1979 Redemptor Hominis 19

L'Eglise responsable de la vérité

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Ainsi, à la lumière de la doctrine du Concile Vatican II, l'Eglise apparaît à nos yeux comme étant socialement sujet de responsabilité à l'égard de la vérité divine. C'est avec une profonde émotion que nous écoutons le Christ lui-même lorsqu'il déclare: "La parole que vous entendez n'est pas la mienne, mais elle est celle du Père qui m'a envoyé" (141). Dans cette affirmation de notre Maître, ne doit-on pas voir cette responsabilité à l'égard de la vérité révélée, qui est "propriété" de Dieu seul, puisque même Lui, le "Fils unique" qui vit "dans le sein du Père" (142) sent le besoin, lorsqu'il la transmet comme prophète et maître, de souligner qu'il agit dans une fidélité entière à la source divine de la vérité? La même fidélité doit être une qualité constitutive de la foi de l'Eglise, soit qu'elle enseigne, soit qu'elle professe cette foi. Celle-ci, en tant que vertu surnaturelle spécifique infusée dans l'esprit humain, nous fait participer à la connaissance de Dieu en réponse à sa Parole révélée. C'est pourquoi il est nécessaire que l'Eglise, lorsqu'elle professe et enseigne la foi, adhère étroitement à la vérité divine (143) et que cela se traduise par une attitude vécue de soumission conforme à la raison (144). Le Christ lui-même, pour garantir la fidélité à la vérité divine, a promis à l'Eglise l'assistance spéciale de l'Esprit de vérité; il a donné le don de l'infaillibilité (145) à ceux auxquels il a confié la charge de transmettre cette vérité et de l'enseigner (146) comme le premier Concile du Vatican l'avait déjà clairement défini (147) et comme le Concile Vatican II l'a réaffirmé à sa suite (148) et il a doté en outre le peuple de Dieu tout entier d'un sens particulier de la foi (149).

141-
Jn 14,24
142- Jn 1,18
143- DV 5 DV 10 DV 21
144- Concile Vatican I, Constitution dogmatique sur la foi catholique Dei Filius, cap 3 DS 3009; Conciliorum Oecumenicorum Decreta, Ed. Istituto per le Scienze Religiose, Bologna 1973/3, p. 807.
145- Concile Vatican I, Constitution dogmatique I sur l'Eglise du Christ Pastor aeternus DS 3050-3075; LG 25
146- Mt 28,19
147- Pasotr aeternu DS 3050-3075
148- LG 18-27
149- LG 12 LG 35


En conséquence, nous sommes devenus participants de cette mission du Christ prophète et, en vertu de la même mission, nous sommes avec lui au service de la vérité divine dans l'Eglise. La responsabilité envers cette vérité signifie aussi que nous devons l'aimer, en chercher la compréhension la plus exacte, de manière à la rendre plus accessible à nous-mêmes et aux autres dans toute sa force salvifique, dans sa splendeur, dans sa profondeur et en même temps dans sa simplicité. Cet amour et cette aspiration à comprendre la vérité doivent progresser ensemble, comme le montre l'histoire des saints de l'Eglise. Ils étaient les plus éclairés par la lumière authentique qui reflète la vérité divine et approche la réalité même de Dieu, parce qu'ils abordaient cette vérité avec vénération et amour: amour avant tout pour le Christ, Verbe vivant de la vérité divine, et en même temps amour envers son expression humaine dans l'Evangile, dans la tradition, dans la théologie. Aujourd'hui aussi, il est nécessaire d'avoir avant tout une telle compréhension et une telle interprétation de la Parole divine; il est nécessaire d'avoir une telle théologie. La théologie a toujours eu et continue d'avoir une grande importance pour que l'Eglise, Peuple de Dieu, puisse participer d'une manière créatrice et féconde à la mission prophétique du Christ. C'est pourquoi les théologiens qui, en tant que serviteurs de la vérité divine, consacrent leurs études et leurs travaux à une compréhension toujours plus pénétrante de celle-ci, ne peuvent jamais perdre de vue la signification de leur service ecclésial, signification contenue dans le concept de l'intellectus fidei. Ce concept a une fonction pour ainsi dire bilatérale, conformément à l'expression intellege ut credas - crede ut intellegas (150), et il est utilisé correctement lorsque les théologiens cherchent à servir le Magistère, confié dans l'Eglise aux évêques unis par le lien de la communion hiérarchique avec le Successeur de Pierre, et encore lorsqu'ils se mettent au service de leur souci de l'enseignement et de la pastorale, tout comme aussi lorsqu'ils se mettent au service des engagements apostoliques de tout le peuple de Dieu.

150 S. Augustin, Sermo 43,7-9 ; PL 38, 257-258.


Comme aux époques précédentes, et peut-être plus encore aujourd'hui, les théologiens et tous les hommes de science de l'Eglise sont appelés à unir la foi à la science et à la sagesse pour contribuer à leur compénétration réciproque, comme nous le lisons dans la prière liturgique pour la fête de saint Albert, Docteur de l'Eglise. Cet engagement s'est énormément développé aujourd'hui en raison du progrès du savoir humain, de ses méthodes et de ses conquêtes dans la connaissance du monde et de l'homme. Ceci concerne aussi bien les sciences exactes que les sciences humaines comme aussi la philosophie, dont les liens étroits avec la théologie ont été rappelés par le Concile Vatican II (151).

151- GS 47 GS 57 GS 59 GS 62 OT 15


Dans ce domaine de la connaissance humaine qui s'étend et se différencie continuellement, la foi doit elle aussi s'approfondir constamment, en mettant en lumière l'ampleur du mystère révélé et en tendant à la compréhension de la vérité qui a en Dieu sa source unique et suprême. S'il est permis et il faut même le souhaiter que le travail énorme à accomplir en ce sens prenne en considération un certain pluralisme méthodologique, un tel travail ne peut pas cependant s'éloigner de l'unité fondamentale dans l'enseignement de la foi et de la morale, qui est sa fin propre. C'est pourquoi une collaboration étroite de la théologie avec le Magistère est indispensable. Tout théologien doit être particulièrement conscient de ce que le Christ lui-même a exprimé lorsqu'il a dit: "La parole que vous entendez n'est pas de moi mais du Père qui m'a envoyé" (152). Personne ne peut donc faire de la théologie comme si elle consistait simplement à faire un exposé de ses idées personnelles; mais chacun doit être conscient de demeurer en union étroite avec la mission d'enseigner la vérité, dont l'Eglise est responsable.

152- Jn 14,24


La participation à la fonction prophétique du Christ modèle la vie de toute l'Eglise selon sa dimension fondamentale. Une participation particulière à cette fonction revient aux Pasteurs de l'Eglise, qui enseignent et qui, continuellement et de diverses manières, annoncent et transmettent la doctrine de la foi et de la morale chrétienne. Cet enseignement, sous son aspect missionnaire ou sous son aspect ordinaire, contribue à unir le peuple de Dieu autour du Christ, prépare à la participation à l'Eucharistie, indique les voies de la vie sacramentelle. Le Synode des Evêques de 1977 a consacré une attention particulière à la catéchèse dans le monde contemporain et le fruit de ses délibérations, de ses expériences et de ses suggestions trouvera d'ici peu son expression dans un document pontifical, conformément à la proposition faite par les membres du Synode. La catéchèse constitue, c'est bien certain, une forme à la fois permanente et fondamentale de l'activité de l'Eglise, dans laquelle se manifeste son charisme prophétique: témoignage et enseignement vont de pair. Bien qu'on parle ici en premier lieu des prêtres, il est impossible de ne pas rappeler aussi le grand nombre de religieux et de religieuses qui s'adonnent à l'activité catéchétique par amour de leur divin Maître. Il serait difficile aussi de ne pas mentionner tant de laïcs qui trouvent dans cette activité l'expression de leur foi et de leur responsabilité apostolique.

En outre, il faut viser toujours davantage à ce que les diverses formes de catéchèse, en ses différents domaines à commencer par cette forme fondamentale qu'est la catéchèse "familiale", c'est-à-dire la catéchèse faite par les parents à leurs propres enfants, manifestent la participation universelle de tout le peuple de Dieu à la fonction prophétique du Christ lui-même. En fonction de cela, il faut que la responsabilité de l'Eglise envers la vérité divine se trouve partagée par tous, toujours davantage, et de bien des manières. Et que dire ici des spécialistes des diverses disciplines, des scientifiques, des littéraires, des médecins, des juristes, des artistes et des techniciens, des enseignants de tous niveaux et de toutes spécialités? Tous, en tant que membres du peuple de Dieu, ils ont leur rôle propre dans la mission prophétique du Christ, dans son service de la vérité divine, y compris à travers leur approche honnête de la vérité en tout domaine, dans la mesure ou ils forment autrui à la vérité et lui enseignent à grandir dans l'amour et la justice. Ainsi, le sens de la responsabilité à l'égard de la vérité est un des points fondamentaux de rencontre de l'Eglise avec chaque homme, et il est de même l'une des exigences fondamentales qui déterminent la vocation de l'homme dans la communauté ecclésiale. L'Eglise de notre temps, guidée par le sens de sa responsabilité envers la vérité, doit persévérer dans la fidélité à sa propre nature, à laquelle se rapporte la mission prophétique reçue du Christ: "Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie... Recevez le Saint-Esprit" (153) .

153- Jn 20,21-22



Eucharistie et pénitence

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Dans le mystère de la Rédemption, c'est-à-dire dans l'oeuvre de salut accomplie par le Christ, l'Eglise ne participe pas seulement à la bonne nouvelle de son Maître par sa fidélité à sa parole et le service de la vérité, mais elle participe également, par sa soumission pleine d'espérance et d'amour, à la force de son action rédemptrice, qu'il a exprimée et placée dans les sacrements, principalement dans l'Eucharistie (154). Celle-ci est le centre et le sommet de toute la vie sacramentelle par laquelle chaque chrétien reçoit la force salvifique de la Rédemption, en commençant par le mystère du baptême par lequel nous sommes plongés dans la mort du Christ pour devenir participants de sa résurrection (155), comme l'enseigne l'Apôtre. A la lumière de cette doctrine, on voit encore mieux la raison pour laquelle toute la vie sacramentelle de l'Eglise et de chaque chrétien atteint son sommet et sa plénitude dans l'Eucharistie. Dans ce sacrement, en effet, le mystère du Christ s'offrant lui-même en sacrifice au Père sur l'autel de la croix se renouvelle continuellement de par sa volonté: sacrifice que le Père a accepté, échangeant le don total de son Fils, qui s'est fait "obéissant jusqu'à la mort" (156), avec son propre don paternel, c'est-à-dire avec le don de la vie nouvelle et immortelle dans la résurrection, car le Père est la source première de la vie et celui qui la donne depuis le commencement. Cette vie nouvelle, qui implique la glorification corporelle du Christ crucifié, est devenue signe efficace du don nouveau fait à l'humanité: ce don est l'Esprit Saint grâce auquel la vie divine que le Père a en lui et qu'il donne à son Fils (157) se trouve communiquée à tous les hommes qui sont unis au Christ.

154-
SC 10
155- Rm 6,3-5
156- Ph 2,8
157- Jn 5,26 1Jn 5,11


L'Eucharistie est le sacrement le plus parfait de cette union. En célébrant l'Eucharistie et en y participant, nous sommes unis au Christ terrestre et céleste qui intercède pour nous auprès du Père (158), mais nous ne sommes unis à Lui qu'à travers l'acte rédempteur de son sacrifice par lequel il nous a rachetés de manière telle que nous avons été "achetés à grand prix" (159). Le "grand prix" de notre Rédemption montre tout à la fois la valeur que Dieu lui-même attribue à l'homme et notre dignité dans le Christ. En devenant "fils de Dieu" (160), fils adoptifs (161), nous devenons en même temps à sa ressemblance "un royaume de prêtres", nous recevons "le sacerdoce royal" (162), c'est-à-dire que nous participons à cette unique et irréversible restitution de l'homme et du monde au Père que Lui, à la fois Fils éternel (163) et homme véritable, a accomplie une fois pour toutes. L'Eucharistie est le sacrement dans lequel s'exprime le plus complètement notre être nouveau; en lui aussi le Christ lui-même, continuellement et de façon toujours nouvelle, "rend témoignage" dans l'Esprit Saint à notre esprit (164) que chacun de nous, en tant que participant au mystère de la Rédemption, a accès aux fruits de la réconciliation filiale avec Dieu (165) qu'Il a lui-même réalisée et qu'il réalise toujours parmi nous par le ministère de l'Eglise.

158- He 9,24 1Jn 2,1
159- 1Co 6,20
160- Jn 1,12
161- Rm 8,23
162- Ap 5,10 1P 2,9
163- Jn 1,1-4 Jn 1,18 Mt 3,17 Mt 11,27 Mt 17,5 Mc 1,11 Lc 1,32 Lc 1,35 Lc 3,22 Rm 1,4 2Co 1,19 1Jn 5,5 1Jn 5,20 2P 1,17 He 1,2
164- 1Jn 5,5-11
165- Rm 5,10 Rm 5,11 2Co 5,18-19 Col 1,20 Col 1,22


C'est une vérité essentielle, non seulement doctrinale mais existentielle, que l'Eucharistie construit l'Eglise (166), et elle la construit comme communauté authentique du peuple de Dieu, comme assemblée des fidèles, marquée par ce caractère d'unité auquel participèrent les Apôtres et les premiers disciples du Seigneur. L'Eucharistie construit toujours de nouveau cette communauté et cette unité; elle la construit et la régénère toujours à partir du sacrifice du Christ, parce qu'elle commémore sa mort sur la croix (167), qui a été le prix dont il nous a rachetés. C'est pourquoi nous touchons pour ainsi dire dans l'Eucharistie le mystère même du Corps et du Sang du Seigneur, comme en témoignent les paroles de l'institution qui sont devenues, en vertu de celle-ci, les paroles de la célébration perpétuelle de l'Eucharistie par ceux qui sont appelés à ce ministère dans l'Eglise.

166- LG 11 ; Paul VI, Discours à l'audience générale du 15 septembre 1965 : Insegnamenti di Paolo VI, III (1965) 1036.
167- SC 47


L'Eglise vit de l'Eucharistie, elle vit de la plénitude de ce sacrement dont la signification et le contenu admirables ont souvent trouvé leur expression dans le magistère de l'Eglise depuis les temps les plus anciens jusqu'à nos jours (168). Et pourtant, nous pouvons dire avec certitude que cet enseignement, mis en valeur avec pénétration par les théologiens, par les hommes de foi profonde et de prière, par les ascètes et les mystiques dans leur fidélité totale au mystère eucharistique, demeure pratiquement sur le seuil, parce qu'il est incapable de saisir et de traduire en paroles ce qu'est l'Eucharistie dans sa plénitude, ce qu'elle exprime et ce qui se réalise en elle. Elle est, au sens propre, le sacrement ineffable! L'engagement essentiel, et par-dessus tout la grâce visible et jaillissante de la force surnaturelle de l'Eglise comme peuple de Dieu, consiste à persévérer et à progresser constamment dans la vie eucharistique, dans la piété eucharistique, à se développer spirituellement dans le climat de l'Eucharistie. A plus forte raison, il n'est donc pas permis, dans notre manière de penser, de vivre et d'agir, d'enlever à ce Sacrement qui est vraiment très saint sa dimension totale et sa signification essentielle. Il est en même temps sacrement et sacrifice, sacrement et communion, sacrement et présence. Et bien qu'il soit vrai que l'Eucharistie fut toujours et doit être encore la révélation la plus profonde et la célébration la meilleure de la fraternité humaine des disciples du Christ et de ceux qui lui rendent témoignage, elle ne peut pas être traitée seulement comme une "occasion" de manifester cette fraternité. Dans la célébration du sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, il faut respecter la pleine dimension du mystère divin, le sens plénier de ce signe sacramentel dans lequel le Christ réellement présent est reçu, l'âme est comblée de grâce et le gage de la gloire future nous est donné (169). De là découle le devoir d'observer rigoureusement les règles liturgiques et tout ce qui est le témoignage du culte communautaire rendu à Dieu, et ceci d'autant plus que, dans ce signe sacramentel, le Seigneur s'en remet à nous avec une confiance illimitée, comme s'il ne prenait pas en considération notre faiblesse humaine, notre indignité, l'habitude, la routine ou même la possibilité de l'outrage. Tous dans l'Eglise, mais surtout les évêques et les prêtres, doivent veiller à ce que ce sacrement d'amour soit au centre de la vie du peuple de Dieu pour qu'on agisse, à travers toutes les manifestations du culte qui lui est dû, de manière à rendre au Christ "amour pour amour", et qu'il devienne vraiment "la vie de nos âmes" (170). Et d'autre part, nous ne pourrons jamais oublier ces paroles de saint Paul: "Que chacun s'éprouve donc lui-même et qu'il mange de ce pain et qu'il boive de ce calice" (171).

168- Paul VI, Encyclique Mysterium fidei : AAS 57 (1965) 553-574.
169- SC 47
170- Jn 6,52 Jn 6,58 Jn 14,6 Ga 2,20
171- 1Co 11,28


Cette exhortation de l'Apôtre indique au moins indirectement le lien étroit qui existe entre l'Eucharistie et la Pénitence. Et de fait, si la première parole de l'enseignement du Christ, si la première phrase de la "Bonne Nouvelle" de l'Evangile était: "Convertissez-vous, et croyez à l'Evangile" (métanoèite) (172), le sacrement de la Passion, de la Croix et de la Résurrection semble renforcer et fortifier d'une manière toute spéciale cet appel dans nos âmes. L'Eucharistie et la Pénitence deviennent ainsi, en un certain sens, deux dimensions étroitement connexes de la vie authentique selon l'esprit de l'Evangile, de la vie vraiment chrétienne. Le Christ, qui invite au banquet eucharistique, est toujours le Christ qui exhorte à la pénitence, qui répète: "Convertissez-vous" (173). Sans cet effort constant et toujours repris pour la conversion, la participation à l'Eucharistie serait privée de sa pleine efficacité rédemptrice; en elle ferait défaut ou du moins se trouverait affaiblie la disponibilité particulière à offrir à Dieu le sacrifice spirituel (174) dans laquelle s'exprime de manière essentielle et universelle notre participation au sacerdoce du Christ. Dans le Christ, en effet, le sacerdoce est uni à son propre sacrifice avec la donation qu'il fait de lui-même au Père; et cette donation, précisément parce qu'elle est illimitée, fait naître en nous, hommes sujets à de multiples limitations, le besoin de nous tourner vers Dieu d'une manière toujours plus réfléchie, grâce à une conversion constante et toujours plus profonde.

172- Mc 1,15
173- ibid.
174- 1P 2,5


On a beaucoup fait, au cours des dernières années, pour mettre en relief, conformément du reste à la tradition la plus ancienne de l'Eglise, l'aspect communautaire de la pénitence, et surtout du sacrement de pénitence dans la pratique ecclésiale. Ces initiatives sont utiles et serviront certainement à enrichir la pratique pénitentielle de l'Eglise contemporaine. Nous ne pouvons pas oublier cependant que la conversion est un acte intérieur d'une profondeur particulière dans lequel l'homme ne peut pas être suppléé par autrui, il ne peut se faire "remplacer" par la communauté. Bien que la communauté fraternelle des fidèles qui participent à la célébration pénitentielle favorise grandement la conversion personnelle, il est cependant nécessaire, en définitive, que cet acte soit une démarche de l'individu lui-même, dans toute la profondeur de sa conscience, avec le sentiment plénier de sa culpabilité et de sa confiance en Dieu, en se mettant en face de Lui comme le psalmiste pour confesser: "J'ai péché contre toi" (175). C'est pourquoi l'Eglise, observant fidèlement la pratique pluriséculaire du sacrement de pénitence la pratique de la confession individuelle unie à l'acte personnel de contrition, au propos de se corriger et de réparer, défend le droit particulier de l'âme humaine. C'est le droit à une rencontre plus personnelle de l'homme avec le Christ crucifié qui pardonne, avec le Christ qui dit par l'intermédiaire du ministre du sacrement de la réconciliation: "Tes péchés te sont remis" (176); "Va, et ne pèche plus désormais" (177). Il est évident qu'il s'agit en même temps du droit du Christ lui-même à l'égard de chaque homme qu'il a racheté. C'est le droit de rencontrer chacun de nous à ce moment capital de la vie de l'âme qu'est le moment de la conversion et du pardon. En sauvegardant le sacrement de pénitence, l'Eglise affirme expressément sa foi dans le mystère de la Rédemption comme réalité vivante et vivifiante qui correspond à la vérité intérieure de l'homme, à sa culpabilité et aussi aux désirs de sa conscience. "Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés" (178). Le sacrement de pénitence est le moyen de rassasier l'homme de cette justice qui vient du Rédempteur.

175- Ps 50,6 (Ps 51)
176- Mc 2,5
177- Jn 8,11
178- Mt 5,6

L'Eglise, surtout en notre temps, se rassemble spécialement autour de l'Eucharistie et désire que la communauté eucharistique authentique devienne le signe de l'unité de tous les chrétiens, unité qui va en mûrissant progressivement: dans ces conditions, on doit ressentir vivement le besoin de la pénitence, aussi bien sous son aspect sacramentel (179) que sous son aspect de vertu. Ce second aspect a été exprimé par le Pape Paul VI dans la constitution apostolique Paenitemini (180). Un des devoirs de l'Eglise est de mettre en oeuvre son enseignement; il s'agit là d'un thème qu'il nous faudra, c'est certain, approfondir encore dans une réflexion commune et qui devra faire l'objet de nombreuses décisions ultérieures, en esprit de collégialité pastorale, en tenant compte des diverses traditions existant à ce sujet et des diverses circonstances de la vie des hommes de notre temps. Cependant il est certain que l'Eglise du nouvel Avent, l'Eglise qui se prépare continuellement à la nouvelle venue du Seigneur, doit être l'Eglise de l'Eucharistie et de la Pénitence. C'est seulement sous cet angle spirituel de sa vitalité et de son activité qu'elle est l'Eglise de la mission divine, l'Eglise in statu missionis, en état de mission, telle que le Concile Vatican II nous en a révélé le visage.

179- S. Congrégation pour la doctrine de la Foi, Normae pastorales crica absolutionem sacramentalem generali modo impertiendam : AAS 64 (1972) 510-514 ; Paul VI, Allocution à un groupe d'évêques des Etats-Unis d'Amérique en visite ad limina (20/04/1978) : AAS 70 (1978) 328-332 ; Jean Paul II, Allocution à un groupe d'évêques du Canada en visite ad mimina (17/11/1978) : AAS 71 (1979) 32-36.
180- Cf. AAS 58 (1966) 177-198.


Vocation chrétienne: servir et régner

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Le Concile Vatican II, en élaborant à partir de ses fondements l'image de l'Eglise comme peuple de Dieu, grâce à la mise en relief de la triple mission du Christ et du fait qu'en y participant nous devenons vraiment le peuple de Dieu, a mis aussi en relief cette caractéristique de la vocation chrétienne que l'on peut appeler "royale". Pour présenter toute la richesse de la doctrine conciliaire, il faudrait se référer ici à de nombreux chapitres et paragraphes de la constitution Lumen gentium, et aussi à bien d'autres documents conciliaires. Au milieu de toute cette richesse, un élément semble cependant ressortir: la participation à la mission royale du Christ, c'est-à-dire le fait de redécouvrir en soi et dans les autres la dignité particulière de notre vocation qui peut se définir comme "royauté". Cette dignité s'exprime dans la disponibilité pour servir, à l'exemple du Christ qui "n'est pas venu pour être servi mais pour servir" (181). Donc, si on ne peut vraiment "régner" qu'en "servant", comme le montre l'attitude du Christ, le "service" exige en même temps une maturité spirituelle telle qu'il faut le définir à juste titre comme une "royauté". Pour être capable de servir les autres dignement et efficacement, il faut savoir se dominer soi-même, il faut posséder les vertus qui rendent cette domination possible. Notre participation à la mission royale du Christ, et précisément à sa "fonction royale" (munus), est liée étroitement à toute la sphère de la morale, chrétienne et aussi humaine.

181-
Mt 20,28


Le Concile Vatican II, en présentant une vision complète du peuple de Dieu et en rappelant quelle place y tiennent non seulement les prêtres mais aussi les laïcs, non seulement les représentants de la hiérarchie mais aussi ceux des instituts masculins et féminins de vie consacrée, n'a pas déduit cette image seulement de prémisses sociologiques. L'Eglise, en tant que société humaine, peut sans nul doute être examinée et définie aussi selon les critères que les sciences utilisent au sujet de toute société humaine. Mais ces catégories ne sont pas suffisantes. Pour l'ensemble de la communauté du peuple de Dieu et pour chacun de ses membres, il ne s'agit pas seulement d'une "appartenance sociale" spécifique, mais l'essentiel est bien plutôt, pour chacun et pour tous, une "vocation" particulière. L'Eglise, en effet, en tant que peuple de Dieu, est aussi, selon l'enseignement déjà cité de saint Paul et admirablement rappelé par Pie XII, "Corps mystique du Christ" (182). Le fait de lui appartenir dérive d'un appel particulier uni à l'action salvifique de la grâce. Si nous voulons donc considérer cette communauté du peuple de Dieu, si vaste et tellement différenciée, nous devons avant tout regarder le Christ, qui dit d'une certaine manière à chaque membre de cette communauté: "Suis-moi" (183). C'est cela la communauté des disciples dont chaque membre suit le Christ de manière diverse, parfois très consciente et cohérente, parfois peu consciente et très incohérente. En ceci se manifestent aussi l'aspect profondément "personnel" et la dimension de cette société qui, en dépit de toutes les déficiences de la vie communautaire au sens humain du terme, est communauté précisément par le fait que tous la constituent avec le Christ lui-même, ne fût-ce que parce qu'ils portent dans leur âme le signe indélébile du chrétien.

182- Pie XII, Encyclique Mystici Corporis : AAS 35 (1943) 193-248 183- Jn 1,43


Le Concile Vatican II a consacré une attention toute particulière à montrer de quelle manière cette communauté "ontologique" des disciples et des témoins doit devenir toujours davantage, même au plan "humain", une communauté consciente de sa vie et de ses activités propres. Les initiatives du Concile en ce domaine ont trouvé une suite dans les nombreuses initiatives ultérieures de caractère synodal, apostolique et organique. Nous devons, cependant, avoir présente à l'esprit la vérité selon laquelle une initiative sert au renouvellement authentique de l'Eglise et contribue à apporter la véritable lumière qu'est le Christ (184) seulement dans la mesure ou elle est fondée sur la juste conscience de la vocation et de la responsabilité envers cette grâce singulière, unique et non renouvelable, par laquelle chaque chrétien de la communauté du peuple de Dieu construit le Corps du Christ. Ce principe, qui est le principe-clé de toute l'activité chrétienne activité apostolique et pastorale, pratique de la vie intérieure et de la vie sociale doit être appliqué, selon de justes proportions, à tous les hommes et à chacun d'eux. Même le Pape, comme d'ailleurs tout évêque, doit se l'appliquer à lui-même. A ce principe doivent être fidèles les prêtres, les religieux et les religieuses. C'est sur cette base que doivent construire leur vie les époux, les parents, les femmes et les hommes de toutes conditions ou professions, depuis ceux qui occupent dans la société les charges les plus hautes, jusqu'à ceux qui accomplissent les travaux les plus simples. Il s'agit vraiment là du principe de ce "service royal", qui impose à chacun de nous, suivant l'exemple du Christ, le devoir d'exiger de nous-mêmes exactement ce à quoi nous sommes appelés, ce à quoi, pour répondre à notre vocation, nous sommes personnellement obligés, avec la grâce de Dieu. Une telle fidélité à la vocation, obtenue de Dieu par l'intermédiaire du Christ, porte avec elle cette responsabilité collective envers l'Eglise à laquelle le Concile Vatican II veut éduquer tous les chrétiens. Dans l'Eglise, en effet comme dans la communauté du peuple de Dieu guidée par l'action du Saint-Esprit, chacun a son "propre don", comme l'enseigne saint Paul (185). Ce don, tout en étant une vocation personnelle et une manière de participer à l'oeuvre salvifique de l'Eglise, est aussi utile aux autres, construit l'Eglise et les communautés fraternelles dans les différents domaines de l'existence humaine sur terre.

184- LG 1
185- 1Co 7,7 1Co 12,7 1Co 12,27 Rm 12,6 Ep 4,7


La fidélité à la vocation, c'est-à-dire la disponibilité persévérante pour le "service royal", a une signification particulière pour cette construction complexe, surtout en ce qui concerne les engagements majeurs qui ont une plus grande influence sur la vie de notre prochain et de toute la société. Les époux doivent se distinguer par la fidélité à leur propre vocation, comme l'exige la nature indissoluble de l'institution sacramentelle du mariage. Les prêtres doivent se distinguer par une fidélité semblable à leur propre vocation, étant donné le caractère indélébile que le sacrement de l'ordre imprime dans leur âme. En recevant ce sacrement, nous nous engageons consciemment et librement, dans l'Eglise latine, à vivre dans le célibat, et c'est pourquoi chacun de nous doit faire tout son possible, avec la grâce de Dieu, pour être reconnaissant de ce don et fidèle à l'engagement pris pour toujours. Il n'en va pas différemment des époux, qui doivent tendre de toutes leurs forces à persévérer dans l'union matrimoniale, en construisant par ce témoignage d'amour la communauté familiale et en éduquant de nouvelles générations d'hommes capables eux aussi de consacrer toute leur vie à leur propre vocation, c'est-à-dire à ce "service royal" dont l'exemple et le plus beau modèle nous sont offerts par Jésus-Christ. Son Eglise, que nous formons à nous tous, est "pour les hommes" en ce sens que, en nous fondant sur l'exemple du Christ (186) et en collaborant avec la grâce qu'il nous a acquise, nous pouvons parvenir à cette "royauté", c'est-à-dire réaliser en chacun de nous une humanité parvenue à son épanouissement. Humanité épanouie signifie le plein usage du don de la liberté que nous avons obtenu du Créateur lorsqu'il a appelé à l'existence l'homme fait "à son image et à sa ressemblance". Ce don trouve sa pleine réalisation dans la donation sans réserve de la personne humaine tout entière, dans un esprit d'amour nuptial envers le Christ et, avec le Christ, envers tous ceux auxquels il envoie les hommes et les femmes qui lui sont totalement consacrés selon les conseils évangéliques. Tel est l'idéal de la vie religieuse assumé par les Ordres et les Congrégations, aussi bien anciens que récents, et par les Instituts séculiers.

186- LG 36


A notre époque, on estime parfois de manière erronée que la liberté est à elle-même sa propre fin, que tout homme est libre quand il s'en sert comme il veut, et qu'il est nécessaire de tendre vers ce but dans la vie des individus comme dans la vie des sociétés. La liberté, au contraire, est un grand don seulement quand nous savons en user avec sagesse pour tout ce qui est vraiment bien. Le Christ nous enseigne que le meilleur usage de la liberté est la charité, qui se réalise dans le don et le service. C'est par une telle "liberté que le Christ nous a rendus libres" (187) et qu'il nous libère toujours. L'Eglise trouve ici l'inspiration incessante, l'appel et l'élan pour sa mission et son service parmi tous les hommes. La pleine vérité sur la liberté humaine est inscrite en profondeur dans le mystère de la Rédemption. L'Eglise sert réellement l'humanité lorsqu'elle conserve cette vérité avec une attention inlassable, avec un amour fervent, avec un engagement mûri, et lorsque, dans sa communauté tout entière, à travers la fidélité de chaque chrétien à sa vocation, elle la transmet et la réalise dans la vie humaine. De cette manière se trouve confirmé ce que nous avons déjà rappelé ci-dessus, à savoir que l'homme est et devient toujours le "chemin" de la vie quotidienne de l'Eglise.

187- Ga 5,1 Ga 5,13



1979 Redemptor Hominis 19