Saint Benoit, Règle - Chapitre 58 : LA MANIERE DE RECEVOIR LES FRERES

Chapitre 58 : LA MANIERE DE RECEVOIR LES FRERES


1 On n'accordera pas facilement l'entrée à celui qui vient s'y engager dans la vie religieuse ;
2 mais on fera ce que dit l'Apôtre: "Eprouvez les esprits pour discerner s'ils sont de Dieu." (1Jn 4,1)
3 Si le postulant persévère à frapper à la porte, et s'il supporte patiemment les rebuffades et les difficultés qui lui sont faites à son entrée, et s'il persiste dans sa demande depuis quatre ou cinq jours,
4 il obtiendra alors la permission d'entrer. Il passera quelques jours dans le logis des hôtes.
5 Ensuite, il passera dans le logis des novices, où ils méditent, mangent et dorment.
6 On lui donnera, pour le conduire, un ancien qui soit apte à gagner les âmes et qui veillera sur lui très attentivement.
7 Il examinera avec attention si le novice cherche vraiment Dieu, s'il est attentif à l'Oeuvre de Dieu, à l'obéissance et aux humiliations.
8 On lui fera connaître toutes les choses dures et âpres par lesquelles on va à Dieu.
9 S'il promet de persévérer en sa résolution, alors, après deux mois, on lui lira cette Règle tout au long,
10 et on lui dira: "Voici la loi sous laquelle tu veux militer. Si tu peux l'observer, entre; sinon, tu es libre de te retirer."
11 S'il persiste, on le reconduira au susdit logement des novices, et on se remettra à éprouver de toute manière sa patience.
12 Au bout de six mois, on lui lira encore la Règle, afin qu'il sache à quoi il s'engage.
13 S'il persévère toujours, aprés quatre autres mois, on lui relira encore une fois la même Règle.
14 Si enfin, après mûre délibération, il promet de la garder dans tous ses points et d'observer tout ce qui est commandé, il sera reçu dans la communauté,
15 sachant au surplus que, en vertu de la Règle, il ne lui est plus permis, à partir de ce jour, de sortir du monastère,
16 ni de secouer le joug de cette Règle, qu'après une aussi longue délibération il a été à même de refuser ou d'accepter.
17 Avant d'être reçu, il promettra donc publiquement, dans l'oratoire, stabilité (La stabilité désigne non seulement un état, mais aussi l'agrégation à une communauté. De ce fait, elle est stabilité dans un lieu, et, en-dehors de quelques cas extraordinaires, elle lie pour toujours un moine à un monastère particulier), vie religieuse et obéissance
18 en la présence de Dieu et de ses saints, en sorte que, si jamais il fait autrement, il sache qu'il sera damné par celui dont il se moque.
19 De cette promesse, il fera une demande écrite au nom des Saints dont les reliques sont en ce lieu, et de l'abbé présent.
20 Il écrira cette demande de sa propre main, ou du moins, s'il est illettré, il priera un autre de l'écrire pour lui. Le novice lui-même la signera, et de sa main la déposera sur l'autel.
21 Losqu'il l'y aura placée, il entonnera aussitôt ce verset: "Reçois-moi, Seigneur, selon ta parole, et je vivrai, et ne me confonds pas dans mon attente." (Ps 118,116)
22 Toute la communauté répétera trois fois ce verset, et conclura par le Gloria Patri.
23 Le novice se prosternera alors aux pieds de chacun des frères, afin qu'ils prient pour lui. A dater de ce jour, on le tiendra pour membre de la communauté.
24 S'il possède quelque avoir, ou bien il le distribuera auparavant aux pauvres, ou bien il l'attribuera au monastère par une donation solennelle, sans rien se réserver du tout ;
25 car il sait que, dès cet instant, il ne peut plus même disposer de son propre corps.
26 On le dépouillera donc immédiatement dans l'oratoire de tous les effets personnels dont il était vêtu, et on le revêtira d'habits appartenant au monastère.
27 Les vêtements qu'il aura quittés seront conservés au vestiaire,
28 afin que si, un jour, à l'instigation du diable, il voulait sortir du monastère - ce qu'à Dieu ne plaise - on puisse lui ôter les habits du monastère et le chasser.
29 On ne lui rendra pas néanmoins sa demande écrite, que l'abbé a prise jadis sur l'autel, mais on la gardera dans le monastère.


Chapitre 59 : LES FILS DE NOTABLES OU DE PAUVRES QUI SONT OFFERTS


1 Lorsqu'une personne de condition notable veut offrir son fils à Dieu dans le monastère, et si c'est un jeune enfant, ses parents rédigeront eux-mêmes la demande écrite dont nous avons parlé. (Pour comprendre l'esprit de ce chapitre, on se reportera aux traditions de la famille romaine, encore en vigueur au 6è siècle)
2 Ils envelopperont cette demande et la main de l'enfant, avec l'offrande, dans la nappe de l'autel, et ils l'offriront ainsi. (Cette offrande est celle du pain et du vin, faite par les fidèles pour l'Eucharistie)
3 Quant à leurs biens, ils promettront sous serment, dans la demande même, de ne jamais rien lui en donner, ni par eux-mêmes, ni par personne interposée, ni d'aucune manière, ni même de lui fournir l'occasion d'en posséder ;
4 ou bien, s'ils ne veulent pas agir ainsi, et qu'ils veuillent cependant offrir quelque chose en aumône au monastère comme rétribution,
5 ils en feront donation à la communauté, s'en réservant l'usufruit durant leur vie, s'il leur plaît.
6 De la sorte, on fermera à l'enfant toute sortie, si bien qu'il ne lui restera aucun espoir, qui ne servirait - ce qu'à Dieu ne plaise - qu'à le tromper et à le perdre, comme nous l'avons appris par l'expérience.
7 Les moins fortunés agiront de même.
8 Ceux qui ne possèdent absolument rien, feront simplement la demande écrite et offriront leur fils, avec l'offrande, en présence de témoins.


Chapitre 60 : LES PRETRES QUI DESIRERAIENT SE FIXER DANS LE MONASTERE


1 Quand un prêtre demande à être reçu dans le monastère, on ne l'acceptera pas trop vite.
2 Toutefois, s'il persiste absolument dans cette requête, il saura qu'il sera tenu à toute la discipline de la Règle,
3 et qu'on ne lui en relâchera rien. Il en sera comme il est écrit: "Mon ami, dans quel dessein es-tu venu ?" (Mt 26,50)
4 Il pourra néanmoins prendre place après l'abbé, donner les bénédictions et célébrer la messe, si toutefois l'abbé le lui permet. (Il s'agit des bénédictions "régulières", données par exemple à l'office divin ou au réfectoire.
Au temps de saint Benoît, il y avait très peu de moines engagés dans les Ordres sacrés; l'abbé lui-même, la plupart du temps, n'était pas prêtre)
5 Sinon, il ne doit se prévaloir de rien, sachant qu'il est soumis à l'observance régulière et qualifié plutôt pour donner à tous des exemples d'humilité.
6 S'il vient à être question dans le monastère de charge à conférer ou d'affaire à traiter,
7 il tiendra pour sien le rang de son entrée, et non celui que lui a valu le respect pour son sacerdoce.
8 Si un clerc, mû par le même désir, sollicite son admission, on le placera dans un rang moyen.
9 Il devra, lui aussi, promettre de garder la Règle et la stabilité.


Chapitre 61 : COMMENT RECEVOIR LES MOINES ETRANGERS


1 Si un moine étranger vient d'une région lointaine et veut demeurer, comme hôte, dans le monastère, on le recevra autant de temps qu'il le désire,
2 pourvu qu'il se contente de la vie qu'on y mène, et ne trouble pas la communauté par ses vaines exigences,
3 mais simplement s'accommode de ce qu'il trouve.
4 Si ce moine venait à reprendre ou à remontrer quelque chose, et qu'il le fît avec raison et avec l'humilité de la charité, l'abbé examinera l'avertissement avec prudence; car c'est peut-être pour cela même que le Seigneur l'a conduit ici.
5 Si, dans la suite, il veut y fixer sa stabilité, on ne s'y refusera point, d'autant plus qu'on a pu juger de sa manière de vivre durant son séjour à l'hôtellerie.
6 Mais si l'on a remarqué, durant ce temps, qu'il est exigeant ou vicieux, non seulement on ne l'agrégera pas au corps du monastère,
7 mais on lui dira honnêtement de se retirer, de peur que sa misère ne contamine les autres.
8 Si, au contraire, sa conduite ne lui mérite pas d'être congédié, non seulement on l'admettra dans la communauté,
9 mais même on lui conseillera de s'y fixer, afin que son exemple édifie les autres ;
10 car, en tout lieu, c'est un seul Seigneur que l'on sert, c'est sous un seul Roi qu'on milite.
11 L'abbé pourra le placer en un rang un peu plus élevé que celui de son entrée, s'il juge qu'il le mérite.
12 Il en sera ainsi non seulement ainsi à l'égard d'un moine, mais encore des prêtres ou des clercs dont on a parlé ci-dessus; l'abbé pourra les établir en un rang supérieur à celui de leur entrée, si toutefois il reconnaît que leur vie en est digne.
13 Mais que l'abbé se garde bien d'admettre jamais à demeure en sa comunauté un moine d'un autre monastère connu, sans le consentement de son abbé ou sans lettres de recommandation ;
14 car il est écrit: "Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui." (Tb 4,16 Mt 7,12)


Chapitre 62 : LES PRETRES DU MONASTERE


1 Si l'abbé demande qu'on lui ordonne un prêtre ou un diacre pour son monastère, qu'il choisisse un de ses moines jugés dignes du sacerdoce. (allusion Si 45,19)
2 Celui qui aura été ordonné se gardera de l'élèvement et de l'orgueil.
3 Il n'entreprendra rien sans la permission de l'abbé, se sachant plus strictement assujetti qu'auparavant à l'observance régulière.
4 Il ne prendra pas prétexte de son sacerdoce pour oublier l'obéissance à la Règle et à la discipline; au contraire, il avancera de plus en plus vers Dieu.
5 Il gardera toujours le rang de son entrée au monastère,
6 sauf quand il officie à l'autel ou, si peut-être le choix de la communauté et la volonté de l'abbé l'avaient volontairement élevé, à cause du mérite de sa vie.
7 Même en ce cas, il saura qu'il faut suivre la Règle établie pour les doyens et les prieurs.
8 S'il osait s'y soustraire, il serait traité non comme prêtre mais en rebelle.
9 Et si, après avoir été fréquemment réprimandé, il ne se corrigeait pas, l'évêque lui-même serait pris à témoin.
10 Si, après cela, il ne s'amendait pas, ses fautes devenant manifestes, il serait chassé du monastère,
11 à supposer toutefois son opiniâtreté telle qu'il ne voulût pas se soumettre ou obéir à la Règle.


Chapitre 63 : LE RANG A GARDER DANS LA COMMUNAUTE


1 Les frères garderont dans le monastère la date que détermine leur entrée en religion, ou le mérite de leur vie et la décision de l'abbé.
2 Celui-ci cependant ne troublera pas le troupeau qui lui est confié, et ne prendra aucune décision injuste comme s'il jouissait d'un pouvoir arbitraire.
3 Il songera sans cesse au compte qu'il devra rendre à Dieu de toutes ses décisions et de tous ses actes.
4 Ainsi donc, c'est selon le rang qu'il aura établi, ou celui que les frères tiennent à leur entrée, qu'ils iront au baiser de paix et à la communion, entonneront les psaumes et prendront place au choeur.
5 Nulle part, il n'y aura avantage ou préjudice du simple fait de l'âge dans l'ordre à garder,
6 puisque Samuel et Daniel, encore enfants, ont jugé les anciens. (cf. Da 3,13)
7 Donc, à l'exception de ceux que, comme nous l'avons dit, l'abbé aura promus pour des motifs supérieurs, ou qu'il aura fait déchoir pour des raisons fondées, tous les autres pendront rang à dater de leur entrée en religion :
8 en sorte que, par exemple, celui qui sera arrivé au monastère à la seconde heure du jour, se reconnaîtra, quel que soit son âge ou sa dignité, le cadet de celui qui est arrivé à la première heure.
9 Quant aux enfants, ils seront maintenus dans la Règle en tout et par tous.
10 Les plus jeunes honoreront donc leurs anciens; et les anciens auront de l'affection pour leurs cadets.
11 Lorsqu'ils se nommeront les uns les autres, il ne sera permis à personne de désigner quelqu'un par son seul nom,
12 mais les anciens donneront aux plus jeunes le nom de Frères, et les plus jeunes à leurs anciens celui de Nonni, terme qui exprime la révérence à un père. (Le terme de Nonnus, d'origine égyptienne, fut abandonné au cours des siècles par les bénédictins; mais il est resté en usage chez les cisterciens. On le retrouve dans Nonna, qui a donné le mot français nonne)
13 Quant à l'abbé, parce qu'on croit fermement qu'il tient la place du Christ, il recevra l'appellation de Dominus et Abbé, non qu'il se l'arroge de lui-même, mais par honneur et amour du Christ. (Dominus d'où dérive Domnus (Dom): seigneur. Il n'a pas son correspondant exact en français, sinon, peut-être, étymologiquement: Monsieur, comme on dit en italien: Signore. Abbas signifie Père)
14 Aussi devra-t-il s'en pénétrer et se rendre digne d'un pareil honneur.
15 Quand les frères se rencontreront, le plus jeune demandera à l'ancien sa bénédiction.
16 Si un ancien vient à passer, le jeune se lèvera, lui fera place pour s'asseoir, et ne se permettra pas de se rasseoir que son ancien ne l'y ait invité.
17 On accomplira ainsi ce qui est écrit: "Se prévenir d'honneur les uns les autres." (cf. Rm 12,10)
18 Les petits enfants et les adolescents garderont leur rang avec discipline, à l'oratoire et au réfectoire.
19 Mais hors de là et en tout lieu, ils seront sous la garde et la surveillance de quelqu'un, jusqu'à ce qu'ils aient atteint un âge où domine la raison.


Chapitre 64 : L'INSTITUTION DE L'ABBE


1 Dans l'institution de l'abbé, on aura pour règle constante d'établir celui que toute la communauté, inspirée par la crainte de Dieu, aura élu d'un commun accord, ou même celui qu'aura choisi une partie de la communauté, même faible, mais au jugement plus sage.
2 Dans cette élection, on aura égard au mérite de la vie et à la doctrine spirituelle du candidat, quand bien même il occuperait le dernier rang dans la communauté.
3 Si, par malheur, il arrivait que la communauté tout entière, d'un commun accord, eût élu une personne complice de ses dérèglements,
4 lorsque ces dérèglements parviendront à la connaisance de l'évêque, au diocèse duquel appartient le monastère (Les monastères, à l'époque de saint Benoît, n'étaient pas exempts de la juridiction de l'évêque diocésain. C'était celui-ci qui nommait l'abbé après présentation du candidat par la communauté), ou des abbés et des chrétiens du voisinage,
5 ils empêcheront l'accord des méchants de prévaloir. Ils pourvoiront eux-mêmes d'un digne chef la maison de Dieu :
6 assurés qu'une bonne récompense leur est réservée, s'ils agissent dans une intention pure et par le zèle de Dieu; comme au contraire ils commettraient un péché s'ils négligeaient d'intervenir.
7 L'abbé, une fois établi, pensera sans cesse à la nature du fardeau qu'il a reçu, et à Celui à qui il devra rendre compte de son administration.
8 Qu'il sache qu'il lui faut aider bien plus que régir. (Jeu de mots emprunté à saint Augustin (Sermon 340, 1))
9 Il doit donc être docte dans la loi divine, afin de savoir et d'avoir où puiser les leçons anciennes et nouvelles. Qu'il soit chaste, sobre, miséricordieux ;
10 que toujours il préfère la miséricorde à la justice, afin d'obtenir pour lui-même un traitement semblable.
11 Qu'il haïsse les vices, mais qu'il aime les frères. (Expression familière à saint Augustin (Sermon 49, 5))
12 Dans la correction même, il agira avec prudence et sans excès, de crainte qu'en voulant trop racler la rouille, il ne brise le vase.
13 Il aura toujours devant les yeux sa propre faiblesse, et se souviendra qu'il ne faut pas broyer le roseau déjà éclaté.
14 Et par là nous n'entendons pas qu'il puisse laisser les vices se fortifier, mais qu'il les détruise avec prudence et charité, en adaptant les moyens à chaque caractère, comme nous l'avons déjà expliqué.
15 Il s'efforcera plus à se faire aimer qu'à se faire craindre. ( Adage pris à saint Augustin (Lettre 211, 15))
16 Qu'il ne soit ni turbulent, ni inquiet; qu'il ne soit ni excessif, ni opiniâtre; qu'il ne soit ni jaloux, ni trop soupçonneux; sinon, il n'aura jamais de repos.
17 Dans ses commandements, il sera prévoyant et circonspect. Dans les tâches qu'il distribuera, soit qu'il s'agisse des choses de Dieu, soit de celles du monde, il se conduira avec discernement et modération,
18 et se rappellera la discrétion du saint patriarche Jacob, qui disait: "Si je fatigue mes troupeaux en les faisant trop marcher, ils périront tous en un jour." (Gn 33,13)
19 Imitant donc cet exemple et d'autres semblables de la discrétion, cette mère des vertus, (Ce mot de discrétion caractérise au mieux la Règle entière, come l'a bien vu le pape saint Grégoire (Dialogues 2, 36)) qu'il tempère tellement toutes choses que les forts désirent faire davantage et que les faibles ne se dérobent pas.
20 Par dessus tout, qu'il observe tous les points de la présente Règle,
21 afin qu'après avoir bien servi, il s'entende adresser par le Seigneur cette parole au bon serviteur qui avait distribué le froment, en temps opportun, à ses compagnons :
22 "En vérité je vous le dis, le Maître l'établira sur tous ses biens." (Mt 24,47)


Chapitre 65 : LE PRIEUR DU MONASTERE


1 Bien souvent il arrive que l'établissement du prieur fasse naître de graves conflits dans les monastères.
2 Il s'en trouve, en effet, qui, enflés d'un méchant esprit d'orgueil,s'imaginent être de seconds abbés, et qui, s'attribuant une autorité sans contrôle, entretiennent des conflits et causent des dissenssions dans la communauté.
3 Cela se produit surtout en ces lieux où le prieur est établi par le même évêque ou par les mêmes abbés que l'abbé lui-même.
4 On voit aisément combien cette manière de faire est absurde. C'est elle, qui, dès le début de son institution, donne au prieur matière à s'enorgueillir.
5 Elle lui suggère qu'il est soustrait au pouvoir de son abbé,
6 puisque: "Toi aussi, se dira-t-il, tu as été établi par ceux-la mêmes qui ont institué l'abbé."
7 De là surgissent des jalousies, des conflits, des détractions, des rivalités, des cabales, les pires désordres.
8 Or, si l'abbé et le prieur sont opposés de sentiments, il est impossible que, dans une telle discorde, leurs âmes ne se trouvent pas en danger.
9 Ceux également qui vivent sous leur conduite, prenant partie pour l'un ou pour l'autre, vont à leur perte.
10 De ce péril sont responsables au premier chef ceux qui se sont faits les auteurs d'un pareil dérèglement.
11 C'est pourquoi nous jugeons que, pour conserver la paix et la charité, il faut que le gouvernement de son monastère dépende entièrement de l'abbé.
12 Si faire se peut, toute la marche du monastère sera assurée par des doyens, et cela selon les ordres de l'abbé, comme nous l'avons déjà dit.
13 Les charges étant confiées à plusieurs, un seul n'aura pas l'occasion de s'enorgueillir.
14 Si toutefois le lieu rend un prieur désirable, ou si la communauté le demande pour un juste motif, et avec humilité, si l'abbé enfin le juge à propos,
15 c'est ce dernier qui établira lui-même pour prieur celui qu'il aura choisi avec le conseil des frères craignant Dieu.
16 Le prieur exécutera avec respect tout ce que son abbé lui prescrira, sans jamais contrevenir à sa volonté et à ses ordres.
17 Car, plus il est élevé au-dessus des autres, plus il doit observer consciencieusement les préceptes de la Règle.
18 Si ce prieur tombait dans quelque dérèglement, s'enflait d'orgueil, ou était convaincu de mépris pour la sainte Règle, on l'en reprendrait jusqu'à quatre fois.
19 S'il ne s'amendait pas, on lui ferait subir la correction de la discipline régulière.
20 Si par ces moyens il ne se corrigeait pas encore, on le déposerait de son rang de prieur, et on mettrait à sa place un autre qui en fût digne.
21 Enfin, si après tout cela, il ne se montrait pas tranquille et obéissant dans la communauté, on le chasserait du monastère.
22 Que l'abbé songe cependant qu'il doit rendre compte à Dieu de toutes ses décisions, de crainte que le feu de l'envie ou de la jalousie ne vienne à brûler son âme.


Chapitre 66 : LES PORTIERS DU MONASTERE


1 A la porte du monastère on placera un sage vieillard, qui sache recevoir et rendre un message, et dont la maturité le préserve de toute oisiveté.
2 Le portier devra avoir sa cellule près de la porte, afin que ceux qui viennent trouvent toujours à qui parler.
3 Et aussitôt qu'on aura frappé ou qu'un pauvre aura appelé, il répondra Deo gratias ou Benedic.
4 Puis, avec toute la mansuétude que donne la crainte de Dieu, il s'empressera de donner réponse avec une charité fervente.
5 Si le portier a besoin d'aide, on lui donnera un frère plus jeune.
6 Le monastère doit, autant que possible, être disposé de telle sorte que l'on y trouve tout le nécessaire: de l'eau, un moulin, un jardin et des ateliers pour qu'on puisse pratiquer les divers métiers à l'intérieur de la clôture.
7 De la sorte les moines n'auront pas besoin de se disperser au-dehors, ce qui n'est pas du tout avantageux pour leurs âmes.
8 Et nous voulons que cette Règle soit lue souvent en communauté afin qu'aucun frère ne s'excuse sous prétexte d'ignorance. (C'est sur cette parole de "conclusion" que se terminait une rédaction de la Règle, à laquelle saint Benoît fit des additions)



Chapitre 67 : DES FRERES QUE L'ON ENVOIE EN VOYAGE


1 Les frères qui doivent aller en voyage se recommanderont à la prière de tous les frères et de l'abbé.
2 Après la dernière oraison de l'Oeuvre de Dieu, on fera toujours mémoire de tous les absents.
3 En rentrant de voyage, le jour même de leur retour, les frères se prosterneront à terre dans l'oratoire à toutes les heures canoniales, quand s'achève l'Oeuvre de Dieu.
4 Ils demanderont les prières de tous, à cause des écarts qu'ils auraient pu commettre en voyage, par leurs regards, ou en écoutant de mauvaises choses ou de vains propos.
5 Personne ne se permettra de rapporter sans discernement à autrui ce qu'il aurait vu ou entendu hors du monastère, ou d'aller n'importe où, ou de faire quoi que ce soit, même de peu d'importance, sans l'autorisation de l'abbé. (Le moine ne racontera pas imprudemment tout ce qu'il a vu ou entendu. Il y a des choses bonnes à rapporter, d'autres qu'il faut taire)


Capitre 68 : SI L'ON ENJOINT A UN FRERE DES CHOSES IMPOSSIBLES


1 Si l'on enjoint à un frère des choses difficiles ou impossibles, il recevra en toute mansuétude et obéissance le commandement qui lui est fait.
2 Cependant, s'il estime que le poids du fardeau dépasse entièrement la mesure de ses forces, il représentera au supérieur les raisons de son impuissance, avec patience et à propos,
3 sans témoigner ni orgueil, ni résistance, ni contradiction.
4 Que si après cette représentation le supérieur maintenait son ordre, l'inférieur se persuadera que la chose lui est avantageuse,
5 et il obéira par amour, en mettant sa confiance dans l'aide de Dieu.


Chapitre 69 : QUE NUL DANS LE MONASTERE NE SE PERMETTE D'EN DEFENDRE UN AUTRE


1 Il faut veiller à ce que personne, en aucune circonstance, dans le monastère, ne se permette de défendre un autre moine, ou de lui servir comme de protecteur,
2 et cela, quel que soit le degré de parenté qui les unisse.
3 Les moines ne se le permettront d'aucune manière, car il peut en résulter de très graves occasions de conflits. Si quelqu'un transgresse cette défense, on le punira très sévèrement.


Chapitre 70 : QUE NUL NE SE PERMETTE DE FRAPPER A TOUT PROPOS


1 l faut éviter dans le monastère toute occasion de présomption ;
2 aussi ordonnons-nous qu'il ne sera permis à personne d'excommunier ou de frapper l'un de ses frères, à moins qu'il n'en ait reçu pouvoir de l'abbé.
3 Ceux qui commettront des fautes seront repris devant tout le monde, afin que les autres en conçoivent de la crainte. (allusion 1Tm 5,20)
4 Les enfants, jusqu'à l'âge de quinze ans, seront sous la garde et la surveillance de tous les frères ;
5 mais cette vigilance s'exercera avec mesure et intelligence.
6 Quant à celui qui se permettrait, sans l'ordre de l'abbé, de réprimander de façon quelconque des frères plus âgés, ou qui s'emporterait contre des enfants sans discrétion, il serait soumis à la discipline régulière,
7 car il est écrit: "Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui." (allusion Tb 4,16 Mt 7,12)


Chapitre 71 : QUE LES FRERES S'OBEISSENT MUTUELLEMENT


1 Ce n'est pas seulement à l'abbé que tous les frères doivent rendre le bien de l'obéissance; il faut encore qu'ils s'obéissent les uns aux autres.
2 Ils sauront que c'est par cette voie de l'obéissance qu'ils iront à Dieu.
3 Plaçant avant tout les ordres de l'abbé et ceux des responsables qu'il a établis -ordres auxquels nous ne permettons pas de préférer les directives d'origine privée-
4 tous les jeunes obéiront pour le reste à leurs anciens, en toute charité et empressement.
5 S'il se rencontre quelqu'un qui ait l'esprit de contestation, il sera châtié.
6 Lorsqu'un frère est repris par l'abbé ou par un supérieur quelconque en n'importe quelle manière, et pour une cause même de peu d'importance,
7 s'il s'aperçoit alors tant soit peu que l'esprit de ce supérieur est irrité ou ému contre lui, fût-ce légèrement,
8 il se prosternera aussitôt sans tarder par terre, à ses pieds, pour faire satisfaction jusqu'à ce que la bénédiction qu'on lui donnera ait fait connaître que l'émotion est calmée.
9 Si quelqu'un dédaigne d'en agir ainsi, il sera soumis à un châtiment corporel, et, s'il demeure opiniâtre, il sera expulsé du monastère.


Chapitre 72 : LE BON ZELE QUE DOIVENT AVOIR LES MOINES


1 Il est un mauvais zèle, un zèle amer, qui sépare de Dieu et mène à l'enfer.
2 De même, il est un bon zèle qui sépare des vices et mène à Dieu et à la vie éternelle.
3 C'est ce zèle que les moines pratiqueront avec un très ardent amour :
4 ils s'honoreront mutuellement avec prévenance; (allusion Rm 12,10)
5 ils supporteront avec une très grande patience les infirmités d'autrui, tant physiques que morales ;
6 ils s'obéiront à l'envi ;
7 nul ne recherchera ce qu'il juge utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l'est pour autrui ;
8 ils s'accorderont une chaste charité fraternelle ;
9 ils craindront Dieu avec amour ;
10 ils aimeront leur abbé avec une charité sincère et humble ;
11 ils ne préfèreront absolument rien au Christ ;
12 qu'Il nous amène tous ensemble à la vie éternelle !


Chapitre 73 : TOUTE LA PRATIQUE DE LA JUSTICE N'EST PAS CONTENUE DANS CETTE REGLE


1 Cette Règle, que nous venons d'écrire, il suffira de l'observer dans les monastères pour faire preuve d'une certaine rectitude morale et d'un commencement de vie monastique.
2 Quant à celui qui aspire à la vie parfaite, il a les enseignements des saints Pères, dont la pratique amène l'homme jusqu'aux sommets de la perfection.
3 Est-il, en effet, une page, est-il une parole d'autorité divine, dans l'Ancien et le Nouveau Testament, qui ne soit une règle toute droite pour la conduite de notre vie ?
4 Ou encore, quel est le livre des saints Pères catholiques qui ne nous enseigne le droit chemin pour parvenir à notre Créateur ?
5 Et de même, les Conférences des Pères, leurs Institutions et leurs Vies (Il s'agit ici des Conférences et des Institutions de Cassien et des Vies des Pères du désert), ainsi que la Règle de notre Père saint Basile,
6 sont-elles autre chose que des instruments de vertus pour moines vraiment bons et obéissants ?
7 Il y a là pour nous, relâchés, inobservants et négligents, de quoi rougir de confusion.
8 Qui donc que tu sois, qui te hâtes vers la patrie céleste, accomplis, avec l'aide du Christ, cette toute petite Règle, écrite pour les débutants.
9 Cela fait, tu parviendras avec la protection de Dieu, aux plus hautes cimes de la doctrine et des vertus, que nous venons de rappeler. Amen.








Saint Benoit, Règle - Chapitre 58 : LA MANIERE DE RECEVOIR LES FRERES