Deux mois déjà se sont écoulés, et ils n'ont manqué ni de souci ni de labeur, depuis que Dieu a chargé notre faiblesse de cet incomparable fardeau, le gouvernement de toute son Église. Il est juste de céder enfin, moins à une coutume qui date des temps les plus reculés, qu'à un sentiment de véritable affection, sentiment produit depuis longtemps par les liens de la hiérarchie, mais aujourd'hui accru sans mesure et parvenu à son comble. Aussi rien ne Nous est-il plus doux et plus agréable que de Nous épancher avec vous au moins par cette encyclique. Nous y sommes d'ailleurs vivement sollicité par cette obligation qui Nous est propre, et la principale même de toutes nos obligations, consignée et déclarée dans ces paroles : Confirme tes frères. Car à cette époque de profondes misères et d'horribles tempêtes, Satan n'a pas moins désiré, qu'à toute autre époque antérieure, de nous passer tous au crible comme le froment.

Mais aussi qui pourrait être assez aveuglé par l'ignorance ou par les passions antireligieuses, pour ne pas comprendre et ne pas voir en quelque sorte des yeux mêmes du corps, ce fait éclatant, que, dans cette situation presque désespérée, Jésus-Christ, selon sa promesse, a de nouveau prié pour Pierre, afin que la foi de Pierre ne défaillît point ? (Luc. XXII.) Oui, la postérité admirera la sagesse, la fermeté, la magnanimité de Pie VI. Héritier de son autorité, puissions-Nous l'être également de ce courage, que ni la violence des tempêtes ni l'accumulation des calamités n'ont pu abattre ou ébranler ! Digne successeur de cet illustre Martin, qui donna jadis tant de lustre à Notre Siège, il Nous en retraça d'abord la foi par l'affirmation et la défense de la vérité, puis la force dans le support de la fatigue et de l'adversité. Chassé de son siège avec la dernière cruauté ; dépouillé de pouvoir, d'honneur, de toute fortune ; ne trouvant par hasard un abri que pour s'en voir à l'instant même arraché ; puis, bien que l'âge et l'infirmité lui ôtassent l'usage de ses pieds, traîné au loin, avec la menace souvent réitérée d'un exil encore plus amer ; n'ayant pour se sustenter, lui et sa faible suite, que les secours de la piété et de la charité : cependant, lorsque chaque jour venait tendre de nouveaux pièges à cet isolement et à cette faiblesse, jamais il ne se démentit : nulle embûche ne put le tromper, nulle crainte le déconcerter, nulle espérance l'éblouir, nulle affliction, nul danger le briser. Ses ennemis ne purent tirer de lui un mot de vive voix ou par écrit, qui ne fût pour tous la preuve, que jusqu'à l'heure présente Pierre est toujours dans ses successeurs vivant et exerçant l'autorité : vérité que déjà au concile d'Éphèse une voix imposante proclamait indubitable à tous les esprits, et de notoriété publique à toutes les époques. (Actio 1, n. 11.)

Mais (ô nouveau sujet d'admiration et de reconnaissance !), le moment où Pie VI se voit, je ne veux pas dire enlevé à la vie, mais favorisé de la mort, se trouve être justement celui où cesse tout obstacle à la tenue du conclave qui doit lui donner un successeur. Rappelez-vous, Vénérables Frères, quelles étaient nos sollicitudes et nos anxiétés lorsque les Cardinaux de la sainte Église Romaine, chassés eux aussi de leurs sièges, les uns emprisonnés, ou menacés même de la mort, d'autres, en grand nombre, forcés de traverser la mer au coeur de l'hiver, tous dans l'indigence et le dénuement, la plupart séparés des autres par de grandes distances, puis réduits par un ennemi maître de toutes les communications à ne pouvoir ni s'écrire ni se transporter là où les appelaient le coeur et le devoir. Quel espoir restait-il, qu'au jour où arriverait la mort de Pie VI, mort que les nouvelles journalières donnaient comme très-prochaine, ils pussent remédier selon les règles au veuvage de l'Église ? Dans une telle détresse, dans une situation si déplorable, celui qui n'aurait compté que sur la sagesse et l'appui de l'homme eût-il jamais osé se promettre ce qui fut l'effet d'un plan admirable de la volonté divine ? Ce plan était que Pie VI ne cesserait de vivre qu'après avoir arrêté lui-même la forme du conclave qui devait suivre sa mort, et quand, l'Italie presque entièrement pacifiée, tout étant disposé, les Cardinaux se rencontreraient à Venise en nombre considérable, prêts à donner leur suffrage, sous la garde et la tutelle de Notre très-cher Fils en J. C., François, roi apostolique de Hongrie,, roi illustre de Bohême, élu Empereur des Romains. En faut-il davantage pour reconnaître que vainement on s'efforce de renverser la maison de Dieu, c'est-à-dire l'Église bâtie sur Pierre, pierre non-seulement de nom, mais en réalité ; Église contre laquelle ne prévaudront point les portes de l'Enfer (Matth. XVI), par cette raison qu'elle est fondée sur la pierre (Matth. VII). La Religion chrétienne n'a jamais eu d'ennemi qui n'ait en même temps déclaré une guerre impie à la Chaire de Pierre, parce que, celle-ci debout, celle-là ne saurait jamais tomber ou chanceler. En effet, comme le déclare solennellement saint Irénée, " c'est par la légitime succession des Pontifes Romains que dans l'Église se transmet des Apôtres jusqu'à nous la tradition et la prédication de la vérité, et c'est encore cette succession qui démontre pleinement que la foi qui vivifie aujourd'hui l'Église est réellement et identiquement la foi même des Apôtres. " (Adv. haeres. l. III, cap. III.) Pouvaient-ils suivre une autre tactique ces sophistes de nos jours qui se liguèrent pour substituer je ne sais quelle peste, quel monstre de fausse philosophie, à cette vraie philosophie (car c'est le nom plein de justesse donné à la doctrine chrétienne par les Pères, et surtout par les Pères grecs), à cette auguste philosophie, que le Fils de Dieu, la Sagesse même éternelle, a apportée du ciel pour être distribuée aux hommes ? Mais il est écrit (et quelle plus juste application peut-on faire de ces paroles de saint Paul ?) : " Je détruirai la sagesse des sages, et je rejetterai la science des savants. Que sont devenus les sages ? que sont devenus les docteurs de la loi ? que sont devenus les savants du siècle ? Dieu n'a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ? " (Corint. I, c. I, v. 19, 20.)

Toutes ces choses, Vénérables Frères, nous aimons d'autant plus à les rappeler qu'elles ont une force admirable pour ranimer, raffermir, enflammer à n'éviter aucun travail, aucune lutte pour cette Église de J. C., qui, contrairement non-seulement à nos désirs, mais à toutes nos prévisions, ou plutôt malgré notre effroi, il Nous a lui-même chargé de régir, garder, orner, étendre. Sans nul doute, il saura " faire de Nous de dignes ministres de la nouvelle alliance, afin que notre perfection vienne de Dieu, et non de Nous. " C'est pourquoi, ô Vénérables Frères, qui avez chacun votre part dans ce soin et cette sollicitude, " j'excite maintenant vos âmes sincères par mes avertissements, " afin qu'unis d'esprit et de coeur avec Nous, vous apportiez à cette oeuvre votre part de zèle, de diligence et de travail. Ne perdez jamais de vue la prière de J. C. : " Père saint, conservez-les pour votre nom..., afin qu'ils soient un comme nous.... Je ne prie pas seulement pour eux (c'est-à-dire les Apôtres), mais encore pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole, afin que tous ils soient un, comme vous, mon Père, en moi, et moi en vous : qu'ils soient de même un en nous. " (Joan. 17.) " Or, c'est surtout à Nous, dit saint Cyprien (de unitate Ecclesiae), qu'il incombe de maintenir fermement et de sauvegarder cette unité, en sorte qu'à cette vue le monde, frappé d'admiration, " croie (poursuit J. C. dans sa prière) que c'est vous, ô mon Père, qui m'avez envoyé. "

Appuyés donc sur le secours de ce divin Chef, toujours prêt à Nous secourir, toujours présent à nos côtés, qui d'ailleurs Nous rassure par ces paroles : Que votre coeur ne se trouble ni s'effraie ; vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi (Joan. 14) ; appuyés, dis-je, sur son secours, n'ayons tous qu'un même zèle, qu'une même ardeur pour le salut de tous. Voilà tant d'années déjà que villes de tout ordre, campagnes, républiques, provinces, royaumes, nations, du fond de leurs misères et de leur détresse, de leurs ruines et de leurs bouleversements, réclament, avec un peu de soulagement, le remède véritable à leurs maux. Mais ce remède, où le chercher, où l'espérer, sinon dans la doctrine du Christ ? A ceux qui s'obstinent dans leur hostilité contre cette doctrine, nous pouvons bien porter ce défi porté autrefois à leurs semblables par saint Augustin, et avec plus d'assurance qu'il ne le faisait lui-même : " Qu'ils viennent donc nous donner des soldats et des citoyens, des maris et des épouses, des parents et des enfants, des maîtres et des serviteurs, des rois et des juges, des contribuables et des percepteurs, tels que les exige la doctrine chrétienne ; et dans l'impossibilité où ils sont de le faire, qu'ils aient la bonne foi d'avouer que, si la religion chrétienne était suivie, ce serait pour les États la source d'une grande prospérité. " (Lib. 83, Quaest.)

C'est donc un devoir de notre charge, Vénérables Frères, de secourir dans leur détresse et les individus et les nations ; de détourner de toutes les têtes des maux dont la pensée arrache des larmes, maux du présent et maux de l'avenir. " Car c'est J. C. même qui a donné des pasteurs et des docteurs, afin qu'ils travaillent les uns et les autres à la perfection des saints, aux fonctions de leur ministère, à l'édification de son corps, jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité d'une même foi et d'une même connaissance du Fils de Dieu. " (Ephes. IV, v. 12.) Si un seul d'entre nous venait à montrer pour une telle entreprise de l'éloignement, de la mollesse, de la temporisation, quelle honte pour lui ! quel poids sur sa conscience ! Vous donc, avant tous les autres, Vénérables Frères, Nous vous prions, Nous vous conjurons, Nous vous exhortons, Nous vous avertissons, enfin Nous vous commandons de ne rien laisser désirer en fait de vigilance, d'empressement, d'application et de fatigue pour garder le dépôt de la doctrine du Christ, dépôt contre lequel vous savez quelle conjuration a été formée, et par qui. N'admettez personne à la cléricature, ne confiez à personne la dispensation des mystères de Dieu, ne laissez personne confesser ou prêcher, ne conférez à personne ou charge d'âmes ou tout autre emploi, sans examen et contrôle sérieux, sans vous être dûment assurés si l'esprit qui se manifeste vient de Dieu. Plût à Dieu que l'expérience Nous permît d'ignorer quelle fut la triste fécondité de notre époque en " faux apôtres, ouvriers d'iniquité se transfigurant en apôtres du Christ ! Faute d'y prendre garde, de même que le serpent séduisit Ève par ses artifices, ainsi les esprits des fidèles se corrompront et dégénéreront de la simplicité chrétienne. " (II Cor. XI.)

Sans doute votre zèle doit embrasser " tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques. " Il est cependant une portion de ce troupeau qui, plus que toutes les autres, réclame tout ce que votre tendresse paternelle peut vous inspirer d'attention, d'application, d'intérêt et d'activité : c'est le jeune âge, que J. C. nous a tant recommandé par ses exemples comme par ses discours (Matth. XIX ; Marc. X ; Luc. XVIII). Pour corrompre et empoisonner ces tendres âmes, rien n'a été oublié de la part de ces esprits pervers qui ont juré la ruine de tout le bien privé et public, l'anéantissement de tous les droits divins et humains : là gisait le principal espoir de leurs horribles complots. Pouvaient-ils ignorer en effet que cet âge est une cire molle et maniable, aussi facile à recevoir toute espèce de forme que l'âge suivant est obstiné à garder celle qu'il a une fois prise, et revêche à toute autre forme ? De là ce proverbe, qui des Livres saints a passé sur toutes les lèvres : " Le jeune homme suit sa première voie ; dans sa vieillesse même il ne la quittera point. " (Prov. XII.) Gardez-vous donc bien, Vénérables Frères, de laisser aux enfants du siècle à leur point de vue l'avantage de la prudence sur les enfants de lumière. Quels sont les supérieurs qui dans les séminaires et les collèges reçoivent sous leur responsabilité l'enfance ou la jeunesse ? quelles leçons y donne-t-on, quel est le choix des maîtres ? quelles classes y sont établies ? Autant de points qui doivent attirer toutes vos observations, toutes vos investigations, toute votre sagacité ; ayez l'oeil ouvert sur tout. Excluez, repoussez au loin ces " loups ravisseurs qui n'épargneraient point ce troupeau " d'agneaux innocents. S'il s'en glisse, chassez-les au plus tôt sans pitié, " en vertu de la puissance que le Seigneur vous a donnée pour l'édification. " (II Cor. XIII.)

Mais cette même puissance, que ne fera-t-elle pas pour l'extinction d'une autre peste, la plus pernicieuse de toutes, celle des mauvais livres ? Ah ! c'est ici que toute son énergie est réclamée par le salut même de l'Église et de la société, des chefs d'État et de tous les mortels, salut que nous devons mettre bien au-dessus de notre propre vie. Vous pouvez voir ce grave sujet traité avec tout le soin et toute l'étendue qu'il mérite dans les Lettres apostoliques que Notre prédécesseur d'heureuse mémoire Clément XIII adressait, en forme de bref, à tout l'épiscopat le 25 novembre 1766. Les livres que Nous voulons voir arracher de toutes les mains, écartés de tous les yeux, anéantis par les flammes, ce ne sont pas seulement ceux qui attaquent ouvertement la doctrine de J. C., mais aussi et bien plus encore ceux dont l'attaque est plus cachée et procède par la ruse. Pour les reconnaître il n'est pas besoin, dit saint Cyprien (de unit. Ecclesiae), d'une longue discussion ni de raisonnements subtils. Dans l'intérêt de la vérité Notre-Seigneur en a rendu l'examen très-facile par ces simples mots adressés à Pierre : " Pais mes brebis. ", Telle est donc la sorte de pâturage que la brebis de J. C. doit se croire salutaire, qu'elle doit rechercher, dont elle doit se nourrir. C'est celui où l'enverra la voix et l'autorité de Pierre. Ceux dont la même voix l'éloigne et la détourne, elle les doit absolument tenir pour des poisons mortels, et s'en écarter avec la plus vive horreur, insensible aux apparences même les plus séduisantes. Sans cette docilité, on ne peut être compté parmi les brebis de J. C. En telle matière, Nos Frères, Nous ne pouvons ni conniver, ni dissimuler, ni mollir. Car si l'on n'arrête, si l'on n'étouffe une si grande licence de pensées, de paroles, d'écrits et de lectures, nous pourrons bien, grâce aux efforts combinés de rois et de capitaines pleins de la science politique ou militaire, grâce aux bataillons et aux expédients, nous pourrons paraître un instant soulagés du mal qui nous travaille ; mais, faute d'en arracher la racine, d'en détruire la semence (je frissonne de le dire, mais il faut le dire), le mal ira crossant, se fortifiant, étreindra tout le globe de la terre ; et alors pour l'anéantir ou le conjurer, ce ne sera plus assez ni des cadres d'armée, ni des garnisons, ni des yeux de la police, ni des remparts des villes ou des barrières des empires.

Ah ! Nos Frères, qui de nous resterait froid et insensible à ce que Dieu nous signifie par le prophète Ezéchiel : " Fils de l'homme, je t'ai donné pour sentinelle à la maison d'Israël. Tu écouteras la parole de ma bouche, et tu la leur porteras de ma part. Si, lorsque je dirai à l'impie : TU SERAS PUNI DE MORT, tu ne le lui annonces pas..., l'impie mourra dans son iniquité ; mais je te redemanderai son sang. " (Ezech. III, v. 17-18.) Pour moi je l'avoue, cette parole me poursuit, me perce de son aiguillon et le jour et la nuit, jamais elle ne me permettra d'être lâche ou timide dans l'exercice de ma charge ; et je vous promets, je vous garantis que vous m'aurez toujours non-seulement pour aide et appui, mais aussi pour chef et pour guide.


Il est encore, Nos Frères, un autre dépôt confié à notre garde, et qui réclame pour sa défense beaucoup de force d'âme et de persévérance. C'est le dépôt des saintes lois de l'Église, lois par lesquelles elle a elle-même, comme en ayant seule le pouvoir, établi sa propre discipline, lois qui font immanquablement fleurir la piété et la vertu, rendent l'Épouse de J. C., " terrible comme une armée rangée en bataille, " dont la plupart même, pour nous servir des expressions de Notre prédécesseur saint Zosime, " sont comme le fondement destiné à porter les constructions de la foi. " (Epist.) Rien ne saurait être plus avantageux ni plus glorieux aux rois et aux chefs d'État que si, comme l'écrivait à l'empereur Zénon un autre de nos prédécesseurs, le sage et courageux saint Félix, " ils laissent l'Église catholique vivre de ses propres lois, et ne permettent à qui que ce soit de gêner sa liberté. Car il est certain qu'ils agissent conformément à leurs propres intérêts, lorsque dans les choses de Dieu, ils s'attachent, selon que lui-même l'a réglé, à soumettre et non à préférer leur volonté royale aux prêtres de J. C. "

Quant au dépôt des biens Ecclésiastiques, qui, suivant les expressions, les déclarations des Pères, des conciles et des divines Écritures, sont véritablement " des objets voués à Dieu ; les ressources, le trésor sacré, la subsistance des saints, la propriété de Dieu : " que vous prescrirons-Nous, Nos Frères, au moment où l'Église se voit misérablement dépouillée et dénuée de tout ? Une seule chose : travaillez à faire entrer dans tous les esprits et dans tous les coeurs ce qu'un concile d'Aix-la-Chapelle renferma autrefois dans cette sentence, qui en peu de mots dit beaucoup et le dit bien clairement : " Quiconque enlèvera, ou s'efforcera d'enlever ce que d'autres fidèles, en vue du soulagement de leurs âmes, auront donné à Dieu, de leurs possessions héréditaires, pour l'honneur et l'ornement de son Église, ainsi que pour les besoins de ses ministres, celui-là sans nul doute fait tourner les dons d'autrui au péril de son âme. " (Cap. XXXVII, t. IV Conc. Harduin. Coll. 1423.) Oui certes, avec non moins de confiance que notre prédécesseur saint Agapit, Nous pouvons l'affirmer à tous et de tout point, " ce n'est ni l'attache aux biens de ce monde, ni aucune vue d'intérêt terrestre ; mais l'unique considération du jugement divin, qui Nous porte à revendiquer ce dont Nous avons charge d'être les dispensateurs fidèles et prudents. " (Ep. 4 ad Caesar. ep. Arelat. Bull. Rom. Tom. XI, f. 59.)

Du moins ne laisseront-ils aucune place à nos prières, à nos exhortations, à nos avertissements, à nos procédures, ces rois et princes chrétiens, qui savent parfaitement qu'ils ont été appelés par Isaïe " nourriciers de l'Église, " (XLIX. 23) et qui se font gloire de l'être ? Leur foi, leur piété, leur équité, leur sagesse, leur religion Nous sont de sûrs garants qu'ils se hâteront de faire rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et ne s'exposeront pas à ce que leurs oreilles retentissent de ces plaintes divines : " Vous avez enlevé mon or, mon argent, tout ce que j'avais de plus précieux et de plus beau. " (Joel. III.) Ils imiteront ces grands empereurs, Constantin et Charlemagne, qui se sont principalement illustrés par leur libéralité envers l'Église, dont l'un déclara même " qu'il connaissait beaucoup de royaumes tombés avec leurs rois pour l'avoir dépouillée. " Aussi avec quel poids et quelle solennité, s'adressant à ses enfants et à leurs successeurs : " Autant qu'il est en nous de pouvoir et d'autorité, de par Dieu, et par tous les mérites des saints, nous leur défendons d'imiter de tels actes ou d'approuver ceux qui en auraient le dessein ; loin de là, nous les adjurons de se montrer selon leurs forces les défenseurs de l'Église et des serviteurs de Dieu. " (Ap. Baluz. Capit. l. I, cap. III.)

Au terme de cette Encyclique, il ne faut pas vous cacher, Nos Frères, " qu'une profonde tristesse, une douleur continuelle remplit mon coeur " pour mes fils les peuples des Gaules et autres encore en proie au même délire. Que pourrait-il m'arriver de plus conforme à mes désirs que de sacrifier pour eux ma vie, si leur salut pouvait s'acheter par ma mort ? Nous ne nions pas, au contraire Nous avouons hautement, que l'amertume de notre deuil est considérablement adoucie et diminuée par la force invincible qu'ont déployée beaucoup d'entre vous, et qu'ont si admirablement imitée des personnes de tout rang, de tout âge et de toute condition. Il se représente journellement à Notre esprit ce courage qui leur a fait endurer toute sorte d'injustices, de périls, de sacrifices, et voler à la mort même comme à un triomphe, plutôt que de se souiller et lier la conscience par un serment illicite et criminel, plutôt que de transgresser les décrets et les sentiments du Saint-Siège. Oui, vraiment notre âge a vu se renouveler au même degré et la vertu et la cruauté des premiers siècles. Au reste, il n'est pas de nation sous le soleil que n'embrasse mon coeur paternel par ses pensées, ses affections, ses sollicitudes : il n'en est pas qui, séparée de Nous et de la vérité, ne cause à ce coeur une affliction et un tourment inexprimables, et à laquelle je ne brûle de porter secours. Unissez donc vos prières aux Nôtres, afin qu'après cette longue tempête " l'Église jouisse de cette paix " qui lui est nécessaire " pour s'édifier en marchant dans la crainte du Seigneur et la consolation du Saint-Esprit, " et qu'il n'y ait plus d'obstacle à l'union de toutes les nations " en un seul bercail sous un seul pasteur. " En attendant ce bonheur, à vous qui êtes si bien déterminés, si prêts à l'action, et au troupeau que vous présidez, Nous donnons avec la plus vive affection la bénédiction apostolique.

Donné à Venise, du monastère de Saint-Georges-le-Majeur, le quinzième jour de mai, l'an mil huit cent, premier de Notre Pontificat.



Bulle SOLLICITUDO

ou Constitution par laquelle N. S. P. le Pape Pie VII rétablit la compagnie de Jésus.

La sollicitude de toutes les Églises confiées par la grâce de Dieu à notre faiblesse, malgré la disproportion de nos mérites, nous impose le devoir de mettre en oeuvre tous les moyens qui sont en notre pouvoir et que la divine providence, dans sa miséricorde, daigne nous accorder, pour subvenir à propos et sans aucune acception de peuple, aux besoins spirituels de l'univers chrétien, autant que le permettent les vicissitudes multipliées des temps et des lieux.

Désirant satisfaire à ce que notre charge pastorale demande de nous, il n'est pas plutôt venu à notre connaissance que Kareu et d'autres prêtres séculiers établis depuis plusieurs années dans l'immense empire de Russie, et autrefois attachés à la compagnie de Jésus, supprimée par notre prédécesseur Clément XIV d'heureuse mémoire, nous suppliaient de leur donner, par notre autorité, le pouvoir de se réunir en corps, afin d'être en état, en vertu des lois particulières à leur institut, d'élever la jeunesse dans les principes de la foi et de la former aux bonnes moeurs, de s'adonner à la prédication, de s'appliquer à entendre les confessions et à l'administration des autres sacrements, que nous avons cru devoir écouter leur prière. Nous l'avons fait d'autant plus volontiers que l'empereur Paul Ier, qui régnait alors, nous avait instamment recommandé ces mêmes prêtres par des lettres qui étaient l'expression de son estime et de sa bienveillance pour eux, et qu'il nous adressa, le 11 août de l'an du Seigneur 1800, des lettres par lesquelles il lui serait très-agréable que, pour le bien des catholiques de son empire, la compagnie de Jésus y fût établie par notre autorité.

C'est pourquoi, considérant l'extrême utilité qui en proviendrait dans ces vastes régions, presque entièrement destituées d'ouvriers évangéliques, réfléchissant quel avantage inestimable de tels ecclésiastiques, dont les moeurs avaient été la matière de tant d'éloges, pouvaient procurer à la religion par leurs travaux infatigables, par l'ardeur de leur zèle pour le salut des âmes et par leur application continuelle à la prédication de la parole de Dieu, nous avons pensé qu'il était raisonnable de seconder les vues d'un prince si puissant et si bienfaisant. En conséquence, par nos lettres données en forme de bref, le 7 mai de l'an de Notre-Seigneur 1801, nous accordâmes au susdit François Kareu, à ses compagnons établis dans l'empire russe, et à tous ceux qui pourraient s'y transporter, la faculté de se réunir en corps ou congrégation, sous le nom de la compagnie de Jésus, en une ou plusieurs maisons, à la volonté du supérieur, et seulement dans les limites de l'empire de Russie ; et de notre bon plaisir et de celui du siège apostolique, nous députâmes, en qualité de supérieur général de ladite compagnie, ledit François Kareu, avec le pouvoir et les facultés nécessaires et convenables pour suivre et maintenir la règle de saint Ignace de Loyola, approuvée et confirmée par notre prédécesseur Paul III d'heureuse mémoire, en vertu de ses constitutions apostoliques ; et afin qu'étant ainsi associés et réunis en congrégation religieuse, ils pussent donner leurs soins à l'éducation de la jeunesse dans la religion et les sciences, au gouvernement des séminaires et des collèges, et, avec l'approbation et le consentement des ordinaires des lieux, au ministère de la confession et de la parole sainte, et de l'administration des sacrements, nous reçûmes la congrégation de la compagnie de Jésus sous notre protection et la soumission immédiate au siège apostolique, et nous réservâmes à nous et à nos successeurs, de régler et d'ordonner ce qui, avec l'assistance du Seigneur, serait trouvé expédient pour munir et affermir ladite congrégation, et pour en corriger les abus s'il s'y en introduisait : et à cet effet, nous dérogeâmes expressément aux constitutions apostoliques, statuts, coutumes, privilèges et indults accordés et confirmés de quelque manière que ce fût, qui se trouveraient contraires aux dispositions précédentes, nommément aux lettres apostoliques de Clément XIV, notre prédécesseur, qui commençaient par ces mots : Dominus ac Redemptor noster, mais seulement en ce qui serait contraire à nosdites lettres en forme de bref, qui commençaient par le mot Catholicae, et qui étaient données seulement pour l'empire de Russie.

Peu de temps après avoir décrété ces mesures pour l'empire de Russie, nous crûmes devoir les étendre au royaume des Deux-Siciles, à la prière de notre très-cher fils en Jésus-Christ le roi Ferdinand, qui nous demanda que la compagnie de Jésus fût rétablie dans ses États, comme elle l'avait été par nous dans le susdit empire, parce que, dans des temps si malheureux, il lui paraissait de la plus haute importance de se servir des clercs de la compagnie de Jésus pour former la jeunesse à la piété chrétienne et à la crainte du Seigneur, qui est le commencement de la sagesse, et pour l'instruire dans ce qui regarde la doctrine et les sciences, principalement dans les collèges et les écoles publiques. Nous, par le devoir de notre charge, ayant à coeur de répondre aux pieux désirs d'un si illustre prince, qui n'avait en vue que la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes, avons étendu nos lettres données pour l'empire de Russie au royaume des Deux-Siciles, par de nouvelles lettres en forme de bref, commençant par les mots Per alias, expédiées le 30 juillet, l'an du Seigneur 1804.

Les voeux unanimes de presque tout l'univers chrétien pour le rétablissement de la même compagnie de Jésus, nous attirent tous les jours des demandes vives et pressantes de la part de nos vénérables frères les archevêques et évêques, et des personnes les plus distinguées de tous les ordres, surtout depuis que la renommée a publié de tous côtés l'abondance des fruits que cette compagnie produisait dans les régions qu'elle occupait, et sa fécondité dans la production de rejetons qui promettent d'étendre et d'orner de toutes parts le champ du Seigneur.

La dispersion même des pierres du sanctuaire causée par les calamités récentes, et des revers qu'il faut plutôt pleurer que rappeler à la mémoire, l'anéantissement des ordres réguliers (de ces ordres la gloire et l'ornement de la religion et de l'Église), dont la réunion et le rétablissement sont l'objet de nos pensées et de nos soins continuels, exigent que nous donnions notre assentiment à des voeux si unanimes et si justes. Nous nous croirions coupables devant Dieu d'une faute très-grave, si, au milieu des besoins pressants qu'éprouve la chose publique, nous négligions de lui prêter ce secours salutaire que Dieu, par une providence singulière, met entre nos mains, et si, placé dans la nacelle de saint Pierre sans cesse agitée par les flots, nous rejetions les rameurs robustes et expérimentés qui s'offrent à nous pour rompre la force des vagues qui menacent à tout instant de nous engloutir dans un naufrage inévitable.

Entraîné par des raisons si fortes et de si puissants motifs, nous avons résolu d'exécuter ce que nous désirions le plus ardemment dès le commencement de notre pontificat. A ces causes, après avoir imploré le secours divin par de ferventes prières, et recueilli les suffrages et les avis de plusieurs de nos vénérables frères les cardinaux de la sainte Église romaine, de notre science certaine, et en vertu de la plénitude du pouvoir apostolique, nous avons résolu d'ordonner et de statuer, comme en effet nous ordonnons et statuons, par cette présente et irrévocable constitution émanée de nous, que toutes les concessions faites et les facultés accordées par nous uniquement pour l'empire de Russie et le royaume des Deux-Siciles, soient, dès ce moment, étendues et regardées comme telles, comme de fait nous les étendons à toutes les parties de notre État ecclésiastique ainsi qu'à tous les autres États et domaines.

C'est pourquoi nous concédons et accordons à notre cher fils Thaddée Brozozowski, supérieur général de la compagnie de Jésus, et à ceux qui seront légitimement députés par lui, toutes les facultés nécessaires et convenables selon notre bon plaisir et celui du siège apostolique, pour pouvoir librement et licitement, dans tous les États et domaines ci-dessus mentionnés, admettre et recevoir tous ceux qui demanderont d'être admis et reçus dans l'ordre régulier de la compagnie de Jésus, lesquels réunis dans une ou plusieurs maisons, dans un ou plusieurs collèges, dans une ou plusieurs provinces, sous l'obéissance du supérieur général en exercice, et distribués selon l'exigence des cas, conformeront leur manière de vivre aux dispositions de la règle de saint Ignace de Loyola approuvée et confirmée par les constitutions apostoliques de Paul III. Nous permettons aussi, et voulons qu'ils aient la faculté de donner leurs soins à l'éducation de la jeunesse catholique dans les principes de la religion, et l'attachement aux bonnes moeurs, ainsi que de gouverner des séminaires et des collèges, et avec le consentement et l'approbation des ordinaires des lieux, dans lesquels ils pourront être demandés, d'entendre les confessions, de prêcher la parole de Dieu, et d'administrer les sacrements librement et licitement. Nous recevons dès à présent les maisons, les provinces et les membres de ladite compagnie ainsi que ceux qui pourront à l'avenir s'y associer et s'y agréger, sous notre garde, sous notre protection et obéissance, et celle du siège apostolique ; nous réservant et à nos successeurs les pontifes romains, de statuer et prescrire ce que nous croirons expédient pour établir et affermir plus en plus ladite compagnie, et réprimer les abus, si (ce qu'à Dieu ne plaise) il s'y en introduisait.

Nous avertissons et exhortons de tout notre pouvoir, tous et chacun des supérieurs, préposés, recteurs, associés et élèves quelconques de cette compagnie rétablie, de se montrer constamment et en tout lieu les dignes enfants et imitateurs de leur digne père, et d'un si grand instituteur ; à observer avec soin la règle qu'il leur a donnée et prescrite, et à s'efforcer de tout leur pouvoir de mettre en pratique les avis utiles et les conseils qu'il a donnés à ses enfants.

Enfin, nous recommandons dans le Seigneur à nos chers fils, les personnes nobles et illustres, aux princes et seigneurs temporels, ainsi qu'à nos vénérables frères les archevêques et évêques, et à toutes personnes constituées en dignité, la compagnie de Jésus et chacun de ses membres ; et nous les exhortons et prions de ne pas permettre ni de souffrir que personne les inquiète, mais de les recevoir avec bonté et charité.

Voulons que les présentes lettres et tout leur contenu demeurent perpétuellement fermes, valides et efficaces, qu'elles aient et sortissent leur plein et entier effet, et soient inviolablement observées en tout temps et par tous ceux à qui il appartiendra, et qu'il soit jugé et statué conformément à icelles par tout juge revêtu d'un pouvoir quelconque ; déclarons nul et de nul effet tout acte à ce contraire, de quelque autorité qu'il émane, sciemment ou par ignorance.

Nonobstant toutes constitutions et ordonnances apostoliques, et notamment les lettres susdites, en forme de bref, de Clément XIV d'heureuse mémoire, commençant par ces mots : Dominus ac Redemptor noster, expédiées sous l'anneau du pêcheur, le 21e jour de juillet de l'an du Seigneur 1773, auxquelles comme à toutes autres contraires nous dérogeons expressément à l'effet des présentes.

Voulons toutefois que la même foi soit ajoutée soit en justice, soit ailleurs, aux copies collationnées ou imprimées, souscrites par un notaire public, et revêtues du sceau d'une personne constituée en dignité ecclésiastique, qu'aux présentes mêmes, si elles étaient exhibées ou montrées.

Qu'il ne soit donc permis à personne d'enfreindre ou de contredire, par une entreprise téméraire, la teneur de notre ordonnance, statut, extension, concession, indult, déclaration, faculté, réserve, avis, exhortation, décret et dérogation ; et si quelqu'un ose le tenter, qu'il sache qu'il encourra l'indignation du Dieu tout-puissant et des bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul.

Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure, l'an de l'Incarnation de Notre-Seigneur mil huit cent-quatorze, le sept du mois d'août, et de notre pontificat la quinzième année.

Traduction extraite de l'ouvrage " Clément XIII et Clément XIV ", par le P. de Ravignan, de la compagnie de Jésus, Paris, Julien, Lanier et Cie, éditeurs, 1854



Textes du magistère - A S. E. M. LE CARDINAL DE LA ROCHEFOUCAULT