Saint Benoit, Règle - Chapitre 36 : LES FRERES MALADES

Chapitre 36 : LES FRERES MALADES


1 On prendra soin des malades avant tout et par-dessus tout. On les servira comme s'ils étaient le Christ en personne,
2 puiqu'il a dit: "J'ai été malade et vous m'avez visité" (Mt 25,36),
3 et "ce que vous avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait." (Mt 25,40)
4 De leur côté, les malades considéreront que c'est en l'honneur de Dieu qu'on les sert. Aussi ils ne mécontenteront pas par des exigences superflues les frères qui les servent.
5 Eventuellement, il faudrait cependant les supporter avec patience, parce qu'il en revient plus de mérite.
6 L'abbé veillera donc avec un très grand soin à ce que les malades ne souffrent d'aucune négligence.
7 On assignera aux frères malades un logis particulier et, pour leur service, un frère craignant Dieu, diligent et soigneux.
8 On offrira aux malades l'usage des bains toutes les fois qu'il sera expédient; mais on l'accordera plus rarement aux bien-portants, principalement aux jeunes.
9 On concédera également aux malades tout à fait débiles l'usage de la viande afin de réparer leurs forces; mais lorsqu'ils seront rétablis, ils s'en abstiendront tous, comme à l'ordinaire.
10 L'abbé veillera donc avec un très grand soin à ce que les cellériers et les servants ne négligent point les malades; c'est lui-même, en effet, qui est responsable de tout manquement commis par ses disciples.


Chapitre 37 : LES VIEILLARDS ET LES ENFANTS


1 Bien que la nature nous porte assez par elle-même à avoir compassion des viellards et des enfants, il est bon de pourvoir encore à leurs besoins par l'autorité de la Règle.
2 On aura donc toujours égard à leur faiblesse, on ne les astreindra pas à la rigueur de la Règle en ce qui touche l'alimentation.
3 Mais on usera envers eux d'une tendre condescendance et ils devanceront les heures régulières des repas.


Chapitre 38 : LE LECTEUR DE SEMAINE


1 La lecture ne doit jamais manquer à la table des frères. Il ne faut pas que, au hasard, quelqu'un s'empare du livre et fasse la lecture; mais un lecteur désigné pour toute la semaine entrera en fonction le dimanche.
2 Avant de commencer sa semaine, après la Messe et la Communion, il demandera à toute la communauté de prier pour lui afin que Dieu le préserve de l'esprit d'orgueil.
3 A cet effet, tous diront trois fois dans l'oratoire ce verset après lui: "Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange." (Ps 50,17)
4 Et ayant ainsi reçu la bénédiction, il entrera en fonction.
5 On gardera un silence parfait à table en sorte qu'on n'y entende aucun chuchotement ni parole, mais seulement la voix du lecteur.
6 Quant aux choses nécessaires pour la nourriture et la boisson, les frères se les serviront mutuellement de façon que personne n'ait besoin de rien demander.
7 Si toutefois il leur manque quelque chose, ils le demanderont plutôt par quelque signe que par la parole.
8 Que personne n'ait la hardiesse de faire à ce moment des questions sur la lecture ou sur quelque autre sujet, pour ne donner aucun prétexte à la dissipation.
9 Toutefois le supérieur pourra dire quelques mots pour l'édification, s'il le juge à propos.
10 Le lecteur de semaine prendra le "mixte" (Le mixte¦ consistait probablement en du vin "mêlé d'eau, suivant l'usage des Romains. Cette boisson, accordée au lecteur pour le soutenir, tenait aussi lieu d'ablution, empêchant qu'aucune parcelle eucharistique ne restât dans la bouche) avant de commencer la lecture, à cause de la sainte Communion, et de peur que le jeûne ne lui soit pénible.
11 La lecture finie, il prendra son repas avec les semainiers et les serviteurs de la cuisine.
12 Au reste, les frères ne liront et ne chanteront point chacun à son tour, mais ceux-là seulement qui édifient les auditeurs.


Chapitre 39 : LA MESURE DE LA NOURRITURE


1 Il suffit, nous semble-t-il, pour le repas quotidien - qu'il ait lieu à la sixième heure ou à la neuvième - à toutes les tables, de deux mets cuits, à cause des infirmités diverses.
2 Ainsi celui qui ne pourra s'accommmoder d'un mets pourra manger l'autre.
3 Deux mets cuits devront donc suffire à tous les frères. De plus, s'il se trouve des fruits ou des légumes frais, on ajoutera un troisième plat.
4 Une livre de pain, à bon poids, sera suffisante pour la journée, soit qu'il n'y ait qu'un repas, soit qu'il y ait dîner et souper. (Il est difficile de déterminer la valeur de cette "livre" de pain à bon poids. Peut-être un kilo, ce qui peut paraître énorme à première vue. Mais il faut se rappeler que le pain constituait le principal de la nourriture des moines, comme d'ailleurs des paysans d'alors)
5 Si l'on doit souper, le cellérier réservera un tiers de cette livre de pain pour la servir alors.
6 S'il arrive que les frères ont travaillé plus qu'à l'ordinaire, l'abbé pourra, s'il le juge opportun, ajouter encore quelque chose,
7 pourvu qu'on évite tout excès et que jamais un moine ne soit surpris par l'indigestion.
8 Rien, en effet, n'est aussi contraire à tout chrétien que l'excès de table,
9 comme dit Notre-Seigneur: "Prenez garde que vos coeurs ne s'appesantissent par l'excès." (Lc 21,34)
10 Aux enfants on ne servira pas la même quantité de nourriture, mais une plus petite qu'aux adultes, en gardant la sobriété en tout.
11 Mais tous s'abstiendront absolument de la chair des quadrupèdes, excepté les malades très affaiblis.


Chapitre 40 : LA MESURE DE LA BOISSON


1 Chacun "a reçu de Dieu son don particulier: l'un celui-ci, l'autre celui-là." (1Co 7,7)
2 Aussi avons-nous quelque scrupule à régler l'alimentation d'autrui.
3 Toutefois, ayant égard au tempérament des faibles, nous pensons qu'une "hémine" (Les commentateurs cherchent, sans y parvenir, à préciser la contenance de l'hémine. Elle équivalait probablement à un quart de litre) de vin par jour suffit à chacun.
4 Ceux à qui Dieu donne la grâce de s'en abstenir, sauront qu'ils recevront une grâce particulière.
5 Si la situation du lieu, ou le travail, ou l'ardeur de l'été demandent davantage, le supérieur en décidera; mais il veillera en tout à ce qu'on ne tombe ni dans la satiété ni dans l'ivresse.
6 Nous lisons, il est vrai, que le vin ne convient aucunement aux moines. Mais comme on ne peut le persuader aux moines de notre temps, accordons-nous du moins de ne pas boire jusqu'à satiété, mais avec sobriété :
7 parce que "le vin fait apostasier même les sages." (Si 19,2)
8 Si la pauvreté du lieu est telle qu'on ne puisse se procurer cette mesure de vin, mais beaucoup moins ou rien du tout, ceux qui y demeurent béniront Dieu et ne se plaindront point.
9 C'est l'avertissement que nous donnons avant tout: qu'ils s'abstiennent de murmurer.


Chapitre 41 : A QUELLE HEURE LES FRERES DOIVENT PRENDRE LEUR REPAS


1 Depuis la sainte Pâque jusqu'à la Pentecôte, les frères dîneront à la sixième heure (La sixième heure¦, ou heure de Sexte, finit invariablement à midi) et souperont le soir.
2 Depuis la Pentecôte, au cours de tout l'été, s'ils n'ont point à peiner aux champs ou si la chaleur excessive de l'été ne les accable, ils jeûneront jusqu'à la neuvième heure, les merdredi et vendredi. (Cet usage de jeûner le mercredi et le vendredi remontait à l'âge apostolique. La neuvième heure¦ commençait, en été, vers deux heures et demie)
3 Aux autres jours, ils dîneront à la sixième heure.
4 Ils continueront de dîner à cette heure-là, quand ils travailleront aux champs ou si l'ardeur de l'été est extrême. Il appartiendra à l'abbé d'y pourvoir.
5 A lui de régler toutes choses et de les disposer de telle sorte que les âmes se sauvent et que les frères accomplissent leur tâche sans motif légitime de murmure.
6 Depuis le 13 septembre jusqu'au commencement du Carême, ils prendront toujours leur repas à la neuvième heure.
7 Pendant le Carême jusqu'à Pâques, ils mangeront après les Vêpres.
8 Les Vêpres elles-mêmes seront célébrées de façon que l'on n'ait pas besoin de la lumière d'une lampe durant le repas, mais que tout puisse encore être fini à la clarté du jour.
9 Et même en tout temps, on réglera l'heure du souper et du dîner, de façon que tout se fasse à la lueur du jour.


Chapitre 42 : QUE PERSONNE NE PARLE APRES COMPLIES


1 Les moines doivent s'appliquer au silence en tout temps, mais principalement pendant la nuit.
2 C'est pourquoi, en toute saison, soit que l'on jeûne, soit que l'on dîne,
3 si c'est une époque où l'on dîne, aussitôt après le repas du soir, les frères iront s'asseoir tous ensemble en un même lieu: l'un d'eux lira les Conférences ou les Vies des Pères ou quelque autre chose qui puisse édifier les auditeurs. (Ce sont les Conférences de Cassien (v. 360-435). Les Vies des Pères sont des biographies célèbres de moines, dues à divers auteurs; parmi elles, l'Histoire des moines en Egypte que Rufin traduisit du grec en latin)
4 On ne lira pourtant pas alors l'Heptateuque ou le livre des Rois, parce qu'il ne serait pas bon pour les esprits faibles d'entendre, à cette heure-là, cette partie de l'Ecriture. On pourra la lire à d'autres moments.
5 Donc, en période de jeûne, après le chant des Vêpres, suivi d'un court intervalle, les frères se rendront promptement à la lecture dont nous avons parlé.
6 On lira quatre ou cinq feuillets, ou autant que l'heure le permettra,
7 tandis que tous s'empressent de rejoindre la réunion pendant la durée de cette lecture, y compris ceux qui auraient été occupés à quelque obédience.
8 Tous étant ainsi assemblés, on récitera Complies. Au sortir de cette Heure, il ne sera plus permis à personne de dire quoi que ce soit.
9 Si quelqu'un viole cette règle du silence, il sera puni rigoureusement ;
10 on excepte les cas urgents d'hospitalité ou un ordre de l'abbé.
11 Mais, même en ces circonstances, tout se fera avec une extrême gravité et une parfaite retenue.


Chapitre 43 : CEUX QUI ARRIVENT EN RETARD A L'OEUVRE DE DIEU OU A LA TABLE


1 A l'heure de l'office divin, aussitôt le signal entendu, on quittera tout ce qu'on a dans les mains, et l'on se hâtera d'accourir,
2 avec gravité néanmoins afin de ne pas donner aliment à la dissipation.
3 On ne préfèrera donc rien à l'Oeuvre de Dieu.
4 Si quelqu'un arrive aux Vigiles après le Gloria du psaume quatre-vingt-quatorze - qui devra, pour ce motif, être récité en traînant et lentement - il ne prendra point son rang au choeur,
5 mais la dernière place, ou se retirera à l'endroit que l'abbé aura désigné pour les négligents de cette sorte, et d'où il puisse être vu par lui et par toute la communauté.
6 Il y demeurera jusqu'à ce que, l'Oeuvre de Dieu étant terminée, il fasse pénitence par une satisfaction publique.
7 Si nous avons jugé à propos de placer les retardataires au dernier rang ou à l'écart, c'est afin que la honte qu'ils éprouveront d'être exposés au regard de tous serve à les corriger.
8 Car s'ils demeuraient hors de l'oratoire, il s'en pourrait trouver qui iraient se recoucher pour dormir ou qui, assis dehors s'amuseraient à bavarder, donnant ainsi occasion au malin de les tenter.
9 Il vaut donc mieux qu'ils entrent à l'oratoire; ainsi ils ne perdront pas tout, et ills auront des chances de se corriger.
10 Aux Heures du jour, celui qui arrivera à l'office divin après le verset et le Gloria du premier psaume dit après le verset, se tiendra au dernier rang, selon la règle que nous venons d'établir.
11 Il ne se permettra point de se joindre à la psalmodie chorale avant d'avoir fait satisfaction, à moins que l'abbé ne lui en donne la permission, avec son pardon.
12 Même dans ce cas, il devra encore réparer la faute qu'il a commise.
13 A la table, celui qui n'arrivera pas avant le verset, de façon que les frères puissent le réciter tous ensemble avec la prière et se mettre à table en même temps :
14 si c'est par négligence ou par sa faute qu'il n'est pas arrivé à temps, il sera repris jusqu'à deux fois.
15 Si ensuite il ne s'amende pas, il ne pourra plus participer à la table commune,
16 mais il prendra son repas tout seul, séparé de la compagnie de ses frères et privé de sa portion de vin, jusqu'à ce qu'il ait satisfait et qu'il se soit corrigé.
17 On traitera de la même manière celui qui ne se trouvera pas au verset qu'on dit après le repas.
18 Nul ne se permettra de manger ou de boire quoi que ce soit, avant ou après l'heure fixée pour le repas.
19 S'il arrive que le supérieur effre quelque chose à un frère et que celui-ci ne l'accepte pas, lorsqu'il viendra à désirer ce qu'il avait d'abord refusé ou quelque autre chose, on ne lui accordera absolument rien jusqu'à ce qu'il ait fait une satisfaction convenable.


Chapitre 44 : COMMENT LES EXCOMMUNIES FONT SATISFACTION


1 Celui qui, pour faute grave, aura été excommunié de l'oratoire et de la table commune, demeurera prosterné, devant la porte de l'oratoire, pendant qu'on y célèbrera l'Oeuvre de Dieu, et ne dira mot ;
2 mais il se tiendra le visage contre terre et le corps étendu, aux pieds de tous ceux qui sortent de l'oratoire.
3 Il continuera cette pratique jusqu'à ce que l'abbé juge la satisfaction suffisante.
4 Et lorsque l'abbé le lui aura commandé, il viendra se jeter à ses pieds et à ceux de tous les frères, afin qu'ils prient pour lui.
5 Alors, si l'abbé l'ordonne, il sera reçu au choeur et occupera le rang que l'abbé aura déterminé.
6 Il ne lui sera cependant pas permis, sans un nouvel ordre de l'abbé, ni d'entonner un psaume, ni de lire une leçon ou quoi que ce soit.
7 De plus, à toutes les Heures, au moment où s'achève l'Oeuvre de Dieu, il se prosternera à terre, à la place qu'il occupe,
8 et fera ainsi satisfaction jusqu'à ce que l'abbé lui ordonne de cesser.
9 Ceux qui, pour des fautes légères, sont excommuniés seulement de la table, satisferont dans l'oratoire; ils le feront jusqu'à ce que l'abbé les en dispense,
10 en leur donnant sa bénédiction, et en disant :"Cela suffit."


Chapitre 45 : CEUX QUI SE TROMPENT A L'ORATOIRE


1 Lorsque quelqu'un se trompe en récitant un psaume, un répons, une antienne ou une leçon, s'il ne s'en humilie point sur place, devant tout le monde, en faisant satisfaction, il sera soumis à une correction plus sévère :
2 c'est qu'en effet il n'a pas voulu corriger par un acte d'humilité la faute qu'il a commise par sa négligence.
3 Les enfants, pour ces sortes de fautes, seront battus de verges.


Chapitre 46 : CEUX QUI FONT DES FAUTES EN QUELQUE AUTRE CHOSE


1 Lorsqu'un moine dans un travail quelconque à la cuisine, au cellier, dans un service, à la boulangerie, au jardin, dans l'exercice d'un métier, ou en quelque lieu que ce soit, fait une faute,
2 brise ou perd quelque chose, ou commet un autre délit,
3 il ira aussitôt s'en accuser spontanément devant l'abbé et la communauté.(Cette pratique a donné naissance au "chapitre des coulpes") S'il ne le fait pas
4 et que son manquement soit connu par un autre, il subira une peine plus sévère.
5 Mais s'il s'agit d'un péché secret de l'âme, il le manifestera seulement à son abbé ou aux pères spirituels, (Ces pères spirituels étaient des anciens que leur äge, leur expérience, leurs connaissances avaient rendus experts dans la voie spirituelle)
6 qui sachent guérir et leurs propres plaies et celles des autres sans les découvrir ni les divulguer.


Chapitre 47 : LA CHARGE D'ANNONCER L'OEUVRE DE DIEU


1 La charge d'annoncer l'heure de l'Oeuvre de Dieu, aussi bien le jour que la nuit, incombe à l'abbé. Il l'exercera lui-même, ou la confiera à un frère si ponctuel que l'office se fasse toujours aux heures prescrites. (Avec les moyens rudimentaires dont on disposait alors, il n'était pas facile de compter les heures, d'autant que la longueur de celles-ci variait d'un jour à l'autre)
2 Ceux qui en auront reçu l'ordre, entonneront psaumes et antiennes, à leur rang, après l'abbé.
3 Personne n'aura la présomption de chanter ou de lire s'il ne peut s'acquitter de cette fonction de manière à édifier les assistants.
4 Celui qui en aura reçu l'ordre de l'abbé le fera avec humilité, gravité et profond respect.


Chapitre 48 : LE TRAVAIL MANUEL DE CHAQUE JOUR


1 L'oisiveté est ennemie de l'âme. Les frères doivent donc consacrer certaines heures au travail des mains et d'autres à la lecture des choses divines.
2 C'est pourquoi nous croyons pouvoir régler l'une et l'autre de ces occupations de la manière suivante :
3 De Pâques au 13 septembre, les frères sortiront dès le matin pour s'employer aux travaux nécessaires, depuis la première heure du jour jusqu'à la quatrième environ ;
4 depuis la quatrième jusqu'à la sixième, ils s'adonneront à la lecture.
5 Après la sixième heure, leur dîner fini, ils se reposeront sur leur lit dans un parfait silence. Si quelqu'un veut lire, il pourra le faire tout bas de façon à n'incommoder personne. (Les anciens avaient coutume de lire, même en privé, à voix haute ou modérée)
6 On dira None plus tôt qu'à l'ordinaire, environ à la huitième heure et demie. Après quoi, ils se mettront de nouveau à l'ouvrage jusqu'aux Vêpres.
7 Si les frères se trouvent obligés, par la nécessité ou la pauvreté, à travailler eux-mêmes aux récoltes, ils ne s'en affligeront point ;
8 c'est alors qu'ils seront vraiment moines, lorsqu'ils vivront du travail de leurs mains, à l'exemple de nos pères et des Apôtres.
9 Que tout néanmoins se fasse avec modération, par égard pour les faibles.
10 A partir du 13 septembre jusqu'au commencement du Carême, les frères vaqueront à la lecture jusqu'à la fin de la deuxième heure ;
11 puis on dira Tierce. Ensuite, ils travailleront jusqu'à la neuvième heure à l'ouvrage qui leur aura été enjoint.
12 Au premier coup de None, ils quitteront tous leur travail de façon à être prêts quand le second coup sonnera.
13 Après le repas, ils s'appliqueront à leurs lectures ou à l'étude des psaumes.
14 Durant tout le Carême, ils s'appliqueront à la lecture depuis le matin jusqu'à la fin de la troisième heure; ils feront ensuite jusqu'à la dixième heure entière le travail qui leur a été enjoint.
15 En ces jours de Carême, chacun recevra un livre tiré de la bibliothèque, qu'il lira à la suite et en entier. (Le mot bibliotheca a eu le sens de Sainte Ecriture. Bien qu'on ne puisse pas exclure ici cette signification, il semble qu'on doive cependant s'en tenir au sens ordinaire et commun de bibliothèque)
16 Ces livres seront distribués au début du Carême.
17 On ne manquera pas de nommer un ou deux anciens, qui parcourent le monastère aux heures consacrées à la lecture.
18 Ils examineront s'il ne se trouve pas quelque moine paresseux, perdant son temps à l'oisiveté ou au bavardage, au lieu de s'appliquer à la lecture, et qui ainsi, non seulement se nuit à lui-même, mais dissipe les autres.
19 Si, à Dieu ne plaise ! un frère est surpris en cette faute, on le reprendra jusqu'à deux fois.
20 S'il ne s'amende point, on le soumettra à la correction régulière, de façon à inspirer de la crainte aux autres.
21 Un moine ne se joindra pas à un autre aux heures indues.
22 Le dimanche, tous vaqueront à la lecture, excepté ceux qui sont employés à divers offices.
23 Si toutefois quelqu'un était si négligent et paresseux qu'il ne voulût ou ne pût ni méditer ni lire, on l'appliquera à quelque travail, afin qu'il ne demeure pas oisif.
24 Quant aux frères malades ou délicats, on leur donnera tel ouvrage ou métier qui les garde de l'oisiveté, sans les accabler ni les porter à s'esquiver.
25 L'abbé doit avoir leur faiblesse en considération.


Chapitre 49 : L'OBSERVANCE DU CAREME


1 La vie d'un moine devrait être, en tout temps, aussi observante que durant le Carême.
2 Mais, comme il en est peu qui possèdent cette perfection, nous exhortons tous les frères à vivre en toute pureté pendant le Carême,
3 et à effacer, en ces jours sacrés, toutes les négligences des autres temps.
4 Nous le ferons dignement, si nous nous préservons alors de tous les vices, si nous appliquons à la prière avec larmes, à la lecture, à la componction du coeur et au renoncement.
5 En ces jours donc, ajoutons quelque chose à la tâche accoutumée de notre service: oraisons particulières, restriction dans les aliments et la boisson.
6 Chacun offrira de sa propre volonté à Dieu, dans la joie du Saint-Esprit, quelque pratique surérogatoire; (allusion 1Th 1,6)
7 il retranchera à son corps sur la nourriture, la boisson, le sommeil, les entretiens; et il attendra la sainte Pâque avec la joie du désir spirituel.
8 Chacun cependant soumettra à son abbé ce qu'il se propose d'offrir à Dieu et n'agira qu'avec sa prière et son approbation :
9 car tout ce qui se fait sans la permission du père spirituel sera imputé à présomption et à vaine gloire, non à mérite.
10 Partant, tout doit se faire avec l'assentiment de l'abbé.


Chapitre 50 : LES FRERES QUI TRAVAILLENT LOIN DE L'ORATOIRE OU QUI SONT EN VOYAGE


1 Les frères qui travaillent fort loin et qui ne peuvent revenir à l'oratoire aux heures voulues -
2 l'abbé ayant jugé qu'il en est bien ainsi -
3 accompliront l'Oeuvre de Dieu sur place et à genoux, avec le respect dû à Dieu.
4 De même, ceux qui sont envoyés en voyage ne laisseront point passer les Heures prescrites; ils les diront comme ils pourront, en leur particulier, et ne négligeront pas de s'acquitter de ce devoir de leur service.


Chapitre 51 : LES FRERES QUI NE S'EN VONT QU'A FAIBLE DISTANCE


1 Le frère qui est envoyé à l'extérieur pour une affaire quelconque et espère rentrer le même jour au monastère ne se permettra pas de manger au-dehors, même s'il est invité instamment par qui que ce soit -
2 à moins, bien entendu, que l'abbé ne l'ait autorisé ;
3 à défaut de quoi, ce frère sera excommunié.


Chapitre 52 : L'ORATOIRE DU MONASTERE


1 L'oratoire sera ce que signifie son nom. On n'y fera et on n'y déposera rien d'étranger à sa destination.
2 Après l'Oeuvre de Dieu, tous les frères sortiront dans un profond silence, et ils auront pour Dieu la révérence qui lui est due ;
3 de la sorte, si peut-être un frère veut y prier en son particulier, il n'en sera pas empêché par l'importunité d'autrui.
4 D'ailleurs, si, à d'autres moments, un moine veut faire discrètement oraison, qu'il entre simplement et qu'il prie: non pas avec des éclats de voix, mais avec larmes et ferveur du coeur.
5 A qui ne se conduirait pas ainsi, on ne permettra donc pas de demeurer à l'oratoire après l'Oeuvre de Dieu, de peur, comme il a été dit, qu'il ne gêne autrui.


Chapitre 53 : LA RECEPTION DES HOTES


1 Tous les hôtes qui arrivent seront reçus comme le Christ, car lui-même doit dire un jour: "J'ai demandé l'hospitalité et vous m'avez reçu." (Mt 25,35)
2 A tous, on témoignera l'honneur qui leur est dû, surtout aux proches dans la foi et aux pélerins. (allusion Ga 6,10 L'expression domestici fidei, tirée de Gal 6, 10, désigne ceux qui font tout particulièrement partie de la maison (domus) de l'Eglise, par exemple les clercs et les moines)
3 Dès qu'un hôte aura été annoncé, le supérieur et les frères se hâteront au-devant de lui avec toutes les marques de la charité.
4 Aprés avoir fait la prière ensemble, on échangera la paix.
5 Ce baiser de paix ne se donnera qu'après la prière, pour déjouer les artifices du démon. (Allusion à certains faits rapportés dans les Vies des moines d'Orient)
6 Dans ce salut, on témoignera à tous les hôtes une profonde humilité et, soit à leur arrivée, soit à leur départ,
7 c'est par une inclination de tête ou une prostration du corps qu'on adorera en eux le Christ même qu'on reçoit.
8 Aussitôt accueillis, les hôtes seront conduits à la prière. Puis le supérieur, ou tel autre qui en aura reçu mandat, s'assiéra en leur compagnie
9 et on leur lira l'Ecriture Sainte, pour leur édification. Ensuite on leur témoignera toute l'humanité possible.
10 Le supérieur rompra le jeûne pour manger avec eux, à moins qu'il ne s'agisse d'un jeûne important qu'on ne puisse enfreindre.
11 Quant aux frères, ils garderont leurs jeûnes accoutumés.
12 L'abbé versera de l'eau sur les mains des hôtes ;
13 lui-même, aidé de la communauté, leur lavera les pieds.
14 Ce qu'ayant fait, ils diront: "Nous avons reçu, Seigneur, ta miséricorde au milieu de ton temple." (Ps 47,10)
15 Ce sont aux pauvres et aux pélerins surtout qu'on manifestera le plus d'attentions parce que c'est particulièrement en leur personne que l'on reçoit le Christ. Pour les riches, en effet, la crainte de leur déplaire porte d'elle-même à les honorer.
16 La cuisine de l'abbé et des hôtes se fera à part; ainsi les hôtes, qui ne manquent jamais au monastère et qui arrivent à toute heure, ne troubleront point la vie des frères.
17 Tous les ans, on confiera la charge de cette cuisine à deux frères qui puissent bien s'en acquitter.
18 On leur donnera, si besoin, des aides afin qu'ils travaillent sans murmure. Quand ils ne seront pas suffisamment occupés, ils s'emploieront à d'autres ouvrages qu'on leur indiquera.
19 On observera cette règle, non seulement pour eux mais pour tous les offices du monastère,
20 en leur accordant des aides selon leur besoin et en les envoyant à d'autres devoirs lorsqu'ils ne seront pas occupés au leur.
21 Pour prendre soin du logement des hôtes on désignera un frère, dont l'âme soit remplie de la crainte de Dieu.
22 Il y aura des lits garnis en nombre suffisant. Ainsi la maison de Dieu sera sagement administrée par des gens sages.
23 Aucun moine n'abordera les hôtes, ni leur parlera sans permission.
24 S'il les rencontre ou les aperçoit, il les saluera humblement, comme il a été dit, et ayant demandé une bénédiction (Le mot Benedicite (bénissez) était employé à cette époque, dans le sud de l'Italie, pour se saluer, comme de nos jours encore, dans certains pays catholiques, on prononce quelque formule pieuse), il passera outre, ajoutant qu'il ne lui est pas permis de s'entretenir avec les hôtes.


Chapitre 54 : SI UN MOINE PEUT RECEVOIR DES LETTRES OU QUELQUE AUTRE CHOSE


1 Il n'est pas licite à un moine, sans autorisation de l'abbé, de recevoir, ni de ses parents ni de qui que ce soit, ni même entre eux, des lettres, des cadeaux,(Eulogiae signifie les aliments bénis (pain, vin, etc) qu'on s'offrait, surtout après l'eucharistie, en témoignage de communion dans une même foi. Il désigne aussi des petits dons ou cadeaux (médailles, reliques, images, fruits, etc)) ou de petits présents quelconques, et pas davantage d'en donner.
2 Si les parents lui envoient quelque chose, il n'aura pas la hardiesse de le recevoir avant d'en avertir l'abbé.
3 Celui-là, s'il permet d'accepter l'objet, pourra le donner à qui lui plaira.
4 Le frère à qui on l'avait envoyé, ne s'en attristera pas, de peur de donner au diable une chance. (allusion Ep 4,27 1Tm 5,14)
5 Celui qui enfreindra cette règle sera puni des peines régulières.


Chapitre 55 : LES VETEMENTS ET LES CHAUSSURES DES FRERES


1 Pour les habits à donner aux frères, on aura égard aux conditions et au climat des lieux qu'ils habitent. (Question embarrassante que celle du costume bénédictin primitif. Tout bien pesé, il semble qu'il ne différait guère de celui des paysans d'alors)
2 Il leur en faut davantage dans les régions froides et moins dans les pays chauds.
3 C'est à l'abbé d'apprécier cette différence.
4 Nous estimons toutefois que, dans les endroits tempérés, une coule et une tunique suffisent pour chaque moine: (La coule était le vêtement de dessus: elle consistait, semble-t-il, en un manteau à vaste capuchon. La tunique, ou vêtement de dessous, était portée à Rome depuis longtemps par tout le monde; à l'époque de saint Benoît, elle s'était allongée et avait des manches. Elle était serrée à la taille par une ceinture, qui servait aussi à relever la tunique, pour travailler, ou pour marcher)
5 coule velue en hiver, en été légère et usagée; avec cela,
6 un scapulaire pour le travail; pour couvrir les pieds, des bas et des souliers. (Le scapulaire était un vêtement accessoire qu'on ne mettait que pour faciliter le travail. Il devait consister en une sorte de bande qui, passée autour du cou et croisée sur la poitrine et le dos, serrait la tunique plus ou moins flottante)
7 Les moines ne se mettront pas en peine de la couleur ou de la grossièreté de ces divers objets. Ils se contenteront de ce qu'on pourra trouver au pays qu'ils habitent ou se procurer à meilleur marché.
8 Quant à la mesure des habits, l'abbé veillera à ce qu'ils ne soient pas trop courts mais à la taille de chacun.
9 Lorsqu'on en recevra de neufs, on rendra toujours et immédiatement les vieux qui seront déposés au vestiaire pour les pauvres.
10 Il suffit, en effet, à un moine d'avoir deux tuniques et deux coules pour en changer la nuit, et pour pouvoir les laver.
11 Tout ce qu'on porrait avoir en plus est superflu et doit être retranché.
12 Les frères rendront également les vieilles chaussures et tout ce qui est usé, lorqu'ils recevront du neuf.
13 Ceux qui sont en voyage recevront du vestiaire des caleçons; à leur retour, ils les restitueront, après les avoir lavés. (Le port de caleçons en voyage s'explique par un motif de décence, les voyageurs ayanr l'habitudede se trousser très haut)
14 Les coules et tuniques seront un peu meileures que celles qu'ils portent d'habitude. Reçues du vestiaire au départ, elles y seront remises à la rentrée.
15 Les lits auront pour toute garniture une paillasse, un drap, une couverture de laine et un oreiller.
16 L'abbé fera souvent la visite de ces lits, de crainte qu'il ne s'y trouve quelque objet qu'on se serait approprié.
17 Et si l'on découvrait dans la couche d'un frère quelque chose qu'il n'eût pas reçu de l'abbé, il serait soumis à une très grave punition.
18 Et pour couper jusqu'à la racine ce vice de la propriété, l'abbé donnera tout ce qui est nécessaire,
19 à savoir coule, tunique, souliers, bas, ceinture, couteau, stylet, aiguille, mouchoir, tablettes. (A cette époque on se servait généralement pour écrired'un stylet avec lequel on traçait des caractères sur des tablettes (tabulae) enduites de cire) De cette façon, on ôte toute excuse tirée de la nécessité.
20 L'abbé cependant doit toujours tenir compte de cette parole des Actes des Apôtres: "On donnait à chacun selon ses besoins." (Ac 4,35)
21 Il aura donc égard aux besoins des faibles et non à la mauvaise disposition des envieux.
22 Mais qu'en toutes ces décisions, il se souvienne que Dieu lui rendra selon ses oeuvres.


Chapitre 56 : LA TABLE DE L'ABBE


1 L'abbé prendra toujours ses repas avec les hôtes et les pèlerins.
2 Quand les hôtes seront moins nombreux, il pourra appeler à sa table ceux des frères qu'il voudra.
3 Toutefois il laissera toujours avec les frères un ou deux anciens pour le bon ordre de la discipline.


Chapitre 57 : LES ARTISANS DU MONASTERE


1 S'il y a des artisans dans le monastère, ils exerceront leur métier en toute humilité, à la condition que l'abbé le leur permette.
2 Si l'un d'eux venait à s'enorgueillir de ce qu'il sait faire, se persuadant qu'il apporte quelque profit au monastère,
3 on lui interdira l'exercice de son métier et il ne s'en occupera plus, à moins qu'il ne se soit humilié et que l'abbé ne lui ait commandé d'y retourner.
4 Si l'on doit vendre des ouvrages de ces artisans, ceux qui feront la transaction se garderont biende commettre aucune fraude.
5 Ils se souviendront toujours d'Ananie et de Saphire, de peur que la mort que ceux-ci subirent dans leur corps, ils ne la subissent dans leur âme, (Ac 5,1-11)
6 eux et tous ceux qui commettraient de la fraude au sujet des biens du monastère.
7 Pour ce qui concerne les prix, on verra à ce que l'avarice ne s'y glisse pas.
8 Au contraire, on vendra un peu moins cher que les séculiers,
9 "afin qu'en tout Dieu soit glorifié." (1P 4,11)



Saint Benoit, Règle - Chapitre 36 : LES FRERES MALADES